Yorgo Tloupas, notre madmen hexagonal a encore frappé ! Son studio Yorgo&Co vient de signer la toute nouvelle identité visuelle de la Gaité Lyrique, haut lieu de création et espace culturel parisien qui promeut la culture sous le prisme de l’innovation numérique. L'étrange logo nommé "Gérobase" a été dévoilé en décembre dernier, après une phase d'appel d’offre jugée sans suite par l'établissement. Trois studios avaient alors planché sur le sujet, dont le studio Chevalvert et Brest Brest Brest (et donc un dernier candidat mystérieux). Yorgo a accepté que l'on se rencontre pour discuter de cette création. Cet article est donc l'occasion de partager quelques infos de sa part pour mieux appréhender le parti pris créatif et son processus, en même temps qu'ajouter notre point de vue sur le sujet. Et oui, il y aura matière à quelques digressions ;)
Le "Gérobase" donc - étrange symbole - qui est l'équivalent d'un arobase ou la lettre G remplace le A. Avec ce néologisme intriguant mais "catchy", on sent l'expérience et la ruse du communicant capable d'enrober son concept graphique d'une formule accrocheuse pour titiller le client. Et le résultat est une identité sympatoche qui plaira de 7 à 77 ans ! (donc un peu gérontophile quand même) L'emblème est accompagné d’un bloc typo composé avec une typo rounded. Celui-ci à ensuite servi de base à l'élaboration d’une typographie propriétaire étendue à trois variations de graisses. Cette nouvelle identité visuelle vient remplacer la précédente qui avait été créée en 2010 par Michel Mallard à l’occasion de la réouverture du lieu. Le logotype était alors composé avec un lettrage au style « dot » en référence au pixel des images numériques.
Yorgo Tloupas et Michel Mallard ont tous deux exercé en tant que DA dans le domaine de la presse « Mode ». Michel Mallard est reconnu pour son expérience dans la direction artistique de grands magazines internationaux comme Vogue Homme International, Jalouse, L'Officiel et Marie-Claire Japon. Il est aussi responsable de campagnes publicitaires pour des marques de luxe telles que Kenzo Parfums, Jean Paul Gaultier ou Inès de la Fressange. Yorgo Tloupas a quant à lui démarré sa carrière de designer en lançant le premier magazine automobile lifestyle "Intersection". Il a ensuite travaillé sur la DA de Crash magazine, avant de signer la refonte du magazine GQ et lancer la formule française du magazine Vanity Fair. La refonte de l'identité de la Gaité Lyrique intervient à un moment où Yorgo&Co souhaite diversifier son champ de commanditaires, notamment vers le grand public, pour continuer à prêcher le "bon design" en France en dehors des sphères élitistes. Je vous recommande à ce sujet la lecture de Back Cover N°7 où Yorgo y mentionne son envie de refondre le logotype de la République française.
- Le point comme passerelle entre l'ancien et la nouveau logotype
- Visuel de l'exposition Motion Factory utilisant le principe graphique des "trois points" de l'identité visuelle précédente.
Yorgo est un passionné de logos. Il a été un des premiers en France à parler de l’actualité des logotypes de façon acerbe et décalée dans sa chronique du magazine « Magazine » créé par Angelo Cirimele. Ses textes étaient des "logotype fiction" où il imaginait par exemple l’histoire du DA qui a eu l’idée du nouveau lifting du logo LU un soir en regardant le film de vampire Blade, grâce à une scène où un personnage soulève le coin d’un tapis… Retour au sérieux et hop une date :
En 2013, le studio Yorgo&Co reprend en charge la communication graphique de la Gaité et réinvente la charte mise en place par Michel Mallard en mettant en place le système des « trois gros point ». (qui sont un zoom sur l’accent circonflexe du « î » de Gaité). Ce système visuel restera en vigueur jusqu’à la refonte actuelle.
La nouvelle proposition de Yorgo reprend d’ailleurs comme point de départ la forme ronde pour créer le style Rounded du nouveau logotype. Le trait épais aux extrémités arrondies du Gérobase ainsi que la typo sont donc des évolutions directes du précédent système visuel. Malin le gars !
- Chronique logo de Yorgo Tloupas dans le magazine "Magazine" créé par Angelo Cirimele
Ce choix aboutit à une esthétique ludique très « pop » et même enfantine. Sûrement en accord avec la volonté d’ouvrir la Gaité à un public plus large et moins essentiellement hipster, pour démocratiser encore plus l’accès à la création numérique. Glitch, graphisme stroboscopique et grille qui vole en éclat, c’est à se demander si Yorgo&Co a reçu le même brief que les participants de l'appel d'offre initial, tant la proposition faite par le studio Chevalvert, et dévoilée sur leur compte facebook, joue sur les codes d’une communication parfaite pour un festival de VJing. Là où Chevalvert propose un graphisme exigeant et pointu de passionnés, Yorgo&Co tente l'identité de la culture numérique pour tous.
Réaction d'un internaute sur le compte Facebook de Chevalvert : « C'est tellement mieux que celle qu'ils ont choisie au final ! Sérieusement ces trois graisses pour un g en forme de cassette analogique, je ne sais pas ce qui leur a pris. Là au moins vous gardiez l'accent circonflexe signature en sortant de l'aspect point/trait un peu "morse" de l'identité précédente ! »
- Logotype typiquement "Chevalverrien" où la flèche est à la fois trace de l'accent circonflexe et le symbole du langage de programmation - proposition non retenue.
- Principe de motifs rayonnants et de typographie développés par Chevalvert pour le langage graphique de la Gaité Lyrique - proposition non retenue.
À noter que contrairement à ses précédents projets d’identité visuelle d’envergure où Yorgo avait pour habitude de s’entourer de la crème des dessinateurs de caractères, (Jean-François Porchez - Commercial type - Production type) cette fois-ci la création de la typo propriétaire a été entièrement réalisée en interne. Se déclinant en 3 graisses, light - regular - bold, le caractère permettra de composer le contenu de tous les supports de com de la Gaité, des affiches, jusqu’au dépliant de programmation.
- Typographie propriétaire créée par Yorgo&Co pour la Gaité lyrique.
Un petit g dans un grand G, cela rappelle forcément le petit p dans le grand P du logotype du petit Palais par Apeloig. Mais dans une version tellement ronde et molle qu'on dirait le résultat d'une accouplement avec un logo du duo M/M. Le traitement rond et baroque de l’emblème rappelle beaucoup le style de M/M, notamment le très alambiqué logotype du CNAP réalisé en 2005. Dessiné en spirale, ce logo semble lui aussi avoir été inspiré par le graphisme concentrique d'une arobase.
Même si on peut lui reprocher ses finitions rondes qui lui donnent un aspect un peu trop régressif, la réserve principale reste sur le choix du détournement du symbole arobase. Ce signe a été usé jusqu’à la corde pour symboliser la nouvelle économie du web depuis plus de quinze ans. Aujourd’hui il semble un peu démodé pour représenter un lieu à l’avant garde de la création numérique comme la gaité lyrique.
- Croquis réalisés par Yorgo Tloupas lors de l'interview pour démontrer la simplicité et l'efficacité du symbole gérobase. Le gérobase est comparé au graphisme du logo du Petit Palais et à celui de la Philharmonie de Paris, qui comme vous pourrez le constater, est beaucoup plus difficile à dessiner de mémoire !
Finalement la compréhension du concept derrière le symbole est plutôt difficile pour le quidam non averti. Est-ce une épingle à nourrice ou une cassette audio ? Peu importe, Yorgo assume les interprétations inattendues de son logo et il semblerait que ce parti pris humoristique fasse complètement partie de la nouvelle stratégie de com de la Gaité car j'appris lors de notre discussion qu’il fut à un moment envisagé d’avoir des bretzels en forme de gérobase pour la conférence de presse de la nouvelle identité visuelle...
Un des objectifs de Yorgo pour le nouveau système visuel était de créer un signe adapté aux problématiques de repérage dans l’espace urbain pour permettre au public de mieux localiser la Gaité Lyrique dans Paris. La proposition s’accompagne donc d’une esquisse de totem au bout duquel est juché l’emblème dans une version lumineuse.
Dans une démarche très "branding" (initialement, pratique qui consistait à marquer les troupeaux au fer rouge), l’emblème gérobase sera utilisé comme un tampon et viendra marquer plus ou moins discrètement chaque objet de com. Détourné, le gérobase pourra aussi être le cœur du visuel. Dessinée à l’aide d’un alignement de fruits, la nouvelle identité visuelle prend sérieusement le risque de sombrer dans le kitsch tant la proposition prête à sourire...
J’en profite pour questionner Yorgo sur sa position concernant l’opposition entre graphisme commercial et graphisme culturel. Selon lui, cet antagonisme ne se justifie pas et serait surtout une spécificité française qui pousse les étudiants en design graphique à sur-valoriser la création d’affiches de théâtre plutôt que de créer une bonne identité visuelle pour la PME du coin, laissant un pan entier du design graphique « commercial » dans les mains des grandes agences de publicité…
Les marques commerciales imposent leur notoriété par la répétition de leur logo. Cette omniprésence publicitaire au quotidien est souvent qualifiée de "pollution visuelle". En répétant un symbole « gérobase » à l’infini n’ y a t-il pas un risque d’appliquer les codes d’un branding commercial agressif pour un lieu dans la mission est avant tout culturelle ?
Pas du tout, se défend Yorgo, en citant l'exemple du logo réalisé par Jean Widmer pour le Centre Pompidou, dont le graphisme serait très proche de celui créé par Paul Rand pour IBM. Je vous laisse juger des similitudes éventuelles avec l'illustration ci-dessous. J'y ajoute le logo de Montebourg en bonus, mais celui d'Adidas aurait aussi très bien fait l'affaire :
Au-delà du point de vue de Yorgo sur ce qu'est une bonne identité visuelle (mais il est fort à parier qu'il est très éloigné de celui de Ruedi Baur), cette orientation très marketing et branding semble tout simplement être la réponse du designer au brief du commanditaire qui aurait exprimé sa vision de la sorte : « il nous faut notre G ! ».
Et s'il y a bien un point commun entre les propositions de Chevalvert et Yorgo&Co, c'est dans la création d'une lettrine G stylisée qui est fichtrement pratique pour décliner la marque sur les réseaux sociaux, lieux symbole du numérique démocratisé !
Il est intéressant de noter que l'on doit aussi la création de l'emblème du Centre Pompidou aux attentes de la direction de l'époque et non à la volonté première de Jean Widmer qui aurait préféré s'en passer. Entre temps, l'emblème est devenu un monument du graphisme et la communauté des graphistes fit même pression pour sa conservation dans le système visuel du Centre lorsque Ruedi Baur faillit le faire disparaitre en 2000 au profit d'un système basé sur un typogramme...
- Visuels "doodles" de la charte graphique de airbnb pour inciter les utilisateurs à créer leur propre version du symbole "belo".
Le Gérobase est-il un bon logo ? Tenter de répondre à cette question par l'affirmative ou la négative serait réducteur. Une chose sûre est que le Gérobase est un logo de l'ère du tout numérique, comme peut l'être le symbole "belo" de airbnb. (nous avions d'ailleurs rapporté comment airbnb avait avec humour assumé le "badbuzz" à la sortie du nouveau logo dans cet article à propos de la conférence BrandNew de 2015).
C'est à la fois un signe "tribal" et un "doodle" dont la vocation est de créer un lien affectif très fort avec le public. Plus il sera approprié et détourné, plus il deviendra un mème et plus il atteindra son objectif. En cela, il est une réponse parfaitement adaptée aux attentes du client. Pour l’instant seul le logotype et le visuel de l'expo "Lanceurs d'alerte" ont été dévoilés. Il ne reste plus qu’à espérer que le système visuel accompagnant ce symbole sera à la hauteur toute anglo-saxonne du travail graphique de Yorgo, où le fond est toujours autant privilégié que la forme.
Seule l'épreuve du temps nous permettra de juger de la pertinence du logo. À moins que la vitesse d'évolution du numérique oblige la Gaité Lyrique à revoir sa mission culturelle plus tôt que prévu ! Je vous donne donc rendez-vous dans 40 ans ou demain pour voir si le gérobase aura fait de vieux os !
Merci pour cet article intéressant.
J’aimais beaucoup l’ancien logo (un lifting aurait pu être une piste de rendu), mais je trouve que celui-ci est très réussi, avec une touche d’impertinence (reprendre des codes grand public pour un lieu culturel parisien …), d’expérimentation (je n’avais pas vu 3 corps de graisse dans un même logo et cette typo est un étrange mix ^^). C’est vrai qu’on le trouve sympathique, il est rassurant parce qu’il est cohérent avec les codes actuels du numérique, sans se la péter non plus avec des tarabiscotages intellectuels (cf M/M…)
Etrangement j’y ai vu d’abord la forme de l’ancienne souris Mac… , le G m’est complètement passé à côté, le arobase est consciemment peu lisible , mais effectivement on peut y voir plein de choses et c’est ce qui le rend intéressant (contrairement au logo AirBnb qui me semblait un peu trop « primitif » lorsqu’il est sorti).
Chevalvert s’est perdu un peu dans le brief je trouve… En restant dans des codes graphiques familiers à la culture, sans proposer un vrai renouveau pour la Gaité Lyrique, un lieu qui a un positionnement bien à lui.
Bravo à ces 2 studios en tout cas.
Pas très fan de ce nouveau logo… Personnellement, je vois un foetus dans un ventre et le « G » de Grossesse… il y a même le cordon ombilical… ;) Cela me fait penser à des recherches que je n’ai jamais présentées à mes clients pour cette même raison…
J’aime beaucoup le design de ce « gérobase », qui me fait penser à une oreille, et donc à l’écoute (au sens large), à la musique, tout ça tout ça… Je trouve ça approprié pour le lieu. Pas hyper convaincu en revanche par la répartition des 3 graisses sur les 3 étages de « La / Gaîté / Lyrique ». Une seule aurait sans doute été suffisante (la 2ème sans doute, plus proche de l’épaisseur du trait du symbole). Ça fait un peu forcé, genre « Hey, regardez, on a designé une typo ! En 3 graisses ! ».