L'identité visuelle des JO de Sochi.ru 2014
Préparez-vous à entendre parler de “So Cheap 2014” durant les quinze prochains jours.
Pourquoi "So cheap" me direz-vous, alors que ce sont les jeux les plus chers de l'histoire !
J'aurais envie de répondre que la "poutine" ne se mange pas qu'au Québec... et que même un mangeur de grenouilles peut avoir envie d'entartrer l'ignoble misogyne et homophobe Mr Poutine. Pour cela, je vais me permettre de critiquer, avec le maximum de rigueur et de mauvaise foi l'identité visuelle des jeux olympiques de “So cheap.ru 2014”.
Dans un premier temps, commençons par essayer de comprendre en quoi cette identité visuelle est surprenante, au regard des identités visuelles des Jeux olympiques précédents. Puis ensuite, nous lancerons nos flèches de curare qui viendront se planter dans le tibia de Vladimir telles des cure-dents dans une barquette de poutine.
Le premier logo sans symbole
Vous pouvez toujours chercher le symbole, il n'y en a pas. Pas de petit bonhomme multicolore ni de flocon de neige !
C'est le premier logo de J.O. totalement typographique. Je ne compte pas le logo de London 2012, car la typographie fait office de symbole.
A priori, je n'ai rien contre cela. Encore faut-il que le logo soit un minimum singulier, identitaire et idéalement porteur de valeurs culturelles fortes. Prenez par exemple, les J.O. d'hiver de Vancouver, en choisissant un "Inukshuk" comme symbole, mettent en avant les valeurs culturelles des inuits, premiers habitants du territoire. C'est le symbole d'une reconnaissance politique de ce peuple.
Idem pour le logo des J.O. de Pékin, surnommé « le Pékinois dansant », il est constitué d'un sceau chinois rouge sur lequel figure le caractère Jing (京, signifiant capitale et également deuxième caractère du nom chinois de Pékin, 北京) représentant un athlète.
Bref, ces logos nous racontent une histoire, une culture, des valeurs...
So Cheap, lui ne raconte pas grand-chose !
Le premier logo url
Je suis mauvaise langue quand je dis que ce logo ne raconte pas grand-chose.
Il y a le ".ru" qui a son importance. Vladimir et son équipe de designers olympiques, n'arrivant pas à mettre au point un logo "racontant" la grande Russie sportive, il a dû se résoudre à identifier son pays par une extension ".ru".
Les communicants du Kremelin nous parlent "d'une marque du 21e siècle pour une génération numérique"... yeah...
Et puis, il ne s'agit pas de jeux olympiques sur internet que je sache ? Quelle est cette manie de rajouter une extension dans les noms de marques !
Un typo de 1968 ?
Je ne sais pas si la typographie a fait l'objet d'un travail particulier. Il semblerait qu'elle soit proche de la typographie "Revue" dessinée en 1968 par Colin Brignall. Une typographie de titrage, carrément rétro.
En tout cas, c'est gras... comme la poutine. Et bing !
(ok, c'est gratuit !..)
"...miroir, mon beau miroir, dis-moi qui est le plus beau logo"
En principe, j'aime jouer avec la symétrie, pour concevoir un signe. Cela peut parfois donner ce petit truc en plus qui sans le savoir nous aide à mémoriser une marque. De là, à nous parler d'une "montagne qui se reflète dans la mer noire", il ne faut pas exagérer !
Dans ce jeu de miroir du 2014, certain verront la lettre cyrillique "Ч" ("Ch"). En russe, le nom de la ville s'écrit "Сочи".
Probablement ne suis-je pas assez familiarisé avec l'alphabet cyrillique pour que ça me saute aux yeux.
Niveau composition, je ne suis vraiment pas convaincu de l'équilibre.
Ni centré... ni décentré... tout semble tenir porté par ces anneaux.
Donc, si je résume :
1 - On enlève la typo.
2 - On enlève les anneaux.
3 - On enlève le ".ru".
4 - On attend 2041 pour pouvoir faire le coup de la symétrie.
D'ici là, la Russie sera devenue une véritable démocratie, et d'excellents designers moscovites sauront nous proposer un logo porteur de sens !
Et pourtant, les mecs ont suivi des cours de dessin...
En réalité cette identité visuelle sort de chez Interbrand, l'une des plus grandes agences de branding au monde.
Ils ont apparemment commencé par faire ce que tout designer devrait commencer par faire, à savoir coucher ses idées sur le papier avant de passer à l'écran. Dommage que ces pistes n'aient pas été plus creusées.
Parlons des pictogrammes
Difficile de défendre ses pictogrammes, ils manquent vraiment de personnalité et d'élégance. J'ai l'impression de voir des enfants faire du sport... ou bien des icônes "Word".
Pourtant, cet exercice de style a connu quelques belles réussites par le passé. Comme ceux des J.O. de Pékin, ou ceux des J.O de Grenoble (par Roger Excoffon). Ils sont expressifs, singuliers, lisibles, porteurs de valeurs culturelles, ou simplement représentatifs de la modernité de leur époque.
Voici un rappel de l'histoire de ces pictogrammes olympiques.
Ci-dessous, un reportage sur la création des pictogrammes des prochains jeux Olympiques de Rio.
On peut noter que ce sont les premiers jeux avec des pictogrammes spéciaux pour les compétitions paralympiques. Bravo !
Cet article est l'occasion de parler des "Olympukes" du designer anglais, Jonathan Barnbrook.
Une collection de pictogrammes olympiques subversifs, critiquant en vrac la corruption, la négligence des droits de l'homme, les mesures sécuritaires paranoïaques, le règne de l'argent et de la publicité, probablement autant de valeurs olympiques modernes.
Pour reprendre ses propres mots : "Quand j’étais étudiant en graphisme, réaliser les pictogrammes des Jeux olympiques était toujours la mission ultime. Il y avait quelque chose de pur et plein de bonnes intentions là-dedans. Les JO étaient apolitiques, il était simplement question d’excellence sportive, pas de politique… Ils représentaient le plus haut accomplissement de la civilisation et du « graphic design » pour communiquer à travers les cultures sans préjugés… Ils étaient aussi dessinés par les meilleurs designers…"
Visiblement, les temps ont changé...
Pour compléter le sujet, vous pouvez lire cette article du NewYorker : http://www.newyorker.com/online/blogs/currency/2014/02/sochi-and-olympic-logos.html
Et vous ? Vous en pensez quoi de ce logo ?