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L’Europe et ses identités visuelles régionales

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L'Europe et ses identités visuelles régionales

Depuis 2014, le découpage administratif français est passé de 22 à 13 régions. Faut-il le rappeler, cet échelon administratif ne date que de 1982. Aujourd'hui, la réduction de son nombre vise surtout à se doter de régions d’une taille critique pour leur permettre d’exercer leurs compétences stratégiques de manière plus efficace.

Le découpage des grandes régions européennes, avec pour modèle le découpage fédéral allemand, consiste à atteindre une taille idéale qui n’existe pas naturellement faute de corrélation entre taille, développement économique et richesse de ces différents territoires. En France, pour nos yeux de designers graphiques, ce grand bouleversement se traduit par une flopée de nouvelles identités visuelles, plus ou moins réussies, plus ou moins démagogiques.

Nous avions envie de prendre un peu de recul afin d'observer le panorama européen de ces identités visuelles régionales. Nous avons donc recensé le plus exhaustivement possible les logos des différentes régions d'Europe. Des Balkans à la mer du Nord. Un tour d'Europe en 80 logos...  (N'hésitez pas à cliquer sur la carte ci-dessus pour zoomer).

Premier constat : deux grandes traditions graphiques

Celle des blasons qui règne en maitre dans l'Europe du Nord, les pays baltes et les Balkans. À l'inverse l'Europe de l'Ouest est totalement convertie aux logos et autres marques. Plus on s'éloigne de Bruxelles et plus les blasons reprennent du poil de la bête, comme dans le sud de l'Italie par exemple.

Sans prétendre à une analyse historique scientifique, comment de ne pas y voir un découpage symbolique, façon "accord de Yalta" en 1945. Les Américains se réservant le marché de l'Europe de l'Ouest, important le rock, les chewing-gums et le branding ! Comme pour venir confirmer cette hypothèse, la Suisse de tradition neutre semble un petit îlot de "blasons" au cœur de l'Europe de l'Ouest.

Second constat : peu d'identités visuelles remarquables

Environnement institutionnel oblige. Cependant, quelques traditions graphiques régionales ressortent du lot. À ce titre la palme de la qualité revient à la Pologne et à la Slovaquie. Une région d'une grande tradition graphique qui commence avec le graphiste Alfons Mucha, fer-de-lance du mouvement art nouveau au début du XXe siècle, et qui sera ensuite fortement influencé par l'école allemande du Bauhaus, se poursuivant par une tradition militante et engagée pendant toute la période d'occupation communiste. Aujourd'hui, de nombreux designers graphiques internationalement reconnus sont issus de cette tradition. Citons Henryk TomaszewskiEduard Ovčáček, Suzanna Licko, ou encore Peter Bilak.

Les identités de régions Françaises

Mise à part la région PACA, et dans une moindre mesure en Normandie, l'utilisation d'un blason en guise de logo n'est pas de rigueur en France. On notera que dans le grand découpage régional certaines régions n'auront pas eu besoin de changer de logo (Île de France, Bretagne, PACA, Pays de Loire, Corse...). Au final, ce sera donc 8 nouveaux logos.

La démagogie des logos de région

À ce jour seul reste le logo de la région "Occitanie" qui n'est toujours pas établi. Il a fait l'objet d'une consultation ouverte au public, tout comme le logo Hauts-de-France et Nouvelle Aquitaine et il sera présenté en janvier. Il s'agit de la méthode dite de "crowdsourcing" tant décriée par les organisations professionnelles comme l'Alliance Française des Designers.

Dans le cas de l'Occitanie, le concours www.laregion.fr/concours-logo mélange étudiants et professionnels, projets non indemnisés, prix anormalement bas... Il adresse un message fort peu pédagogique aux étudiants en question. Outre qu’il est une aberration dans le processus de conception d’une identité visuelle, c’est aussi une aberration économique envers la profession de designer. Enfin, c’est une aberration dans la gestion de la dépense publique, qui témoigne de la méconnaissance totale de la mise en place d’une mission de design d’intérêt public de qualité.

On notera immanquablement la profonde démagogie qui consiste à annoncer qu' "aucun denier public ne se sera dépensé" pour la conception de ces logos. Quand le logo est crée en interne, c'est un mensonge par omission, puisque ce travail représente évidemment un surcoût en salaire. Et dans tous les cas, le coût de conception ne représente qu'entre 1 et 3% du coût du changement de logo sur les courriers, les façades, les TER, les Bus... Enfin, un logo seul est souvent inexploitable, il doit être accompagné d'une charte graphique, d'exemples d'utilisations, de modèles de mises en pages...  Or, c'est bien gentil de commander son logo à des étudiants, mais qui va décliner la charte graphique ? On peut parier que ce sera une agence de design moyennant finances !

À la décharge de nos élus, il faut reconnaitre que le sujet est très compliqué à gérer. Pour le contribuable qui entendra que tel logo "fait en 3 traits" a coûté "telle somme d'argent", correspondant à plusieurs mois de son salaire, cela a un effet détestable. Dans ce genre de situation, on peut regretter de ne pas avoir le temps d'expliquer que dans le budget il y a une étude de positionnement stratégique, une équipe de designers mobilisées pendant plusieurs mois, une charte graphique envisageant les multiples usages, etc. Expliquer en détail tout cela semble difficile quand on peut résumer en moins de 140 caractères "Ce logo de m**de a couté *** ***  € ! ".

Enfin, on oublie souvent de dire qu'une bonne identité visuelle, conçue de manière durable, sera la meilleure source d'économie pour la collectivité. Prenons par exemple le logo de la région île-de-France qui est resté quasiment le même depuis plus de 16 ans, résistant aux alternances politiques. C'est assurément que son design avait été bien pensé. Quand on sait qu'un changement de logo à l'échelle d'une région est un coût qui se chiffre en millions d'euros... Pourquoi n'entend-on pas dire que le designer qui a fait le logo de la région Île-de-France a participé à faire économiser cet argent à ses concitoyens ? Bref, tout cela nous invite à faire preuve de pédagogie et de continuer à partager et expliquer le rôle du design.

Les logos d'Europe de l'Ouest

Dans notre voyage "logotypique", nous avons essayé de résumer l'ambiance graphique de chaque pays par une petite sélection de logos. Ainsi, l'Espagne royale et colorée se détache nettement des logos rigides allemands ou belges.

 

Les logos d'Europe du Nord

Les logos d'Europe de l'Est

C'est ici que l'on retrouve nos bons élèves slovaques et polonais ! D'un simple coup d'œil on voit directement une grande originalité et une grande qualité se dégager de ces logos.

Face au branding territorial

En construisant cet article, on ne peut s'empêcher de penser à l'ouvrage "Face au brand territorial" de Ruedi Baur qui se veut une analyse et une critique sévère de la misère symbolique des représentations des collectivités territoriales. Devons-nous traiter les identités visuelles de nos territoires de la même manière que des marques de chaussures ? Devons-nous faire de nos villes des produits ?

Autant de questionnements que les designers se doivent de se poser.

Ruedi Baur nous explique "qu'entre les logos des entreprises et des territoires publics, il n’y a plus de différence. On vend notre territoire public comme une valeur marchande. Le branding, c’est toujours la simplification, avec un ou deux éléments dans un logo. D’avoir transposé les stratégies de représentation d’entreprises vers des territoires, des villes, des nations, cela fait qu’il n’y a plus de discours politique, que l’image remplace la réalité. C’est démocratiquement et civiquement très dommageable. Il n’y a plus de transparence. Il faut reconcevoir des systèmes graphiques où apparaissent des éléments communs, mais aussi des différences".

Ci-dessus : Extrait de l'ouvrage "Face au Brand territorial".
Comparaison entre une carte des blasons des régions et celle des logotypes des mêmes régions (de l'époque).  On peut constater le manque de cohérence générale de la carte des logotypes !

"Les logos des régions de France sont devenus redoutables, se désole Ruedi Baur. Je ne suis pas nostalgique des blasons, mais s’y lisaient des histoires. Quand j’ai travaillé avec l’équipe de l’architecte allemand Finn Geipel pour le Grand Paris, on s’est demandé comment le représenter. Si on mettait les logos des communes les uns à côté des autres, il n’y avait aucune qualité, aucune identité. Avec les écussons, on lisait des cours d’eau, des monuments, des coutumes."

Entre temps, Ruedi Baur a entrepris de retourner passer une thèse à l'Université de Strasbourg sur ce sujet. Elle était intitulée "Entre identité et identification. Les valeurs civiques des systèmes de représentation publics". 

L'université, forte de la présence de cette figure incontournable du design, lui a confié le suivi d'une réflexion collective sur son identité. Véritable mise en pratique de son travail de recherche, on peut suivre l'évolution du projet sur le site de l'université : http://savoirs.unistra.fr/recherche/un-nouveau-langage-visuel-pour-luniversite-de-strasbourg/

Et si nous sommes dans le champs universitaire, on peut aisément s'inspirer de cette vision pour construire des systèmes d'identités visuelles territoriales répondant à cette vision citoyenne non marchande.

Quelques exemples intéressants au passage...

Le logotype de la région de Brême ne conserve que la couleur rouge du blason et les carrés du drapeau mais utilise l’image du conte universellement connu, «Les musiciens de Brême». Un système de composition modulaire très simple permet d’interchanger et d’ajouter du sens et des informations. Au final c'est un logo très fonctionnel et très singulier.

 

N'hésitez pas à aller jeter un œil à leur charte graphique, c'est un bon exemple à voir : https://www.wfb-bremen.de/sixcms/media.php/49/MARKEN-MANUAL-BREMEN_08-03-16.pdf

 

L'identité visuelle de la région "Voïvodie de Podlachie" met à l'honneur la star locale, le bison polonais, à travers un mosaïque de couleur.

 

 

Dans l'exemple de l'identité visuelle de la province du Noord-Holland (ci-dessous) on peut noter une utilisation intéressante du blason historique dans un configuration contemporaine.

 

Mais dans le genre "relecture de blason historique" il faut saluer l'identité de l'état de Fribourg en Suisse.
A gauche le blason historique, et à droite la relecture en logotype sous la forme une apostrophe souriante.

 


Remerciements : Merci à Antoine Lafitte pour la fastidieuse recherche iconographique qu'il a réalisé en vue de la préparation de cet article !

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