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ACTE III – L’héritage de l’école polonaise et les années 70/80

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Cet article est le quatrième d’une série sur l’histoire de l’affiche de théâtre en France. Elle retrace l'origine des affiches de théâtre et leurs spécificités, miroir de notre société évoluant du tout texte à l'image, en passant par la création typographique et les supports numériques.

Déjà parus :
Préambule : Histoire de l'affiche de théâtre en 6 actes
ACTE I - L’âge d’or de l’affiche de théâtre au XIXe siècle
ACTE II - Les Trente Glorieuses 50/70

Les articles à paraître :
ACTE IV - Les affiches du théâtre de la Colline, de Batory à l’atelier ter Bekke & Behage
ACTE V - L’intrusion de l’art contemporain
ACTE VI - La décennie des réseaux sociaux + épilogue, le règne typographique


La Guerre froide est déjà bien installée, quand en 1961, Berlin se réveille coupée en deux par un mur. La guerre d’Algérie n’est pas encore terminée et le gouvernement de l’époque fait appel à de nombreux appelés du contingent. Pour échapper à l’uniforme militaire, Michel Quarez, jeune diplômé des Arts Déco, part pour un an à Varsovie étudier l’affiche. Il sera le premier français à intégrer l’atelier d’Henryk Tomaszewski. «Tomasczewski, c’était une légende en Europe même si en France, personne n’en parlait dans les écoles d’art », confiera plus tard Michel Quarez.

L’école polonaise, les affiches à double sens

Ce que l’on va appeler "l’École polonaise de l’affiche", pour reprendre les mots d’un des plus célèbres graphistes, Jan Lenica, est une génération de créateurs qui ont eu une influence déterminante sur de nombreux graphistes du monde entier. Dans la Pologne des années 50, l’affiche est l’un des rares espaces d’expression artistique toléré par l’État Communiste. L'État contrôlait le cinéma, outil de propagande par excellence, pardon, "d'éducation sociale et de propagation de la culture", mais aussi le théâtre, les arts plastiques ou la musique.


Varsovie — Zbyszko Siemaszko, 1960

Les Polonais ont su s’approprier ce support pour faire preuve d’une liberté exceptionnelle sous contrainte et sans budget, faisant passer des messages à double sens pour échapper à la censure omniprésente, caractéristiques des productions de cette époque. Paradoxalement, la limitation des moyens techniques dont ils disposaient a décuplé leur créativité. Il n'y a ni concurrence ni publicité, tout est nationalisé.

À son retour en France, Michel Quarez organisera une exposition qui sera remarquée par de nombreux étudiants. Dont Pierre Bernard et Gérard-Paris Clavel (les futurs cofondateurs du collectif Grapus) qui seront séduits par la qualité des affiches qu’ils découvrent. Eux aussi rejoindront l’atelier de Varsovie quelques années plus tard. Puis ce sera au tour d’Alain Le Quernec, de Thierry Sarfis de “faire le voyage à l’Est”. C’est toute une génération qui va ainsi élaborer des affiches dans la tradition, la rigueur et l’efficacité de l’enseignement de Tomaszewski. Avec comme angle d’approche qui deviendra une signature, la réduction de la thématique d’une pièce de théâtre à une métaphore visuelle, où le rapprochement de deux éléments cristallise une évocation poétique personnalisée.

“Cours camarade, cours, le vieux monde est derrière toi !!!” Bientôt, mai 68 viendra mettre le feu avec une explosion d’affiches produites par l’Atelier populaire des Beaux-Arts de Paris et l’Atelier des Arts Décoratifs. Chaque jour, de nouvelles affiches sérigraphiées, envahissent les murs de la capitale. L’engagement politique trouve dans le support papier une raison d’être. Une écriture graphique va naître.

Grapus

Au début des années 1970, après leur implication dans la création des affiches de 68 aux Arts Déco et leur formation à l’Institut de l’Environnement, Pierre Bernard, Gérard Paris-Clavel et François Miehe, fondent le collectif Grapus qui va révolutionner le graphisme en France pendant deux décennies. On vous en parlait dans cet article.

La décentralisation théâtrale et la création de Centres dramatiques nationaux vont offrir un cadre propice à la création d’affiches audacieuses. Les structures culturelles vont vite devenir des partenaires privilégiés pour les graphistes qui souhaitent donner à leur travail une dimension politique. Et c’est au tournant des années 80, que Grapus va s’engager avec plusieurs théâtres. Dont le Théâtre de la Salamandre, à Tourcoing. La relation qui se met en place entre commanditaire et graphiste va bien au-delà d’une simple réponse à une commande.

Après 68, après les utopies de révolution à bâtir, les graphistes et les gens du théâtre partagent une proximité humaine et intellectuelle. Ils font partie d’un même mouvement, d’un même courant de pensée. Le projet d’une nouvelle société était défendu à la fois par le metteur en scène, mais aussi par le graphiste.

L’image créée doit traduire ce projet de société. Et le Théâtre de la Salamandre correspond parfaitement à cet état d’esprit. Le théâtre se veut “chose publique”. Et les affiches doivent le revendiquer. La collaboration entre la Salamandre et Grapus va se poursuivre de 1975 à 1982. « En ce qui concerne la façon de travailler et les objectifs, il y avait une certaine analogie entre la Salamandre et Grapus, précise Pierre Bernard. Le mode de travail en collectif, la conscience sociale et politique, la réflexion et la remise en question de ses propres réalisations, le jeu et l’analyse, le fait d’amuser et de questionner. Avec la Salamandre, nous ne jouions pas contre le commanditaire, mais avec lui. Nous allions la nuit faire du collage, de l’affichage sauvage, il s’agissait de prendre concrètement la parole dans la ville. »

Dans le sillage de mai 68, les cofondateurs de Grapus retrouvent la fougue qui les animait quand ils réalisaient les affiches dans l’atelier des Arts Déco.

Dans un entretien de 2008 avec le collectif “Formes Vives”, Pierre Bernard évoquera le rôle de l’affiche. « Avec ces affiches pour le théâtre du Petit Odéon on faisait vivre la problématique du théâtre dans la ville. Elles ne servaient à rien en termes d’information, mais c’était de la présence citoyenne. On montrait que les affiches sont là pour signifier qu’on est dans le lieu public et que quelque part il se passe quelque chose qui nous concerne. Il faut y aller pour être encore plus concerné, mais l’affiche en est déjà le signe et pas simplement une information clean. »

Pour les graphistes de cette époque, l’affiche conservait ce rôle de faille idéologique dans une société où la consommation devenait toujours plus importante.

Alain Le Quernec, la passion de l’affiche

À quelques années d’intervalle, Alain le Quernec est de ceux qui sont partis en Pologne rejoindre l’atelier d’Henrik Tomaszewski. Il s’est, lui aussi nourri de la tradition de l’affiche polonaise, de l’idée de métaphore visuelle. Dès ses débuts, il va consacrer une part importante de son travail à la culture. Nombre de ses affiches primées étaient et sont encore des commandes pour des théâtres, des festivals ou des concerts.

Il apprécie le questionnement du bon goût, du populaire. Loin de lui l’idée de créer une affiche de théâtre élitiste, il faut être accessible et trouver le style graphique qui répondra au mieux au message simple qu’il souhaite faire passer. Le Quernec ne s’interdit pas le mot d’esprit, le jeu de mots. Et l’expérimentation lui permettra de se renouveler, de ne pas s’enfermer dans un style particulier.

C’est Bernard Lotti, le directeur du Théâtre de l’Instant à Brest, qui lui offre l’opportunité de travailler l’affiche de théâtre en 1981. Une collaboration qui va durer plusieurs années. Puis ce sera le Théâtre du Parvis, scène nationale de Tarbes, l’Opéra de Rennes. Le Théâtre de Cornouaille à Quimper. Ou le Théâtre de Morlaix, plus typographique.

Michel Bouvet, l’affichiste revendiqué

Michel Bouvet, quant à lui, est d’une autre génération que ceux qui ont fait le voyage à Varsovie. Pourtant il s’inscrit lui aussi dans cette tradition d’affiches culturelles reposant sur la métaphore visuelle. Encore aujourd’hui, l’image reste sa préoccupation première. C’est à Prague qu’il découvrira l’affiche de spectacle et ce sera pour lui une révélation.

Après des études de peinture aux Beaux-Arts de Paris dont il sort diplômé en 1978, c’est à la Maison de de la Culture de Créteil qu’il va réaliser ses premières affiches en 1981. Il a 25 ans.

Dans cette décennie 80 et au moment où Grapus fait autorité sur le graphisme en France, il va trouver une place toute personnelle. Les collaborations avec les théâtres vont s’enchainer. Sa reconnaissance franchira les frontières de l’hexagone avec de très belles expositions en Amérique du Sud, en Chine et au japon.

Michel Bouvet travaille avec le Théâtre des Gémeaux, scène nationale de Seaux, depuis 1992 (ce qui en fait sans doute une des plus longues collaborations d’un graphiste avec un théâtre). Cherchant à casser les codes, en 1998, il décide de créer des affiches en bichromie, noir + gris Pantone, ce qui va le distinguer immédiatement des autres affiches théâtrales, mais aussi des supports commerciaux. Depuis cette époque, il travaille les visuels avec le photographe Francis Laharrague.

Pour Michel Bouvet, il ne s’agit pas de simplement illustrer un texte. Il cherche à emmener le spectateur ailleurs. La métaphore visuelle permettant cet univers poétique et critique.
Pour “Othello” par exemple, il met en valeur un poing ganté du Black Power, référence au geste de Tommie Smith à Mexico en 1968, et questionne ainsi le texte pour en proposer une actualisation toute personnelle. Pour les Gémeaux, l’image est généralement accompagnée d’un travail typographique propre à chaque affiche.

Avec l’Opéra de Massy, en collaboration depuis 1993, il imagine en 2006, un nouveau langage graphique s’appuyant sur une métaphore visuelle plus stylisée et plus accessible, pour un public qui ne fréquentent pas le théâtre. Avec la Pépinière théâtre, il réalise ses premières affiches en 2008.

Dans l'acte IV, nous aborderons les affiches du théâtre de la Colline, de Batory à l’atelier ter Bekke & Behage.

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