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L’histoire du gros méchant logosaurus de Jurassic Park

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L’aventure commence avec une créature, mais pas n'importe laquelle ; le gros méchant Tyrannosaure rex, dit T-rex. Il alimente à lui seul notre fascination pour les dinosaures, et ce depuis des générations. Ce n’est pas pour rien que Jurassic Park l’a choisi comme effigie : ce seigneur sanguinaire aux allures de dragon sans ailes a bel et bien existé. Mais pour comprendre les origines du logo de Jurassic Park, il nous faut faire un bond dans le passé.

La naissance d’un tyran

La première rencontre du public avec la bête n’attend pas Jurassic Park et se fait au Muséum Américain d’Histoire Naturelle, en 1915. En 1902, un paléontologue du musée fait la découverte du plus féroce des dinosaures, baptisé Tyrannosaure rex par Henry Fairfield Osborn. Il est le directeur du musée et constituera l’une des plus grandes collection de fossiles du monde. Afin de dévoiler cette découverte il souhaite mettre « le plus superbe des mécanismes carnivores (…) combinant vitesse et pouvoir destructeur rapace » en scène auprès des visiteurs.

Il faudra néanmoins attendre 6 ans et la découverte d’un second spécimen plus complet pour reconstituer un terrifiant squelette et faire trembler les visiteurs dès 1915. C’est la première fois au monde que l’on voit se dresser ce monstre de plus de 12m de long. Pendant 30 ans, le Muséum Américain d’Histoire Naturelle sera le seul à en être l’heureux propriétaire. Aujourd’hui, c’est un must-have pour les musées d’histoire naturelle à travers le monde, et les répliques se vendent comme des petits pains (mais des petits pains très onéreux).

Il est en vie

L’aventure du T-rex se poursuit en 1990 lorsque l’auteur Michael Crichton publie Jurassic Park, et cherche une couverture à son livre. Avec son éditeur, ils se mettent d’accord pour ne pas faire apparaître de dinosaure en chair et en os. Ils font appel aux compétences de Chip Kidd, un designer de couvertures de livres qui débute alors tout juste sa carrière. Celui-ci tente plusieurs options pour représenter la bête sous cette contrainte : ombres, gros plans sur la peau ou les yeux, empreintes… mais rien ne semble fonctionner. L’éditeur ne veut pas qu’il exploite la piste du squelette car il faut que le dinosaure semble vivant.

C’est du côté du muséum que Kidd trouve l’inspiration en tombant sur le squelette du géant, puis une illustration d’Osborn dans un livre souvenir. Il photocopie simplement la gravure, et avec un crayon et du calque, dessine une espèce de silhouette qui donne vie au squelette et qu’il envoie à l’auteur.
Lequel répond « wow ! la couverture est putain de fantastique ».

Dans cette vidéo présente sur son site, Chip Kidd raconte l'histoire de la couverture du livre Jurassic Park :

Avant même la publication du livre, l’éditeur propose les droits de Jurassic Park contre 1,5 millions, à 4 studios de cinéma ; il laisse l’auteur faire son choix entre Burton, Joe Dante, Richard Donner ou Spielberg. Les dinosaures prendront vie avec le studio Universal, en 1993, et le réalisateur d'E.T., qui maîtrise déjà pas mal les créatures venues d'ailleurs.

La chasse au logo

Pour les besoins du film il faut créer le logo de Jurassic Park qui soit rapidement reconnaissable, sous forme de badge, et déclinable sur tout un tas de supports; de l’uniforme à la portière, en passant par les supports promotionnels du Parc lui-même (t-shirts, boîtes repas…). Quelque chose « qui rende bien et ne soit pas trop cher à décliner » comme le souhaite Spielberg. Car il faut concevoir à la fois l’identité visuelle du film Jurassic Park et ses supports publicitaires pour le public, ainsi que celle du parc fictif à l’intérieur de ce film.
Plus de 80 entreprises dans le monde ont déjà acheté les droits de diffusion du logo Jurassic Park pour leurs outils marketing, jeux, ou boîtes de hamburgers, avant même sa conception. D’où l’urgence de développer quelque chose de viable !

68 millions d’années plus tard… tomber sur un os

En plus de l’équipe interne, le directeur de création -Tom Martin- fait appel à Mike Salisbury pour trouver des idées. On lui doit entre autre les univers visuels de Alien, Apocalypse Now, Star Wars, la direction artistique du magazine Rolling Stone et du CD « Off the Wall » de Michael Jackson, ou encore le nom « 501 » du jean iconique de Levi’s et le logo L'Oréal.
Mike travaille lui-même alors avec d’autres artistes (comme Terry Lamb) pour trouver un visuel digne de ce nom pour adapter Jurassic Park à l'écran. Avec tout ce beau monde, c’est plus de 100 propositions de logos qui voient le jour… mais tout autant de refus ! En voici quelques propositions de logos de Jurassic Park :



Finalement c’est Sandy Collora, une concept artiste de l’équipe du film, qui reprend le dinosaure de Kidd (l’illustrateur du livre dont on a parlé plus haut), l’entoure d’un cercle et écrit le titre dessous dans un rectangle. L’équipe créative des Salisbury rajoute un peu de jungle en bas de logo pour donner une échelle et rendre le dinosaure gigantesque : le tour est enfin joué. Après être passé entre tant de mains, le T-rex reprend vie :

Une fois intégré au film, il sera alors possible de le faire apparaître sur différents supports pour "brander" le parc et lui donner une allure plus réaliste, comme une véritable marque. On le verra sur les portières, les uniformes, les tabliers du restaurant, l'architecture ou encore la signalétique. On s'est amusés à répertorier ci-dessous (presque toutes) les apparitions du logo dans le film Jurassic Park (et ça nous a pris 2h) :

Mais qui est alors le « propriétaire » officiel du logo ? Les droits payés par Universal sont généreusement versés à Chip Kidd. En tant qu’employé de Knopf il n’était pas censé en toucher à titre personnel mais l’agence les lui lègue pour le remercier de sa contribution. Un geste plutôt appréciable !

E.T. téléphone dino

En parallèle des recherches pour un logo de dino, il faut également créer une affiche pour Jurassic Park ! Tom Martin travaille avec John Alvin, un peintre qui a développé de très nombreux visuels de film (dont E.T. l'extraterrestre), qui s’engage lui aussi sur des pistes qui n’aboutissent à rien.

Comme Kidd à l’époque, et l’équipe créative ayant travaillé sur le logo, il s’aventure du côté des empreintes, fossiles, gros-plans de dinosaures ou rencontres humains / créatures jurassiques. Il propose une myriade de pistes d'affiches qui ne seront pas retenues (source, John Alvin) :

Une fois le logo finalisé il l’intègre et compose avec tous les éléments clefs du film : il pond un combo T-rex fossilisé + parc, sur fond de planète. Cette sphère ronde, probablement extraite du logo, semble lui monter à la tête. Il bascule étrangement sur des compositions de E.T. à la sauce dinosaure, sûrement pour faire plaisir à Spielberg ? On voit sur ces deux recherches d'affiches pour Jurassic Park (à droite et à gauche) la ressemblance frappante avec l'affiche d'E.T., au milieu. La rencontre des créatures, la lune, la composition, les couleurs...



Alors qu’il a presque terminé une version finale de l'affiche de Jurassic Park représentant la porte du parc de laquelle s’échappent des empreintes de dinosaures (ouf on a échappé au remake d’E.T.), Universal l’arrête : le logo sera finalement utilisé tel quel sur l’affiche.
Encore un projet mort dans l’œuf !

Pour les américains, une typo africaine venue d’Allemagne

Pour la petite histoire, Salisbury utilise la typographie Neuland pour le titre de Jurassic Park, qu’il retravaille à sa façon. Dessinée à l’origine en Allemagne par Rudolf Koch -en 1923- elle est crée à la manière d’une Blackletters mais en version Romain afin de rendre les lettres gothiques plus lisibles. Pour ceux qui n’ont rien compris à ce jargon typographique, elle reprend la construction de la Gothique -de grosses lettres manuscrites serrées qui prennent toute la taille du bloc d’imprimerie- mais à la manière d’un caractère Romain, c’est à dire en lettres majuscules et droites (un style hérité des Romains). À gauche; un exemple de lettres gothiques, à droite la Neuland. Dessous, les lettres d'imprimerie.

Il faut savoir qu’à l’époque les Gothiques étaient compliquées à utiliser en imprimerie et de plus en plus rares à part dans les pays germaniques. Dans un élan de modernité, au début des années 20, les designers allemands développent de « nouvelles typographies » modernes, comme c’est le cas pour la Neuland.

Lorsque la Neuland débarque aux États-Unis dans les années 30, la typo Gothique est aussi méconnue qu’un vieux fossile poussiéreux venu d’un autre continent. La Neuland perd ainsi totalement sa symbolique initiale ! On la trouve alors « primitive » et elle sera utilisée malgré son créateur pour illustrer des contenus qui font écho à la « jungle » l’ « aventure » ou le « safari » (ou plus grossièrement, qui rappellent l’Afrique…). Elle fait aujourd’hui débat avec la Papyrus et la Chop Suey en tant que typographie stéréotypée, ou « stereotypographie », voir même raciste. On en reparlera.

L’histoire ne dit pas si le (mauvais) choix de la Neuland était délibéré pour illustrer un parallèle avec ce parc catastrophique et bancal, ou si c’est une décision stylistique souhaitée pour communiquer sur le caractère primitif du parc. Dans les deux cas, Jurassic Park a contribué au regain de popularité de cette typographie, en continuant d’appuyer son look « tropical ».

Le branding de dinosaures

Comme l’explique Mike Salisbury, « il faut communiquer visuellement avec les bons indices. (…) Le plus important pour une marque de fiction est de parler immédiatement aux téléspectateurs, puisqu'elle n'a pas d'histoire et ne peut être associée à rien. » Dans ce cas, l'utilisation d'une typographie qui fait penser à la jungle pour parler d'un parc jurassique semble pertinente, et très facile. Mais comment réussir à raconter quelque chose qui n’a pas d’origines ?

Dans le cadre de films développant beaucoup de produits dérivés, comme Jurassic Park, Harry Potter ou Star Wars, chaque personnage, objet, planète, vaisseau ou dinosaure apparaît à l’écran de manière théâtrale avec son propre look, ses couleurs, voix ou sons, accessoires… Pensés en amont, ce genre de détails scénographiques permettent de développer facilement ensuite les supports de vente (figurines, logos, jouets…). Un travail complet qui transforme le travail de designer en de la création d’identité, et s’apparente plus à du marketing. Il s’agit d’inventer une histoire, et de communiquer visuellement grâce à ces mises en scène.

Mais comme il faut communiquer en quelques secondes seulement et avec les bons éléments pour raconter une histoire, les raccourcis sont parfois trop flagrants, et le risque est de tomber dans la caricature (méchant = regard féroce, de nuit, musique dramatique / gentil = doux, de jour, couleurs claires et musique sympa). Rappelez-vous, la première apparition du T-rex se fait de nuit pendant un orage. On aurait eu du mal à l'imaginer au bord d'un lac en pleine après midi radieuse !

Un logo encore plus cruel

En 2001, à la sortie de Jurassic Park III, le T-rex se fait voler la vedette par un Spinosaure. C’est l’occasion pour Universal de repenser un « nouveau logo » à l’effigie de sa nouvelle star, plus cruelle encore que le T-rex. Sans trop de difficultés cette fois-ci puisque l’histoire est déjà toute racontée et le branding bien installé. On prend donc (presque) les mêmes et on recommence : le nouveau profil squelettique du Spinosaure aux dents crochues remplace ce bon vieux Tyrannosaure, tyrannisé.

Redécouvert en 2014 (après une première découverte au début du XXe siècle), le Spinosaure surpasse son cousin en taille avec 3 voire 4 (non négligeables) mètres de plus, et une capacité à nager. À en croire Wikipédia, ce serait « le plus grand carnivore que la terre ait jamais porté ». Et bim, au placard le T-Rex ! En réalité, n’en déplaise à Spielberg, le Spinosaure qui mangeait des poissons à 30 millions d’années d’écart avec le T-rex n’aurait jamais pu croquer le tyran (oops, spoiler alert) à cause de sa trop petite mâchoire.

Mais bon, c’est quand même toujours le gros méchant qui gagne !


Librement adapté de l'article  "the Hidden History of the Jurassic Park Logo"
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