Article mis à jour le 14.03.2023
De son vrai nom, Franck Shepard Fairey, plus connu sous "OBEY", est un street artiste de renommée mondiale né le 15 février 1970 en Caroline-du-Sud. C'est lors d'une exposition Fairey à Lyon à la galerie "Space Junk" en 2016 que nous rajoutions son nom à notre page des Grands Noms du Design graphique. Plus de mille oeuvres sont en ce moment exposées au Musée Guimet de Lyon, formant la plus grande rétrospective au monde de l'artiste. C'est l'occasion pour nous de mettre cet article à jour, pour vous inviter à (re)découvrir Shepard Fairey.
Milieu des années 80. Le hip-hop fait rage, le skate est religion. Un acteur -Reagan- est à la tête des États-Unis, la guerre froide bat son plein et le monde se tourne peu à peu vers le néolibéralisme. C’est la course à l’armement. Mais sous terre, un autre mouvement gronde.
À l’époque, la police condamne sévèrement le graffiti à New York, apparu une dizaine d’années auparavant. Mais l’interdiction de ce mouvement underground produit tout l’effet inverse : le street-art s’intensifie et gagne les autres villes américaines, en toute illégalité bien sûr. Tout aussi illégalement, Shepard Fairey et sa bande d’amis skateurs, alors à la Rhode Island School of Design, produisent des milliers de stickers à l’effigie du géant Andre Roussimoff. Plus connu par le doux nom d’Andre -ou 8e merveille du monde- ses 2m14 et 235 kilos viennent de chuter sur un ring de catch pour la première fois depuis 15 ans. Comme une trainée de bombe en spray, ces stickers font le tour des Etats-Unis, et deviennent le nouvel étendard de la culture underground jusque dans les années 90. Distribués sous le manteau et collés un peu partout dans la ville, on y voit le visage d’Andre avec le texte : « Andre the Giant has a Posse » (André le géant a une bande de potes). Qui le colle affirme alors appartenir à cette bande.
Rebond dans l’histoire ; la marque Andre the Giant est déjà déposée, et Shepard se voit contraint d’abandonner ses autocollants. Il ne se terre pas pour autant. C’est ainsi qu’OBEY voit le jour, avec le visage d’Andre en gros plan et un titre plutôt démonstratif extrait du le film Invasion à Los Angeles (They Live, en anglais).
Véritable expérience de phénoménologie (selon Heidegger), ces stickers servent, à l’époque, à mettre en avant des éléments que l’on a perpétuellement sous les yeux, mais que l’on est incapable de voir pour ce qu’ils sont vraiment. Libre à chacun d’en faire ensuite ce qu’il veut. Les conservateurs, gênés par le côté subversif et underground de l’autocollant, l’ont souvent arraché. Les rebelles, souvent collé, faisant grandir ce mouvement. Fairey réalise quelques logos également, comme celui de Mozzilla, en 1998. En 2001, OBEY devient une marque de vêtements streetwear. L’empire Fairey voit le jour.
En attendant la gloire qui arrivera quatre ans plus tard en 2008, Shepard Fairey s’attèle, avec ses potos du collectif Post Gen, à créer une campagne anti-guerre et anti-Bush, à grand coup d’affiches inspirées du pop art de Warhol, des slogans de Kruger, du design constructiviste Russe ou des affiches de propagande Chinoise. Fairey, Conal et One unissent leurs talents de guérilleros artistiques et engagés -entre sérigraphie, caricatures et murs peints- et « Be the Revolution » fait grand bruit. Sur le poster de gauche on peut lire "nous devons utiliser notre suprématie mondiale pour protéger nos enfants / nous devons utiliser nos enfants pour protéger notre suprématie mondiale" puis "câlinez les bombes et lâchez les bébés ?...ou câlinez les bébés et lâchez les bombes ?"
Résolument engagé, Shepard touche à tous les sujets qui le titillent : écologie, économie, capitalisme, droit des minorités, guerres… et son art activiste lui permet de rebondir régulièrement sur l'actualité. Sa devise : agir tout de suite, regretter plus tard. Comme l'écrivait Noam Chomsky, "la propagande est à a démocratie ce que la matraque est à l'état totalitaire". Les oeuvres qu'il propose se basent sur des icônes picturales issues de personnalités, d'affiches cultes ou du pop art, et, ainsi détournées, en deviennent de nouvelles. Largement diffusées, avec le même martellement et les mêmes codes, elles remplissent l'espace public comme de la propagande pour défendre non plus l'industrie, les milices ou les nations, mais la liberté de pensée et l'autonomie.
Et puis vient la gloire en 2008. Fairey fait peu de politique, ou seulement « quand c’est nécessaire » et après la gifle anti-Bush, le voilà au service du berger Obama pour lequel il réalise spontanément des affiches : HOPE, CHANGE, PROGRESS, le visage du candidat est sublimé à la Fairey et mis en vente pour financer sa campagne (en partie). Voici le ver de terre amoureux d’une étoile (sic Victor Hugo) sauf qu’au lieu de ramper sous terre, au royaume underground, Fairey est projeté dans le firmament des stars. Joli destin pour un street-artist.
En 2015, Fairey redescend sur terre et retourne sa veste, déçu par l’homme qu’il avait soutenu, ou plutôt par ses promesses non tenues. Le ver de terre retourne dans son trou, pour mieux attirer l’œil sur ce qui lui passe par-dessus la tête. De temps en temps, on l’arrête même pour vandalisme. Car Shepard, face contre terre, n’a rien perdu de son engagement.
Par compassion après les attentats de Paris en 2015, Fairey réalise un poster de Marianne entourée des mots Liberté, égalité, fraternité. Le visage de la femme est tiré du visuel "make art, not war" (faites de l'art, pas la guerre) créé en 2014 à Berlin et détourné du slogan hippie "make love, not war". Un an plus tard, Shepard Fairey réalise une fresque géante de ce poster sur un mur de Paris et en offre un poster au président Macron. La fresque sera vandalisée avec des larmes rouges et le slogan "Marianne pleure".
En 2016 la galerie Space Junk exposait quelques affiches de Fairey sur le thème de l'écologie. Le musée Guimet de Lyon expose aujourd'hui -et jusqu’au 9 juillet- un millier d’affiches réalisées par Shepard Fairey, toujours en partenariat avec Sace Junk. Qui de mieux qu’un ver de terre pour représenter la majorité silencieuse et opprimée ? Cette exposition est l’occasion de voir un travail sérigraphique remarquable, aux slogans chocs et percutants, mais surtout malins comme on les aime. Voici donc quelques images des expositions OBEY et Shepard Fairey à Lyon et des œuvres exposées dans la galerie en 2016 et aujourd'hui au musée...
A voir et à télécharger les affiches de Fairey en réaction aux déclarations de Trump dans sa série « We the people » (qui sont les premiers mots du préambule de la Constitution des États-Unis d’Amérique) http://theamplifierfoundation.org/wethepeople/