Graphéine – Agence de communication Paris Lyon

Qui est le PoPA du logo MoMA ?
Réflexions sur le branding contemporain

MoMA, qui es-tu ?

Avant de foncer bille en tête dans cette investigation logo-graphique, permettez-moi de vous faire les présentations avec l'une des plus fameuses institutions culturelles que compte la grande pomme ! Le Museum of Modern Art de New York est inauguré en 1929. Aujourd'hui le MoMa est devenu incontournable avec l’une des collections d’arts moderne et contemporain la plus importante du monde.

 

La création du MoMA est une initiative d’Abby Aldrich Rockefeller, figure socialiste et philanthrope américaine, et de deux de ses amies Lillie P. Bliss et Mary Quinn, mécènes influentes et progressistes. Les trois amies décident de créer une institution dédiée à l’art moderne afin d’y conserver des œuvres reconnues et d’en ouvrir les portes à la jeune création. Même si Abby a donné beaucoup d'énergie dans ce projet, elle n'y contribua malheureusement pas financièrement. Son mari étant très peu friand de peinture moderne, il refusa d'y consacrer une partie de sa fortune.

 

Preuve que l'histoire de cette famille reste liée à celle du MoMA, le 5 février 2019, les Rockefeller ont fait le plus grand don jamais réalisé pour un musée en léguant la somme de 200 millions de dollars au MoMA !

 

« MoMA » un logotype à la fois image et son

Deux syllabes si simples qu’elles pourraient être le premier mot prononcé par un enfant.
Un son qui s’est vite imposé comme une évidence et est devenu l’image du Museum of Modern Art de la ville de New York. Quatre lettres devenues une œuvre aussi importante que celles que le musée abrite. Une icône à la hauteur d’une ville symbole mondial de modernité grâce entres autres au fameux slogan « I <3 NY » de Milton Glaser.
Un petit « o » comme une petite bouche qui dit « MoMA! »
Un accident graphique tout simple mais qui donne tout le rythme et la dimension architecturale d’un logo MoNuMentAl. Le petit et le grand ; le rond et le carré.

Des MoMA(s) et des PoPA(s) pleins d’amour

Et pourtant, pour arriver à cette évidence il en fallu du temps, du talent et de l’amour. Des parents attentionnés qui années après années se sont succédés pour élever l’enfant et faire de cette création le parangon de l’identité visuelle d’un musée d’art moderne, maintes fois imité mais jamais égalé.

 

Une Génèse mystérieuse

Ils se nomment Morris Fuller Benton, Ivan Chermayeff & Tom Geismar, Matthew Carter, Bruce Mau, Paula Scher, Ben Parker & Paul Austin. La liste est longue et peut être incomplète ! Tous ont contribué à son éducation. Les meilleurs designers se sont succédés pour sculpter et lustrer quatre lettres qui font désormais partie du patrimoine culturel et graphique mondial. Chacun a apporté sa pierre à l’édifice. Tous ont respecté son caractère bien trempé donné à la naissance.
Mais, qui est à l’origine de cet accident graphique - ce petit « o » - si simple et si génial et qui donne tout le sel de ce graphisme mémorable ?

 

MoMA est né américain et il aurait pu s’appeler Franklin

À l’origine donc fut un choix typo qui restera la matrice du logotype pendant plus de 50 ans. Le Franklin Gothic N°2 de Morris Fuller Benton. Avec la lisibilité et la simplification des formes comme ligne de mire, le Franklin Gothic est le caractère américain qui imposera l’utilisation des linéales sans serif comme l’image de la nouvelle modernité typographique. Le Franklin Gothic se distingue des autres caractères sans empattement de son époque par le dessin en "double boucle" traditionnellement associé aux typographies à empattements du "a" et du "g" bas de casse.

 

1964, premier pas dans une simplicité accessible et joyeuse

Essayons de comprendre pourquoi cette identité est une réussite depuis 1964. Le choix de l’acronyme pour raccourcir le nom a permis de créer un rapport affectif très fort entre l’institution et son public. Ce diminutif donne une image beaucoup plus accessible. Les syllabes [Mo] et [MA] évoquent la possession et le personnel. « Me », « Mine », le « Mon » « Ma » et « Moi » qui permet de faire descendre l’institution de son échelle pour que chacun puisse la faire à soi. C’est mon MoMA.
Le nom devient à la fois mémorable, il se charge émotionnellement pour le public, tout en communiquant l’idée d’une démocratisation de l’accès à la culture.
Le minimalisme de ce parti pris graphique réussit à donner à voir de la modestie, autant que cette simplicité trouve ces sources dans l'art abstrait, le suprématisme, le Bauhaus, autrement dit l’art moderne.

 

Il me semble que cette volonté d’accessibilité - sans tomber dans la niaiserie et le « popu » - aux publics les moins éduqués se trouve dans la réponse initiale de Ivan Chermayeff en 1964. L’utilisation de la couleur rouge orangé pour le lettrage Franklin Gothic N°2 appuie cette intention en apportant une touche de couleur chaleureuse.

Note pour plus tard : il faudra se demander si le succès de ce geste graphique, son passage au rang d’œuvre culte du design graphique mondiale, et la dévotion qui en suit - accentuation du minimalisme par un passage en noir et blanc du logotype et accentuations successives de la "géométrisation" des lettres - n’est pas un contresens par rapport à la mission d’ouverture du musée.
Cette disparition de la couleur qui cède entièrement la place à la seule forme du "glyphe" (en tant que signe isolé d'un système d'écriture) semble être l'évolution naturelle des signes graphiques les plus célèbres au monde. L'évolution des logotypes de Apple et Nike en sont de parfaits exemples, comme peut l'être aussi la croix du christianisme.

Là où cela devient vraiment intéressant, c’est que contrairement à l’idée reçue, le logo tel que nous le connaissons aujourd’hui, c’est à dire dans sa version « MoMA » avec le petit « o », n’est pas l’œuvre de Ivan Chermayeff, comme sa parenté graphique avec le fameux logo Mobil (lettrage en linéale géométrique, M capital et O minuscule) aurait pu le laisser penser.
Et vous n’êtes pas au bout de vos surprises puisque cette trouvaille graphique, cette astuce qui fait toute la différence, n’est en réalité pas l’œuvre d’un designer !

 

1966 - 1980 : Le client, ce deus ex machina de génie !

Car oui, twist incroyable découvert lors de la rédaction de cet article, ce logo culte est en réalité une co-création du studio Geismar-Chermayeff qui désigne l’acronyme « MOMA » entièrement en CAPS et composé en Franklin Gothic n°2 en 1964, et de l’autre de l’administration du musée qui à l’idée géniale d’y imposer un « o » minuscule !
Stephen F. Eskilson, auteur et professeur d’histoire de l’art, nous révèle cette anecdote incroyable dans son ouvrage « Graphic design, A new history ». Selon Stephen le « o » minuscule apparait dans les années 80 et est plébiscité par l’administration interne du musée car il permet de donner plus de personnalité à l’acronyme et le transforme par la même occasion en nom. Autre atout de taille, il permet aux personnes ne parlant pas anglais de pouvoir plus facilement prononcer le nom. Si cette version du logo apparait officiellement dans les années 80, l’idée elle est finalement encore plus ancienne - deuxième twist découvert par la lecture d’un article du New York Times du 21 septembre 2003 - puisqu’elle revient à Alfred H. Barr, directeur du musée en 1966, alors en vacances d’été à Greensboro. Sa lubie estivale donnera d’ailleurs des cauchemars à ses collègues qui ne pourront supporter ce bégaiement visuel.

Une marque gagne de la valeur avec le temps.
Après presque deux décennies d’usage interne, le logo MoMA apparait enfin sur des supports de communication à destination du public. La légende du logotype MoMA était née !
Et par la même occasion c'est tout le mythe du client qui n'aurait que des mauvaises idées sur le design et qui saccagerait les belles créations des graphistes, qui vole en éclat ;)

 

2002 : Le MoMA assume sa voix

Au début des années 2000, le MoMA cherche à affirmer son image. Le Musée se sent limité dans ses possibilités d’expression graphique. Lassé de sa propre identité, il demande au studio Canadien Bruce Mau d’explorer des alternatives typographiques pour créer un nouveau système de signalétique. Après plusieurs tentatives infructueuses, le studio réalise que le Franklin Gothic est la voix silencieuse parfaite pour le MoMA. À la fois adapté pour être visible dans le contexte urbain, sa simplicité est aussi adéquate pour ne pas parasiter la contemplation des œuvres. Plutôt que de diluer son image dans une multitudes de choix typos, le MoMA devient full Franklin Gothic. Ce choix de capitaliser sur l’existant, de faire perdurer ce graphisme dans le temps… c'est la condition sine qua non pour espérer un jour devenir culte.
Selon Wikipédia, le substantif français « modernité » est entré dans l'usage à partir du deuxième tiers du XIXe siècle. Il est une évolution du latin médiéval modernitas, issu de l'adjectif latin modernus, lui-même dérivé du radical latin modus (« mesure », « limite », « manière », « mode »). En histoire, la modernité est associée avec l'époque moderne qui débute en 1453 à la chute de Constantinople, ou en 1492, à la découverte de l'Amérique par Christophe Collomb». Pour résumer, la Modernité, c’est donc un peu de Mode …et beaucoup d’Éternité !

 

 

Mais, Bruce Mau remarqua que le Franklin Gothic que le musée utilisait ne lui semblait pas vraiment être du Franklin. Quelque part dans son évolution, de la version originale de Benton vers sa version numérique, il avait perdu son esprit, devenant une version numérique hybride sans âme.
Et c'est à ce moment que le dessinateur de caractères Matthew Carter entre en scène !

 


Le MoMA montre alors ses premiers signes de coquetterie et s’offre un lifting sous l’œil expert du typographe Matthew Carter.
Selon Matthew Carter, lifter le Franklin Gothic était comme demander à un architecte de concevoir une réplique exacte d'un bâtiment. Mais, c'est un travail qu'il fut heureux de faire. Il envisagea l’opportunité d'étudier en profondeur ces lettres et de les saisir aussi fidèlement que possible comme une sorte d'éducation.
Le résultat de ce travail d’orfèvre est la création du caractère MoMA Gothic. Il se décline en deux versions, l’une pour la signalétique et l’autre pour la composition des textes courants.

 

2004, le minimalisme chic Upperclass

Au début des années 2000, l’objectif de l’équipe de Paula Scher est d’apporter de la cohérence dans la charte graphique du MoMA et accessoirement de rendre visible un logotype qui jusqu’à présent a tendance à se faire timide sur les affiches d’expositions. Quant au reste, aucune raison de remettre en cause le dessin du logotype que Pentagram considère comme un classique intouchable.
La solution de Paula Scher tient dans le dessin d’une grille de composition (sûrement griffonnée dans un taxi, lieu de prédilection de son inspiration) qui ventile parfaitement chaque information et dans laquelle le logotype MoMA se retrouve basculé à la verticale dans la marge. Ce principe visuel inattendu et inédit pour le musée, apportera une force signalétique d’une efficacité redoutable; qualité indispensable pour exister dans le paysage urbain new-yorkais. Cette tournure graphique apportée par Pentagram sera sans aucun doute une étape déterminante dans la construction de la notoriété mondiale de cette identité visuelle.

 

 

Le Paradoxe du « good design »

Le MoMA n'est pas un espace public. Mais étant donné que l'on ne peut que souhaiter qu'un musée d'art contemporain soit destiné au plus grand nombre, il me vient en tête ces propos tenus par Paula Scher à propos du design de l’espace public, et plus précisément du logotype de Highline Park, lors de sa conférence à l’ATypI en 2017 :
"D’une certaine façon, le bon design, les choses qui sont bien pensées sont codifiées pour les gens riches, et les pauvres pensent qu'ils n'ont pas leur place là-bas, et ils ne pensent pas que le design est pour eux. Et je ne sais pas comment surmonter ça (…)".
Le logo du MoMA réussit cette pirouette d'équilibriste de faire la synthèse entre le minimalisme chic qui ravit les designers, sans pour autant sacrifier en capital sympathie grâce à un nom qui provoque une affection spontanée qui séduit un large public. Hasard ou génie, cette acronyme à la consonance rassurante et accueillante accentue inconsciemment l'association du musée à une figure maternelle.
Qu'est-ce qu'un design "accessible" ? Le sujet est passionnant donc je vous partage le lien vers la vidéo complète de cette intervention :

 

- Ouverture d'une grosse parenthèse -
En ce qui concerne le cas du logotype de Highline Park, je ne pense pas que le problème soit que son design soit "trop bon" pour le public. Personnellement, et même si on peut trouver de la condescendance dans la réflexion de Paula Scher, je trouve ce questionnement légitime et intéressant. Cependant je ne crois pas au "design tout puissant". Il y a des mécanismes bien plus puissants que cela. La première raison n'a rien à voir avec le design, mais est plutôt à mettre en relation avec la gentrification du quartier qui chasse progressivement les classes les plus modestes vers la périphérie.
La deuxième raison est peut-être effectivement graphique, et peut résider dans ce que le symbole très minimaliste évoque inconsciemment. Highline park est une coulée verte construite sur une ancienne ligne de chemin de fer suspendue dans l'arrondissement de Manhattan. Le logo dessiné par Paula Scher est une lettre "H" dont la double ligne horizontale évoque aussi un morceau de ligne de chemin de fer. Cependant, il n'est pas exclu que d'autres connotations visuelles puissent parasiter cette idée très astucieuse, mais austère. Warning ! Cette hypothèse est surement très fumeuse et un brin provocatrice, cependant je ne peux résister à l'envie de vous la partager (car il faut parfois savoir faire confiance à son intuition !) :

- Fermeture de la grosse parenthèse -

 

2019, MoMA gothic devient MoMA sans

La Généalogie typographique commencée avec le Franklin Gothic de Morris Fuller Benton en 1902 se poursuit donc aujourd’hui par la création du caractère MoMA sans par le studio londonien Made Thought.
"Essentially, my pitch in one sentence to MoMA was basically the evolution from Akzidenz-Grotesk to Neue Haas Grotesk. I wanted to do that but with Franklin Gothic as the starting point. And then some just kind-of smoothing it out, a little bit bigger x-height, cleaner lines, a little bit warmer, less old looking. That was essentially the brief. And they found that very interesting. Matthew also said that that sounded like a good place to start, something like that. He was very gracious about his typeface being replaced, which was not of course guaranteed."
[Ma présentation en une phrase au MoMA était essentiellement l'évolution d'Akzidenz-Grotesk au Neue Haas Grotesk. Je voulais le faire, mais avec Franklin Gothic comme point de départ. Un peu de lissage, un peu plus grand, des lignes plus nettes, un peu plus chaudes, un peu moins vieilles. C'était l'essentiel du brief. Et ils ont trouvé cela très intéressant. Matthew a aussi dit que c'était un bon point de départ.]

Pour les anglophones, je vous conseille la lecture de cette passionnante interview de Christian Schwartz, dessinateur de la famille typographique MoMA sans, par le site Type.today : type.today/en/journal/moma_sans

Le minimalisme bascule dans l’esthétique "blanding"

Avec le rebranding opéré par le studio Made Thought, nous assistons à une nouvelle marque "MoMA" qui réalise la fusion des codes du luxe, de l’art contemporain et du streetwear. La communication du musée devient identique à celle d'un centre commercial.
Éloge de la marque, le MoMA est devenu une maison de haute couture où se succèdent les stylistes DA à sa tête. Ou alors, le MoMA est un « store ». L’accès à la découverte de l’art moderne semble être devenu un prétexte pour vendre des goodies sur lesquels le sigle MoMA assure une hype certaine. Sacs, sweaters, à quand les baskets ? À avoir été moderne avant tout le monde, le MoMA est désormais rattrapé par l'esthétique du "Blanding" (néologisme anglais créé à partir du mot "bland" qui signifie "fade" en français, et du mot "branding"), antithèse du branding qui loin de prôner la distinction d'une marque parmi d'autres, encourage une esthétique du mimétisme.

La fièvre du branding a gagné l’institution, et le logo, plus que jamais au centre de la stratégie de communication, fait penser aux derniers choix marketing opérés par BURBERRY et CELINE ou SUPREME. L’objectif est le même : toucher une population jeune, urbaine et mondialisée qui s’abreuve aux flux Instagram prescripteurs des stars et des marques. Le MoMA est un logo culte et son aura rend très tentant sa transformation en motif vidé de sa substance, et destiné à vendre du cool. Virgil Abloh et Hedi Slimane, les DA stars d’aujourd’hui en apôtres du #Blanding. Le logo est devenu culturellement plus important que les œuvres qui se trouvent dans le musée.
Nous vivons dans l'ère du tourisme culturel de masse, tel que prophétisé par Andy Warhol qui nota en 1975 la phrase suivante dans son journal : "Un jour, tous les grands magasins deviendront des musées et tous les musées deviendront des grands magasins."

 

Le pitch de rebranding non retenu du studio Hort

 

La proposition rejetée du studio berlinois Hort est d’ailleurs symptomatique de ce phénomène. Habitué à faire le grand écart entre création d’identités visuelles pour des institutions culturelles et des marques internationales comme Nike. Le studio a développé un style graphique qui fait la part belle à l’expérimentation typographique dans une esthétique faussement amateuriste. Glitch, déformation des proportions, jeu sur la lisibilité. La lettre est centrale, expressive et monumentale. La réponse du studio Hort était d'ailleurs très proche du système réalisé par Made Thought.
Le caractère custom MoMA international proposé par Hort est lui aussi une évolution du caractère Grotesk original, avec un dessin moins contrasté et plus géométrique. Ce parti pris abouti à une esthétique de la neutralité très similaire à la signalétique du métro new-yorkais composé en Helvetica et réalisé en 1966 par Massimo Vignelli.
En ce sens, il semble y avoir un consensus de ces studios sur le fait que le style international suisse serait le visage de la modernité.

 

 

Le Zeitgeist du "lifestyle" occidental c'est un savant mix de street culture, pour le côté rebelle et alternatif, et de codes issus de design et de l’art contemporain pour la bonne éducation. La recette idéale pour flatter une cible aisée et instruite qui saura décrypter les références de cette esthétique, et une dimension suffisamment « urbaine » et « sauvage » pour plaire aux banlieusards les plus socialement modestes.

La “collab”, stratégie du succès pour les marques... et pour les musées

Le même échange de bons procédés qui rapproche Beyonce Jay-Z et le Louvre, Suprême et Vuitton, Kayne West et Murakami, Virgil Abloh et IKEA. Ce mélange des genres nous force à repenser notre manière d’aborder le design graphique. Existe-t-il encore un graphisme spécifique au monde de la culture comme il en existait pour le luxe ou encore un autre pour celui du rap ?
C’est le concept de street-luxury théorisé par Virgil Abloh, jeune architecte né en 1980 et à la carrière fulgurante, est devenu le designer que toutes les marques s’arrachent. La nouvelle charte graphique du MoMA s’engouffre dans cette tendance « bourgeoisie cool » avec l’utilisation de larges Marie-Louise (comme la nouvelle identité visuelle de la ville de Paris) encadrant indifféremment des visuels représentants des œuvres d’art modernes ou des mises en scène de mannequins façon lifestyle, toutes droit sorties d’un magazine de mode.
En 2019, être moderne c’est avant tout savoir mixer les codes.

 

Quand un musée rencontre une chaussette, ou le Branding à la sauce Millennials

Aujourd'hui, faire de banals t-shirts blancs simplement flanqués avec un logo est la technique la plus efficace pour toucher l’attention d’une population plus large et variée. C'est avec cette idée marketing toute bête que Virgil Abloh est vite devenu l'un des directeurs artistiques les plus prisés de la planète.
Cette intuition d’une connexion inévitable entre Abloh et le MoMA est soudainement validée au détour d’une recherche sur internet lorsque je découvre une chaussette marquée du logo MoMA, produit d’une collaboration en janvier 2018 entre le MoMA, Nike et la marque Offwhite de Abloh créé dans le cadre de l’exposition « Items: Is Fashion Modern? ».

 

Une marque qui mixe ingénieusement le design, la mode et la culture urbaine, voilà l’image du MoMA version 2019. Cette vision de l’image est aussi partagée – comme écrit plus haut, par Virgil Abloh, qui fonde son travail sur le dialogue artistique avec d’autres marques, mais aussi d’autres univers que la mode. C’est pourquoi, lorsque Paola Antonelli, commissaire au MoMA, commandite «Items: Is Fashion Modern?», une exposition qui explore 111 vêtements et accessoires qui ont eu un fort impact sur le monde aux 20e et 21e siècles, elle voit en Abloh le parfait ambassadeur. De là est apparue une collaboration entre le MoMA, Abloh et Nike, d’où naissent 1 paire de sneakers et 1 paire de chaussette affublées du logo MoMA.
La culture cède t-elle à la facilité du merchandising, ou bien profite-t-elle des marques de mode pour toucher un jeune public, comme le fait l’univers du luxe avec le streetwear ?
Car la marque, c’est un passeport de revendication culturelle comme le dit Jeff Staple, streetwear designer et fondateur de Staple Design : «Wearing the brand is like a badge of honor » [Porter la marque, c’est comme un insigne d’honneur]. Elle permet à celui qui la porte d’affirmer fièrement «je suis de cette catégorie» et dans le cas de la collaboration Abloh x MoMA, «je comprends ce que je porte».

 

«LOGO» ®

Par le choix de l’identité réalisée par le studio MADE THOUGHT, comme par la collaboration avec Abloh et Nike, le MoMA affiche clairement son ambition : être la marque suprême des musées. C’est un moyen des plus efficaces pour séduire et attirer une jeune génération qui place au centre de toutes leurs attentions les marques, quelles qu’elles soient.
Cependant, à vouloir brander une institution, à vouloir se démarquer, à vouloir brouiller les pistes entre culture, luxe et mode urbaine, le MoMA ne s’éloigne-t-il pas de sa mission principale ? D’être une institution culturelle reconnaissable comme telle, qui doit être suffisamment ouverte pour n’exclure personne. Une question qui s’applique à de nombreuses institutions culturelles et qui pourrait donner lieu à un débat très complexe, passionnant mais aussi bien trop long pour cet article.
Une chose est sûre, il ne viendrait maintenant à l’idée de personne de changer cet acronyme MoMA tant il est iconique et compris de tous. Alors, réjouissons-nous que des générations de designers chérissent et bichonnent cet acronyme pendant encore de longues années !

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