Jacno, Cinq lettres capitales !

24 novembre 2015  |   1 Commentaires   |    |  

Nous profitons de l'actualité d'une exposition sur le travail du graphiste et dessinateur de caractère "JACNO" qui se déroule actuellement à l'ÉSAD d'Amiens pour enrichir notre collection de portraits des grands noms du design graphique.

Marcel Jacno (1904- 1989), dit Jacno, est un graphiste français, célèbre notamment pour avoir dessiné le logo du TNP, ainsi que le paquet de cigarette Gauloises, qui sera à l'époque un des logos les plus populaires pour les Français et est une sorte de record mondial dans la diffusion d’une création signée.

Avant de rentrer dans l'histoire de Jacno, nous tenons à remercier Alice Savoie (enseignante-chercheure et dessinatrice de caractères) qui nous a aimablement fournis les textes et les images de l'exposition que vous allez retrouver ci-dessous.

Marcel-Jacno-portrait-typographe

JACNO — Cinq lettres en capitales

Marcel Jacno, quelques repères biographiques

Jacno, de son vrai nom Marcel Jachnovitch (1904–89), est un graphiste et dessinateur de caractères français. Autodidacte, il fait son entrée dans l’univers des arts graphiques dès les années 1920, lorsqu’il est employé comme dessinateur dans une imprimerie aux côtés d’un peintre en lettres. Fort de cette expérience, Jacno décide de se lancer dans “ l’art publicitaire ” et décroche alors ses premières commandes pour le cinéma. Il crée plus d’une vingtaine d’affiches pour des sociétés telles que la Gaumont et la Paramount, notamment pour des films avec Charlie Chaplin et Louise Brooks.

Mais ces commandes arrachées à la célèbre société de production furent pour lui décevantes, car elles restèrent sans lendemain. Et lorsqu'il découvrit, dans le hall du célèbre cabaret "Le Bœuf sur le toit", un panneau argenté sur lequel figurait l'alphabet Bifur, créé par Cassandre pour la fonderie Deberny-Peignot, il comprit que la lettre pouvait être un objet de création. Très impressionné, met bientôt à profit son expérience de la peinture en lettres pour se lancer à son tour dans le dessin de caractères. Deux de ses créations sont publiées par la prestigieuse fonderie parisienne Deberny & Peignot dès les années 1930 : le Film, en 1934, illustre la filiation de Jacno avec l’univers du cinéma.

La modernité de ce graphisme m'enchanta. Et m'inspira l'envie de dessiner moi aussi un caractère d'imprimerie. Le travail s'étala sur de longs mois pour aboutir à un alphabet aux formes modernistes, dans le goût de l'époque. Je prétendis le proposer à l'éditeur du Bifur que j'avais tant admiré. Surmontant non sans mal mes incertitudes, j'allais mettre mes dessins sous les yeux de Charles Peignot (…) Il accepta mes dessins. » [Jacno, Un Bel avenir, pp. 35-38]

Film-marcel-jacno-font-derby-peignot

film-jacno-font

Après le caractère "Film" suivra le "Scribe", publié en 1936, un caractère d’inspiration scripte qui s’éloigne des modèles classiques de type anglaise au profit d’une lettre reflétant le “ style parlé ”. De tonalité plus familière et spontanée, le Scribe est destiné essentiellement au secteur de la publicité alors en plein essor, et reste aujourd’hui encore emblématique des caractères à succès de l’époque.

Marcel-Jacno-typographie-le-scribe-font

[ Vous pouvez en trouver une version numérique, édité sous le nom de Gaulois, par ici ]

Sacrés Gaulois !

paquet-gauloise-jacno-design

Malgré son appétit évident pour la lettre, Jacno est loin de se limiter à la création typographique. Il est avant tout un designer accompli qui s’essaie avec enthousiasme tant à l’art de l’affiche qu’à celui du packaging ou de l’identité visuelle. En 1936, il réalise ainsi l’un de ses travaux les mieux identifiés : il revisite le fameux casque ailé présent sur le paquet de cigarettes Gauloises, originellement dessiné en 1929 par Maurice Giot. Jacno signe désormais de son nom le fameux rectangle bleu, qui contribuera dès lors grandement à sa renommée.

"J’étais le recordman des multiples, étant donné que ce paquet si banal était imprimé à un nombre d’exemplaires qui bat tous les records des signatures : un milliard et demi d’exemplaires chaque mois." Marcel Jacno

Aucune œuvre signée n’approche ce chiffre, même de très loin. Ce record est d’autant plus curieux qu’il soit le fait d’un auteur dont la notoriété est limitée à quelques petits cercles professionnels. Sa feuille de route était de « moderniser » le casque, pas de trouver un autre logo. Un simple rebranding en quelque sorte !  Il a dit s’être inspiré d’un casque d’une sculpture du Quartier latin. Il obtiendra l'Oscar de l'emballage en 1955. À l'origine il y le logo de Maurice Giot créé en 1925, un casque ailé, sans rapport réel avec le tabac, dont l'objet est de donner l’idée que fumer donne un sentiment de liberté.

[ Retrouvez l'historique des paquets de Gauloises ici ]

Pour l'anecdote, le musicien et chanteur Jacno (alias Denis Quilliard (1957-2009) qui influença largement la pop française des années 80 doit son surnom à sa fatale consommation de « Goldos ».

L'engagement

Jacno effectue plusieurs séjours aux États-Unis entre 1936 et 1938, où il propose ses services en tant que dessinateur publicitaire indépendant, et enseigne à la New York School of Fine and Applied Art. À son retour en France, la seconde guerre mondiale met un frein brutal à ses projets ; il traverse alors l’une des périodes les plus difficiles de sa vie, qui le voit notamment entrer dans la Résistance puis être déporté dans le camp d’internement de Buchenwald – une expérience qui laissera une marque indélébile dans l’esprit et le corps de l’artiste.

Dès son retour à Paris après la guerre, Jacno reprend son activité professionnelle. Il remet au goût du jour le paquet de Gauloises, et produit de nombreux autres packagings et supports publicitaires pour de prestigieuses marques de mode, de parfums ou encore de spiritueux (Lip, Chanel, Bourgeois, Guerlain, Courvoisier, etc.). Dans un contexte économique et social propice à l’art publicitaire et à l’expansion de la sphère d’influence de ce que nous nommerions aujourd’hui le “ design graphique ”, son travail est de plus en plus visible et courtisé tout au long des années 1950 et 1960. Il étend alors sa pratique graphique aux domaines de l’édition et de la presse (France Soir) ainsi qu’au théâtre.

La collaboration entre Jacno et la fonderie de caractères Deberny & Peignot reprend également à cette période, donnant lieu à la publication en 1951 de son caractère éponyme. D’inspiration que l’on pourrait qualifier de manuaire 1, le Jacno adopte la logique du tracé cursif pour produire un caractère charpenté et accrocheur, aux contours “ rustiques ” et à la noirceur assumée. Au-delà des caractères édités par Deberny & Peignot, Jacno créé plusieurs alphabets à l’usage exclusif de ses clients, dans le domaine de l’édition notamment : citons pêle-mêle un alphabet scripte destiné à la publicité des éditions Quillet, une onciale pour la Bible et l’Évangile selon Saint-Jean illustrées par Edy Legrand, ou encore un jeu d’initiales éclairées pour le Club des Bibliophiles de France.

macel-jacno-branding-theatre-national-TNP-logo

Les affiches du Théâtre National Populaire

Alors que sa clientèle se diversifie, l’une des collaborations les plus emblématiques de la carrière de Jacno débute au début des années 1950 avec le Théâtre National Populaire, alors sous la direction de Jean Vilar. Il signe toute l’identité du TNP ainsi que de nombreuses affiches qui se succèderont pendant près de vingt ans. De ce travail naît également le caractère Chaillot (distribué par Deberny & Peignot à partir de 1953), imitant le style pochoir et basé sur les lettrages réalisés par Jacno pour les affiches et le logo du TNP.

affiche-TNP-jacnoaffiche-expo-TNP-jacno

affiche-theatre-TNP-jacno

le-cid-corneille-jacno

chaillot-TNP-editions

Ci-dessous, des travaux préparatoires réalisés à la main !

Marcel-Jacno-esquisse-TNP-1954-1955

Le travail initié dans les années 50 par Jacno est toujours d'actualité. Depuis plus de 60 ans, le Théâtre National Populaire n'a toujours pas changé de logo, et confie chaque saison sa communication à de nouveaux talents graphiques. Le programme 2015-16 à été réalisé par le studio Guerilla grafik. Voici à quoi il ressemble (l'esprit de Jean Vilar et de Jacno est bien là !).

Le fruit de cette collaboration constitue une part marquante et visible de la production de Marcel Jacno, qui lui vaudra de travailler par la suite pour de nombreuses autres institutions du spectacle vivant telles que La Comédie Française, l’Opéra de Paris, le Théâtre de l’Est Parisien ou encore le Théâtre de L'Athénée ( voir ci-dessous ). Pour chacune de ces institutions et à l’instar de son travail pour le TNP, la lettre joue un rôle central dans les identités pensées par Jacno, qui donnent généralement lieu à la création d’un alphabet spécifique. Il dessine ainsi le Corneille pour le théâtre mémorial du même nom, le Molière pour la Comédie Française, ou encore le Ménilmontant pour le Théâtre de l’Est Parisien. Bien que chacun de ces alphabets puise ses sources dans différents modèles, on retrouve à chaque fois une même volonté de proposer une lettre “ à l’état brut ”, matiérée, vivante, une lettre destinée à la rue et à tous ceux qui l’arpentent – et qui témoigne de la vision profondément démocratique de la culture que souhaite communiquer Jacno à travers son oeuvre graphique.

caractere-de-choc-jacno

jacno-athenee-theatre-affiches

expo-jacno-typo-2011-01-27-23.23.36

arturo-hui-jacno2011-01-27 23.20.59


Sources : Les images de cet article sont présentées à but pédagogique.

Photographies de l’exposition « Jacno, cinq lettres en capitales » par les étudiants du post-diplômes Typographie et langage de l’ÉSAD Amiens : Dorine Sauzet, Isaline Rivery, Erwan Beauvir, Quentin Schmerber, Hugues Gentile, Martin Pasquier.
- La page Wikipédia sur Jacno : https://fr.wikipedia.org/wiki/Marcel_Jacno
http://indexgrafik.fr/marcel-jacno/


D'autres grands noms du design graphique :
- JOSEF MÜLLER-BROCKMANN, « SWISS STYLE », 1914/1996
- FRANCO GRIGNANI, « GRAFICA CINETICA »,1914/1996
- ROLF RAPPAZ, « C’EST DE LA BÂLE », 1914/1996
- ROGER EXCOFFON, «COUP DE MISTRAL», 1910/1983
- ALEXANDER GIRARD, «THE COLOR-FOOL», 1907/1993
- EDWARD BAWDEN, «GREAT ILLUSTRATION FROM GREAT BRITAIN» 1903/1989
- MARTIN SHARP, « SYDNÉDÉLIQUE » 1942-2013
- HERB LEUPIN, « UN GRAND SUISSE »“ , 1916-1999


Partager cet article :


Laisser un commentaire






Newsletter
Laissez-nous votre email et recevez votre dose mensuelle de Graphéine dans votre boite mail.