Branding & cannabis : le visage de l’or vert

03 octobre 2018  |   1 Commentaires   |    |  

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Depuis juin dernier, on voit fleurir des coffeeshops "light" un peu partout en France. Paris, Bordeaux, Lyon... certains ont déjà du fermer leurs portes, mais l'engouement est bel et bien là. Dans le sillage de l'Uruguay, pays pionnier, puis des États-Unis et de nombreux pays d'Europe, le Canada sera le prochain pays sur la liste à légaliser le cannabis, en octobre 2018.

Cannabis : de la défonce au super-aliment

Dans ces pays, la légalisation du cannabis entraine un nouveau commerce, qui n'est plus axé uniquement sur ses vertus psychoactives. Avec la mise en avant des super pouvoirs retrouvés de cette plante médicinale, le cannabis s'affranchit peu à peu des codes du royaume de la défonce. Alors que la feuille à sept pointes a longtemps rimé avec peace & love et arboré les couleurs vert jaune rouge du drapeau rastafari, les nouvelles entreprises en font un emblème thérapeutique. Et qui dit commerce dit bien sûr branding, et packaging.

Alors comment font ces nouvelles entreprises pour s'affranchir de l'image de "drogue illégale" et passer à celle de "plante miracle" ? Les distributeurs et boutiques de hashish et ses dérivés semblent pionniers dans leur domaine et peuvent inventer des nouveaux codes pour cette plante aux multiples effets. Mais avant de plonger dans le vif du sujet, laissez-nous vous entrainer dans la merveilleuse histoire du cannabis !

Chanvre ou cannabis, ne confondons pas les herbes !

Afin de dégager tout soupçon, commençons par un petit interlude scientifique. Connue surtout aujourd'hui pour ses effets psychotropes qui en font une plante diffamée et persécutée par les gouvernements, le cannabis a pourtant connu des siècles de gloire dans de nombreuses civilisations. Si cannabis veut dire chanvre en latin, une chose cruciale différencie pourtant les deux termes. Les deux plantes cousines ont quelques gènes qui diffèrent, et ne sont pas à confondre. Elles produisent toutes deux une quantité importante de cannabinoïdes dont les plus connus sont le tétrahydrocannabinol (THC), un puissant psychotrope, et le cannabidiol (CBD) aux vertus médicinales. Il faut ajouter que notre corps produit naturellement des récepteurs à cannabinoïdes, des neurotransmetteurs appelés anandamide qui entrent en contact et réagissent lors de la prise de CBD ou de THC.

Comme nous l'explique Jamy dans la vidéo ci-dessous, le cannabis produit de la résine psychoactive en quantité (du THC, donc) tandis que le chanvre, lui, possède un faible taux de THC mais est très riche en CBD. Pas de risque alors, de se défoncer au chanvre ! Ce sont les dérivés de ces plants qui sont généralement légalisés et vendus comme compléments alimentaires ou médicaments, comme aux États-Unis.

Comme le précise le musée du Hash à Amsterdam, « bien que le cannabis soit l’une des substances récréatives les plus sûres et les moins toxiques connues des hommes, il faut en éviter l’abus comme pour toute substance. Cependant, alors que le cannabis est beaucoup moins susceptible de provoquer des effets nocifs que par exemple l’alcool, son usage récréatif reste l’un des aspects les plus diffamés, les plus mal compris et les plus mal interprétés du cannabis dans les médias. »

Le chanvre a l'avantage d'être une herbe poussant à l'état sauvage depuis des siècles et qui ne nécessite ni pesticide ni apport d'eau pour grandir. Le fait qu'elle soit restée sauvage depuis des siècles en fait une plante résistante et adaptable à presque tout. Elle semble d'ailleurs être toute indiquée pour sauver le monde puisqu'elle nettoie les sols des métaux lourds (elle purifie actuellement les sols de Fukishima), et qu'elle peut être transformable en biocarburant, en papier, en cosmétique ou médicament, en isolant, en paillage... bref, en presque tout. En tant que textile, elle nécessite également 3x moins d'eau que la culture du coton et ses fibres sont bien plus résistantes et isolantes, sans compter qu'elles peuvent être imperméables.
C'est donc une très bonne "mauvaise herbe" (weed en anglais) en quelque sorte, qui mériterait de faire un come-back acclamé. Nos ancêtres l'avaient bien compris !

Si vous souhaitez sauter la partie historique qui fera de vous un incollable sur le cannabis, vous pouvez aller directement à la rubrique branding (mais vous allez rater des anecdotes qui défoncent et des belles images).

Les origines vaporeuses du cannabis

Cultivée depuis 12 000 ans, soit dès la fin de la première ère glaciaire (durant la préhistoire), le cannabis sativa -ou le chanvre- est l'une des premières plantes domestiquée par l'homme ! Elle a vaillamment traversé les âges en étant tour à tour adulée, vénérée ou détestée, avant de faire aujourd'hui un come-back timide, mais prometteur.

Les peuples de l'herbe

Le cannabis était cultivé d'abord pour ses fibres issues de ses tiges dont on réalisait du tissu ou du papier, puis pour ses graines à haute valeur nutritionnelle, le chènevis, et plus tard pour les vertus médicinales et psychotropes de sa résine. Faute de preuves, on n'est pas à l'abri que les hommes du Mésolithique l'aient utilisé pour "s'ouvrir l'esprit" avant leurs sessions de peintures rupestres. Mais il est plus probable qu'ils l'utilisaient pour se soigner que pour délirer sur les murs... le mystère restera entier.

L'origine géographique de cette plante reste elle aussi incertaine. Il semblerait qu'elle soit tout de même originaire d'Asie centrale, dans une région s'étendant entre le sud de la Russie, la Mongolie, la Chine et jusqu'au Nord de l'Inde, autour de l'Himalaya. Ce qui est sûr est que c'est en Chine que des fouilles archéologiques ont révélé des poteries marquées par des cordes de chanvre ou encore un plan entier de marijuana dans une tombe de chaman (qui n'avait rien d'un Chinois) vieille de 2 700 ans, preuves des multiples usages de la plante.

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Voyageant à cheval avec les peuples Eurasiens partant à la conquête du monde, le cannabis arrive au Moyen-Orient (plus précisément en Égypte), pour atteindre à l'Antiquité l'Allemagne (la fameuse Hildegarde de Bingen en cultivait dans son jardin et en préconisait l'usage thérapeutique) et la Grèce, puis l'Angleterre. Elle rejoint les Caraïbes par bateau avec Christophe Colomb en 1492, dont on parlera plus bas.

Le XIVe voit apparaître le premier texte visant à interdire son usage, dans l'empire Ottoman. La France, elle, connaît la déferlante du hashish au retour d'Égypte des troupes de Napoléon, en 1801 ! Le chanvre avait déjà déjà été introduit au XIIe siècle par les musulmans. Après une tentative d'assassinat à son égard par un homme sous emprise, Napoléon fait interdire la consommation de hashish en Égypte : "l'usage de la liqueur forte faite par quelques musulmans avec une certaine herbe forte, nommée haschischa, ainsi que celui de fumer la graine de chanvre, sont prohibés dans toute l'Égypte. Ceux qui sont accoutumés à boire cette liqueur et à fumer cette graine perdent la raison et tombent dans un violent délire qui souvent les porte à commettre des excès de tout genre." Napoléon interdira plus tard son usage en France, devenant le précurseur de la lutte anti-drogue.

Le chanvre quant à lui connait ses heures de gloire en France au XIXe siècle (comme on le voit sur ces cartes postales) avant de presque disparaître dans les années 60 avec l'arrivée de la pétrochimie, qui avança ses fibres synthétiques comme le nylon, au détriment du chanvre. Aujourd'hui, notre pays demeure tout de même le premier producteur de chanvre en Europe avec plus de la moitié des surfaces (cocorico !).

Sources : Cartes postales pittoresques des années chanvre en France (Hash Marijuana & Hemp Museum). Illustration du chanvre femelle et mâle tirée du livre Les Grandes Oeuvres d'Anne de Bretagne (1503)

Les mille usages de la plante magique : à la conquête du monde

Le chanvre était donc utilisé depuis plusieurs siècles dans de nombreuses civilisations. On retrouve sa trace dans ces cultures anciennes, sous diverses formes, que l'on retrace ici par pays.
Il était commun pour plusieurs de ces peuples d'inhaler la fumée de graines de cannabis brûlées lors de cérémonies religieuses, comme les Scythes qui organisaient des séances de fumigation collective sous tente, ou d'utiliser la plante pour ses propriétés médicinales.
On a retrouvé par exemple des traces de graines et de résine dans des sarcophages égyptiens (j'en ai une douteuse : Toutânkhamon, tout l'temps camé ?). Toujours en Égypte, la déesse de l'écriture Seshat était par ailleurs représentée avec une feuille de cannabis au-dessus de la tête, pour "ouvrir la porte de l'esprit" (cf gravure ci-dessous). D'ailleurs, on peut lire sur le papyrus Ebers plusieurs remèdes médicinaux élaborés à base de chanvre et de ses graines, aux côtés d'autres ingrédients comme des queues de souris, du poil de chat, des entrailles d’oie... Ce document fait office de pharmacopée Egyptienne et regroupe plus de 700 remèdes; il est d'ailleurs l'un des premiers documents à mentionner le cancer.

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Au Japon, le chanvre était également un matériau de luxe, et les samouraïs utilisaient sa fibre tissée pour s'en faire des vêtements imperméables, trempés dans du jus de kaki (cf images ci-dessus). Au XIVe siècle, les daimyos, seigneurs de guerre, encourageaient leurs vassaux à cultiver du chanvre (cf cette estampe du 17e siècle, photo Hiroko Tanaka et Junichi Takayasu), et les empereurs s'en drapaient. Après la seconde guerre en 1948, sous l'influence des États-Unis et de leurs lobbys anti-drogue, le Japon vote une loi pénalisant la possession de cannabis.

En 1492, loin de se défoncer pendant la traversée, notre cher Colomb doit sa découverte des Caraïbes au chanvre, dont il faisait mille usages. Sur les bateaux d'époque on utilisait le chanvre pour fabriquer des cordages, tisser des voiles résistantes, nourrir les hommes avec les graines que l'on stockait dans les mâts des drapeaux, imperméabiliser les sols avec des feuilles glissées entre les lattes, prendre des notes sur du papier de chanvre ou encore s'éclairer grâce à son huile. D'ailleurs, le monument à la gloire de Colomb de Barcelone est orné de feuilles de chanvre... c'est dire (photo de gauche) !

Sources :Hash Marijuana & Hemp Museum, Museo de la Torre del Oro

Les Russes, quand à eux, sont les premiers exportateurs de chanvre au XVIIIe siècle. Autant dire que, vu l'usage que l'on en faisait à l'époque, l'Europe est à leurs pieds. Napoléon (décidément) tente d'affaiblir les anglais qui dépendaient des russes en leur faisant signer un traité de paix en 1812. À une condition : que la Russie arrête son commerce de chanvre avec l'Angleterre ! Plus le chanvre, plus de bateaux. Plus de bateaux, plus d'armée... Pas folle la guêpe. Manque de pot, les Russes rompent le traité quelques années plus tard. Pour se venger, Napoléon envahit Moscou, et s'y casse les dents. On entendra moins parler de lui ensuite.

Une drogue douce, le cannabis guérisseur

En Chine, vers 1500 avant JC, on cultivait déjà le chanvre pour ses vertus nutritives et ses fibres. Des arcs étaient réalisés avec ses tiges, révolutionnant le tir à l'arc et l'armement. Mais l'on doit surtout à la Chine les premières mentions du cannabis comme plante médicinale qui remontent, d'après les légendes, à -2800 avant J-C, puisqu'il apparaît dans l'encyclopédie herboriste de l'empereur mythique Shennong, père de la médecine chinoise. Le Shennong bencao jing, malheureusement disparu, mentionne une plante capable d'alléger le corps et de prolonger la vie. Encore aujourd'hui, son symbole Má 麻 représentant des feuilles dans un séchoir est utilisé en Chine dans des mots comme anesthésie (mazui 麻醉) ou engourdissement (mamu 麻木).

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Il faudra cependant attendre 1839 pour que le chanvre soit introduit en tant que médicament en Europe, par le docteur en médecine irlandais William Brooke O'Shaughnessy. À l'époque, on l'utilisait en teintures de cannabis, infusé dans de l'alcool prenant des tons verts. Rapidement, le cannabis devient le deuxième ingrédient le plus utilisé en pharmacie aux États-Unis et en Europe jusqu'au début du XXe siècle ! On l'utilisait pour combattre crampes, hystérie, douleurs et cors aux pieds. L'invention de l'aspirine vient amorcer la fin de l'usage du "dragon vert".

En terme de branding, pas de feuille de cannabis à l'horizon. Les fioles et les boîtes métalliques sont les mêmes que celles de n'importe quel autre remède. Il faut dire que la culture Rastafari n'existe pas encore... Nous en reparlerons plus bas dans la rubrique religion.

 

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Source : Hash Marijuana & Hemp Museum

Carl Sagan, astronome et essayiste / consommateur actif de marijuana, émet l'hypothèse que dans ces civilisations, la culture du chanvre a amené l'invention de l'agriculture, et donc la naissance des civilisations. À l'échelle mondiale, les peuples ayant su tirer profit du chanvre lui doivent un rayonnement global. Alors d'où vient toute cette polémique et cette peur du cannabis ?

Vade retro cannabis

À la fin des années 20 aux États-Unis, on pensait que le cannabis donnait des pouvoirs surnaturels... mais il était diffamé pour ses qualités psychotropes et allait bientôt être interdit par la prohibition. On utilisait donc des noms de codes pour en parler, et l'un de ses surnoms était "spinach", épinards. On vous invite à écouter The Spinach Song de Julia Lee dont voici quelques paroles traduites : "J'avais l'habitude de fuir ce genre de trucs mais maintenant, je ne peux plus m'en passer. Je n'ai pas aimé ça la première fois. Oh, comme ça me plaît maintenant !"

D'ailleurs dès sa création en 1929, le marin Popeye, grand voyageur qui connaissait bien les plantes du monde, consommait régulièrement des épinards. Ou alors était-ce autre chose dans sa pipe ? Toujours est-il qu'en pleine prohibition le gouvernement utilise un consommateur d'épinards / d'herbe pour sensibiliser la jeunesse. C'est du propre.

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Source : Hash Marijuana & Hemp Museum

L'usage du cannabis est finalement interdit en 1937 aux USA. On ne l'utilise bien sûr pas seulement en tant que médicament, et les lobbys puritains anti-cannabis entament une propagande soutenue par le gouvernement pour dénoncer ce démon vert, ce "ticket pour l'asile psychiatrique" qui anéantit la jeunesse. Les fibres et les médicaments synthétiques ont besoin d'un tremplin, et il faut d'abord anéantir leur plus gros concurrent.

C'est ce combat acharné contre le cannabis et cette image de plante-assassin qui traverse l'Atlantique et s'immisce dans les esprits, au point d'être encore bien ancrée aujourd'hui. Bien sûr, cette plante reste une drogue avec tous les vices associés, mais nous sommes certains que sans cette attaque des lobbies dans les années 30 elle ferait sûrement bien moins de polémique auprès du grand public, et ses valeurs médicinales ou textiles seraient bien plus valorisés, pour le bénéfice de tous.

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PS : Si vous aimez les couvertures de livres, vous pouvez découvrir notre série de 4 articles allant des livres-trésor aux premières illustrations couleurs, en passant par l'invention du format poche, la figure de la femme sur les paperbacks américains (comme ceux montrés juste ici) et la spécificité des couvertures des grandes maisons d'édition françaises.

Béni soit le cannabis

On a parlé des mille usages du cannabis, sans mentionner son rôle dans de multiples religions. La plante sacrée a fait des miracles et converti des foules, sûrement à cause de ses effets psychotropes et curatifs combinés. Parce que c'est drôle, même si c'est un peu hors sujet (mais pas complètement, vous verrez), nous allons faire un petit tour du côté des religions et du cannabis.

On trouve des traces du cannabis dans le shintoïsme, le bouddhisme, le taoïsme, le soufisme, le rastafarisme bien sûr, mais aussi l'islam, le catholicisme et le judaïsme, sans oublier le chamanisme... on se demande bien pourquoi, tiens !
En Inde, le cannabis est lié au culte du Dieu Shiva, auquel on fait des offrandes d'herbe brûlée. Shiva aurait créé le cannabis à partir de son propre corps pour purifier l'élixir de vie. Il est aussi dit que Bouddha aurait survécu en s'alimentant d'une graine de chanvre par jour.
Du côté de la Bible, il est mentionné plusieurs fois l'usage du kaneh bosem, tige aromatique -dérivé du mot cannabis- comme plante médicinale utilisée parfois par Jésus sous forme d'onguent appliqué sur la tête des malades. En témoigne cette mosaïque d'une cathédrale de Sicile, dans laquelle le Christ soigne deux aveugles sous une feuille de cannabis. Des herbes et de l'encens étaient également jetés dans le feu pendant les messes ; on devait bien s'amuser à l'époque.

Chez les Rastas, la marijuana pour s'émanciper

Enfin, bien sûr, qui dit cannabis et religion pense : Rastafari. C'est là qu'on revient à nos moutons. 80 ans de philosophie rastafari ont drastiquement influencé l'image du cannabis, et en quelque sort son image. Le rasta est l'un des seuls survivants de la culture légale du cannabis (sans compter les sâdhus ou autre cultes hindouistes). Forcément, dans un monde où son usage a été partout prohibé, les couleurs vert jaune rouge marquent, au point de devenir un symbole intimement associé à la plante.

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Le mouvement Rastafari nait en 1930 en Jamaïque par le couronnement de Hailé Sélassié en Éthiopie. Prophète malgré lui, annoncé par Marcus Garvey comme "roi noir couronné en Afrique" il est signe d'un début d'émancipation face à l'oppression blanche. Son nom de roi est Ras Tafarí Makonnen, dont découle le culte Rastafari. En Jamaïque, à l'époque, il faut dire que ce n'est pas la joie. Depuis le 3 mai 1494, date à laquelle Christophe Colomb découvre cette nouvelle terre, la Jamaïque est colonisée par les Espagnols, son peuple réduit en esclavage et ses terres exploitées. Lorsque la main d'oeuvre manque, on y fait venir des esclaves de pays d'Afrique, en masse. Puis s'installent les pirates britanniques pour finalement laisser place à un empire de planteurs et d'esclaves, sous la couronne anglaise. L'île obtient son indépendance en 1940, après plus de 500 ans d'aliénation, tout en conservant son statut de membre du Commonwealth.

Tout ceci pour expliquer le contexte de la rancoeur face à "Babylone", l'empire blanc, et l'envie de s'émanciper. Le titre même de "religion" ne convient pas aux Rastafariens, qui n'aiment pas les étiquettes, découlant du système Babylone. Plus généralement, ils estiment mauvais de vénérer des institutions tournées vers le profit. Tout rastafari qui se respecte respecte avant tout la Nature : nourriture non transformée, pas ou peu de viande, et des cheveux que l'on laisse pousser, comme une toison sacrée. Certains choisissent, d'ailleurs, de ne pas fumer de marijuana pour garder leur intégrité ! Le cannabis est exclusivement consommé lors de rites religieux, pour entrer en transe et en communion avec Jah (Dieu, contraction de Jéhovah), et l'univers. Dans tous les cas, consommer cette herbe hors de cérémonies religieuses est mal vu par la communauté Rastafari. Elle pâtit d'ailleurs de cette image de royaume de la défonce, attribuée à tort.

Le fait de bannir et d'interdir l'usage de cette "plante de la sagesse" ou "herbe sacrée" est un exemple du sens immoral de Babylone qui cherche à contrôler la nature, que personne ne devrait posséder. Pour les rastafariens, fumer du cannabis, cette bonne mauvaise herbe sauvage et don de la nature est aussi un moyen de résister contre le système de pensée. Seul hic : la plante n'est pas endémique à la Jamaïque, puisque c'est Christophe Colomb qui l'a ramenée dans ses voyages ! Gros scoop on vous l'annonce, c'est écrit nulle part et j'ai eu un déclic en écrivant cet article : le culte Rastafari est donc fondé sur une plante... importée par Babylone ! Bizarrement, tout le monde se souvient que Colomb a amené la mort, mais personne ne se rappelle son importation de ganja.

Autrefois vénéré et utilisé sous toutes ses formes, puis acculé et interdit dans presque tous les peuples, le cannabis semble désormais peu à peu renaître de ses cendres.

Le branding du cannabis, entre feuilles et fioles

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Source : it's nice that

Aujourd'hui, avec la légalisation progressive de la plante dans de multiples pays, le cannabis doit être repensé. D'abord, parce qu'il s'agit de se débarrasser de cette vision erronée aux couleurs Rastafari qui lui colle à la peau, ensuite parce que le cannabis n'est plus vendu uniquement pour ses propriétés narcotiques, mais aussi pour ses vertus médicinales. Il s'agit d'autant plus de passer d'une image de drogue illégale à une plante miracle sérieuse. À chaque usage son image, mais là encore ce n'est pas si simple.

Les graphistes du nouveau monde de l'herbe ont devant eux une terre encore inexplorée en terme de branding, mais souvent limitée par une législation sur-encadrée et la contre-image véhiculée depuis 70 ans par les lobbies. Faut-il systématiquement faire apparaître la feuille de cannabis sur le packaging ou dans le logo ? Comment construire une marque sérieuse et médicinale autour de ce type de produit ? Avec quels codes construire une marque de dérivés contenant du THC ?

Législation et restrictions packaging

En terme de législation sur les produits psychotropes, le Canada fera face à toute une signalétique se rapprochant fortement de celle présente sur les paquets de cigarettes. On y verra le symbole d'une feuille de cannabis sur fond rouge, et des recommandations de mise en garde pour la santé.

En terme de fonctionnalité, valable également aux États-Unis, le packaging doit également être résistant aux mains des enfants (difficile à ouvrir) et ne pas comporter de noms séduisants pour la marmaille. Les espèces "Girl scout cookie" (biscuit de la jeannette) ou "Bubblegum" sont prohibés à la vente.

Pour les autres produits sans THC, la législation est plus flexible. Les produits doivent indiquer qu'ils contiennent du cannabis, mais peuvent tout à fait être visuellement confondus avec des produits classiques : cosmétiques, chocolats, huiles de massage...

Mon herboriste défonce !

Le branding du cannabis d'aujourd'hui se conçoit autour d'une cible mais aussi d'un point de vente. Potentiellement, les graphistes doivent garder en tête que l'on pourrait trouver demain ce genre de produits dérivés chez Starbucks ou dans les rayons du Monoprix (un jour) ! Pour l'instant, les produits sont directement inaccessibles au grand public, mis en avant sur Internet ou présentés sur des étagères bien gardées à la manière d'une pharmacie.
Les boutiques spécialisées adoptent d'ailleurs le plus souvent un design d'espace minimaliste et haut de gamme qui rappelle celui des herboristeries ou des apothicaires. Comptoir aux multiples tiroirs, ambiance épurée, fioles, plantes à disposition pour les humer... On est clairement dans un espace réservé aux mêmes consommateurs que ceux des cafés urbains, baristas tatoués en moins.

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Quelques boutiques aux États-Unis

À chaque produit son style

En analysant les différentes marques existantes de produits contenant du CBD ou du THC, nous avons identifié plusieurs positionnements de marques. Dans la famille marijuana je voudrais...
On vous présente ?

1 - Le cannabis des apothicaires

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Ce positionnement imagine des produits qui s'inspirent des codes visuels du monde pharmaceutique. La marque Floramedex a par exemple repris le symbole de la croix pharmaceutique en la mêlant avec une feuille de cannabis. Les couleurs sont généralement sobres et sans fioritures, on n'est pas là pour s'amuser mais pour soigner. On pourrait imaginer que ce style de branding se limite aux compléments alimentaires et produits à base de CBD, mais l'on y trouve du cannabis sous toutes ses formes, du chocolat à la teinture en passant par l'herbe à fumer au THC. Les gouttes Ritual utilisent par exemple des fioles comme celles des anciens herboristes. Ce type de produit donne une image rassurante et médicale, sobre et mesurée, à prendre au gramme près.

2 - Le cannabis indie, holistique

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Pour les amoureux de la nature et les aventuriers. On retrouvera ici des couleurs chaudes et naturelles, des motifs, des images de plantes ou des symboles holistiques, annonciateurs de voyages intérieurs. Ce type de branding véhicule une image bohème, focalisée sur un retour à la nature, pour une expérience sensorielle complète. Il cible principalement des femmes en quête de bien-être intérieur. Les joints Good Fortune par exemple se présentent sous un packaging qui rappelle les jeux de tarot, et utilisent des couleurs irisées, et même de l'or pur, pour un aspect minéral et spatial. Le centre National Holistic rappelle avec ses visuels naturels que ce lieu est un cocon accueillant, proche des hommes et de la nature.
Le branding agit ici comme un présage augurant que ces joints et produits dérivés vous connecteront à votre esprit, et vous feront vivre une expérience psychique forte.

3 - Le cannabis décalé, fun

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Pour les gens cool. Des produits à l'image jeune, avec couleurs vives, illustrations, photos décalée, symboles... pour s'amuser avant tout, sans compter. Ces produits s'inscrivent dans l'héritage du mouvement peace & love des années 60 (comme l'herbe de la marque Woodstock qui reprend les codes du poster du festival de l'époque) tout en s'adaptant à notre époque. La marque Leafs by Snoop (Dogg) utilise des images planantes et des packagings sobres, pour vivre une expérience "d'élévation" et inviter au voyage "in the air". Un voyage pas franchement low cost puisque Snoop a fait appel à l'agence Pentagram pour brander sa marque. (D'ailleurs, l'agence semble bien s'imprégner du produit car elle a également réalisé le packaging de l'herbe Woodstock, et de Harmony Extract). Les italiens d'Almamaria ont fait appel à l'illustrateur Mateo Manenti pour concevoir leurs packagings animaliers et décalés.
Sans pour autant retomber dans les codes Rastafari, ces marques proposent du cannabis fun et sans prise de tête.

4 - Le cannabis "healthy"

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Le cannabis comme super-aliment, ça vous botte ? En voici l'exemple le plus frappant. À mi-chemin entre produit plaisir, gourmand, et produit sain, ce genre de positionnement cannabis "healthy" donne envie de se faire du bien. Un peu comme pour le cannabis indie, on retrouve des illustrations et des visuels nature. Ici, le produit est mis en avant, ainsi que ses ingrédients. On est d'ailleurs souvent sur des marques bio, et les codes sont les mêmes que pour ce genre de marque : packagings éco-conçus, matières brutes, visuels de plantes, couleurs douces... Vous rependrez bien un peu de chocolat ?

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5 - Le cannabis haut de gamme

On pourrait avoir tout juste poussé les portes du Bon Marché. Ici, tout n'est que luxe, calme et volupté. Les chocolats se couvrent d'or, sont emballés à la main, et la moindre fiole d'huile est présentée dans une boîte digne d'un grand whisky. Art, dorures et savoir-faire artisanal se chevauchent pour apporter le fin du fin en terme de dérivés de cannabis. Les ingrédients sont également mis en avant comme pour le cannabis "healthy", mais la mise en scène diffère. Les chocolats To whom it may (à qui de droit) ne sont pas juste des chocolats au cannabis mais des "chocolats artisanaux de luxe au cannabis". D'ailleurs, ils sont mis en scène dans des décors artistiques, aux côtés d'objets de luxe et d'art. Quand aux produits Lord Jones, ils sont conçus à la main en quantités limitées pour "votre Altesse Royale". Le summum du savoir-faire artisanal au service du cannabis. On en oublierait presque que l'on consomme des produits à substances psychotiques.

6 - Le cannabis cosmétique

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Un peu dans la même veine du cannabis pharmaceutique, mais mêlé aux codes healthy, voici le cannabis cosmétique. Ici, minimalisme et santé sont de rigueur. Ces produits sont présentés avant-tout comme des produits de beauté haut de gamme, aux ingrédients naturels actifs. On doit le branding de la marque Seven Point à la Tortilleria, la même agence qui a réalisé FloraMedex (catégorie 1). Blanc sur noir, ou fluo sur blanc, les couleurs sont en touches, efficaces et impactantes. La forme des boîtes de packaging fait d'ailleurs penser à celles de Leafs by Snoop. Encore une fois, on retrouve rarement la présence de la feuille de cannabis dans les visuels, ou alors traité de manière graphique. Côté présentation, on rangerait bien ces produits sur notre rebord de lavabo, sans même se faire pincer par la brigade des stupéfiants.

Voilà, c'en est fini de notre tour de piste des multiples visages du cannabis. En espérant vous avoir bien détendu, et que vous ayez maintenant hâte de pouvoir, peut-être un jour, réaliser le branding d'un produit (légal) à base de CBD !

 

Sources :

Histoire du chanvre :
http://www.nuntisunya.com/histoire-chanvre/
http://hashmuseum.com/en/the-plant/medicinal-cannabis/history-of-medicinal-cannabis
http://hashmuseum.com/en/collection/medicinal-marihuana
https://www.ancient-origins.net/myths-legends-asia/magu-hemp-goddess-who-healed-ancient-asia-008709?nopaging=1
https://www.ancient-origins.net/history/cannabis-journey-through-ages-003084
http://hashmuseum.com/en/collection/making-hash
https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_du_chanvre
http://almamaria.it/#/Home
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3358962/

Cannabis et Rastafari
https://pointsadhsblog.wordpress.com/2015/06/11/the-use-of-marijuana-in-the-rastafari-religion/

Napoléon, Colomb et le hashish :
http://www.napoleon-empire.net/bonaparte-drogue.php
http://hashmuseum.com/fr/collection/colomb-et-le-cannabis
http://www.linternaute.com/histoire/jour/evenement/3/5/1/a/47983/christophe_colomb_debarque_en_jamaique.shtml

bénéfices chanvre :
https://www.zamnesia.fr/blog-la-difference-entre-chanvre-et-cannabis-n1080
http://lemuseedufumeur.net/le-chanvre-pour-assainir-les-sols/

Cannabis et religion :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Usage_spirituel_et_religieux_du_cannabis

Un site trippant :
https://benicepaper.com/


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1 commentaire :

  1. Thomas :

    Bravo et merci pour cette étude si complète et bien documentée.
    Je m’intéresse aux opportunités de ce nouveau monde merveilleux, et au potentiel créatif qu’il recèle encore.
    Et oui, « be nice paper » est vraiment trippant ;)
    T

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