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En Inde, les logos politiques sont d’une banalité très originale

L'inde est la plus grande démocratie sur Terre avec ses 814 millions de votants (sur 1,2 milliards d'habitants). Parmi eux, 1/4 sont totalement illettrés et un autre quart ne lit pas suffisamment bien. Alors, quand vient le temps des élections, il faut trouver des astuces pour rassembler les électeurs sous un logo politique pertinent. Deux questions font surface : comment s'assurer que les gens qui ne savent pas lire élisent le "bon" parti politique, et, comment éviter la fraude ? L'Inde a trouvé deux solutions uniques en leur genre, et ô combien originales.

Les logos des partis politiques en Inde sont d'une banalité...

Si vous étiez indien, vous iriez probablement voter non pas pour un logo politique rutilant aux couleurs d'un candidat un brin mélomane, mais pour le parti du vélo, du bus scolaire ou de la fleur de lotus. À moins que vous ne préfèreriez celui du sac à main, de l'éléphant ou de l'harmonium ? Ces drôles de symboles sont loin d'être une blague et sont utilisés pour représenter les partis politiques, depuis l'indépendance de l'Inde et les premières élections en 1951.

Comment sont créés les logos politiques en Inde ?

On doit ces dessins à M.S. Sethi, designer industriel embauché par le commité de vote en 1950, et qui a dessiné ces symboles politiques à la main pendant 40 ans. D'où leur look retro, comme tirés de livres de lecture pour enfants. On trouve ainsi par exemple la pompe à essence, le chapeau, la poêle, la bombonne de gaz, la ceinture, le collier de diamants, le piment ou encore le coupe-ongles. On peut retrouver la liste des symboles utilisés sur cette page wikipedia.

 


Quelques dessins proposés en guise de logos de partis politiques en Inde

Plus que de simples dessins, les logos des partis politiques indiens sont le témoignage de l'évolution du quotidien de la nation au fil des ans, vers de plus en plus de modernité. Les premiers symboles illustraient une Inde rurale : la charrue, le bœuf. Dans les années 60, on a vu apparaître le tracteur, le pylône électrique... Pour les élections de 2019, le chargeur de portable, la souris d'ordinateur et la clef USB ont été rajoutés au catalogue. On retrouve aussi un réchaud à gaz, ou un climatiseur.

Pour parler au plus grand nombre, ces symboles-logos doivent être simples, sans connotations religieuses ni associations à la fierté nationale (le Taj Mahal est exclu par exemple). Ce sont majoritairement des objets du quotidien, tirés de l'alimentation, la mode, les ustensiles de cuisine ou les moyens de locomotion et le sport. Ils sont volontairement censés être neutres.

À part quelques exceptions, les animaux sont interdits au registre des logos de partis politiques. Ils auraient été utilisés pour parader durant les campagnes électorales, et les associations de défense des animaux ont voulu empêcher que certains des animaux choisis en mascotte soient lynchés par les opposants du parti... Seuls ont résisté le lion (Maharashtrawadi Gomantak Party), l'éléphant (Bahujan Samaj Party) et le coq (Naga People's Front).

Une symbolique forte

Les symboles des partis politiques sont proposés par le catalogue du comité d'élection, parmi ceux qui ne sont pas encore utilisés. Les partis choisissent 3 dessins par ordre de préférence, et le comité leur accorde un choix, qui leur sera réservé. En cas de désaccords et de changements dans les partis, les symboles sont modifiés. Mais comment choisir entre le pylône, la vache et le ventilateur ?

Certains partis ont eu la chance de choisir suffisamment tôt des dessins ayant une symbolique reconnue dans leur pays, ou un sens fort. Le parti du Congrès était ainsi à l'origine représenté par deux vaches et une charrue, de 1952 à 1969, avant de se ranger sous la paume dès 1977. Entre temps, le parti était représenté par une génisse et son veau.
Il faut rappeler que la vache est sacrée en Inde et que cet animal érigé ici en symbole politique est loin d'être anodin. Le parti du Congrès est celui qui s'est battu (avec non-violence) pour l'indépendance de l'Inde après les années 20, sous l'influence de Mahatma Gandhi. Le symbole de la main dit stop, elle accueille aussi, elle salue. Et elle travaille.

Mais avant tout, en Inde, la paume ouverte est le symbole de la "main blanche" bienveillante et transparente, geste repris par le parti pour signifier qu'il n'a rien à cacher. C'est le mouvement que l'on fait en guise de bénédiction, et l'on voit souvent en Inde les personnes âgées faire ce signe envers les petits enfants. La paume ouverte est donc pleine de sens.

Le BJP (parti indien du peuple), son principal concurrent, avait quand à lui choisi une lampe à huile en guise de logo de parti politique, puis un homme avec une charrue, avant d'adopter la fleur de lotus. Des symboles évidemment plus riches de sens qu'une poêle en fonte...

La lampe à huile est très utilisée en Inde notamment lors de cérémonies religieuses et principalement durant la célébration de Diwali (« rangée de lumières ») qui correspond au nouvel an Hindou. Véritable fête des lumières, elle célèbre déesses et dieux, et notamment Lakshmi.
La fleur de lotus, quand à elle, est reconnue comme étant la fleur dont les racines s'extirpent de la boue opaque pour s'épanouir dans la transparence de l'air. Elle symbolise ainsi l'éveil spirituel et le dépassement de sa condition, mais aussi la pureté, l'éternité. Elle est utilisée comme symbole ou offrande dans le bouddhisme et la religion hindoue. Bien que les symboles à connotation religieuse soient interdits, ceux-ci en sont chargés.

Les partis Communistes ont quand à eux évidemment choisi la faucille. Avec des variantes, marteau pour certains, épis de maïs pour d'autres.

Tirer le meilleur du pire

D'autres partis politiques, arrivés plus tard, s'inventent un message à partir des objets moins attractifs qui restent. Il faut bien s'adapter.
Le parti du Congrès Nationaliste a ainsi choisi un réveil, sûrement pour dire qu'il est l'heure.
Car avec le temps, il reste de moins en moins de symboles "grandioses". Néanmoins certains partis arrivent à créer une "image de marque" et à raconter une histoire qui mettra leur parti en valeur. Même avec un symbole comme le balai. C'est le cas du Aam Aadmi Party dont le symbole est censé "nettoyer la saleté incrustée dans le gouvernement et le corps législatif indien".

Il y a aussi un parti politique ayant adopté le logo tasse de thé, mais on ne sait pas trop pourquoi. Peut-être pour que les gens se mettent à l'aise avec une bonne tea-parti ? (Ceci est un jeu de mot entre tea-party et parti politique, je précise, et c'est franchement bien trouvé).

Peut-on vraiment appeler cela des logos politiques ?

Issus de la banalité du quotidien, ces "logos" sont uniques dans le monde de la politique. À mille lieux de représenter un candidat et un parti, on ne pourrait pourtant mieux toucher les citoyens. Tous ces objets désuets du quotidien ont su mettre en avant des objets simples qui ont résisté au temps sans prendre une ride ou presque, après 80 ans de vie. C'est là leur principale force. On trouve toujours des bouilloires, des rickshaws et des arcs en Inde. Logos sans vraiment l'être, ils sont placardés dans la ville, aux couleurs du pays : orange, blanc et vert.

On voit ici deux variantes du motif du BSP, avec des éléphants plus ou moins réalistes qui restent néanmoins toujours parfaitement reconnaissables en tant qu'éléphants, et donc sigles politiques. La véritable forme de ces logos politiques n'importe peu, tant que l'on reconnaît le sigle. C'est donc un archétype populaire et malléable, utilisable par le peuple. L'essence du logo social !

On vous parle d'ailleurs en détail de la naissance des messages de rue dans notre article sur les collages féminicides et le branding des mouvements sociaux en général.


 

Autre symbole et pas des moindres, celui du vote blanc ou NOTA "None of the above" (aucun des choix proposés). Il est apparu sur les machines en 2009 mais a été utilisé pour la première fois pour les élections de 2013. Il apparaît parfois en pleine lettres, ou avec le symbole d'un bulletin barré. Ce qui est une première car jusqu'ici, justement, ces symboles étaient purement visuels et n'avaient pas de lettres.

Une solution visuelle pour un problème textuel

Il faut préciser qu'à l'époque de la mise en place des premiers symboles, le taux d'alphabétisation était de 18% contre 50% de lettrés environ aujourd'hui (74% officiellement, mais dont la moitié ne sait pas lire un texte correctement). Sans compter les 860 langues présentes sur le territoire, et les deux officielles (l'anglais et l'hindi).
Comme il était impossible pour les votants illettrés de lire les noms des élus, l'image d'un objet du quotidien était une solution idoine. En plus d'être facile à repérer sur la machine de vote, ce sont des symboles faciles à retenir, que l'on croise au quotidien, et donc auquel on peut aussi penser en permanence. Un parfait outil pour le martelage politique ! "Mon salon mérite un coup de balai... ha, il ne faut pas que j'oublie d'aller voter !"

De plus, l'Inde est réputée pour la richesse de ses arts, peintures et calligraphies, et a toujours gardé cette tradition d'illustrer ses murs, devantures de boutiques ou bus et rickshaws à la main. Rien de choquant donc de se retrouver au bureau de vote ou dans la rue face à un dessin politique fait à la main.

Une machine à boutons pour éviter la fraude

Quand à la machine de vote électronique (EVM pour Electronic Voting Machine), elle fait aussi dans l'apparente simplicité. Une interface à boutons, des piles, lesdits symboles en face desdits boutons, et le tour est joué. Pas de connexion à internet, ni besoin d'électricité (ce qui peut être utile dans certaines bourgades reculées), pas de système opérateur non plus : aucun moyen de la pirater. Avec sa puce unique inaltérable et programmable une seule fois, elle ne peut être trafiquée.

La plateforme de vote, avec les dessins, est placée dans l'isoloir. Elle est reliée par un câble au bureau de vote, où un responsable actionne un bouton pour permettre aux votants d'utiliser la machine. Le bouton ne peut être rappuyé par le votant à moins que le gérant des votes active le sien à nouveau, dans un délai de 20 secondes. Une fois que la personne a voté, un petit billet imprimé sort de la machine, et il est ensuite glissé dans une urne scellée. On compare au hasard quelques machines et quelques urnes, pour s'assurer des résultats. C'est, en somme, la machine à suffrages la plus simple et la plus sûre au monde.

Trump doit s'en mordre les doigts, mais bon.

D'ailleurs en parlant de doigts, le majeur des votants est marqué d'un trait à l'encre indélébile, pour les empêcher de voter deux fois et ainsi encore éviter la fraude.

Un autre symbole fort de la démocratie qui est souvent repris dans les campagnes de publicité, et par google sur sa page d'accueil en Inde pour inciter à faire son devoir de citoyen.

Il peut aussi être détourné et utilisé en symbole de résistance... comme ici par cles femmes qui ont voté avec leur majeur et non leur index.

On finira donc sur cette image à interpréter comme bon vous semble.

 

Sources :
Sur l'origine des symboles politiques en Inde
Sur la sécurité ultime de la machine de vote indienne
Tous les symboles dans un pdf
Un jeu pour dessiner les symboles politiques indiensÉÉ!TGX

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