Graphéine – Agence de communication Paris Lyon

Décathlon, à fond la marque !

Décathlon, la marque préférée des sportifs, des randonneurs, des profs, des mères de famille nombreuse et aujourd’hui des rappeurs continue son ascension avec une nouvelle architecture de marque. L’âge de la maturité arrivé, il était temps de mettre de l’ordre dans ce vestiaire !

Cet article va donc permettre de revenir sur la success-story de cette marque, de s'interroger sur sa popularité auprès des “millennials”, et enfin de découvrir la nouvelle architecture de marque et le travail de création typographique réalisé pour l'occasion.

Merci Michel

C'était en 1976, en pleine année des J.O., un an après le vote de la loi Mazeaud qui donnait au sport un caractère éducatif. Eric Tabarly remportait la Transat en solitaire, la sonde américaine Viking se posait sur Mars, le Concorde effectuait son premier vol Paris-Rio, et Apple lançait son premier ordinateur. Sport et progrès technologiques avançaient côte à côte.

À Englos, près de Lille, Michel Leclercq et 6 acolytes entrepreneurs mordus de sport lançaient LA start-up sportive et innovante, une sorte d'Ikea du sport (5 ans avant l'arrivée d'Ikea en France). 44 ans plus tard, la start-up est devenue la marque préférée des Français, et Décathlon est passé de 7 à +90 000 collaborateurs, implanté dans 54 pays.
Ce succès on le doit à son fondateur Michel, son goût pour l'innovation et la débrouillardise, sa vision du management, et à l'idée de développer des marques en interne. Michel Leclercq est le cousin du fondateur d'Auchan, chez qui il travaille en informatique. Il baigne dans le monde de la grande distribution, mais veut fonder quelque chose d'inédit, un nouveau modèle autour du sport. Un lieu dans lequel on peut trouver un maximum d'activités sportives, à un prix imbattable et accessible à tous. Il quitte l'entreprise familiale et se lance en 1975, à 35 ans.

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Source : site DP 40 ans de Décathlon

Avec ses collègues, ils prennent le pari un peu fou de vendre des marques de sport à un prix défiant toute concurrence, même si certaines enseignes refusent en voyant leurs marges. Ils vont même démarcher le producteur de vélo du coin, Leleu, sur lequel ils apposent un autocollant Décathlon : leur première "marque" est née.

Source : Vélo personnel d'un certain Mickaël
Chacun apprend sur le terrain, de presque zéro. La bande des 7 ferme boutique le matin pour se retrouver autour de leur passion commune, le sport sous toutes ses coutures. Leclercq leur transmet le management par la confiance, et les manières de "conseiller les clients comme si c'étaient tes meilleurs potes". Très vite, il faut travailler à temps plein, et embaucher plus de collaborateurs. Un mot d'ordre du patron : « recrutez plus fort que vous ! », l'idée est de pouvoir évoluer rapidement, de se spécialiser, d'être toujours en accord avec les souhaits du client.

Décathlon, c’est de la marque ?

Le nom Décathlon est retenu pour ce qu'il évoque : 10 sports sous le même toit. Les couleurs et le slogan évoluent, mais le logo reste le même, il n'a pas vraiment pris une ride. Il faut qu'il soit lisible et visible de loin : grandes lettres obligent. « En lettres capitales et un mot assez long, cela faisait entreprise stable, très visible, transmettant une marque de confiance » décrypte Julie Roger, Branding manager au Design Hub de Décathlon. Et il en fallait une image stable pour donner confiance aux marques !

Le C et le A s'emboîtent pour créer "du dynamisme et de la sportivité" comme une roue, un tremplin de ski, un ballon... Le slogan fait son apparition au début des années 80. Jacques Séguéla propose son agence RSCG pour développer la communication de Décathlon. Il a l'idée d'un slogan par mois, "à fond le vélo", "à fond la rando"... mais c'est le mois de septembre avec son "à fond la forme !" qui fait tilt auprès de Benoît Poizat, alors responsable de la communication et de la publicité.

Avec la mode du flat design ou du "no logo", Décathlon, qui n'a jamais cédé au désir de rajouter du volume ou de la 3D dans son nom durant les années 90, est aujourd'hui à nouveau un logo moderne, et même tendance. Niveau image de marque, ce n'était pourtant pas gagné au début..

Décath reste longtemps une marque de seconde zone derrière Nike, Reebok et Adidas, qui sont mis en avant dans les rayons. Dès 1986, Décathlon crée ses propres "marques passion". Elles sont créées, conçues, fabriquées en interne. Mais Décathlon n'a pas franchement le style. C'est la marque de ceux qui sont habillés par leurs mères.

1992, époque d’or du basket et de la NBA, a permis aux équipementiers d’investir massivement les fantasmes de performances et de réussites des gamins que nous étions, tellement désireux d’égaler nos idoles sportives. Jogging, casquettes, baskets, la totale et plus si possible jusqu’à l’overdose. Une virgule pour se sentir pousser des ailes. Dans la cour de récré, pas de doute, il fallait porter fièrement et ostensiblement LA marque ! Nike air, pump de Reebok, survêt' Adidas... Peu importe le mauvais goût, pourvu que ça se voie. Et honte à celui qui ne pouvait porter l’apparat de Michael Jordan et consorts. Honte aussi à celui qui portait du Décathlon. Avouez, on l'a tous vécu. 
Décathlon, c'était la marque de la majorité silencieuse qui ne se soucie guère de bataille de logos ou plutôt qui n’a pas le portefeuille suffisamment garni pour rentrer dans l’arène... Briller en Quechua ? Nous n'y pensions même pas. Nos parents préféraient nous acheter du solide, plutôt que du bling. Et finalement, ce sont ces valeurs qui perdurent aujourd'hui.

En 2020, Décathlon compte plus de 80 marques à son actif, une par sport, et vise la centaine. Quechua (randonnée), Tribord (voile), ou encore BTwin (vélo), Kipsta (sports co), Nabaiji (natation), Kalenji (course), Domyos (fitness), Orao (kitesurf)... pour n'en nommer que quelques-unes. C'est le plus grand pôle de design après l'automobile ! Depuis 2000, les designers fonctionnent main dans la main avec les autres équipes de Recherche & Développement et de Marketing, pour avoir un maximum d'autonomie tout en gardant l'unité de la marque mère.

Les équipes sont délocalisées pour travailler sur place dans les endroits stratégiques et tester les équipements dans des conditions réelles, tout en observant les tendances. Action, réaction. Il faut 5 mois pour fabriquer un vêtement, et 18 pour un produit technique. Le prix reste bas, la technicité augmente. Faire un quart en Tribord n'a rien de honteux, Guy Cotten peut renfiler sa veste (jaune).

La stratégie fonctionne, au point qu'en 2018 Décathlon écarte finalement les grandes marques au profit des leurs, en interne, avec un ratio de 20% grandes marques / 80% marques Décathlon. En finir avec Nike, en plein pendant la coupe du Monde de foot ? Pari risqué. Mais le vilain petit canard est devenu un cygne ! Depuis 2019, Décathlon mise également sur le développement durable avec de plus en plus d'articles éco-conçus, un affichage environnemental et la mise en vente de produits d'occasion.

 

J'ai ma quechua, j'ai ma quechua, j'ai ma quechua (everyday) !

Comment l'image de Décathlon a-t-elle basculé ? En développant un ton décalé, et son capital sympathie par la même occasion. La première pub met en scène Tarzan qui passe de liane en liane... sur un vélo Décathlon. Les suivantes sont décalées et drôles. En ajoutant à cela le fait que le client est toujours bien reçu et conseillé en boutique, cela lui donne l'impression d'aller chercher du bon matos chez son pote expert.

Puis en misant sur l'innovation, la durabilité, la qualité... à prix juste. On pense à la tente 2 secondes, aux gants de ski chauffants (dans lesquels il faut souffler) ou au masque de plongé EasyBreath qui ne pince pas le nez. Petit à petit, Décathlon devient synonyme de qualité, d'innovation. Ils ont désormais un temps d'avance sur les autres marques.
Les pros sont encore à convertir, mais les sportifs du dimanche et les autres réguliers ont leur panoplie. Depuis quelques années, les marques se rapprochent de grands sportifs pour tester et développer les produits et leur notoriété.

Enfin et un peu malgré elle, la popularité de Décathlon (et surtout de Kalenji et Quechua) surfe sur les tendances du normcore, et du streetwear. Longtemps réservés aux cours d’EPS, le streetwear et le sportswear sont aujourd’hui devenus un dresscode du quotidien. On pense à la vidéo "active wear" qui a fait le buzz sur YouTube (presque 7 millions de vues) qui se moque des femmes qui portent des vêtements de sport au quotidien, pour se donner un style actif, mais faire tout sauf du sport.
Le normcore quant à lui recherche un style non exclusif et banal, pour retrouver sa liberté vis-à-vis des marques. C'est la suite logique du hipster, qui, lui, tentait de se démarquer de la standardisation des masses. Le normcore vise la dé-marcation, le t-shirt lambda, moche, mais pratique. Du Décathlon premier prix en somme !

Fashion alert ! Orelsan s'affiche en tenue camouflage chasse et pêche lors de son concert au festival Fête du bruit en 2019. Accompagné en coulisses par le blogueur Florent Bernard qui décrypte son style "Il n’y a rien qui est laissé au hasard chez Orel, le style par exemple." "Tu sais où j'lai eu ? (en même temps ça ne va pas t'étonner) au rayon chasse de Décathlon, y'a que des pièces de ouf. C'est Solognac" précise le chanteur (on vous a mis le lien pour vous offrir la panoplie d'Orelsan).

Et si la fameuse doudoune Quechua fait un tabac dans les cités, c'est qu'un certain rappeur dénommé Jul en a fait sa tenue de scène. Au point d'être rebaptisée Kalenjul, pour les intimes. En 2015 il s'affiche en Décathlon dans son clip En Y, vu 64 millions de fois sur YouTube. Il parle ouvertement de la marque dans sa chanson JCVD : "Pochon dans le sac Quechua, claquettes, coupons, séchoirs / J'ai envie de rôder le soir, mais dans la vie faut faire des choix."

Fini le temps du bling, des marques, du show-off. Les stars montantes du Rap français sont sans chichi, elles portent du quechua comme en bas. "Ça couvre bien pour les gens en bas du bloc, ceux qui vendent des stupéfiants. Qui sont h24 dehors, avec leur chaise et leur veste. C’est obligé d’avoir sa Quechua". Florian, de Carrière-sous-Poissy, confirme. Et le rappeur Sofiane aussi, dans son titre IDF : "Tiens la sacoche, j'l'ai cramé là çui-gui / En scre-gued, quand ça kick du stud' / En Quechua qui trafique du stup'".

 

Source : compte twitter Décathlon, capture écran d'un clip de Jul, 13 block

Aucun problème pour Décathlon qui joue avec cette communauté sur twitter et les réseaux sociaux. "On fait partie de la vie de tout le monde" précise Yann Amiry, community manager remarqué de la marque, souvent acclamé sur la toile comme "meilleur CM", acclamé pour ses réparties et son sang froid (notamment pendant la polémique sur le hijab running). "En fait, on a pris le parti d’incarner nos prises de paroles : on montre nos visages, on signe nos messages et on parle chacun avec nos mots. On s’adresse à nos followers comme on parle à nos potes dans la vie de tous les jours. » Comme en magasin, la prise de parole est directe et franche.

Le community manager de Décathlon précise que les rappeurs leur font des clins d’œil d'eux-mêmes, sur lesquels il n'hésite pas à rebondir. On l'a vu échanger sur twitter avec RK qui chantait "Eh, fallait faire un choix. J’ai opté pour Versace, j’oublie la Quechua. Eh, j'suis resté l'même depuis l'départ. On rigole plus, reste à ta place" dans son titre #DansLeTierquar (Nantes), ce qui a donné lieu à cet échange :

- Bon @Rk_Officiel77, il faut faire quoi pour que tu oublies Versace et que tu optes pour la Quechua ?
- @Quechua Lol que j’revienne a 0
- T'es pas resté l'même depuis le départ ?
- Ta gagné envoie moi une veste
- Vas-y, viens en DM.

Résultat, une veste envoyée avec un mot de Yann (le community manager en question) "oublie la Versace, opte pour la Quechua !", 762 likes et 331 retweets. Idem avec le groupe 2Mr Squaad qui, encouragé sur twitter, a sorti le single "Quechua (everyday)" à la suite d'une vidéo dans laquelle on les voit sauter en chantant ce qui est devenu un hymne officiel, désormais affiché en description sur le compte @Quechua.

Et parce que le rétro est à la mode, le streetwear et twitter aussi, Décathlon a relancé la production de 1 000 joggings #JOG85 tout droit sortis du catalogue de 1985, vendus à 20,58€, soit 135 francs de l'époque, grâce aux 30 000 retweets de la communauté. En 1985, si vous avez suivi, c'était moche et naze. Aujourd'hui c'est tendance et cool.

Décathlon écoute ses clients, et sait s'entourer. Le coup de com initial taguait CamitoTV, une chaîne lifestyle de streetwear. La campagne de com choisit de RebeuDeter comme égérie (360k de followers sur twitter à l'époque, le double aujourdhui). Vendus en moins de 30 secondes sur le site (qui a planté à l'occasion), on trouve aujourd'hui le JOG85 à 150€ sur vinted ou leboncoin. Preuve que le rétro-street-normcore est en vogue.

Source : Décathlon

Un vrai de la vieille. Archive 1985, source : twitter

 

Pourquoi faire simple
quand on peut faire compliqué ?

En 40 ans les marques de Décathlon sont passées de l’esthétique “centre commercial” et grandes surfaces à un design qui se veut sobre et intemporel. Une façon de concilier enfin le fond et la forme et d'être à la hauteur de la qualité des produits conçus et distribués par la marque ?

En effet, une nouvelle police de caractères vient aujourd'hui harmoniser l’ensemble de l'identité visuelle de Décathlon qui possède une marque spécifique pour chaque activité sportive. Cette évolution est donc tout sauf anodine. C'est un pas de géant qui rationalise un catalogue de marques gargantuesque !

Ce qui surprend au premier regard c’est la sobriété de cette nouvelle typographie. Une linéale géométrique sans chichi. C’est épuré et pour une fois on respire devant tant de clarté et de concision. Il faut dire que pendant plusieurs décennies et en matière de marques, Décathlon nous avait habitué à des choix plus au moins surprenants voir douteux que cela soit en naming ou en design de logotypes.

Pour s’en convaincre ou s’en rappeler pour les moins jeunes, il suffit de tenter de prononcer un nom à l’orthographe alambiquée tel que “wed’ze” ou “nabadji”, bonne chance ! Et pour la transcription graphique de ces noms on ne peut pas dire que Décathlon avait puisé dans la tradition graphique suisse. Écriture manuscrite maladroite, virgule et zigzag évoquant un lointain cousin du swoosh, lettrage proche de l'onomatopée de BD... de l’expressivité à revendre, du fun, mais une cacophonie ingérable lorsque comme Décathlon on possède une marque pour chaque activité sportive.

 

Où est passé le fun ?

En bout de course, nous retrouvons encore une fois ce style typographique omniprésent dans les rebranding récents des marques de luxe et autres maisons de hautes coutures. La lettre capitale élancée est sans empattements, devenue le lieu commun d'une élégance du moment réussissant le grand écart d'accommoder les jeunes et moins jeunes fashionistas mêlant dans leur garde-robe culture streetwear et accessoires de mode. Celine, Burberry, Balmain et maintenant Décathlon ? Ce parallèle avec le "Blanding" des identités des marques de Luxe est tentant. Pour autant, ce choix graphique est-il animé des mêmes motivations ?

Regardons cela de plus près en effectuant une archéologie visuelle des marques Décathlon.

Avant la refonte, chaque marque avait ses propres icônes, parfois intégrées dans le lettrage, quand certaines n'en avaient pas. La nouvelle stratégie de Décathlon semble être de mieux "chapeauter" des marques produits qui avaient pris trop d'indépendance, et cette création typographique est l'outil idéal pour réaliser l'unification graphique de tous les produits avec une même philosophie.

Son style fait écho à la géométrie du logotype Décathlon. Les icônes des anciennes marques produits ont été supprimées et remplacées visiblement par un principe "d'accident graphique" sous la forme d'ouvertures "stencil" et la personnalisation de certaines lettres. Cette astuce parvient à maintenir une certaine singularité des marques à l'intérieur du système harmonisé.

Aujourd'hui, toutes les marques n'ont pas encore été recomposées avec la nouvelle typographie, mais il serait logique que l'ensemble des logotypes aillent progressivement vers plus de sobriété. On vous a fait un petit état des lieux des marques Décathlon dans le visuel ci-dessous :

La disparition du style ludique et enfantin, et son remplacement par un parti pris plus sobre, communique plus efficacement la qualité, la robustesse et la technicité des produits Décathlon. Avec leur simplicité, les nouveaux logos produits perdent en présence et la marque Décathlon s'en trouve indéniablement renforcée.

Nous pouvons toutefois regretter l'affaiblissement de logos très populaires tels que B'Twin, Quechua et Kipsta. Leur nouveau design s'apparente beaucoup à celui d'un titre composé en typographie custom plus que d'un réel logo. La pertinence de ce résultat ne peut qu'être considérée que dans le contexte d'une nouvelle stratégie globale de la marque. Et l'on peut facilement trouver salutaire la volonté de renforcer une seule marque déclinée par pratiques sportives, plutôt que de courir après plusieurs centaines de marques distinctes et sans une charte graphique commune !

En simplifiant son architecture de marques avec le design graphique et la typographie au centre de sa réflexion, la marque Décathlon monte en gamme. Avec la création de cette famille de caractères typographiques, Décathlon devient pour la première fois un ambassadeur du design produit et du design graphique made in France.

Somme toute, c'est une belle cohérence à la fois sur le fond et la forme, alors cocorico !

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