Petite histoire des couvertures de livres – 1/4

14 juin 2017  |   9 Commentaires   |    |  

Panorama des couvertures de livres à travers les ages !

Voici une nouvelle série d'articles dédiés à l'histoire du graphisme des couvertures de livres.

Dans la langue de Molière on aime à dire que "l'habit ne fait pas le moine", mais l'équivalent shakespearien sera "don't judge a book by its cover". Pourtant on sait tous combien "la première impression" est primordiale. D'où l'importance de la "couverture" dans l'envie de lire tel ou tel livre. Aujourd'hui véritable objet marketing, la couverture joue le rôle de packaging pour la littérature. Pourtant, l'histoire de ce modeste rectangle de papier est riche d'enseignements, passant de la fonction de conservation des premiers manuscrits à l'objet de grande consommation, elle a animé des générations de designer graphique. 

Voici donc le premier article de notre série balayant l'évolution graphique des couvertures de livres jusqu'à nos jours, à travers ses révolutions les plus marquantes.

Chapitre 1 : IIIe s. à 1860
"Du Codex à l'impression en couleur"

Chapitre 2 : 1860 à 1935
"Du tissu imprimé à la jaquette couleur"

Chapitre 3 : 1935 à 1970
"Du livre de poche à l'abstraction"

Chapitre 4 : de 1960 à nos jours 
"Poche français, graphisme et couvertures contemporaines"

 

Chapitre 1 : IIIe s. à 1860
“Du codex à l'impression couleur”

Dès le IIIe siècle, les rouleaux de papyrus (volumen) de l'antiquité sont désormais pliés et assemblés en codex. Ce changement radical marque la naissance du livre tel que l'on le connaît aujourd'hui, ou presque. Car qui dit livre dit couverture pour le protéger et le mettre en valeur. Mais il en faudra du temps pour passer des incrustations de pierres précieuses aux impressions en polychromie ! Quelques siècles et plusieurs guerres, pour être précis.

Le livre trésor

Un objet précieux (Antiquité - Moyen-Âge)

Jusqu'au début des années 1800, et en particulier au Moyen-Âge ou pendant la Renaissance, le livre est un objet précieux pour deux raisons : son contenu et sa forme. D'abord, il renferme presque exclusivement des textes sacrés : la parole sainte, trésor religieux, est réservée aux moines. Autant dire qu'on avait rarement une Bible sur sa table de chevet à la maison - d'ailleurs, entre nous, encore fallait-il savoir lire.

Si on prend en compte le fait qu'avant 1450 chaque ligne est écrite à la main, ornée d'enluminures à l'or, et que les couvertures sont des oeuvres d'art à part entière, on comprend mieux pourquoi sa forme était toute aussi précieuse que son contenu.
Avant, les "couvertures" de livres ressemblaient à ça : reliures gravées ou embossées à la main, pierres précieuses, ivoire, soie, fermoirs, broderies, cuir, et fils d'or et d'argent. Le genre de bouquin que l'on aurait un peu de mal à glisser dans son sac à main dans le métro (à voir en grand en cliquant sur l'image).

Le livre est à l'époque un support réservé aux érudits, qui se consulte sur place et se transmet comme un trésor, solidement protégé pour perdurer au fil des années.

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L'impression révolution (1450)

Avec l'invention de l'imprimerie à caractères mobiles en plomb par ce cher Gutenberg en 1450, on voit l'apparition de plus en plus de livres un peu moins précieux, aux couvertures de cuir embossé. Moins de temps, moins de main d'oeuvre, plus de livres !

On passe de 15 000 000 livres imprimés en Europe à l'aube de l'invention de Gutenberg à plus de 200 000 000 livres un siècle plus tard, et 1 000 000 000 livres imprimés au 18e siècle (ça fait beaucoup de zéro). Merci à Wikipédia qui nous apprend plein de trucs sur l'histoire de l'imprimerie. Même si on est encore bien loin des livres de poche qui apparaîtront 500 ans plus tard (désolée pour le spoil), c'est bien la révolution à l'époque.

 

Juger un livre par sa couverture

La reliure protectrice (jusqu'au XVIe siècle)

Si les reliures travaillées illustrent la sainteté de leur contenu, elles ont toutes le rôle de protéger les écritures. Une plaque de bois est pressée entre deux morceaux de tissu ou de cuir, accolée au codex (l'ensemble de feuilles pliées en feuillets), lui-même relié à la main. D'ailleurs à vrai dire, on ne parle pas encore de couverture, mais bien de reliure.

Dans un souci de protection, les livres sont souvent fermés avec des fermoirs en métal ou cuir jusqu'à la fin du 15e siècle. Ils sont destinés pour être posés à plat, et bien protégés. Puis les fermoirs se démodent et sont peu à peu remplacés par des ficelles et finalement plus rien - sauf pour certains livres précieux. Au XVIe siècle, c'est la Genèse du livre moderne tel que l'on le connaît : sans fermoir, avec une couverture rigide, au format plus petit, plus facile à transporter.

Du colophon à la page de titre

Le titre apparaît sur la tranche vers le 16e siècle seulement. Les informations sur l'auteur, le traducteur si besoin, le nom de l'imprimerie ou du copiste, la date ou le lieu sont inscrits en fin de livre dans ce qu'on appelle un colophon (du Grec, qui signifie achèvement) comme celui-ci de 1607.

 

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Avec l'augmentation du nombre de livres imprimés, le colophon est moins pratique à consulter, et migre peu à peu à l'avant du livre. Dès 1520 on voit donc apparaître ce qu'on appelle la page de titre, avec le titre, l'auteur et la librairie (qui rimait souvent avec éditeur) hiérarchisés en première page.

 

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Mon relieur est riche (XVIe - XIXe siècles)

À l'époque et jusqu'au XIXe siècle, un livre s'achète non couvert avec seulement une couture temporaire, et enveloppé dans du papier. L'acheteur le fait assembler et relier chez un spécialiste, où il peut choisir son "style" : tout cuir, papier, tranche dorée à l'or, touche de rouge et embosses... suivant son budget. Le livre demeure encore un très bel objet qui ne trône pas sur toutes les étagères, et sur lequel l'acheteur peut se permettre quelques fantaisies.

Ci-dessous, un exemple de reliure en cuir de la fin du 16e siècle. Il y a des tas de photos de livres anciens à découvrir sur le site de la bibliothèque de la Michigan State University, si vous voulez voir encore plus de cuir.

Les photos de livres anciens sont issues du blog Restauration livre à Trôo.

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Aux XVII et XVIIIe siècles la reliure en cuir à tranche dorée avec parfois des touches de bleu ou de rouge est mise à l'honneur. On commence peu à peu à utiliser du papier marbré, dans un souci de réduction des coûts et d'esthétisme. Les livres sont plus sophistiqués mais de plus en plus faciles à réaliser ; on simplifie le travail et les techniques de reliures.

Ici, des reliures de livres entre 1600 et 1820 (le dernier, bleu, marque le changement de siècle et de technique).

 

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1820 : la grande révolution

Industrialisation et littérature profane : la reliure pour tous ? (dès 1820)

À partir de 1820, les imprimeurs incluent la reliure dans la fabrication même du livre. Plus besoin de passer par un spécialiste. Avec des presses, ils parviennent à créer des textures à embosses aux motifs géométriques simples en monochrome, en intégrant une impression dorée. On joue avec les embosses pour imiter les textures du cuir. Grâce aux machines et aux presses, le processus de création du livre est de plus en plus simple et rapide, et moins onéreux. Chaque décennie, des progrès immenses sont réalisés en terme de techniques d'impression.

L'année 1820 annonce aussi un grand tournant dans la littérature : jusqu'alors presque exclusivement pieuse, elle s'émancipe de la religion et devient majoritairement profane. "Les écrivains devinrent les héros et les saints du XIXe siècle", résume A. Compagnon d'après l'essai de Bénichou, Le Sacre de l’écrivain, 1750-1830. Le statut des écrivains n'a pas forcément changé depuis pour les maisons d'édition françaises mais une chose est sûre : on va enfin pouvoir s'amuser en lisant !

Soie émoi : le livre cadeau (dès 1830)

En 1830 il est désormais d'usage, et chic, d'offrir un livre. La couverture amovible fait son apparition, sorte de papier de soie illustré pour protéger le livre lors de son transport (petite image, dessous). C'est l'ancêtre de nos jaquettes de livres. Ce type de couverture était entièrement emballé autour du livre comme un papier cadeau, avec un cachet de cire. La soie était probablement déchirée lors de l'ouverture du paquet et peu ont survécu. Sur cette couverture amovible rescapée de 1830 on peut lire "friendship's offering", cadeau d'amitié. Comme c'est charmant !

Avant de voir les illustrations de couvertures telles que l'on connait aujourd'hui, les éditeurs avaient recours à des incrustations d'aquarelles dans de la soie (à gauche, en 1818) ou à des emballages en papier de soie (à droite, 1821) mi-illustrations / mi-teasers annonçant les prochains volumes à paraître.

Illustrations en or (1840-1860)

Dès 1840, les illustrations embossées ou à l'or sur du tissu se font de plus en plus courantes pour mettre en avant le contenu du livre, et le titre apparaît peu à peu sur le devant du livre, seul ou au milieu de visuels. Le tissu remplace le cuir, et à la fin du XIXe siècle il aura complètement pris le monopole de la couverture.

Ci-dessous, des couvertures typiques des années 1840 - 1855. On y retrouve du tissu aux matières diverses, le marquage à l'or et l'apparition au fil des années d'illustrations de plus en plus complexes.

Le livre est beau, il s'offre, et sa couverture ne sert plus seulement à le protéger ; elle décrit et illustre aussi son contenu. C'est la naissance de la couverture.

La couverture en couleur (autour de 1860)

Vers 1840 la technique de chromolitographie voit le jour. Cet ancêtre de la quadrichromie - utilisée encore aujourd'hui en impression - permet la diffusion de visuels de plus en plus colorés, même s'il faut attendre une dizaine voire vingtaine d'années avant que la technique se perfectionne.

Cette révolution polychromique dans l'imprimerie des années 1860 signe l'avènement du design graphique, avec la montée d'illustrateurs qui se spécialiseront et deviendront de vraies stars dans le domaine. Les éditeurs comprennent que le public est friand d'images et que celles-ci permettent de mieux vendre les livres. Du coup, les couvertures amovibles disparaissent peu à peu, à mesure que les couvertures se couvrent de dessins et de couleurs.
Mieux vaut garder un beau livre sur son étagère qu'un papier de soie tout fripé, on est d'accord.
Finis les monochromes dorés, bonjour couvertures illustrées tirées à plusieurs exemplaires, comme ces exemples des années 1860 - 1870.

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Moyen-Âge is the new chic

En parallèle de cet engouement pour les beaux livres, le style médiéval revient à la mode pendant les années 1840 à 1860. C'est le grand retour des effets d'embosses qui sont cette fois réalisées non pas directement en ivoire ou en cuir comme à l'époque (au cas où vous n'ayez pas suivi) mais en papier mâché grâce à des machines spécialisées et des presses imitant les lettres gothiques. Contrairement au travail manuel du Moyen-Âge, ce genre de résultat pouvait être reproduit en série. Vive l'industrialisation !

L'écaille de tortue et la marqueterie de métaux précieux font fureur (ici en 1827, à voir en plus grand en cliquant sur l'image) parce que c'est "soooo médiéval". Simple et de bon goût.

 

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Durant ce siècle de littérature profane à profusion, la couverture de livre connaît ses heures de gloire. Et ce jusqu'à l'après guerre, vers 1920. Mais nous aborderons ces fabuleuses aventures dans le chapitre 2.

 

Textes : Tiphaine Guillermou

Sources / pour aller plus loin :


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9 commentaires :

  1. user :

    this is truly a design de l’agenda 2024-2025 moment am I right guys

  2. icosi :

    Les livres actuels n’ont pas le dos assez large …

  3. Merci de votre message.
    Désolé ce film n’est plus disponible.
    Nous avons retiré l’extrait.

  4. Isabelle :

    Bonjour, *la vidéo illustrant ce texte n’existe plus ou a été déplacée. Pouvez vous la mettre à jour ? Merci et bravo pour cette présentation.

    « Alain Cavalier, dans sa série de métiers féminins pour la plupart oubliés aujourd’hui, a fait le portrait de la relieuse, que l’on vous propose de découvrir ci-dessous. Il y fait un récapitulatif rapide de l’évolution des reliures à la 9e minute. »

  5. sandrine :

    OHHH merci beaucoup de me citer ..
    Bonnes fêtes de fin d’année à vous!

  6. Nicolas Verdan :

    Bonjour,
    J’ai beaucoup aimé votre petite histoire des couvertures des livres. Vous n’en feriez pas un… livre? Donne envie.
    Meilleurs messages,
    Nicolas, journaliste, écrivain et bibliophile (voir ma petite librairie Molly&Bloom sur Instagram)

  7. Charlotte D :

    Aaaaaah je rejoins Vincent J !!! Je me suis souvent posée cette question! Surtout quand je range mes bds! ;-)

  8. JATTIOT Vincent :

    Bonjour. Auriez-vous l’amabilité de me dire pourquoi les titres des livres actuels, imprimés au dos, sont de façon « aléatoire » sont à lire soit de haut en bas ou de bas en haut. Cordialement Vincent

  9. Olympe :

    Merci pour tout ce contenu !
    Une toute petite remarque cependant : c’est sur le dos et non sur la tranche qu’apparaît le titre au XVIe siècle.

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