Designer mode d’emploi n°2

20 juin 2013  |   8 Commentaires   |    |  

J’ai douze ans. Je suis graphiste, ou bien designer, ou bien chef d’entreprise ou bien freelance ?
Je ne sais plus trop. Ce qui est certain c’est que j’ai douze ans d’expérience.

Cet article s'inscrit dans une série d’articles sur le métier de designer. Nous vous invitons d'ailleurs à lire Designer mode d'emploi n°1 avant de lire celui-ci ! En effet, même si l’objectif est d’aborder sans tabous, de manière bordélique, subjective et non exhaustive les contours de ce métier, certains passages font référence au premier article !

Je rappelle en préambule que si j'écris ces articles, c'est parce que j’ai une mauvaise mémoire, et que je refais souvent les mêmes erreurs. Fixer ces conseils noir sur blanc est la meilleure façon que j'ai trouvé pour m'en souvenir, pour m'en convaincre ! Et qui sait… peut-être cela vous aidera aussi !

Pour ce second article, je voudrais commencer par un bon mot :

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La modernité, c'est la rencontre de la Mode et de l'Éternité

Il y a une dizaine d'années, un de nos premiers clients, Xavier Gonzalez pour ne pas le citer, brillait en société avec un bon mot de Charles Baudelaire :

«la modernité, c'est la rencontre de la mode et de l’éternité».

Il l'utilisait volontiers cette citation pour qualifier le travail de son agence d'architecture.
J'avais 2 ans (d'expérience !) à l'époque, et je ne pouvais pas comprendre le sens profond de cette citation. Alors, je souriais et tâchais de m'en souvenir. Aujourd'hui, à mon tour de briller.

Par mode, il faut entendre «ancré dans notre temps»
Les solutions du designer s’adressent de toute évidence à ses contemporains. Cela ne signifie absolument pas produire des belles solutions gratuites selon telle ou telle mode, mais simplement de chercher à maitriser les codes culturels de son temps. Dans un monde en perpétuelle évolution, où la standardisation et la globalisation s’imposent, le designer doit veiller à ce que ses idées, ses solutions, parlent à ses contemporains de manière personnelle, plutôt qu’aux masses impersonnelles.
On l'a vu dans le précédent numéro, c'est un métier d'empathie où l'on doit constamment chercher à se mettre à le place de l'autre, pour chercher la meilleure solution à ses problèmes. L'autre, il vit au présent, ses problèmes sont au présent.

Par éternité, il faut entendre «durable»
Dans un monde de gaspillage, le designer doit essayer de faire en sorte que ses concepts ne soient pas des gadgets, et qu’ils puissent durer le plus longtemps possible. Pour cela, il doit se plonger au cœur des problématiques d'un sujet afin de baser ses réflexions sur une solide analyse. C'est la condition sinequanone pour envisager produire un design durable.
Qui n'a jamais entendu un client lui poser la question “ça dure combien de temps un logo ? 5 ans ?” ?... Moi, j'oublie toujours de répondre du tac au tac que “le logo de Coca-Cola a 127 ans !”

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Par où attaquer ?

Ça y est, je me suis inscrit à la Maison des Artistes.
Je me suis confectionné mon plus beau book, et je me lance à mon compte.

C'était en septembre 2001.
Je m'étais fait un site internet, en flash 640x480 !
Pour ma défense, il faut quand même rappeler que c'était loin d'être l'usage à l'époque.

Assurément impatient, probablement prétentieux, j'avais pris confiance en moi quelque mois auparavant. En effet, j'avais travaillé quelque temps dans une start-up qui voulait créer une base de données dédiée au monde du spectacle. Le business plan devait mettre à profit cette base de données pour vendre aux compagnies de théâtre des Cd-roms interactifs (l'ancêtre des sites web !).
Durant ces quelques mois, quasiment aucun projet ne fut vendu. Par le plus grand hasard, j'avais proposé un projet d'affiche au Festival de Marne. Il fut retenu. Je réalisais donc toutes les déclinaisons au sein de la start-up, qui elle factura le projet. Ce fut, je crois, l'un des premiers et derniers projets qu'elle a vendu.
Malgré quelques remerciements, je n'avais pas touché un centime de plus sur mon salaire. Mon égo était piqué. De toute façon la start-up allait fermer ses portes.

Les conditions étaient réunies pour me lancer dans l'aventure de l'indépendentariat !

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Avoir les yeux plus gros que le ventre !

Pour se lancer à son compte, il une bonne dose de confiance en soi, d'ambition et de goût du risque.
La confiance en soi, elle vient plus ou moins vite avec l'expérience.
L'ambition et le goût du risque sont des notions qui semblent plus difficiles à apprendre.

Cependant, comme tout le monde n'a pas l'ambition naturelle de Rastignac, il existe quelques conseils élémentaires sur ce sujet. Commencez par diviser votre objectif ambitieux en plusieurs petits objectifs. Ainsi, vous allez simplifier la réalisation de votre objectif majeur. Ensuite, définissez des étapes, des actions… et petit à petit vous allez atteindre votre objectif.
Rome ne s’est pas faite en 1 jour ! Ainsi, si votre ambition est de signer la nouvelle identité visuelle du MOMA, gardez cet objectif lointain en tête, puis commencez par faire 50 logos de MJC, 20 chartes graphiques de théâtres municipaux, 10 identités visuelles pour des festivals d'art contemporain... et enfin vous serez en mesure de pouvoir faire l'identité visuelle d'un grand musée ! Moi j'en suis encore aux MJC... mais je m'accroche à mes rêves ! :-)

Dans tous les cas, vous devez savoir où vous en êtes, où vous voulez aller, ainsi que les principales étapes à franchir pour atteindre votre objectif... En commençant par réfléchir au lieu de vous foncer tête baissée, vous allez économiser du temps. Vous pourrez aussi anticiper les fausses routes. Par exemple, ce projet de logo pour "Carglass" va-t-il vraiment vous servir pour réaliser votre ambition ?

Après, j'avoue parfois foncer tête baissée. Je commence par "faire"... puis après je me demande pourquoi je me suis mis dans cette galère ! Si la réactivité est une notion clef, il ne faut pas que ce soit le mode de fonctionnent principal ! Perso, j'y travaille... mais c'est toujours plus facile à dire qu'à faire !

Une façon de progresser, est par exemple de prendre modèle sur un ainé, quelqu'un qui représente ce à quoi on aspire, puis de rentrer en contact avec elle pour glaner ses conseils. Les bons designers sont généralement de nature sympathique, ils se feront un plaisir d'échanger avec vous, il faut juste trouver le bon moment, par exemple, à la fin d'un vernissage ou d'une conférence.

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Trouver des clients

C'est probablement l'une des questions les plus existentielles d'un designer qui se met à son compte. Sans client, pas de design et pas d'argent ! Mais il faut avouer que c'est une question paniquante... comment vais-je payer mon loyer à la fin du mois ?

Pour ma part, j'avais un an (cf: la métaphore initiée dans le premier article).
J'étais jeune et innocent, sans femme ni enfants. J'étais prêt à sacrifier mes jours et mes nuits pour réaliser cet objectif, et puis à cet âge là, quand il s'agit d'apprendre à marcher, on se lance sans avoir peur de tomber.

Première question: où vais-je travailler ?
Première réponse, chez moi. Il n'y a pas à tergiverser, quand j'aurais des clients, je me reposerais la question.

Deuxième question : pour qui vais-je travailler ?
En effet, ça ne sert à rien d'être (ou de penser être) un excellent designer, si personne n’accepte de vous payer pour vos services. Sans client, autant fermer la boutique tout de suite !

Généralement, on se met à son compte à l'occasion d'un premier contrat, mais très vite il en faut d'autre ! et là, le désarroi s'empare de vous... où sont les clients ?

Plusieurs cas de figure s'offrent à vous :
• Vous avez passé vos vacances d'enfance à Perros-gerrec avec la famille de Bernard-Arnaud.
Si vous êtes dans ce cas là, je me demande bien ce que vous faites en train de lire cet article !
• Vous avez un talent incroyable et tout le monde veut travailler avec vous.
Cet article ne vous sera d'aucune utilité !
• Vous êtes un honnête designer et vous n'avez pas d'ami d'enfance directeur marketing chez LVMH.
Alors ça vaut peut-être le coût de lire cet article en entier !

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Les recommandations

Les recommandations, qu'on appel aussi parfois "le bouche-à-oreilles", c'est vieux comme le monde, c'est gratuit, et ça peut rapporter gros !

L'alternative serait de faire de la "publicité" pour son activité. Mais là, faut être prêt à perdre un bras !

Quand vous recherchez un médecin, un avocat ou un boucher, et même si vous recherchez les trois en même temps, vous commencez généralement par demander conseil dans votre entourage, au détour d'une conversation: "...tiens, tu ne connaitrais pas un bon médecin-boucher spécialiste dans le droit des affaires ?"

Les avis de nos connaissances ont évidemment beaucoup plus de valeur que n'importe quel résultat de recherche sur internet. Dès lors, c'est avec un niveau de confiance relativement élevé que l'on va s'empresser de demander un rendez-vous dans ce cabinet "Medico-boucherie et associés"... quitte à attendre quelques mois ! On est alors en position de désir... prêt à accepter un prix plus cher ou un délai plus long...

Pour le design c'est la même chose. Pourquoi confier sa communication à un inconnu quand on peut la confier à une connaissance de connaissance ! Les amis de mes amis sont mes amis !

Aujourd'hui, le niveau de confiance est toujours élevé dans la vraie vie, mais on peut imaginer qu'à l'avenir, les réseaux sociaux arriveront au même niveau de confiance que dans la vraie vie... D'ailleurs, ne parle-t-on pas de "TrustRank" (google) et de "Like" (Facebook): la recommandation est assurément une valeur d'avenir !

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Cultiver son réseau

En général les gens commencent par dire "Euh, comment je fais, moi, je n’ai pas de réseau !".
J'oublie alors de leur rappeler la théorie des 6 poignées de mains, une théorie établie en 1929 par le Hongrois Frigyes Karinthy. Elle traite de la possibilité que toute personne à la surface de la Terre puisse être reliée à n'importe quelle autre, au travers d'une chaîne de relations individuelles comprenant au maximum cinq autres maillons. En gros, tout le monde est une connaissance de connaissance de connaissance de connaissance de connaissance d'Obama.
À partir de ce constat, on a tous du réseau !

L'équation gagnante est donc d'obtenir une recommandation d'Obama.
Je vous rassure, je n'y suis pas encore arrivé...

Pour commencer, votre médecin-boucher-avocat, il a peut-être besoin d'un logo ?
OK, c'est peu probable... mais ça ne coute rien de demander...
Et puis, c'est peut-être le voisin du cousin du collaborateur de l'amant de la sœur d'Obama.

Dans tous les cas, il faut pas demander "Est-ce que ça vous dit casser votre tirelire pour me payer à faire un logo ?", mais plutôt en prenant le temps de discuter avec lui de son métier, de sa situation économique, de la pluie et du beau temps, etc... ( cf: l'empathie !). C'est seulement après un échange informel et désintéressé que vous pouvez leur glisser "...si je peux vous aider à résoudre vos problèmes, n'hésitez pas. Vous avez un email ? Je vous enverrais ce que je fais...".
Déjà, les gens sont toujours flattés qu'on leur demande leur email, puis ensuite en envoyant un email en premier, vous vous assurez une réponse, même par politesse... alors que si vous laissez une carte, en disant "appelez-moi si vous avez besoin de moi", votre interlocuteur n'a pas d'obligation de vous donner des nouvelles... il va laisser trainer votre carte 3 mois sur un coin de son bureau, puis la jettera à la poubelle. Alors que votre email, il pourra le retrouver même 3 ans après dans les archives de sa messagerie.

Dans tous les cas, si l'on veut cultiver son réseau, il n'y a pas de secret, il faut s'intéresser aux autres !
Être curieux d'eux, de leur vie, de leur métier. Ils le seront en retour !

Dans le monde professionnel, c'est pareil. Votre interlocuteur, chez un client, sera le premier à vous recommander. Si le travail réalisé est de qualité, si le projet s'est bien déroulé, alors vous pouvez être certain que le jour où il changera de travail, il vous recommandera auprès de son nouveau patron !

A titre d'exemple, l'un de nos clients, satisfait de notre travail a décidé récemment de faire un article présentant notre collaboration (http://leblog.theatrealacarte.fr/theatre-entreprise/la-creativite-pour-reenchanter-le-quotidien-de-nos-clients). C'est une forme de recommandation. Au passage : Merci Alexia et Laure !

Post-scriptum

Au risque de me répéter, je vous rappelle que j'écris ces conseils d'abord pour moi, pour m'en souvenir, m'en convaincre.

En attendant le prochain article de la série, pour patienter, vous pouvez toujours vous lire notre série sur "les grands noms du Design graphique".

A LIRE AUSSI :
"Designer Mode d'emploi n°1"
"Designer Mode d'emploi n°3"


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8 commentaires :

  1. Joge :

    Pleins d’astuces vraiment sympas, des infos a garder précieusement! « la modernité c’est la rencontre entre la mode et l’éternité » belle phrase!

  2. Beaulet :

    Merci à toi, Thomas Ruffier !
    J’ai découvert ce blog en zonant sur le net. Ayant retrouvé ma liberté depuis peu (fin de contrat dans une boîte, après 1an et demi de loyaux services sans être reconduite), la mine sombre et l’âme un peu flou, je suis prise d’une grande soif de lire et d’apprendre sur mon métier.
    C’est un plaisir que de lire de bons articles qui nous guident et nous épaulent.
    Alors Merci encore d’oxygéner ma réflexion et continu !

  3. junior MAMBA :

    Merci pour l’article, mais pourriez vous nous dire comment procéder pour être de plus en plus créatif et comment faire pour ne pas rester derrière dans la course des clients.

  4. boussole :

    Merci pour cette article qui rassure, autant par son approche que par son fond…
    Je suis graphiste au chomage et j’envisage à 32 de créer mon emploi. Mais par où commencer…, tous, les conseils sont bons à prendre.
    Les récits d’expériences, autant que les ressentis de ceux qui ont affronté les obstacles, sont une source de motivation et d’inspiration.
    On se sent moins seuls sur notre « galère »…
    Continuez à poster vos articles, ils sont lus et appréciés!
    Cordialement

  5. Jesse Ikolo :

    Faudrait donc que je m’y mette dès maintenant !!

  6. Jesse Ikolo :

    Faudrai donc que je m’y mette dès maintenant !!

  7. Mmmh, je ne suis pas d’accord avec tout l’article.

    La première question à se poser n’est pas « Où sont les clients ? » mais « Qui sont les clients ? »
    Pour moi, ça ne sert à rien de commencer pour la boulangerie du coin ni avec n’importe quel artisan/TPE : il n’a pas de budget et n’y connait rien. Ça va prendre un temps fou avec énormément d’allers-retours pour gagner 50€. Et ça n’aidera pas à l’essentielle : la culture du réseau !

    Là où je suis entièrement d’accord, c’est sur l’importance d’avoir un objectif et de son réseau. Oui, il faut se fixer un grand objectif (bosser pour le MOMA), mais il faut surtout trouver quel sera le chemin le plus court pour y arriver. Il ne faut que 6 personnes pour être relié à Obama, mais si tu demandes à ton voisin qui demande à son voisin, tu vas avoir du mal à y arriver. Alors que si tu t’y prends bien, tu y arriveras en passant que par 4 intermédiaires : le copain de la stagiaire qui bosse l’été dans la mairie de l’arrondissement -> le maire de ta ville -> le président de la France. Évidemment, si on n’a rien a dire à Obama, ces gens-là ne passeront pas le message (il faut donc faire du bon travail pour être recommandé :-) )
    Donc pour bosser pour le MOMA, il faut trouver quel sera son chemin le plus court. Et je ne crois vraiment pas que ce chemin passera par le petit artisan (à moins que celui-ci ait un réseau épouvantable).

    Moi, je me suis rendu compte que j’avais plus de facilité à trouver du travail à partir du moment où j’avais une très grosse entreprise que tout le monde connait dans mes références. Et pourtant, j’avais fait juste de l’exé tout pourri. À contrario, j’étais très fier de la qualité d’un site que j’avais fait pour un copain photographe, mais aucun de mes clients potentiels n’y a fait attention.
    Bon, je ne dis pas, non plus, qu’il faut faire de l’exé tout pourri pour y arriver. Chacun doit trouver son chemin.

    J’avais écrit un article dans mon blog sur les questions des graphistes indépendants : http://thomas-ruffier.com/blog/12/12/2012/conseils-pour-les-graphistes-freelance-debutants/

    Voili voilou…

  8. Marc Tibaudt :

    Bonjour,
    je connaissais cette théorie des 6 poignées de mains… mais je croyais que c’était sept le chiffre !
    En cherchant, Facebook a calculé à 4,74 le degré moyen séparant deux personnes… et même il passe à moins de 3 lorsque l’on se concentre sur un aire géographique restreinte… comme le nord de l’Europe… C’est fou !

    A lire à ce sujet : http://www.20minutes.fr/ledirect/828370/facebook-retreci-monde-ramenant-six-degres-separation-474-moyenne

    :-)
    Ps: merci pour cet article !

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