La gauche politique, qui n'a pas su monter sur le podium des élections présidentielles 2022, vient d'annoncer qu'elle unissait ses forces en créant un nouveau nom et un nouveau logo : la Nupes, la Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale. L'union de la gauche est portée par le parti de Jean-Luc Mélenchon, La France Insoumise (déjà rebaptisé Union Populaire avant les élections présidentielles), qui rassemble sous un même signe, une même identité visuelle et un même mouvement les couleurs du Parti Socialiste, du Parti Communiste Français, et de l'Europe Écologie les Verts.
L'Union fait la paix ?
Ce logo, c'est le V de victoire utilisé pendant la Seconde Guerre mondiale, mais aussi le symbole de paix "peace and love" des opposants à la guerre du Vietnam dans les années 1960. Fait avec les doigts par tous, ou dessiné ici dans un arc-en-ciel de couleurs, ce nouveau logo se veut être un sigle qui rassemble, qui fait la paix entre toutes les gauches. Il faut dire que ce qui avait fait défaut à la gauche jusqu'à maintenant était de rassembler ses forces pour gagner. Si l'union fait la force, elle fait ici avant tout la paix.
Visuellement tout d'abord, en utilisant les couleurs de l'arc-en-ciel. On pense à la symbolique du drapeau arc-en-ciel de la fierté LGBTQI+, conçu en 1978, dont le prisme de couleurs recompose la diversité (des orientations sexuelles et du monde dans sa globalité). Appelé aussi d'ailleurs "drapeau de la paix", ce qui n'est pas anodin ici, il comportait à l'origine 8 couleurs (6 aujourd'hui, visuels du haut) qui sont utilisées ou communément comprises dans plusieurs cultures et religions depuis des siècles.
Le rose pour la sexualité, le rouge pour la vie ou la Terre nourricière, l'orange pour la fierté ou la guérison, l'intelligence ou la culture, le jaune pour le soleil, l'énergie et la force, le vert pour la nature, la production, le turquoise pour la magie et l'art, le bleu pour l'espace, la sérénité, et le violet pour l'esprit, la spiritualité. L'étendard arc-en-ciel a été décliné plus récemment en drapeaux du climat (Climate flag) en bas sur l'image ci-dessous.
Néanmoins du côté du logo de la Nupes, on ne trouve ni bleu ni turquoise : le symbole a beau vouloir rassembler, le bleu reste associé aux partis de droite, qui sont clairement exclus du groupe. Les couleurs politiques du logo de la Nupes sont le rose, couleur du parti socialiste, le vert, couleur de l'écologie, l'orangé-rouge, symbole de la lutte révolutionnaire de gauche, et le violet, couleur du centre mi rouge-mi bleu, qui s'inscrit dans cette "union populaire". Le violet est également la couleur symbolique des luttes féministes. On n’est pas passé loin des paillettes !
En plus des couleurs, le logo en lui-même propose une double lecture. NU est l'acronyme de "nouvelle union" et il se trouve qu'en grec, comme le soulignent Manon Aubry, députée européenne insoumise et l’élue locale écologiste Marine Tondelier, la lettre N -écrite N en majuscule et v en minuscule- se prononce "nu". (Ce qui doit plaire à Jean-Luc Mélenchon qui avait déjà adopté le symbole grec φ Phi pour son parti des insoumis.) D'ailleurs, on peut rappeler que du temps de l'alphabet romain aussi, le V se confondait avec le U. En tirant un peu le tout par les cheveux, on peut donc alors s'amuser à lire et prononcer doublement ce symbole comme le V de Victoire ou le U d'Union.
La mise à nu pour le climat, loin d'être écolo
Ce V, c'est aussi, donc, une mise à nu : la gauche se met "à poil pour le climat" comme l'annonce la vidéo du nouveau logo de la Nupes. En dévoilant le nouveau logo de la gauche, les présentatrices ont annoncé avec beaucoup d'excitation que ce V de victoire allait "changer la vie de millions de gens".
Et c'est là que le nouveau logo de la Nupes nous fait bien évidemment penser à un autre logo dévoilé il y a quelques mois... celui de TotalEnergies ! Assez ironiquement, le parallèle est frappant alors que les idées sont opposées. Les couleurs arc-en-ciel symbolisent le rassemblement, des énergies pour TotalEnergies, de la gauche pour la Nupes, et de la diversité pour le drapeau. Comme on le soulignait dans notre article sur les codes graphiques du post-modernisme dans les logos, le dégradé est aussi le symbole d'un "non choix" chromatique qui n'a en réalité rien d'écologique. Car lors de l'impression du logo sur supports physiques (enseignes, véhicules, bannières, etc) "cela oblige de l’imprimer toujours en quadrichromie pour obtenir le rendu multicolore" et donc au final cela donne une grosse empreinte carbone ! Reste à voir maintenant si mettre du vert dans le logo servira à voir moins rouge...
De la fureur à la paix, le symbole du V de victoire
Mélenchon n'est pas franchement connu pour être très peace. En 2012, lors de sa première campagne, il choisissait plutôt "le bruit et la fureur". Comme une colère rouge qui gronde et vient tout renverser, le poing levé pour la lutte à la manière des radicaux de gauche... Dix ans après, et après plusieurs échecs, le poing se transforme en signe de paix. Ce que ce logo dévoile, c'est surtout la pacification d'un personnage, connu pour être colérique et furieux. "Il faut que les gens associent le V à Mélenchon" déclare un cadre des Insoumis. On voit ici la manipulation symbolique qu'entraine ce nouveau logo de l'union de la gauche. En rassemblant les partis, on tente de pacifier les extrêmes, mais sans arrêter la lutte ni le combat. La Nupes le crie en effet haut et fort, c'est un "V, parce qu'on va gagner !" La victoire ne vient pas sans combat, et ici le combat serait pacifique, arc-en-ciel.
Ce V est un choix identitaire très fort, car il rassemble non seulement visuellement comme on l'a vu, mais aussi physiquement comme le ferait un branding de mouvement social en récupérant un geste ou élément et en le transformant en un étendard du peuple. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le sigle Victoire avec les doigts est lancé à la radio par Victor de Laveleye, animateur de la section belge de la BBC, en 1941 : "Il faut que tous les patriotes de Belgique aient un signe de ralliement, qu’ils multiplient ce signe autour d’eux, qu’en le voyant inscrit partout, ils sachent qu’ils sont une multitude". Tout le monde peut faire un V avec ses doigts (sauf les manchots, ça va de soi) et donc utiliser ce symbole, comme on peut enfiler un gilet jaune ou sortir peindre des lettres noires pour protester dans la rue. L'idée de ce logo, loin d'être anodine, consiste à détourner et à s'approprier ce geste hautement symbolique et faisable par tous pour lui donner un nouveau sens, celui des patriotes de l'Union de Gauche.
Visuellement sur les bulletins de vote, qui seront déclinés cette fois en monochromes de plusieurs couleurs, le V permet d'avoir un signe commun qui rassemble des individus que les électeurs ne connaissent généralement pas. Au lieu de retenir un nom, on reconnaît un sigle.
Vendre la peau de l'ours aVant de l'aVoir tué
Le coup de maître est non seulement de transformer une défaite en victoire politique, mais aussi de l'annoncer comme telle, avant même d'avoir gagné. La Nupes utilise ici une "heuristique de la stratégie du test positif", un raccourci de pensée qui vise à prouver une hypothèse (ici, la victoire de Jean-Luc) en se concentrant sur les liens positifs et pertinents qui la valident (Nouvelle Union = Nu = V en grec = Victoire) tout en éliminant ceux qui la contredisent (une défaite aux élections présidentielles ? Quelle défaite ?). Par ce biais de confirmation, on ignore tout simplement la défaite, en se tournant vers la victoire, comme si elle existait déjà ! Les élections législatives du 12 juin permettront d'y voir plus clair.