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Paul Rand, tout est design !

Dans la série d'articles des Grands noms du design graphique, voici le portrait de Paul Rand. De passage à New York pour la Brand New Conference en 2015, nous en avions profité pour faire un saut à l'exposition consacrée à son travail, et redécouvrir de visu l'œuvre du designer qui changera la face des États-Unis, et dont l'influence se fait sentir encore aujourd'hui, à commencer par nous-même chez Graphéine. On aime Paul Rand. On espère que vous allez l'aimer aussi !


Photo by Sally Andersen-Bruce for Champion International. 

Tout est design !

Né Peretz Rosenbaum en 1914 et mort en 1996, Paul Rand est une légende du design graphique. Tout au long de soixante ans de carrière, il transforme le regard des américains sur la communication visuelle. À travers ses conceptions éditoriales, ses publicités, et son travail d’identité visuelle, Rand introduit les idées avant-gardistes européennes en Amérique, mélangeant arts plastiques et design commercial. Ses juxtapositions colorées, son approche de la typographie et son utilisation des supports caractérisent son souhait de « rendre l’ordinaire inhabituel » (defamiliarize the ordinary), et sont devenues des influences si importantes qu’elles ont encore aujourd’hui un impact dans l’univers du design graphique.

Rand se révèle d’abord dans les années 1930 par un style audacieux et moderniste, en réalisant le design de couvertures de magazines ou de livres de poches quelques années plus tard. Il fait souffler un vent moderne sur Madison Avenue en créant des publicités inspirées notamment de la célèbre école allemande du Bauhaus, ou de mouvements comme De Stijl ou le constructivisme russe. Rand est convaincu que le pouvoir du design graphique tient dans sa capacité à être un langage universel, qui passe par la simplicité et la géométrie de ses formes. Il le soulignera ainsi : "on se rend vite compte que la simplicité et la géométrie sont le langage de l'intemporalité et de l'universalité".

Après la guerre, dès 1955, il se distingue par des identités graphiques progressistes qui profitent aux entreprises. En tant que directeur artistique, il aide à révolutionner le domaine publicitaire en accentuant l’importance du graphisme et du visuel face à la rédaction. Il produit des logos pour de grandes entreprises telles que IBM, ABC, UPS, ou encore la NeXT de Steve Jobs, encore légendaires et presque inchangés aujourd’hui (mis à part UPS).

En créant des identités visuelles globales, Paul Rand transforme le domaine de la communication d’entreprise en Amérique du Nord. Selon son collègue Lou Danziger, il aurait convaincu les entreprises, presque à lui seul, que le design peut être un outil commercial performant. À la fois auteur, professeur et designer, Rand a confirmé l'idée qu’un bon design est rentable (good design is good business) comme l'a dit Thomas J. Watson Jr., directeur général d'IBM. Paul Rand invite ses clients, étudiants, et nous mêmes à regarder le monde d’un œil neuf, en proclamant : « tout est design ! »

Poète et homme d’affaires

Né de parents Juifs orthodoxes à Brooklyn, Paul Rand se fait déjà la main à 3 ans en recopiant des publicités dans la boutique de ses parents. Enfin pas exactement, car la religion Juive jette un regard réprobateur sur la représentation figurative. C'est sûrement là que débute son attrait pour l'abstraction. En 1934, après avoir pris des cours à la New York’s Pratt Institute et la Art Students League, Rand lance sa carrière en réalisant des illustrations pour un syndicat qui les revend à des journaux et des magazines comme supports de publicités et d’articles. L’année suivante, désirant plus de contrôle sur son travail, Rand se lance en solo en proposant des mises en page et des publicités pour un petit panel de clients. Il a 21 ans.
Durant cette période, soucieux du fait que son identité juive puisse entraver sa progression dans le monde professionnel, en particulier celui de la pub, il change son nom de Peretz Rosenbaum à Paul Rand – nom devenu iconique depuis, signe avant-coureur de son génie dans le domaine de la création d'identité.

Dans ses couvertures de magazines, dès la fin des années 1930, Rand adopte le modernisme européen, ainsi que l’esprit et le fonctionnalisme américains dans son style graphique. Sa signature distinctive obtient les éloges de László Moholy-Nagy, un maître du Bauhaus et l’un des designers modernistes les plus célèbres en Europe, récemment immigré à Chicago. « Parmi tous ces jeunes Américains, écrit-il, il semble que Paul Rand soit l’un des meilleurs et des plus compétents. C’est un idéaliste et un réaliste, qui utilise le langage du poète et de l’homme d’affaires. » Le travail de Rand apparaissait régulièrement dans la vie quotidienne des américains, on lui doit des affiches publicitaires et des logos pour des marques de consommation, du maquillage à l'alcool.

Source : site officiel de Paul Rand et photos personnelles de l'exposition

L'homme moderne américain

L’art de Rand atteint pourtant sa pleine maturité dans les années 1950, coïncidant avec un dynamisme dans la scène artistique New Yorkaise, inspiré par l'art abstrait Européen. En effet, le modernisme européen — appuyant l’abstraction, l’asymétrie, et une dynamique de composition typographique et picturale —attire beaucoup l’attention depuis la seconde guerre mondiale, car de nombreux artistes ont quitté l’Allemagne Nazie pour l’Amérique. Rand accueille ces nouvelles tendances à bras ouverts, ayant déjà été touché par le design moderne allemand et britannique dans son adolescence. Ses inspirations proviennent de Cassandre, Miró, Klee, ou Léger. Il dira "c'est l'intégrité, l'honnêteté, l'absence de sentimentalité et l'absence de nostalgie, c'est la simplicité, la clarté. Voilà ce que le modernisme veut dire selon moi..." Ses couvertures de livre ou posters s'inspirent alors largement de ce modernisme.

Source : site officiel de Paul Rand

Il faut dire qu'à l'époque, en pleine guerre froide, les artistes abstraits (comme Pollock) sont mis sur le devant de la scène par le gouvernement Américain grâce au Congress for Cultural Freedom (congrès pour la liberté culturelle), une organisation de propagande. Contrastant avec le figuratif de l'art communiste, l'ennemi juré, l'art abstrait est encensé par des grosses fortunes et institutions comme le MoMA, Rockefeller, ou IBM. Parce que c'est nouveau et grisant, ou simplement pour éviter les foudres du gouvernement qui mettait sur liste rouge les "sorcières communistes" ou quiconque avait des idées sympathisantes, les artistes se lancent dans cet art qui garantit aussi une immunité politique.

Paul Rand est l'un des seuls de ses contemporains à être à la fois moderniste et américain. Les autres sont souvent réfugiés et peuvent à tout moment être accusés d'être des rouges. Rand est alors en très bonne position pour faire sensation.

Rand et Eye-Bee-M

De 1956 à 1991, Paul Rand signe la charte graphique de l'un des plus gros chantiers de design d'entreprise dans l’histoire nord américaine : IBM (International Business Machines Corporation). C'est le tout début des identités graphiques en entreprise. Avant, tout support visuel était véhiculé par la publicité, mais les entreprises comprennent vite que pour survivre dans cette jungle d'images il faut savoir se distinguer, et pas seulement dans les réclames. Il faut surtout se démarquer des communistes ; présenter une image moderne et innovante est une solution toute indiquée !

La mission de refonte d'IBM — soutenue par Thomas Watson Jr., le fils du fondateur de la société — transforme visuellement chaque aspect de l’entreprise, des machines à écrire électriques aux ordinateurs, en passant par la publicité et l’architecture. L’objectif est de casser avec une image conservatrice et de regarder vers l’avenir, pour illustrer le regain de croissance d’IBM. C'est parfaitement nouveau à l'époque. Watson fait appel à Eliot Noyes, un ancien collègue et architecte qui a entre autres travaillé sur la conception graphique du MoMa, qui met sur pied une équipe composée de Paul Rand (pour le graphisme), Eero Saarinen (architecture) et Charles et Ray Eames (scénographie, publications, vidéos).

La nouvelle identité d'IBM sera ainsi conçue comme une oeuvre d'art globale, mouvante, immédiatement reconnaissable et au service d'un message fort. Le design y est le principal moteur. Comme Charles Eames le souligne, "le design est le moyen d'arranger au mieux des éléments pour atteindre un objectif particulier".

Rand conçoit un logo moderne aux couleurs lumineuses qui prendra vie sur la papeterie, dans les brochures, les emballages et les bâtiments. C’est une rupture importante avec le graphisme qu’IBM arborait depuis ses origines, post première guerre mondiale, et les incohérences répétées de leurs campagnes de communication. Paul Rand unifie l’identité visuelle d’IBM, en l’aidant à se faire reconnaître auprès du public comme une grande puissance à la pointe de la technologie (et tout sauf communiste, donc, cela va de soi).
Mis au goût du jour en 2017, nous avons consacré un article au sujet du logo d'IBM et de ses évolutions que nous vous invitons à découvrir.

Source : site officiel de Paul Rand et photo personnelles de l'exposition.

Les entreprises américaines prennent leurs marques

IBM est la première entreprise d’une longue liste pour lesquelles il conçoit l’identité de marque et la totalité des campagnes de communication visuelle. Alors qu’il ne s’agit que d’une fraction de son travail, ses réalisations pour ABC, UPS, Westinghouse, Cummins ou Enron deviennent visibles et omniprésentes aux États-Unis et à l’étranger. Elles sont le symbole d’une culture mondiale d’après-guerre couronnant le succès politique militaire et commercial des Etats-Unis. On peut retrouver tout son travail sur son site.


Source : site officiel de Paul Rand

Rand, un point c'est tout

Les multiples rendus de Rand illustrent la polyvalence de ses logos sur diverses plateformes, de la publicité au packaging, en passant par la papeterie et la signalétique. Lorsqu’il présentait son idée créative, Rand ne proposait qu’un seul concept aux clients dans des brochures conçues et écrites par ses soins. Il le développait bien au-delà de la demande, pour pointer la qualité et le potentiel du design proposé, et anticiper toute demande du client. Par souci de contrôle, Paul Rand pouvait parfois aller jusqu’à négocier une moindre rémunération, afin d’être sûr de rester maître de son travail. Intransigeant sur LA solution qu'il offrait sur papier, il était épaulé par Noyes qui arrondissait les angles à l'oral, et finissait de persuader les patrons retissants. Le logo rébus eye-bee-M réalisé en interne a d'ailleurs d'abord été interdit, avant de devenir l'icône que l'on connaît aujourd'hui.

Pour certaines entreprises, Rand continuait de surveiller l’évolution de ses créations pendant plusieurs décennies, pour les ajuster aux changements et aux tendances.

Sa ténacité a permis au monde du design graphique de gagner en crédibilité : Rand proposait un langage abstrait et universel destiné à porter l'entreprise dans sa croissance, redorer une mauvaise image, ou éloigner les détracteurs anti-communistes. Mais beaucoup des dirigeants auxquels il s'adressait ne voyaient pas toujours cela d'un bon oeil, ou pensaient qu'un nouveau logo suffirait seul à faire changer l'opinion. Comme il le souligne alors, « la marque de fabrique, c’est le graphiste qui la crée, mais c’est l’entreprise qui la fait ». Une bonne image de marque ne tient pas seule, l'habit ne fait pas le moine... ! Véronique Vienne l'explique : "Pour tenir tête à ces dirigeants autoritaires, il n’avait dans sa sacoche qu’une seule pierre : la certitude que les principes graphiques qu’il appliquait étaient les bons, que le langage visuel était universel, que la rigueur n’excluait pas la poésie, que simplicité ne voulait pas dire nudité, que liberté n’était pas synonyme d’anarchie, et que l’abstraction était un formidable moyen de communication." Têtu, mais à raison.

NeXT, au suivant !

En 1986 il travaille par exemple pour Steve Jobs qui lui commande une identité visuelle pour son entreprise d’informatique, pour la coquette somme de 100 000$. Puisque le designer a une méthodologie bien spécifique, il propose à Jobs un dossier de cent pages qui décrit le processus créatif étape par étape au lecteur, jusqu’à la proposition (unique) finale. Rendre son argumentaire par écrit au client fait partie du procédé habituel de Rand, qui évite toute présentation orale.

On voit l'excitation de Jobs et de son équipe dans cette vidéo, filmée le jour de la présentation de l'identité. Jobs explique que la mission de Rand était de trouver un moyen d'associer le nom de la marque à un logo sigle, pour éviter d'avoir à dépenser plus tard une fortune pour associer un nom et un sigle. Il voulait, comme pour apple, que les deux tiennent en un seul.

Dans son guide explicatif à destination du client, Paul Rand explique l’origine du choix qui a modifié Next en NeXT : la proximité du mot avec « Exit ». En incluant un « e » en bas de casse, qui avoisine des caractères en majuscules, le mot gagne un rythme nouveau et demande une autre forme de concentration du lecteur, qui lit alors le mot tel qu’il est vraiment écrit. À noter qu’aujourd’hui encore, on écrit NeXT dans du texte courant, comme s’il s’agissait s’un acronyme : le concept de Rand a dépassé le graphisme.

 

Lorsque Steve Jobs est interviewé pour décrire comment c’était de travailler avec Rand, il répond : « Je lui ai demandé s’il pouvait nous proposer plusieurs options, et il m’a répondu « Non, je trouverai une solution à votre problème pour vous et vous me paierez. Vous n’êtes pas obligé d’utiliser cette solution. Si vous voulez d’autres options, allez voir d’autres designers. » « I asked him if he would come up with a few options, and he said, ‘No, I will solve your problem for you and you will pay me. You don’t have to use the solution. If you want options go talk to other people. »

Steve Jobs parle de Paul Rand comme étant "une personne extrêmement réfléchie qui essaye d'exprimer ses principes dans chaque chose de sa vie. Et les gens comme lui sont rares. Paul est le mélange intéressant d'un véritable artiste et de quelqu'un d'extrêmement ingénieux pour résoudre des problèmes lié aux entreprises. Il est beaucoup plus facile de considérer ce genre de personne comme un artiste mais je vois plutôt Paul comme un spécialiste en résolution de problèmes, et c'est le mélange de ce côté artistique et pratique à la fois qui est unique." Il qualifie son travail "de merveilleusement émotionnel en surface, mais pourtant très intellectuel lorsqu'on s'y penche un peu plus".

 

Source : site officiel de Paul Rand

Pour la petite histoire, le cube du logo était d’abord posé droit sur le plan, sans axe oblique. Dans son dossier, Rand avait ajouté ce qui s’apparenterait aujourd’hui à un mock-up d’enveloppe, avec un autocollant du logo mis de biais. Pendant l’impression du rapport, quelqu’un lui demanda « Pourquoi ne les fais-tu pas tous comme celui de l’enveloppe ? ». Cette simple modification est l’élément clef qui acheva de convaincre Steve Jobs, tellement admiratif du travail de Rand qu’il réimprima le dossier pour le diffuser.

 

Une signature sans égal

Paul Rand a réussi l'exploit de changer le paysage commercial des États-Unis grâce à son travail, et d'être un acteur phare de cette transition économique. C'est encore aujourd'hui l’un des seuls designers a avoir signé toutes ses conceptions, affiches ou couvertures de magazine, et ce dès 1936. Un moyen de les élever au rang d'oeuvres et d'afficher son autorité artistique et sa prise de décision créative face au client. Une sacré audace, on aimerait pouvoir en faire de même aujourd'hui !
Rand était sans conteste un avant-gardiste, à la fois dans son style et dans sa vision. En changeant le regard des autres sur ce qu’est le design, c’est toute l’histoire du design qu’il a bousculée. Mais nul ne devrait espérer atteindre ce niveau en prenant inspiration directement dans son travail, car selon son ami et collègue Louis Danziger, designer graphique : « Si vous voulez être aussi bon que Rand, ne regardez pas ce qu’il fait, regardez ce qu’il regarde. »

Je signais mon travail pour me promouvoir, tout simplement.

Pour aller plus loin et vous inspirer au quotidien, voici un pdf avec des citations de Mr Rand.


Photo by Sally Andersen-Bruce for Champion International. 

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