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Des patronymes aux acronymes : se faire un nom de marque à partir de lettres

Naming acronymes noms de marques

Des patronymes des fondateurs à leurs initiales, en passant par des acronymes ou des mots aux sonorités rassurantes, les noms de marques n'ont cessé d'osciller entre abstrait et familier. Non sans raison !

Un patronyme en guise de nom de marque

Il y a fort fort longtemps, lorsque l'on lançait une entreprise, on lui donnait tout simplement son patronyme : Citroën (1919), Chanel (1910), Lindt (1845), ou Michelin (1889). Parfois on lui donnait le prénom de sa fille, Mercedes (1902), ou Danone (1919), le surnom de son fils, parce que c'était plus sympa. Quand on s'associait, on mettait juste une esperluette entre les deux noms, comme Moët & Chandon (1743) : beau-père et gendre, et voilà.

André Citroën et Gabrielle Chanel

Vous connaissez aussi sûrement Hennes & Mauritz (1968) aux initiales H&M : ici Hennes veut dire "pour elle" en Suédois. Le fondateur de la maque Hennes (1947) s'appelle Persson, et ne prête donc pas son nom à la boutique; mais Mauritz est en revanche bien le nom du fondateur du magasin de chasse que Persson rachète en second lieu, avant de mêler les deux initiales.

Si on créait un service, ou qu'on inventait rien du tout, on expliquait de quoi il s'agissait : la Société Lyonnaise des eaux (1880), la Société du Papier Linge (1946), le Moulin-légumes (1932), ou la Société des transports en commun de la région parisienne (1921). C'était simple, mais parfois long. Et quand on s'appelait Rothschild avec deux h, on savait aussi que nos clients n'allaient pas nous chercher dans l'annuaire mais nous être recommandés en direct à l'oral, alors l'orthographe n'était à priori pas franchement un problème...

Des ingrédients ou un numéro, ça marche aussi

Lorsqu'il il fallait baptiser un nouveau produit, on lui donnait souvent un nom en lien avec sa région d'origine, sa forme, ses ingrédients ou son utilité. Toblerone porte ainsi le nom de son inventeur Jean Tobler. Aux États-Unis, la législation de la fin du XIXe siècle imposait que l'on trouve la liste des ingrédients dans les noms de produits.

Coca-Cola, inspiré du mélange des vins français Mariani (à base de vin et de feuille de coca) s'appelle d'abord Pemberton’s French Wine Coca et ensuite du nom qu'on connaît, pour la cocaïne (dérivé de la feuille de coca) et la noix de cola (contenant de la caféine) qui en étaient des ingrédients de base ! La cocaïne et l'alcool du produit sont ensuite retirés pendant la prohibition.

Vin tonique Mariani et Coca-Cola à la feuille de coca, vendus comme médicaments, ou "boisson intellectuelle"

Milka est quand à elle une contraction de Milch und Kakao = lait + cacao. On appelle ces marques des acronymes, on en reparlera juste après.

Publicités Milka vintage

Autre solution pour créer des noms de marques ou de modèles au XXe siècle : donner un numéro et des lettres qui sonnent bien à l'oral, comme la 403, la R4 (4L), la 2CV ou la DS dans le domaine des voitures. CV est d'ailleurs une abréviation de "chevaux" et DS s'entend évidemment "Déesse" à l'oral. Du bon basique qui permettait de ne pas trop s'arracher les cheveux en terme de naming.

De haut en bas et gauche à droite : 4L, DS, 2CV, 403

Se lancer à l'international avec des initiales

Peu à peu, au milieu du XXe siècle, les sociétés prennent de l'ampleur localement ou à l'international ; elles se diversifient, fusionnent à plusieurs ou deviennent de grands groupes. Moulinex avec son suffixe -ex laisse entendre sa diversification en vendant, dès 1957, plus que des "moulin-légumes".

Les noms de marques suivent cette expansion de marché et deviennent inversement plus courts. Ils sont alors plus facilement mémorables surtout lorsqu'ils deviennent des sigles composés d'initiales, ou des acronymes. Ceux-ci apparaissent la plupart du temps comme un diminutif ou un surnom d'une marque déjà connue et font sens à l'oreille des usagers. Avec les sigles, les noms disparaissent pour laisser place à des lettres (comme Hennes & Mauritz qui devient H&M), venant simplifier les noms à rallonge ou difficiles à prononcer. L'abstraction du nom autrefois familier facilite son internationalisation.

Boutique H&M dans les années 1970

Les Romains précurseurs des sigles

Même s'il prend son essor au XXe siècle, ce phénomène de sigle —ces groupes de mots abrégés composés de la suite de leurs initiales— n'est pas nouveau, puisque l'Histoire est marquée par deux sigles presque aussi connus que le logo de Nike : S.P.Q.R., Senatus populusque romanus (Le Sénat et le peuple romain) et INRI, Iesus Nazarenus Rex Iudaeorum, (Jésus le Nazaréen, Roi des Juifs). Bien que ce ne soient pas des marques, leur fonctionnement en est proche ; on utilisait ces initiales comme un "logo" pour gagner de la place sur des supports peu larges, comme la croix, ou, concernant S.P.Q.R., parce que graver 4 lettres au lieu de 24 fait gagner un certain temps, et qu'elles étaient plus simple à retenir par des peuples qui ne parlaient pas le latin... Dans tous les cas, pour les marques ou les inscriptions notables, les sigles sont pratiques à écrire et faciles à retenir.

Sigles ou acronymes ? Tout dépend de la prononciation

Pour les cinglé.es des sigles et des définitions, on note des variations dans ces deux exemples à base d'initiales : on peut soit épeler les lettres du sigle à la suite, S.P.Q.R., soit prononcer syllabiquement le mot INRI, comme un nom, auquel cas on appelle ça un acronyme. C'est aussi un sigle, mais qui se prononce différemment. On y revient plus bas. Les sigles, contrairement aux mots, ne véhiculent pas de sens particulier... à part peut être L.H.O.O.Q. de Duchamp...

Revenons à nos marques. Yves Saint-Laurent crée ainsi le sigle YSL pour sa première ligne de prêt à porter, et la société Bayerische Motoren Werke (B.M.W.) est créée à Munich en 1916, après la fusion de la Bayerische Flugzeugwerke et la Rapp Motorenwerke... on les remercie pour l'abréviation. Les services publics préfèrent quand à eux les sigles comme la Compagnie du chemin de fer métropolitain de Paris (C.M.P., 1899) et la Société des transports en commun de la région parisienne (S.T.C.R.P., 1921), au bord de la faillite, qui fusionnent après la seconde Guerre Mondiale pour créer la R.A.T.P. (1948, Régie Autonome des Transports Parisiens). La Confédération Générale du Travail (1895) devient quand à elle la C.G.T. en 1902.

L'évolution du logo des transports de Paris, de la C.M.P. à la R.A.T.P.

Pour faciliter la mémorisation de ces marques, on utilise donc aussi parfois les acronymes. Constitués d'initiales ou d'un ensemble de lettres tirées d'un groupe de mots à la suite, comme pour Milka ou Inri dont on parlait plus haut, les acronymes ne sont pas que des simples lettres épelées : ils traduisent la volonté de former un mot qui peut être lu, et à la sonorité sympathique, comme Haribo (1920, nom du créateur de la marque, et de sa ville d’origine : Hans Riegel, Bonn). Les acronymes, lorsqu'ils sont lexicalisés (c'est à dire qu'ils deviennent des noms propres) peuvent aussi s'écrire en minuscule. Adidas (1949) est ainsi l'acronyme du patronyme de son fondateur, Adolf (surnommé Adi) Dassler. Il aurait souhaité se démarquer de son frère et concurrent Rudolf, qui avait pensé de son côté à Ruma, dérivé de Rudolf, avant de préférer Puma (1948), un nom commun prononçable dans plusieurs langues, et au logo déjà tout tracé. Nissan est l'acronyme de Nippon Sangyo, et Fiat de Fabbrica Italiana Automobili Torino. On pense aussi à IKEA qui n'aurait séduit personne en gardant Ingvar Kamprad, Elmtaryd, Agunnaryd (nom du créateur de la marque, et de sa ville d’origine) ou en préférant EAIK, dans un autre ordre. D'où l'intérêt de la sonorité.

Les marques en sigles ou acronymes sont-elles efficaces ?

Les sigles, même s'ils sont pratiques, ne sont cependant pas le moyen le plus efficace pour créer une marque, surtout en partant de zéro notoriété, car ils sont très abstraits. Ils peuvent être un frein à la prononciation et donc à la mémorisation de la marque lorsque les lettres sont trop nombreuses. Il arrive aussi que les lettres changent d'ordre d'une langue à une autre, ce qui peut engendrer des incompréhensions : l'ONU, Organisme des Nations Unies devient UN en anglais, United Nations... Une signature de marque est souvent indispensable pour en faire la description et la rendre identifiable, d'autant plus que les mêmes lettres peuvent parfois définir plusieurs sociétés différentes. Une identité visuelle singulière permettra de distinguer deux entités au même nom.

Les acronymes, qui se prononcent plus facilement, seront quant à eux plus faciles à mémoriser. On pense par exemple à Nasa (National Aeronautics and Space Administration, 1958, qui s'appelait d'ailleurs NACA au départ !), Pepsi (diminutif de dyspepsie, maladie de troubles digestifs) ou Sopalin (Société du Papier-Linge, 1948).

Avec le temps néanmoins, certaines marques en sigles ont fait oublier leurs sens originel mais, bien que parfaitement abstraites en soi, elles sont désormais assimilées en tant qu'identités fortes. Qui a besoin de se souvenir du nom des fondateurs d'H&M, ou de connaître la signification de PMU (Pari mutuel urbain), NASA, RATP, HSBC (Hong Kong & Shanghai Banking Corporation), ou SFR (Société Française du Radiotéléphone) pour se souvenir de ces marques ? Si elles ne signifient rien et pourraient labelliser à peu près n'importe quoi, elles existent depuis suffisamment longtemps pour ne plus avoir à être présentées. Elles se sont fait un nom à partir de lettres.

À l'inverse, après un scandale, il n'est pas rare que les sociétés adoptent des sigles, justement pour faire oublier la familiarité de leur nom, associé à une mauvaise image. Certains créent de nouvelles identités, comme la Compagnie Générale des Eaux qui devient Vivendi, d'autres coupent leurs lettres. On pense notamment au Crédit Lyonnais, devenu LCL en 2005 à la suite d'un scandale financier entraînant des pertes de plus de 130 milliards de francs, ou aux Mutuelles du Mans Assurances qui deviennent MMA en 1999 après des investissements douteux d'anciens dirigeants. Un moyen de réaffirmer son statut avec des lettres capitales, plus sérieuses, de remettre de la distance, et d'effacer toute trace de familiarité. Un peu comme si l'on se faisait appeler Mr. au lieu de Coluche.

Les rétroacronymes, ou comment détourner les acronymes

Le revers de la médaille est que ces mêmes initiales sont l'occasion de créer des détournement, des rétroacronymes, pour railler les marques notamment à la suite de mauvaises expériences. On pense à "Reste Assis T'es Payé" ou "Rentre Avec Tes Pieds" inventé à l'issue des nombreuses grèves de la RATP, à la société aérienne belge Sabena transformée en "Such A Bad Experience Never Again" (Une très mauvaise expérience, plus jamais ça) ou la compagnie portugaise TAP, "Take Another Plane" (prenez un autre avion).

Certains inventent des versions plus cyniques comme les employés d'IBM qui ont détourné leur marque en "Idiots Built Me" (des idiots m'ont fabriqué) ou "In Business for Money" (en affaires pour le pognon). En France, pour railler l'URSS, (Union des Républiques Socialistes Soviétiques) on en fait "l'Union Ratatinée des Saucissons Secs" dans les années 1960. Adidas devient quand à elle "All Day I Dream About Sports" (ou Sex, c'est selon). En revanche, Asics est véritablement l'acronyme de "Anima Sana In Corpore Sano" (un esprit sain dans un corps sain), et c'est d'ailleurs ce que rappelle leur dernière campagne de communication !

 

Aujourd'hui et depuis une quinzaine d'années avec l'essor de la mondialisation, les marques ont de moins en moins de noms abstraits, et des noms de plus en plus rassurants, "féminins" et familiers en -ae ou -ia. "Ronds", évocateurs ou à consonance latine, comme Veolia, Nuxe, Melvita, Vrai, Allianz, Vélov, Deliveroo ou Danao... ces marques sont l'étape qui vient après les acronymes, lorsque l'on s'émancipe d'une définition de départ pour inventer un mot à partir d'idées qui suggèrent une image au client, du naming pur et dur. Mais ça, c'est une autre histoire !

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