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La nouvelle identité visuelle de la Fondation Abbé Pierre

Le visage de l'Abbé rôde !

En février 1954, les ondes de Radio Luxembourg ont diffusé un discours qui a ébranlé toute la France. Ce discours, c'est celui de l'Abbé Pierre, qui s'insurgeait contre le mal-logement et les victimes d'un hiver particulièrement rude. Soixante-deux ans après cet appel au secours, qui aura permis de nombreuses avancées dans le domaine, la Fondation Abbé Pierre est malheureusement toujours d'actualité. Malheureusement, car sa présence encore aujourd'hui démontre que le problème du mal-logement est loin d'être résolu dans le pays.

Créée en 1987 par le principal intéressé et Raymond Étienne (qui en est toujours président), la Fondation Abbé Pierre avait besoin d'un petit coup de jeune pour reprendre du poil de la bête, et cela commence par une nouvelle identité et une nouvelle campagne à l'approche de l'hiver, mises en place depuis début septembre. C'est tout naturellement l'agence Lonsdale, engagée depuis deux ans auprès de la Fondation, qui a conçu la nouvelle identité visuelle de cette institution ô combien précieuse.

Un portrait à la Che

Représentant un portrait de l'Abbé Pierre en 1954, stylisé en deux couleurs (pour des raisons pratiques, la Fondation utilisant de nombreux produits dérivés), le logotype s'inspire d'une photo anonyme ayant servi de couverture pour un livre de Laurent Desmard et Raymond Étienne, L'Abbé Pierre, Fondateur et Rebelle.

On retrouve involontairement dans ce logo l'esprit de la célébrissime image créée par Jim Fitzpatrick en 1968 à partir d'une photo de Che Guevara prise par Alberto Korda. C'est après la publication de cette nouvelle identité visuelle que le rapprochement a été fait par les internautes sur les réseaux sociaux, certains y voyant un clin d’œil volontaire dans l'esprit du combattant qu'était l'Abbé Pierre. Or, il n'en est rien ! Le seul point commun entre les deux visages est leur regard combatif, déterminé, et c'est ce regard qui a captivé Lonsdale au moment de trouver une base de travail.

On pourrait également faire le rapprochement dans la stylisation du visage avec l'hommage rendu par les street artists JonOne et Le Bijoutier en 2011 dans le Square des Deux-Nethes à Paris (opération menée avec la participation de BDDP Unlimited)

Ci-dessus : <em>Le portrait réalisé par JonOne et Le Bijoutier en 2011</em>

Rajeunir l'Abbé Pierre, en voilà une idée ! À vrai dire, cela n'a pas été si simple d'arriver à ce résultat : l'agence a longuement travaillé avec la Fondation, qui elle-même a mené plusieurs études d'image, lesquelles ont amené à un constat plutôt négatif : les nouvelles générations ne connaissent ou ne reconnaissent pas l'Abbé Pierre. Il est vrai que depuis son décès en 2007, sa barbe, sa capeline et son béret sont absents du paysage médiatique français.

D'ailleurs, l'ancien logo de la Fondation montrait une silhouette éloignée d'un Abbé Pierre déjà âgé, marchant avec sa canne et portant sa capeline, un logo qui capitalisait principalement sur ces accessoires. C'est pourquoi il fallait faire renaître le visage de l'hiver 1954, un visage plein d'espoir, un regard empreint de combativité, à la fois bienveillant et prêt à lutter pour aider les plus démunis. Un visage, enfin, qui est beaucoup plus proche et personnifié qu'une lointaine silhouette. C'est le parti pris de l'agence et de la Fondation qui ont collaboré en groupes de travail d'une vingtaine de personnes pour faire ressortir l'énergie de ce résistant.

Notons tout de même que l'agence Lonsdale a offert gracieusement ses services pour ce travail, et a conçu cette identité pour la beauté du geste uniquement, la Fondation survivant grâce à ses donateurs et ne recevant aucune subvention publique. C'est très chic de leur part et ça mérite d'être souligné et mis en gras.

Un choix typographique rassurant

Cette identité s'accompagne évidemment de typographies, le choix s'étant porté sur la Diodrum (dessinée par le trio français Jérémie Hornus, Clara Jullien et Alisa Nowak pour Indian Type Foundry) et la Georgia.

Tout ce travail a également été déployé sur les nombreux supports de communication de la Fondation, ainsi que sur le site Internet (conçu par Textuel La Mine, désormais Ici Barbès).

En outre, cette nouvelle identité s'accompagne du lancement d'une nouvelle campagne de sensibilisation, intitulée "On Attend Quoi" et conçue justement par Ici Barbès. Une campagne qui reprend les nouveaux codes graphiques, qui fait appel aux ambassadeurs de la Fondation (Jamel Debbouze, Eric Cantona, Rachida Brakni, Nolwenn Leroy ou encore Agnès B) et qui se déroulera jusqu'aux élections présidentielles et législatives de 2017 afin d'appeler à la mobilisation des pouvoirs publics.

 

Humanisation des logos : état des lieux

Utiliser un visage humain dans un logo n'est pas si courant qu'on pourrait le croire. Pour des raisons multiples d'ailleurs, comme par exemple le fait que les dizaines de nuances qui font la caractéristique d'un visage sont autant de détails qui facilitent l'identification, mais qui sont difficilement reproductibles sur des logos pour lesquels on demande le moins de détails possible à des fins de lisibilité. De plus il faut que l'utilisation d'un visage soit clairement justifiée. On mettra alors en avant le créateur de la marque bien souvent ou une mascotte. Mais justement, le côté mascotte prête souvent à confusion : en effet, plusieurs marques utilisent un logo ET une mascotte et le public a souvent tendance à confondre les deux.

Le plus connu des logos "humains" reste sans aucun doute celui de la chaîne de restaurants KFC, incarné par son fondateur le Colonel Sanders. Un logo ultra-célèbre créé en 1952 par Lippincott & Margulies, et qui sera redessiné en 1997 par Landor puis en 2015 par GrandArmy. Tellement célèbre même que la marque le reproduira dans une version de 8000 m² visible depuis l'espace.

L'oeil du consommateur confond d'ailleurs souvent logo et mascotte, ainsi beaucoup ont longtemps cru que Ronald McDonald faisait partie du logo de la marque de fast-food.

C'est principalement aux États-Unis que l'utilisation d'un visage en guise de logo est la plus répandue. De nombreux produits de consommation courante utilisent une figure humaine connue (ou à faire connaître) pour rassurer les consommateurs et ajouter une touche de proximité en humanisant la marque.

(Comment ça, "hors-sujet" ?)

Aunt Jemina, Little Debbie, Wendy's, Gerber, Chef Boyardee, sont autant de marques dont les logos représentent des visages ayant réellement existé, mais qui ne sont pas pour autant des personnes directement impliquées dans la création de la marque. Et c'est ce qui fait une énorme différence entre des logos comme celui de KFC ou celui de la Fondation Abbé Pierre et des logos tels Uncle Ben's. Car si les premiers sont les visages des créateurs, les autres sont des logos "mascotte", dessinés à partir de modèles plus ou moins indépendants.

Franck Brown, maître d'hôtel, Uncle Ben pour des générations entières

Ainsi, Aunt Jemina n'a jamais lancé de mix à pancake, et le visage de Nancy Green, une ancienne esclave, a servi de logo à la marque. Il en est de même pour Frank Brown, maître d'hôtel d'un restaurant de Chicago régulièrement fréquenté par les responsables de la marque Uncle Ben's, qui décidèrent de lui faire incarner l'Oncle (on passera volontairement sur les diverses polémiques raciales qui furent lancées au fil des ans concernant ces deux logos, car ce n'est pas le sujet). On pourra également citer l'acteur Randolph Scott qui servira de base pour incarner le logo de l'équipe de football américain des Oakland Raiders, ou encore le financier Otto H. Khan qui fournira les traits de Rich Uncle Pennybags, le bonhomme moustachu de Monopoly.

Les histoires comme celles-ci sont légion dans le monde des logos, principalement pour des marques alimentaires, sur lesquelles une image humaine permettait à la ménagère de se sentir rassurée en se disant qu'il y avait une vraie personne derrière ses produits et non une immense usine. Des produits préparés avec amour par Mamie Nova dans sa cuisine et non par des usines automatisées au fin fond de la Normandie, voilà un effet psychologique qui portera ses fruits pour de nombreuses marques.

Bref, si beaucoup de logos figurent ce qui au final s'avère être des personnages, on ne compte finalement que très peu de logos utilisant le vrai visage de leur fondateur. On peut probablement y voir une crainte d'être accusé de mégalomanie. De mémoire et de leur vivant, seuls des Colonel Sanders ou des Alfred Hitchcock ont pu se le permettre. En France, les associations caritatives seront plus concernées que des marques de grande consommation, afin d'apporter un visage connu et sympathique en soutien, comme la Fondation Perce-Neige, qui accueille dans son logo le visage de son fondateur Lino Ventura, et depuis le mois dernier, donc, la Fondation Abbé Pierre. Si vous en connaissez d'autres, n'hésitez pas à les partager en commentaire !

Gageons que ces trombines connues permettent à ces associations de réussir là où les portraits des industriels ont échoué : replacer l'humain qui est en nous au coeur de l'action en lieu et place de machines sans coeur.


Rédaction : Aurélien Duvallet

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