ACTE I – L’âge d’or de l’affiche de théâtre au XIXe siècle

24 juin 2025  |   0 Commentaires   |    |  

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Cet article est le second d’une série en VI actes de l’histoire de l’affiche de théâtre en France. Elle retrace l'origine des affiches de théâtre et leurs spécificités, miroir de notre société évoluant du tout texte à l'image, en passant par la création typographique et les supports numériques.

Articles déjà parus :
Préambule : Histoire de l'affiche de théâtre en 6 actes

Les articles à paraître :
ACTE II - Les Trente Glorieuses 50/70
ACTE III - L’héritage de l’école polonaise et les années 70/80
ACTE IV - Les affiches du théâtre de la Colline, de Batory à l’atelier ter Bekke & Behage
ACTE V - L’intrusion de l’art contemporain
ACTE VI - La décennie des réseaux sociaux + épilogue, le règne typographique


Placard publicitaire, avis administratif ou légal, annonce de manifestation… l’affiche de théâtre trouve sa forme moderne avec la lithographie et revêt de multiples fonctions que nous lui connaissons encore aujourd’hui.

Au XVII et XVIIIe siècle l’affiche était le seul outil de communication du théâtre. Placardée à l’extérieur, elle relaie “l’orateur”, chargé par la troupe d’annoncer au public les séances à venir qui sont composées la plupart du temps de deux, voire trois pièces. L’affiche de théâtre évolue au fil du temps : typographiée et ornée de bandeaux décoratifs gravés sur bois au XVIIIe siècle, elle deviendra presque purement typographique au XIXe siècle.

Jules Chéret entre en scène

À partir de la seconde moitié du XIXe siècle, c’est le véritable âge d’or de l’affiche. Le repère incontournable, le premier vrai personnage, c’est sans aucun doute Jules Cheret qui s’impose sur la scène nationale comme le père de l’affiche moderne que tout le monde s’arrache. Fils d’un typographe et apprenti chez un lithographe parisien, né en 1836, Chéret part à Londres quelques années étudier les tout derniers procédés industriels de la lithographie en couleur.

De retour à Paris dans les années 1860, il élabore un système d’impression à trois ou quatre couleurs, en travaillant directement sur la pierre. La contrainte technique de la lithographie va le pousser à mettre au point des solutions graphiques d’une extrême efficacité. Grands aplats colorés, réduction du nombre de couleurs, fonds neutres. Avec comme conséquence un moindre coût permettant un tirage plus important.

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Il invente tout avec un style aisément reconnaissable. Au centre de l’affiche, le personnage principal, souvent une femme – la “chérette”, joyeuse, élégante et toujours en mouvement – identifiée par la couleur la plus vive, le jaune ou le rouge. Ce motif féminin qui capte le regard du spectateur est l’ancêtre de la pin-up américaine qui peut tout vendre… une ampoule et un spectacle de théâtre, une bicyclette ou un journal. Une forme unique donc et un texte minimum. Ni source de lumière, ni ombre, ni profondeur n’apparaissent sur l’affiche. La silhouette est détachée de toute perspective.

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Cheret met en place un vocabulaire graphique qui, en quelques années, va s’imposer pour la production d’affiches en Europe. Son style atteint sa maturité vers la fin du siècle et sera repris par d’autres artistes comme Bonnard et Toulouse-Lautrec. Son atelier, car il n’est pas tout seul, va ainsi créer plus de 1 200 affiches publicitaires ou de théâtre.

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À une époque où le taux d’alphabétisation en France est bas (20% en 1900), Cheret trouve une écriture graphique adaptée au grand public. Il répond avec un temps d’avance aux exigences commerciales et publicitaires nouvelles. “L’ industrialisation” des spectacles, l’expansion et la restructuration des espaces urbains favoriseront et appelleront ce développement. C’est Edmond de Goncourt qui parlera de lui comme de “l’inventeur de la galerie de la rue”.

L’affiche comme œuvre d’art avec Henri de Toulouse-Lautrec

Avec Toulouse-Lautrec, l’affiche est élevée au rang d’œuvre à part entière. Et c’est le statut de peintre affichiste qui devient l’archétype français de nombre de graphistes du XXe siècle. Lautrec va révolutionner la technique de l’affiche en y apportant fraîcheur et inventivité, il préfigure l’art publicitaire contemporain d’un Capiello au début du XXe siècle.

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Tout commence par une révélation, il tombe sous le charme d’une affiche grand public conçue par Pierre Bonnard en 1891, “France-Champagne”. La même année, Zidler, le directeur du célèbre cabaret parisien lui commande “Moulin-Rouge, la Goulue” et tout devient concret. Il s’engage alors dans une aventure qui va durer 10 ans lui permettant d’expérimenter le support lithographique en intervenant lui-même sur la pierre. Entre 1891 et 1900, Toulouse-Lautrec va créer 31 affiches et près de 325 lithographies. Plus que de théâtre, c’est de spectacle de cabaret dont il s’agit. C’est la consécration auprès d’un public plus large que sa peinture. La plupart des lithographies de Toulouse-Lautrec ont été tirées à un petit nombre d’exemplaires : 12 à 100 épreuves.

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Chaque composition reflète un réel souci de lisibilité. Il reprend les principes des estampes japonaises qui sont à l’époque très à la mode. Le dessin prime toujours. Lignes ondoyantes ou tracés nerveux, premiers plans occupés par des silhouettes coupées arbitrairement et cernées d’un trait épais, figures planes et stylisées. Les cadrages quasi photographiques donnent une proximité que l’on ne trouvait pas dans les affiches de Cheret. Le traitement chromatique transforme l’image en affiche avec de larges aplats de couleurs pures et contrastées visant à attirer le regard des spectateurs. Il y a chez Toulouse-Lautrec une vraie volonté de concevoir l’affiche comme un outil de communication. Les messages sont brefs et efficaces, parfois répétés pour frapper les esprits.

La légende veut que Picasso et Braque, de fervents collectionneurs d’affiches, récupéraient celles de Toulouse-Lautrec à la nuit tombée sur les murs de la capitale. On parlera même à cette époque d’“affichomanie” !

Alfons Mucha et l'art nouveau de l'affiche de théâtre

1900, un nouveau siècle s’ouvre avec l’Art Nouveau, des motifs végétaux et floraux, des arabesques décoratives et la fée électricité qui illumine la nuit urbaine. Et la scène théâtrale qui se pare d’une lumière encore inconnue jusqu’à lors.

Dans les affiches de théâtre ou publicitaires de Mucha, les personnages féminins mis en place par Cheret sont toujours là, mais sous une forme très différente. Car l’Art nouveau, c’est Alfons Mucha, un artiste d’origine tchèque. Et pour lui, c’est fin 1894 que se produit le tournant de sa carrière. Il a 27 ans lorsque Sarah Bernhardt lui commande une affiche de théâtre promotionnelle pour Gismonda, au Théâtre de la Renaissance. À cette époque, Sarah Bernhardt est à l’apogée de sa gloire.

Avec cette “Gismonda”, le style Mucha va véritablement naitre sous les yeux des Parisiens admiratifs. Ce qu’il propose est d’une incroyable originalité. Un format étroit, tout en hauteur lui permettant de représenter le modèle en pieds quasiment grandeur nature. Des ornements byzantins, des teintes pastel avec rehauts de bronze et d’argent, un demi-cercle auréolant le visage, un costume somptueux et des lettres prises dans le motif. Il se distingue ainsi nettement de Cheret et Toulouse-Lautrec qui utilisaient des couleurs très vives.

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Il y a une réelle rencontre entre l’image magnifiée, sublimée que souhaite donner Sarah Bernhardt d’elle-même et le style de Mucha. Ce n’est plus seulement une pièce de théâtre que l’artiste annonce avec son affiche, il figure une femme mystérieuse, au geste éloquent et empreint de solennité qui va capter l’attention du spectateur. Mucha est le premier avoir fait passer l’affiche du stade de la description à celui de la séduction. Cette affiche est tirée à 4 000 exemplaires et va couvrir tous les murs de la capitale. En associant son nom à celui de “la Divine”, Mucha accède à une véritable reconnaissance publique.
Il réalisera sept affiches pour des pièces de théâtre mettant en vedette la tragédienne et superstar mondiale.

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Les grands affichistes à Paris et en Europe

À cette époque, le théâtre est le loisir préféré des Parisiens, et la scène française jouit d’un grand prestige. Entre 1860 et 1913, le nombre de salles passe de 34 à 121. Cette multiplication contribue à l’essor de l’affiche devenant ainsi l’élément essentiel d’annonce et de promotion des spectacles.

En ce printemps 2025 (du 18 mars au 6 juillet), le Musée d’Orsay propose de découvrir la grande qualité de ces affiches historiques (230 œuvres originales y sont présentées) de la 2e moitié du XIXe siècle à travers une exposition “L’art est dans la rue”.  C’est l’occasion de mesurer l’essor spectaculaire de ces très grands formats en couleurs qui transforment un Paris en pleine mutation, sociale et urbanistique. Comment l’affiche a joué un rôle majeur dans le développement de la société de consommation.

Puis viendra Grasset qui reprendra en partie le style graphique de Mucha avec des emprunts plus personnelles à l’art médiéval et aux gravures japonaises sur bois. En 1896, l’affiche japonisante de la “Tournée du Chat Noir” de Steinlein devient un symbole du Montmartre fin de siècle.

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Ces affichistes, ou peintres affichistes vont donner, en quelques années, un élan décisif et libérateur à l’art de l’affiche dans toute l’Europe et aux États-Unis. On pense aux frères Beggarstaff en Angleterre, à la Sécession viennoise en Autriche, à Will Bradley aux États-Unis. Capiello en Italie deviendra à son tour le maître incontesté de l’affiche commerciale.

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Puis l’entre-deux-guerres, la Belle Époque, l’Art Déco avec Cassandre et Loupot, Carlu, Colin.

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Après la 1re guerre mondiale, de nombreux artistes se frotteront à l’affiche, souvent pour des expositions artistiques, mais peu pour le théâtre. On retrouvera Picasso, Braques, Léger, Miro ou Arp.

Dans l'acte II, nous parlerons des affiches de style international post guerre mondiale.

 


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