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Les années Grapus
En 68, le gouvernement français se rend compte que le mouvement Bauhaus est passé à la trappe en France, et décide d'installer rue d'Ulm les membres enseignants du Bauhaus à Ulm (la ville Allemande) qui se retrouvent à ce moment-là sans subventions. Naît alors l'Institut de l'Environnement, au sein duquel les trois hommes y trouvent un lieu où continuer à explorer des formes d’expression alternatives, et questionner la soumission à la commande. Si ce type de lieu de création collective a déjà été expérimenté dès les années 1950 par les Américains de Push Pin Studios, ou dans les années 1960 par les peintres espagnols antifranquistes de Equipo Crónica, l'Institut de l'Environnement propose alors une nouvelle manière de faire coïncider engagement politique et création graphique.
Dans cet environnement politisé et communiste, qualifié de 'Stalinien' par ses opposants, Bernard, Paris-Clavel et Miehe fondent Grapus, contraction de 'Crapule Stalinienne', crap-stal et de 'graphiste'.
Ci-dessous, le texte de présentation du collectif lors d'une exposition à la Maison de la Culture de Grenoble en 1979.
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Du social au pays de la publicité
Dans les années 70, la publicité est reine. Pierre Bernard résume bien l'histoire de cette suprématie dans l'interview de Forme-Vive :
"Les pays anglo-saxons ont eu une évolution beaucoup plus harmonieuse, beaucoup plus lente avec le graphisme. Celui-ci est implanté beaucoup plus profondément dans leurs sociétés qu’il ne l’est chez nous. De notre côté la réclame s’est transformée en publicité à travers le travail de Savignac essentiellement – qui était un chef de fil et un mec très drôle, une sorte de génie un peu anarchiste comme on les aime ici en France. Pour moi il a mis un coup d’arrêt au développement du graphisme. « Cassandre a été battu par Savignac » et je trouve cela bien dommage : cela nous a fait prendre un retard considérable."
Bernard et ses amis s'engagent à contre-courant contre le "doux poison de la publicité" en proposant des affiches dans des domaines où le budget est rare. Associations, culturel, social, engagement communiste... Grapus défend les petites voix. A la même époque, les trois compères enseignent aux Arts Déco. Ils se heurtent au graphisme suisse minimaliste, strict et droit, au service des règles et de la reine Publicité.
En opposition à ce style et plus globalement aux règles préétablies, Grapus s'engage pour servir une cause qui lui est chère, avec ce désir artistique "d'acte gratuit" et impulsif, qui s'oppose à un graphisme payant, servant la publicité. L'art contre le graphisme. L'impulsion contre les règles. Les causes sociales contre les causes lucratives. Le style du collectif réside dans une collaboration unie des 3 puis bientôt 10 membres, intellectuels aux traits enfantins et à l'aspect ludique. Les textes sont presque toujours écrits à la main, les dessins tremblants ressemblent à des dessins d'enfants, offrant un ton global qui dénote et jure presque avec la photographie utilisée alors en publicité, et bien sûr au mouvement suisse. Les artistes jouent avec des textures, des mots, des couleurs.
Encore une fois, la BD de Libération résume bien le climat créatif et collaboratif.
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L'anti graphisme suisse
Dans une interview publiée par Téléréma, Pierre Bernard nous raconte bien le positionnement Grapus, aux antipodes du graphisme suisse.
« En 1970, quand nous avons commencé à enseigner, nous voulions parler de tout, car nous étions portés par cette énergie de la connaissance des images, de la construction, de la déconstruction. Les Suisses ne parlent de rien. Jean Widmer, je l’ai eu comme enseignant, et ça a été un bon prof. Mais Widmer, travailler avec lui c’était.... quelques gestes. Un silence absolu et, simplement, il emmenait votre regard sur la forme là où il fallait, mais sans un mot. Ou alors des mots tellements banals. Les sujets aussi étaient banals. Publicitaires. Alors ça a été le point de rupture entre son enseignement et nous, Grapus. Nous disions : il n’y a pas que le produit dans la vie, on peut parler du théâtre, du cinéma, des émotions... Et là, aux Arts déco, entre les Suisses et nous, c’était un peu tendu. Avec Widmer, on apprenait un savoir-faire, et c’était une excellente chose. C’est de l’artisanat et on ne discute pas les règles. Alors qu’à Grapus, tout notre plaisir était de discuter les règles pour voir si elles étaient valables. Pour vérifier si elles étaient au service d’un intérêt de classe qui n’était pas le nôtre. »
Voici quelques affiches de leur cru.
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Ultime tentative
Sur le blog 2avrile, Pierre Bernard nous raconte la création de cette affiche. En voici un extrait :
“C’est une affiche qui date de 1985, créée à partir de la photo de deux chiens en train de procréer, prise à l’occasion d’un reportage pour le livre Zup de famille. [...] Il s’agissait d’imaginer une affiche pour Grapus, à l’occasion d’une exposition [...]. C’est parti de discussions et c’est quelque part une sorte de figure très emblématique, très volontariste et très clownesque de l’engrossement de la culture (rires). Le titre de l’affiche était Ultime tentative. C’était une vision un peu désespérée de la situation. Il y avait aussi une réflexion autour de la nécessité quotidienne du luxe. C’est à dire que nous pensions que la nécessité sociale du graphisme était de faire briller la vie, d’être en rapport avec le bonheur par les signes. Dans le meilleur des cas, ce n’est pas son rôle tout le temps. Enfin, il y avait un côté revanche sur le commanditaire et le public endormi ou le public qui refuse tout effort, avec ce clown qui se donne beaucoup de mal. Concernant la technique, cela correspondait à un moment où on adorait faire de la « tatouille » picturale. On travaillait souvent sur des films transparents pour associer du dessin et de la photo.”
Je détiens une collection d affiches sur le thème des jeux olympiques portant la mention graphiste 80.
Est que ca peut intéressé je les détiens depuis une cinquantaine d’années.
Merci
Bonjour,
il me semble qu’il manque un des aspects à savoir la travail de Grapus pour le compte du PCF dans les années 70-80 ?
Qu’en pensez vous ?
Merci
Christophe Batardy
Il faudrait ajouter un chapitre sur le travail avec las villes d’Ivry et de Vitry entre autres, bulletin municipaux..;
J’ai une excellente anecdote là dessus.
AR
Voir également l’ouvrage collectif publié sous la direction de Catherine de Smet et Béatrice Fraenkel : Etudes sur le collectif Grapus 1970-1990… : Entretiens et archives, Paris, B42, 2016 !
Très bien documenté. Merci.
PS/ Bauhaus et non Bahaus ;)