Chapelle Corneille

À l’occasion de la rénovation de la Chapelle Corneille par la région Haute-Normandie, Graphéine s’est penché sur l’identité visuelle du lieu, joyau du XVIIe siècle. Tour à tour lieu de culte Jésuite, musée, et même magasin de fourrage pendant la Révolution, la chapelle est la 3ème plus vaste église de Rouen.

Par sa taille et son acoustique, elle est aujourd’hui destinée à devenir un lieu phare pour la musique et est actuellement en cours d’aménagement en Auditorium. Le premier concert aura lieu lors de l’ouverture, le 4 Février 2016.
L’Opéra de Rouen assurera une partie de la programmation avec 6 autres structures, privilégiant la musique non amplifiée comme chorales, musique de chambre et musique ancienne, mais aussi Jazz et musique du monde.

Afin de préserver l’acoustique du bâtiment et l’adapter aux exigences de la musique moderne, l’atelier d’architecture King Kong a conçu un “lustre scéno-acoustique” sous forme de globe à deux hémisphères, spécialement pensé pour la Chapelle Corneille. Cette installation magistrale unique au monde permet d’offrir un son d’une très haute qualité qui ne se disperse pas dans l’espace. Scindé en deux hémisphères, ce globe peut pivoter et offrir soit une face en miroir, pour jouer avec la lumière et l’espace, soit une face en lustre servant aussi d’installation acoustique et même de chauffage.

Pour vous faire une meilleure idée de cet incroyable projet, voici quelques photos du chantier, extraites du compte Facebook de l’atelier d’architecture King Kong :

Ci-dessous une vidéo présentant le projet architectural et artistique.

1 – Le Concept

Pour créer l’identité visuelle de la Chapelle Corneille – Auditorium de Normandie, nous avons voulu étudier les symboliques du lieu, sa richesse, son art, à cette histoire de sphère baroque. Nous avons donc commencé par étudier en détail ce qui faisait l’essence de la période “baroque” en nous replongent dans l’histoire de l’art. Dans cette étude nous avons trouvé d’étonnantes résonances conceptuelles avec l’œuvre de l’atelier King-Kong dont la conception découlait pourtant d’une simple intuition empirique.

Le terme Baroque

Le terme Baroque est issu du terme Portugais “Barroco” signifiant “perle irrégulière”. Deleuze qui s’est penché sur une analyse philosophique du “baroque” dans son ouvrage “Le pli : Leibniz et le baroque” en tire trois caractéristiques majeures:

1. Un principe d’organisation de l’espace d’abord : la distinction de deux étages, haut et bas, conçus comme deux ordres de réalité autonomes, l’un poussant vers le ciel, l’autre s’enfonçant dans la terre, dont le modèle est fourni par les tableaux de Tintoret et de Greco, chez lesquels elle joue en effet de façon plutôt spectaculaire.
2. Un nouveau régime de la lumière et des couleurs : dans la représentation baroque, la lumière n’est plus produite à partir d’elle-même, mais surgit le plus souvent d’un arrière-plan caché par des jeux de miroirs, de reflets ; l’ombre ne s’oppose plus seulement à cette lumière dont elle serait l’autre, mais se comporte comme ce fond commun dont couleurs et clarté surgissent par le moyen de dégradés successifs.
3. Le troisième principe, le plus important, est fourni par cette notion de pli, véritable «concept opératoire» du baroque. Le Baroque ne cesse de faire des plis, de les courber et de les recourber, de les pousser à l’infini et de les différencier suivant deux directions ou deux « étages » de l’infini : les replis de la matière, et les plis dans l’âme.

Lumière Baroque

1. Dans la littérature, la lumière baroque est d’abord caractérisée par opposition à la lumière de la Renaissance. L’historien de l’art Heinrich Wôlfflin oppose la clarté de la Renaissance à l’obscurité du Baroque (Wôlfflin, 1888).
2. Il existe aussi une caractérisation un peu plus précise comme une lumière accidentée et contrastée. Giulio Carlo Argan pense que l’époque baroque “exploite les accidents de la lumière et la diversité lumineuse des différents moments de la journée” (Argan, 1957).
3. Et pour Heinrich Wôlfflin, ce style “cherche à arrondir tout ce qui est plat, à gagner partout modelé, lumière et ombre. En renforçant le contraste du clair et de l’obscur, on peut rehausser l’impression créée jusqu’à donner celle d’un véritable jaillissement en avant” (Wôlfflin, 1888). La lumière baroque serait donc une lumière en clair-obscur s’opposant à celle de la période qui la précède.

Le baroque s’est également développé à partir de la nouvelle vision du cosmos introduit par la Révolution copernicienne. Copernic démontre que le Soleil, et non plus la Terre, est au centre de l’univers. Il est fixe, et les planètes tournent circulairement autour de sa lumière.

À ce stade de notre réflexion, l’analyse conceptuelle rejoignait tellement l’intuition première que l’on pouvait avoir sur le projet, que l’idée d’astre solaire et d’astre lunaire nous semblait incontournable. Oppositions, symbiose. Soleil & lune, or & argent, lumière & ombre, blanc & noir, réflexion & absorption, plein & vide…

Notre travail graphique a donc rapidement abouti à un signe pouvant évoquer une sphère en 3D, une éclipse de lune ou de soleil. Le minimalisme d’un cercle parfait, contrastant avec l’irrégularité du grain qui accroche et révèle la lumière. De la même manière que les architectes inscrivent leur travail de manière extrêmement sobre et minimaliste, le signe auquel nous aboutissons se veut également extrêmement simple et minimaliste, comme pour ne pas chercher à concurrencer l’environnement baroque, en l’occurrence l’église pour les architectes, et l’image photographique pour nous.

Une fois la base du langage graphique élaboré, on peut jouer avec pour composer affiche, plaquette, flyer.

Voici donc en détail le projet (non retenu) que nous avions conçu.

2 – Le Logotype

Caractère intemporel et neutre, l’Helvetica n’existe pas en version avec Serif. Nous proposons de nous inspirer de la modernité de ce caractère tout en lui ajoutant ces petites touches classiques. En résulterait un caractère dont le dessin s’apparenterait autant à la tradition typographique du 17e siècle que celle du XXe . Hérésie typographie ou surprenante audace, le court délai pour concevoir le projet ne nous a pas laissé le temps de régler sérieusement cette question… le projet n’ayant pas abouti la question ne se pose plus vraiment.

3 – Identité visuelle

La photographie noir et blanc apparait comme une bonne façon de jouer le jeu du clair-obscur baroque. Le grain de la photographie se révèle matière, et vient dialoguer avec les signes.

Photos : Tiphaine Guillermou