Fabriqué en Suisse depuis 1908, le chocolat Toblerone va devoir abandonner sur son packaging l'image de sa montagne emblématique ; le Cervin (Matterhorn en anglais). La raison de ce changement d'image forcé ? La délocalisation, à cause de la mondialisation. Voici pour nous l'occasion de revenir sur ce qui fait une image de marque de territoire, entre labels et visuels.
Toblerone sera désormais produit en Slovaquie, et la législation de la Suissitude interdit d'utiliser des marqueurs du pays du chocolat pour en faire une promotion non conforme. Les produits labellisés "fabriqué en Suisse" doivent en effet contenir au minimum 80% d'ingrédients locaux fabriqués sur place, et 100% pour ceux contenant du lait (à l'exception des matières non endémiques, comme le cacao). La loi interdit en effet depuis 2017 d'utiliser le drapeau ou autres éléments du territoire Helvète dans l'alimentation, l'industrie ou les services. Le journal The Guardian souligne que des études démontrent le fait que des produits labellisés ou à l'image "Suisse" se vendraient 20% plus cher, et jusqu'à 50% de plus pour les produits de luxe. En délocalisant sa production, Toblerone n'a ainsi plus le droit de mentionner "of Switzerland" (de Suisse) ni d'utiliser le Cervin. La montagne Suisse de 4 478 mètres sera donc “remplacée par un sommet plus générique” comme l'explique la BBC, et le packaging indiquera désormais également la mention "établi en Suisse".
En 2022, Toblerone avait déjà procédé à un changement d'identité (cf les images ci-dessous) avec l'agence Bulletproof en redessinant ses lettres pour être plus fidèle au logo d'origine, et en mettant le triangle de chocolat en avant accompagné de nouveaux caractères typographiques manuscrits plus vintage comme une écriture "authentique" aux yeux du consommateur, une signature. Elle porte d'ailleurs le nom de son fondateur ; Tobler. On voit ici le travail typographique, avec des lettres plus pleines à l'allure gourmande et vintage, et la mise en avant du produit en gros plan. La nouvelle identité détourne l'attention d'un produit original et Suisse vers un produit gourmand et authentique, même s'il n'a plus rien à voir avec la Suisse !
Le Cervin du Toblerone cachait également jusqu'à ce jour un ours, symbole héraldique de la ville de Berne, signifiant doublement sa provenance Suisse. On pourrait penser que ce genre de mauvaise publicité porterait préjudice à la marque triangulaire, mais, lorsque en 2016 Toblerone avait réduit le poids de ses tablettes de 170g à 150g en espaçant les triangles, puis avait réduit leur nombre de 15 à 11 un an plus tard en Allemagne, les ventes avaient bondi...
Le chocolat Suisse ne s'est pas fait tout seul. Il a fallu trois personnes, au moins, pour en bâtir l'Empire et l'image qualitative qu'il a encore aujourd'hui. Si la première tablette de chocolat apparaît en Angleterre en 1847, c'est François-Louis Cailler qui invente la première usine à chocolat mécanisée en 1819 et plante le décor du chocolat au milieu des montagnes enneigées, des chalets et des vaches broutant dans les alpages Suisses. À la fin du XIXe siècle, la Suisse bénéficie d'un important flux de touristes étrangers qui contribuent à faire rayonner leur savoir-faire chocolatier et leurs onctueuses innovations à l'international. Ces quelques affiches Suchard Milka du début du XXe siècle plantent bien le décors avec la bergère avec ses vaches dans la vallée verdoyante, et les cîmes enneigées au loin.
À l'origine, c'est surtout Philippe Suchard, qui construit l'image du "chocolat Suisse" typique, en ouvrant d'abord une chocolaterie puis sa première usine de chocolat (noir) dans un vieux moulin en 1825, en tant que produit aux multiples vertus. Avec l'arrivée du train, il s'exporte en Allemagne en 1880. C'est là qu'il dépose la marque Milka (Milch und Kakao = lait + cacao) en 1901 (en Allemagne, finalement). Prospère, les mesures protectionnistes Suisses le poussent à installer des antennes locales dans les pays étrangers et il ouvre des usines aux États-Unis, en Angleterre, en Argentine, en Suède et en Afrique du Sud après la 1e guerre mondiale, bien avant la tendance de la mondialisation ! Suchard s'appuie ensuite sur le lait, une denrée abondante et peu chère dans son pays, pour fabriquer du chocolat... au lait. La vache dans les alpages était présente depuis la création des tablettes mais elle apparait en 1973 dans les publicités. C'est en 1988 que l'image entière est construite autour de l'animal, des alpes, et de la fameuse couleur lilas. Comme Toblerone, Milka appartient désormais au géant Mondelēz (qui possède entre autres oreo, tang, philadelphia...)
On doit les premières barres de chocolat au lait à Daniel Peter, Suisse, qui s'intéresse au chocolat par amour, en épousant la fille lyonnaise d'un chocolatier. À Lyon, il invente aussi le chocolat au lait en poudre, vers 1875 (Van Houten avait inventé le chocolat en poudre en 1828 grâce à une presse à dégraisser qui enlève le beurre des fèves), avant de revendre sa poule aux œufs d'or (en poudre) à Nestlé en 1929.
La troisième personne à révolutionner le chocolat Suisse est Rodolphe Lindt : c'est lui qui invente le premier chocolat à la texture onctueuse, en oubliant par inadvertance d'éteindre une machine un week-end, ce qui le fera fondre ! Il revendra son brevet 20 ans plus tard à Tobler, un autre Suisse, fondateur du Toblerone (on y revient). Si le packaging ne représente pas encore le mont dans les anciennes publicités des années 1950, le Cervin est clairement mis à l'honneur et l'origine Suisse du Toblerone est indéniable (cf images ci-dessous).
Les barres violettes de Milka vendues en Europe indiquaient autrefois "lait Suisse" et désormais moins précisément la mention "100% au lait du pays alpin" : une zone suffisamment vaste et floue pour ne pas être nommée, tout en gardant son aura. Comme pour Toblerone, l'image de marque est suffisamment ancrée dans l'esprit des consommateurs pour pouvoir évoluer sans crainte, ou presque. Les usines de productions sont aujourd'hui implantées un peu partout en Europe et on est loin de l'usine familiale avec les marmottes, les vaches et les enfants joufflus que l'on voyait dans les pubs !
Une prouesse marketing qui consiste à continuer à vendre du rêve en surfant sur une image de marque solide, et à ne pas trop dévoiler ses secrets de fabrication tout en délocalisant sa production pour réduire ses coûts. Si Milka est violette, c'est sûrement qu'elle manque encore probablement de transparence dans un monde qui ne souhaite pas l'être pour protéger ses intérêts. Mais c'est loin d'être la seule marque dans le cas ! La moutarde de Dijon est aujourd'hui fabriquée à base de graines de moutardes canadiennes et d'huile de tournesol ukrainienne, et à moins d'être AOP, le Gruyère peut être français ou américain. Le Gruyère français -lui aussi AOP- a d'ailleurs des trous, contrairement à son cousin Suisse. Quand au Parmesan, au Roquefort, à la Feta, ou encore aux champignons de Paris (cultivés dans 70 pays), ils n'ont plus besoin d'être produits sur leur lieu d'origine : la recette prévaut sur la localisation, même si le nom est souvent protégé. C'est le jeu de la mondialisation !
Si on analyse les produits ci-dessous, les véritables feta sont reconnaissables par l'insigne AOP européen orange et rouge, et le lait grec (parfois marqué d'un drapeau, parfois non). Le "fromage 100% brebis" de Monoprix, est préparé à base de lait de brebis Grecque mais n'a pourtant pas le droit à la mention Feta. Il s'en rapproche pourtant plus que Salakis ou les "tranches de brebis au lait français", qui ne sont pas de la feta à proprement parler bien qu'elles utilisent sur leur packaging des images qui font penser à la Grèce : la mer ou un bleu profond, un nom à la consonance grecque, ou des motifs. C'est là que l'on voit l'utilité des labels sur des packagings et l'importance de la mention du territoire d'origine.
Pour des raisons évidentes d'image de marque et pour mettre en avant un savoir-faire, un territoire ou un produit particulier, les marques peuvent revendiquer leur appartenance à une origine. Pour utiliser le label made in France par exemple, la demande se fait auprès des douanes et exige qu'un certain nombre d'ingrédients minimum provienne de France pour les denrées alimentaires, ou que "la dernière transformation substantielle" soit réalisée en France. On peut ainsi faire produire du tissu et découper un vêtement au Portugal mais réaliser les dernières opérations en France, comme coudre des boutons, pour obtenir le label. Quand on sait que 3 français sur 4 sont prêts à payer plus cher pour un produit "made in France", le jeu en vaut la chandelle. France Industrie a créé en 2021 un label officiel "fabriqué en France", qui vient s'ajouter aux nombreuses autres marques existantes (en bas à gauche dans l'image ci-dessous).
Il existe en effet plusieurs labels pour protéger les denrées françaises. Indication Géographique Protégée (IGP) pour les produits naturels, agricoles et viticoles ou Indication Géographique pour les produits manufacturés et les ressources naturelles, Entreprise du Patrimoine Vivant (EPV) pour distinguer les savoir-faire artisanaux et industriels, Origine France Garantie qui labellise le lieu de production, Produit en Bretagne ou encore Nou la fé à la Réunion, des marques régionales qui permettent de garantir une origine de production locale en se basant sur un cahier des charges et des critères précis. La France est la championne des appellations d'origine protégées ou contrôlées (AOP / AOC) d'Europe protégeant une provenance ou un terroir et un savoir-faire spécifique, mais qui ne garantissent pas pour autant une production artisanale.
Le nouveau risque aujourd'hui est l'avènement de sites de dropshipping Chinois : le client achète sur un site intermédiaire qui commande à un fournisseur qui vous livre chez vous. L'arnaque ici consiste à créer des boutiques "100% en ligne" et tendances proposant des produits "design" et beaux à la sauce française, présentés dans des décors 3D soignés accompagnés d'avis clients fabuleux. Ils permettent, grâce à cet enrobage "français" de revendre ainsi des produits plus chers, fabriqués généralement à bas coût par des entreprises Chinoises. Le nom, le logo, l'adresse et le numéro de téléphone pointent vers un lieu français, ou utilisent des marqueurs français comme le fameux combo bleu-blanc-rouge. Mais trois couleurs ne suffisent pas à maquiller un faux produit français ! Alors, comment repérer les arnaques de faux Made in France fabriqué en Chine ?
Voici quelques pistes : ces marques vendent toujours uniquement en ligne, le téléphone répond peu et le service client est inexistant, les avis sont en mauvais français (généralement traduits) et les mêmes produits sont disponibles 3x moins cher sur amazon ou aliexpress, avec exactement les mêmes photos. Les comptes instagram ont souvent peu d'abonnés ou peu de publications. Pour vous faire une véritable idée vous pouvez lire les vrais avis clients sur truspilot ou taper le nom du site + "arnaque" (exemple : lumiart arnaque) dans votre barre de recherche pour en avoir le cœur net : cela confirme généralement la mauvaise qualité des produits, une insatisfaction globale et la nécessité de renvoyer les produits non conformes en Chine.
Il est également possible de signaler une usurpation de l'image du "made in France" sur le site signal.conso (qui ne semble pas répondre au jour où l'on écrit l'article). Dans le cas du site Lumiart ci-dessus, l'adresse est "rue de la Pompe" sous la mention "boutique exclusivement en ligne", et les mêmes lampes sont vendues 3x moins chères sur Amazon... Pour en avoir le cœur net, le site marques-de-france répertorie les marques et produits made in France : parce qu'il ne suffit pas d'avoir une crête et de dire cocorico pour être français !
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