Graphéine – Agence de communication Paris Lyon

Plagiat ou inspiration pour les jeux olympiques du Japon ?

Le logo des Jeux Olympiques du Japon, une copie du théâtre de Liège ?

Un air de déjà vu pour le logo des JO

Il y a quelques décennies, si vous demandiez à un Japonais de vous citer une personnalité belge, il vous aurait répondu sans hésiter Tintin. Il y a 20 ans, la même question aurait apporté Jean-Claude Van Damme comme réponse. En 2015, si vous posez la même, on vous répondra Olivier Debie. Olivier qui ?

Attendez, laissez-moi reprendre l'histoire depuis le début, pour ceux qui n'auraient pas suivi.

Le 24 juillet dernier, la Ville de Tokyo, qui accueillera les Jeux olympiques d'été de 2020, a fièrement présenté le logo officiel de cet évènement, un logo conçu par le designer nippon Kenjiro Sano, qui n'est pas un débutant dans le milieu (plusieurs fois primé et reconnu, notamment dans le packaging).

Alors au premier regard, autant le T et le rond rouge nous parlent immédiatement, autant on ne comprend pas vraiment d'où sort ce L. En examinant de plus près, on constate que les deux empattements sont dorés et argenté, référence à deux des trois couleurs des médailles olympiques. Soit. Puis quand on lit le communiqué de presse officiel, on tombe sur ceci :

La couleur noire de la colonne centrale représente la diversité, l'addition de toutes les couleurs. Le cercle représente un monde ouvert à tous où chacun accepte l'autre tel qu'il est. La couleur rouge du cercle représente le pouvoir de tous les coeurs battant à l'unisson.

On nous parle de la lettre T (pour Tokyo, Tomorrow et Team, d'après le même document) qu'un peu après. Mais personne ne nous parle d'un L. Serait-ce notre imagination ou une hallucination collective qui nous fait voir un L là où il n'y en a pas ? Bref, un design raté pour des JO, ça peut arriver, on l'a déjà vu avec le logo des JO de Londres pour lesquels Wolff Olins avait eu un léger accident...

Mais quelques heures seulement après le dévoilement de ce logo, le couperet tombe, et un internaute avisé fait remarquer sur les réseaux sociaux l'étrange ressemblance entre ce design et le logo du Théâtre de Liège, conçu en 2012 par le studio Debie, du nom de son designer Olivier Debie (là vous comprenez du coup l'introduction de l'article - relisez plus haut si vous ne vous en souvenez plus).

En effet, la ressemblance est assez troublante, à quelques ronds rouges près. La nouvelle se répand comme une traînée de poudre sur la toile, et les médias belges et nippons s'emparent de la polémique. J'ai contacté  dans la foulée Olivier Debie, qui m'a expliqué être assailli de toutes parts par des journaux des deux pays et d'autres, dont 5 chaînes de télé japonaises, Reuters, AFP, etc... Une affaire qui fait la une des médias dans un pays où l'honneur est une règle de vie dans laquelle les Japonais se sentent atteints.

Comparaison entre les deux logos

On attendait donc avec impatience la réponse de Kenjiro Sano, l'auteur de ce qui s'appelait déjà un plagiat. La première réaction fut des plus étonnantes, puisqu'il s'est agi de la fermeture du site de celui qui se fait appeler Mr Design (le nom de son studio) soi-disant "fermé pour travaux". Le doute commence sérieusement à s'installer concernant le bienfondé du designer nippon.

Puis vient la réponse officielle de Sano, qui se défend de tout plagiat, bien sûr, arguant auprès des médias en expliquant sa démarche créative pas-à-pas, images à l'appui. Il serait parti de la lettre T en Didot (la même typo qu'Olivier Debie a utilisée) pour composer ce logo malléable pour les habillages TV,  en s'inspirant du logo des JO de Tokyo de 1964 (enfin là, Kenjiro-San, navré, mais ce logo fait partie des pires de l'histoire des logos de Jeux Olympiques, presque pire que Soshi 2014, c'est vous dire).

Petit détour chez le logo des JO de 1964...

Le logo des Jeux Olympiques de Tokyo 1964 (Yusaku Kamekura - 1964)

 

Pour l'anecdote, on dit que Yusaku Kamekura avait complètement oublié la deadline pour la livraison du logo des JO 1964 et avait alors pondu un truc en deux heures, mais il avait dû oublier son inspiration chez le dentiste ce jour-là, car il s'est contenté du cercle rouge du drapeau japonais, pour seul et unique emblème. Heureusement il s'est vite rattrapé avec ses affiches et ses pictos. Voici quelques images de son travail qui reste d'une extrême modernité 50 ans après !!

Plagiat ou création Sano ?

Revenons à notre histoire de Tintin...

Bref, revenons à notre designer japonais qui durant son exposé a affirmé n'avoir jamais vu le logo du Théâtre de Liège (qui pourtant circule beaucoup sur la toile depuis 2012) et qui surtout (moi ça me chagrine) ne donne toujours aucune explication sur la présence de l'empattement du bas (celui qui fait qu'on voit un L sur le logo).

Cerise sur le mochi, l'organisation des Jeux Olympiques de Tokyo, qui a affirmé avoir procédé au préalable à de multiples vérifications dans le monde avant de choisir et de balancer le logo de Sano, a le toupet de clamer haut et fort que le logo de Liège n'a pas été déposé. Sauf que la création, ça ne fonctionne pas comme ça...

En tout cas, les médias japonais se déchaînent sur le pauvre designer, et le sujet fait tellement polémique qu'il passe en premier au journal télévisé, avant la catastrophe de Tianjin en Chine. En effet, d'après une correspondante, qui nous a livré des captures d'écran du JT, les journalistes et les internautes commencent à étudier chaque travail de Sano afin de démontrer preuve en image qu'il n'en est pas à son coup d'essai niveau plagiat.

 

Les ressemblances sont tellement frappantes que Sano a publié un communiqué le 14 août sur son site avouant avoir "partiellement utilisé des créations conçues par des tiers". Il ajoute être "vraiment désolé d’avoir causé autant de problèmes aux personnes concernées" et avoir "conscience des graves conséquences de [ses] actes". Cela dit, dans son communiqué, il n'évoque jamais le Théâtre de Liège.

Ces similitudes, m'explique un étudiant tokyoïte, ont presque toutes été trouvées et dévoilées par des internautes usagers du site 2Channel, un forum anonyme légèrement underground à l 'origine de 4chan. Ici, plus d'une centaine d'internautes passent des heures à éplucher les moindres travaux de Sano et l'ensemble des références qui pourraient s'en approcher. Un travail titanesque et mutuel qui va permettre de trouver de nombreux cas de ressemblance, y compris des utilisations d'images protégées pour faire des mock-ups, et notamment un cas encore plus embarrassant :

L'affiche d'une exposition de 2013 consacrée au typographe allemand Jan Tschichold, réalisée par Yoshihisa Shirai, montre un exemple encore plus flagrant. D'autant que Sano avait lui-même tweeté cette exposition après l'avoir visitée. Difficile d'ignorer la possibilité d'une grosse influence sur ce coup-là.

Le sujet divise et les avis divergent. Certains studios graphiques accusent, d'autres défendent, plus ou moins bien. Un studio connu pour son Oscar a même voulu accuser l'accusation en évoquant le droit d'utiliser la typo Bodoni (alors que c'est de la Didot). Bref, le sujet continue malgré sa (presque) fin, à alimenter les conversations dans les agences de communication.

Alors, plagiat ou pas ?

Superposition des deux logos

 

Le coup de théâtre du logo des JO

On vous laisse libre de juger par vous-même, sachez seulement que si le plagiat n'est pas forcément évident à démontrer concernant cette affaire, les explications de Kenjiro Sano, soutenu par le Comité Olympique Japonais, n'ont convaincu ni Olivier Debie ni le Théâtre de Liège qui ont mis le CIO à Lausanne en demeure de cesser l'utilisation du logo incriminé. Le CIO devra comparaître devant le Tribunal Civil de Liège le 22 septembre et encoure une amende de 50 000 euros.

Et là encore, coup de théâtre, devant la mobilisation des internautes et le nombre d'affaires qui ressortent (une pétition en ligne demandant le retrait de ce logo au Japon a même recueilli plus de 20 000 signatures en deux jours), le premier septembre, le JOC (le Comité Olympique Japonais) annonce qu'il renonce à l'utilisation du logo de Sano, et qu'un nouveau concours aura lieu prochainement. Cela dit Sano ne reconnait toujours pas le plagiat pour ce logo, et c'est pour cela que Olivier Debie et le Théâtre de Liège maintiennent malgré ce retrait la procédure judiciaire en cours. Suite et épilogue donc, probablement le 22 septembre.

Certains graphistes n'ont pas attendu l'annonce du JOC pour proposer des alternatives au logo des jeux olympiques.

(Propositions de Kan Kan, @Umegrafix, et @Shiratori_52 | image : John's Graphism)

 

En attendant de trouver un logo définitif, c'est l'ancien logo de la candidature de Tokyo qui est revenu à usage (dessiné par l'étudiante Ai Shimamine). Un logo partant de l'idée de la fleur de cerisier japonais assurément moins sujette à polémique ! Nous pouvons que souhaiter au Comité Olympique Japonais de pouvoir rapidement trouver un nouveau logo aussi fort que le "feu" logo de Kenjiro Sano !

 

 

Logo de la candidature de Tokyo (Ai Shimamine - 2012)


Une belle charte graphique à la poubelle...

Jetée avec l'eau du bain, la charte graphique est presque restée inaperçue. Dommage parce qu'elle introduisait un jeu graphique qui promettait d'être extrêmement intéressant et inattendu pour ce type de sujet. Restent quelques images pour se consoler...


Plagiat vs inspiration

En guise de conclusion, la question du "plagiat vs inspiration" mériterait d'être vraiment posée. C'est une question philosophique, dont l'actualité ne va cesser de grandir. En effet, à une époque où tout le monde est invité à "créer" et à "partager", où les références sont mondiales, et où la tendance du design est au minimalisme, dès lors se pose la question de la pertinence de la notion d'auteur telle qu'on peut la connaitre aujourd'hui.

Peut-être faut-il rappeler qu'il s'agit d'une notion qui fut évaluée très différemment selon les époques. Ainsi, avant le XVIIe / XVIIe il me semble que la "copie" était un art répandu et très honorable. Sans "copistes" l'art du maître ne pouvait se diffuser. Dès lors il n'était pas rare que les copies de tableaux fussent signées par les "copieurs" en toute lumière et que la valeur de leur œuvre avoisine celle de l'œuvre originale. C'était également une façon d'enseigner un art, à titre d'exemple on peut citer la fondation du Musée du Louvre en 1793 dont la pratique pédagogique était centrée autour de la copie des maîtres.

La notion contemporaine ( et occidentale !! ) de l'auteur telle qu'on là connait aujourd'hui va donc apparaitre progressivement à partir du XVIIe  pour se fixer au XVIIIe dans une forme toujours en vigueur aujourd'hui. Elle fixe l'auteur en tant qu'individu source unique d'une oeuvre d'art. C'est donc le début du règne de la subjectivité et de la solitude du génie créateur. L'art de la copie perd alors tout son attrait, et une œuvre sera évaluée par sa singularité empreinte de la personnalité "unique" de son auteur.

Dès lors la notion de plagiat peut apparaitre, et surtout son pendant juridique "la contrefaçon". Le plagiat n'étant qu'une faute "morale" non condamnable en tant que telle, seul le juge peut évaluer une "contrefaçon" au regard de critères précis et mesurables (ce qui laisse une bonne part de subjectivité ! ). Le paradoxe c'est que si le statut "d'auteur" apparait par le simple fait de créer "une œuvre singulière" ( pléonasme ! ), comment son créateur pourrait-il s'assurer que personne n'ai jamais conçu un travail identique auparavant ? Faudrait-il avoir connaissance tous les livres, films, musiques, peintures de l'humanité pour s'assurer de ne pas réaliser un acte de contrefaçon ?

Reste que l'inspiration directe et l'emprunt (ex: le sampling) est extrêmement répandu et revendiqué par les artistes eux-mêmes en tant que processus créatif ou esthétique. Il n'y a qu'à voir le travail de Jeff Koons ( le roi de l'appropriation) avec l'exemple ci-dessus “String of Puppies” où il a directement utilisé une photo d'un auteur tiers pour concevoir son "œuvre" entrant en contradiction avec son propre statut d'artiste qu'il cherche à protéger par d'autres côtés !

C'est à partir de là que l'étymologie du mot "auteur" est intéressante. Le mot "auteur" vient du latin "auctor" qui signifie "celui qui pousse à agir" ( instigateur, créateur... ). Il dérive du verbe "augeo, augere" qui signifie "faire croître, développer". Ainsi on retrouve bien deux idées antagonistes. D'un côté le "créateur individuel" et de l'autre la "création collective" où l'auteur n'est qu'un "augmenteur" au service du "bien commun". C'est exactement la question que l'on pose en préambule ! D'un côté il y aurait le plagieur qui commet un vol, et de l'autre l'emprunteur ( ou l'inspiré ) qui ne vole personne puisque la création est un bien commun immatériel !

Et après...

Puisque nous sommes tous le fruit d'une culture commune, et que nos idées n'auraient jamais existé sans celles de nos pères/frères, quel droit pouvons-nous revendiquer ?
La solution utopique serait probablement l'admission par la société du rôle primordial de "l'art" en tant que "bien commun", engendrant la suppression de la notion d'auteur et favorisant un cadre économique permettant l'existence de toutes formes d'art. Bon ok, on apporte par de solution magique... mais on peut rêver !

Pourtant dans notre champ d'activité qui est le design, il existe peut-être une révolution sourde : le design thinking. Cela va peut-être vous sembler étonnant d'avancer cette méthodologie théorisée en Californie à la fin du XXe , mais en tant que processus créatif collectif, le design thinking efface la notion d'auteur individuel.

Mais rassurez-vous il reste encore d'autres droits parallèles comme la propriété industrielle ou le droit des marques pour protéger le système !


Ps: Article rédigé collectivement par Aurélien Duvallet et l'équipe de Graphéine :-)

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