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Étienne Robial en décrypté !

Robial

Il y a quelques mois, nous sommes allés rencontrer Monsieur Canal+ pour échanger sur ses années de création et écouter avec gourmandise ses anecdotes.

Tous les jours, des millions de français côtoient ses œuvres, à l'audimat assez exceptionnel. Et pour cause : Robial a conçu -entre autres- les identités visuelles  et les habillages de Canal+ et de M6. Décryptage, en clair, d'une longue carrière de création graphique. Cet article s'inscrit dans notre série d'articles sur les grands noms du design graphique.

Petit papa Robial

Le point commun entre Canal+, Glamour et le PSG ?
Si vous pensez 'femmes à fortes poitrines' vous n'y êtes pas du tout.

Le point commun s'appelle Robial, Étienne Robial. Cet homme jovial et grisonnant au physique de père Noël qui compte en hippopotames (on vous expliquera plus bas) est le graphiste / peintre de lettre / directeur artistique à l'origine d'une multitude de logos ayant construit le paysage graphique et audiovisuel français. Vous pouvez lui dire merci.

Quelques images de son bureau... un capharnaüm génial rempli de livres, d'images, d'archives, d'esquisses et de crayons multicolores...

Générique de début

Étienne Étienne Étienne, n'est pas né à Saint-Étienne, mais à Rouen la 25e seconde du 20 . Entre 1945 et 1962... on zappe.
1962. Il est Diplômé des Beaux-Arts de Rouen puis part étudier en Suisse aux Arts et Métiers à Vevey. Déjà à l'époque il se passionne pour les systèmes graphiques. Sa thèse  sera consacrée aux dominos. Comment faire rentrer des ronds blancs dans des carrés noirs !

Il se lance en 1970 en tant que DA pour Barclay et les éditions Filipacchi. Il s'occupera de nombreux numéros zéro de magazines, comme "Mademoiselle âge tendre"... mais très rapidement il s'aperçoit qu'il est rentré dans le système, et qu'il commence à répéter ses recettes.

En 1972 il cofonde Futuropolis avec Florence Cestac, une maison d'édition de bandes dessinées et de livres d'images. Au départ, ils achètent une librairie spécialisée en bande dessinée.  Elle est baptisée Futuropolis en hommage à la bande dessinée de science-fiction créée par Pellos.  Cette librairie leur permet de financer leurs publications. De fil en aiguille, ils se mettent à publier Tardi, Mœbius et de nombreux auteurs qui deviendront des géants.

Il n'aime pas le terme BD... pour lui il faut dire la "Bande dessinée"... la BD c'est comme du fast-food... lui publie de la gastronomie !

Pour la petite histoire, lorsque leurs premières bandes dessinées seront mises en rayon dans d'autres librairies, en général en 1 ou 2 exemplaires pour tester, ils enverront des copains acheter ces exemplaires, afin de convaincre les libraires d'en commander encore plus d'exemplaires les fois suivantes... très vite la machine est lancée.

10 ans après Futuropolis, il fonde le studio ON/OFF et développe des habillages évolutifs pour de nombreuses marques.
C'est d'ailleurs à lui que l'on doit le concept d'habillage, mot qu'il a créé sur-mesure ; "L'habillage n’est pas qu’une histoire d’esthétique et de charte graphique, mais d’identité : quand on arrive sur l’antenne, on doit savoir exactement où l’on est. (...) L’habillage, fondamentalement, c’est de la signalétique. Le but est, encore une fois, avant tout d’identifier et d’informer sur un programme plutôt que de "faire joli". Et comme il aime le répéter, de ne surtout pas faire quelque chose d'anecdotique.

Étienne Robial fait sa première expérience audiovisuelle avec Les enfants du Rock dont il crée le générique en 1982, après plusieurs années dans le monde de l'édition. On lui doit ensuite les logos / habillages et ou génériques de La Sept (1986), M6 (1987), arte (lequel n'est pas retenu) en 1993, iTele (1993), RTL9 (1994) et bien sûr Canal+. Il demeure directeur artistique pendant 24 ans pour la chaîne câblée, depuis sa création en 1984.

C'est assez drôle d'ailleurs de se dire qu'il doit son plus grand succès à une chaîne pour laquelle il travaille d'abord gratuitement. À l'époque, l'habillage de Canal+ est "fait à l'oeil, parce qu'on ne savait pas si ça allait marcher", Lescure ne l'avait pas payé ; "c'était la première fois que l'on faisait un truc global".

D'une manière assez évidente ensuite, c'était à lui et à son associé Mathias Ledoux que l'on fait signe pour créer des habillages télé : "À chaque fois qu'une nouvelle TV se lançait, le mec nous passait un coup de fil, et il fallait que je demande à Lescure" (co-fondateur de Canal+ puis DG de 1994 à 2002). De fil en aiguille, il se retrouve à l'origine de la majorité du paysage télé français.

Mais certains habillages ne voient pas le jour. En 2013, il crée une réponse à "l'exploration graphique et visuelle pour le cadrage stratégique de la marque TF1", en proposant d'inverser les couleurs de leur logo...  bleu-blanc-rouge devenant au rouge-blanc-bleu. On lui répond alors que ce n'est pas assez ambitieux. Pourtant, l'idée tient du génie, renverser le drapeau français pour la première télé de la France... mais cette dernière n'osera pas l'iconoclasme ! L'agence Naked remporte le projet en intégrant de la 3D et un dégradé de couleur. "Ça a merdé", comme il dit.

Étienne le magicien du graphisme...

Étienne a toujours un petit tour de magie dans son sac. Peu avare, très bavard, il aime transmettre sa connaissance. Il enseigne d'ailleurs à l'École supérieure d'arts graphiques Penninghen à Paris, et à l'École supérieure des arts visuels de Marrakech. Regardez donc le petit tour de magie ci-dessous... vous pourrez le refaire lundi matin au bureau pour impressionner vos collègues !

Parmi ses "grands maîtres" il nous cite Lou Dorfsman et Herb Lubalin pour la création et la typo autour du logo CBS, Erberto Carboni (La Rai, radio italienne) précurseur qui a apporté une identité graphique à la TV italienne, et l'agence Lambie-Nairn (Channel 4, TF1).

Encore plus de Canal+...

Inaugurée le 4 novembre 1984, CANAL+ veut révolutionner le paysage télévisuel français. Dans cette logique, c'est la première chaîne qui recrute un directeur artistique dédié à son image graphique. On raconte que lors d'un entretient avec Pierre Lescure, PDG de la chaine, Étienne Robial emploie pour la première fois l’expression d’habillage TV :  “Je vais te faire 3 vestes, 3 pantalons, 3 chemises, 3 cravates, et avec cela tu vas pouvoir t’habiller de 81 façons différentes : avec le pantalon 1 - veste 1, pantalon 1 - veste 2, pantalon 1 - veste 3 et ainsi de suite […] toujours dans le même esprit […], mais avec des associations différentes».

Durant près de 20 ans, Robial va tailler de nombreux costumes à la chaine n°4. Ses principes sont simples, son rôle est de l'ordre de la signalétique. Il est là pour identifier, informer, hiérarchiser et valoriser. Formes, couleurs, typographie et musique sont ses ingrédients. 4 variables, 1 grille, et des milliers de possibilités !

Pour commencer, le logo est basé sur un système mathématique fait de 4 carrés juxtaposés qui définissent un rapport de 4 sur 1. Une proportion simple et harmonieuse, garantissant au logo un usage extrêmement simple. À l'origine le nom de la chaine était "Canal Plus", mais Robial, avare de lettres, propose de remplacer le "Plus" par le signe "+". Petit geste graphique, mais grande vision. Le mot devient un signe. Pas besoin de chercher midi à quatorze heures : le logo est là !

 

Dans cette identité visuelle globale, chaque programme à sa propre singularité. C'est la typographie qui joue ce rôle. Le Futura adapté spécialement pour Canal+ (une licence acquise pour la modique somme d'1 million francs à l'époque) est utilisé pour l'identité globale de la chaine. Mais chaque émission se voit dotée d'une typographie particulière créée par Étienne et ses équipes.

Pour cela, son goût de la chine et ses collections de vieux catalogues de lettres peintes sont des mines d'or. Datant généralement d'avant-guerre, ces ouvrages tombés dans le domaine public lui fournissent une matière première incomparable. Il scanne, vectorise, retravaille, puis compose ses titres d'émissions.

L’alphabet Nulle Part Ailleurs est issu du Gothic Display, puisé dans un de ses vieux catalogues. Des étiquettes de confitures du début du XXe siècle lui inspireront le logo de La nuit gay...  mmm... qui se lèche les babines ?!?!

Robial n'aime pas les répétitions. Son objectif est de lutter contre la mémorisation. En effet, quand on voit la même émission chaque jour, et que les habitudes visuelles arrivent, on ne voit même plus son travail... "c'est un peu comme si votre femme mettait les mêmes habits tous les jours !" Tous ses habillages sont déclinés de façon polymorphe, les lettres changent légèrement de place, les couleurs sont inversées, et l'accident entre dans son système rationnel.

Pour l'anecdote, quand Vincent Bolloré arrive à la tête de Canal+, il décide de revoir l'identité visuelle du groupe. Selon lui, ce logo "tout noir" est trop "austère", et il imagine qu'il est possible de passer le logo en "jaune, rouge, vert... " ! Que nenni ! Étienne veille au grain. Quelle hérésie pour lui. Vincent n'a rien compris visiblement à l'architecture de sa marque. Passer le logo Canal+ en rouge ou en jaune, ce serait considérablement amoindrir l'impact de sa marque. Alors, Étienne refuse. "Vous n'avez qu'à changer de logo... mais ma création ne sera pas modifiée sans mon autorisation !". Merci le droit d'auteur !

Conseils de graphiste à des graphistes

Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple et efficace ?

Chez lui, le processus de création est un jeu, un "one shot". Lorsqu'on lui demande si l'on verra un jour ses autres propositions pour le logo d'M6 il nous répond que "non, il n'y en n'a pas". Il ajoute même, d'un aplomb déroutant : "venir avec deux propositions, c'est une faute professionnelle. Quand tu vas chez le médecin, tu ne fais pas d'appel d'offre." En tant que graphiste et spécialiste, il apporte donc une réponse à la question posée, et c'est la seule et l'unique qu'il présentera à son client.

Bien souvent, ça passe. Et si ça ne plaît pas au client "bon bah salut, et puis on reste bons amis." Même si dans ce cas, les bons comptes ne suivent pas. "J'ai perdu du temps, mais avec l'expérience tu en perds de moins en moins. Il faut rester bon joueur. C'est un jeu ; j'ai passé l'âge de draguer, mais... tu me plais on se prend, je ne te plais pas, salut, au revoir, on ne se doit rien, mais comme je suis bien élevé, c'est moi qui vais payer l'addition."

On aimerait bien pouvoir jouer à ce jeu plus souvent !

En attendant de voir votre prochain client, voici les conseils de Robial pour s'assumer pleinement en tant que graphiste :

"Je déteste ce qui est anecdotique"

Parce qu'il aime se faciliter la vie, Robial nous explique la gymnastique de mise en scène d'un générique, bien différente du cinéma. Destinés à être vus plusieurs fois par jour, il est primordial de faire varier les mélodies et les caractères, pour ne pas ennuyer le téléspectateur. Les compositions musicales de ses génériques sont basées sur un rythme à la trame de 5x5, pour que toutes ses musiques soient compatibles avec n'importe quelle animation. Pratique.

D'ailleurs, "on compte en hippopotame en télé". Il nous explique en déroulant ses doigts, tac-a-tac-a-tac, hip-po-po-ta-me, la vitesse de déroulement des images, et des sons. Un "hippopotame" équivaut à 15 images. La télé projette 25 images seconde, contre 24 au cinéma (et parfois 48), "c'est pour ça que les films à la télé sont beaucoup plus courts qu'au cinéma, 1/25e fois plus courts." On mourra moins bêtes !

Ci-dessous, des extraits vidéo de notre rencontre, dans lequel il nous dit tout sur les génériques télé :

Et pour illustrer ce travail de générique, petit bond dans le passé avec le deuxième habillage de Canal+ en 1994. On y voit la simplicité des formes et du système graphique, qui permet d'être décliné sur une grille grâce à sa rigueur géométrique. C'est assez drôle de voir la vitesse de déploiement des génériques, qui nous semble interminable aujourd'hui en comparaison avec les génériques actuels.

Formes et couleurs

Le goût de Robial pour les formes géométriques et un système typographique simple est omniprésent, au point devenir sa signature personnelle. Il crée ainsi un système créatif presque constructiviste (et répétitif) à grand coup de couleurs primaires, de rectangles, de triangles et de ronds accompagnés de variations de la typo Futura. Un système qu'il applique à tout va en réalisant des logos parfois très similaires (Planet Banque, la relation équitable, des Films...).

 

 

Même si l'on peut s'amuser comme nous l'avons fait à classer les logos par redondances de formes, on dirait bien que la formule magique est efficace, surtout quand l'on voit que ses logos restent inchangés plus de 30 ans après.

 

 

C'est que Robial fait danser les lettres en jouant avec les formes et la géométrie, comme pour rompre la monotonie inhérente à l'alphabet. Pour le PSG, Nulle Part Ailleurs ou la collection de vinyles Universal, il nous explique que ses lettres sont découpées et placées de travers exprès pour que les compositions soient équilibrées à l'oeil, et non au millimètre près. Sous une apparente simplicité, comme l'alphabet Futura utilisé pour Canal+, il ajoute alors une touche vibrante et humaine à ses compositions.
La touche qui fait la différence.

Voici l'extrait de notre rencontre dans lequel il aborde cette question des alphabets et des lettres dansantes :

Et pour finir en beauté, Robial a même eu sa marionnette aux guignols de l'info. Un épisode créé à l'occasion du lancement du nouvel habillage de Canal, dans lequel on le voit prendre très à coeur la nouvelle image de la chaîne...

https://www.grapheine.com/wp-content/uploads/2017/11/GUIGNOL_ETIENNE_ROBIAL.mp4

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