Dans les coulisses du Vélodrome, une révolution silencieuse se prépare. L'OM travaille actuellement sur un nouveau logo, une transformation que Pablo Longoria, président du club, justifie comme faisant « partie d'une transformation du club vers l'avenir ». Dans l'ère du tout numérique, les codes visuels des logos de foot traditionnels peuvent sembler fossilisés. Faut-il pour autant abandonner toute référence au passé ? Cette annonce, qui pourrait paraître anodine dans le flux constant de l'actualité sportive, soulève ainsi des questions fondamentales sur notre rapport contemporain aux symboles, à l'identité collective et à la marchandisation du patrimoine sportif.
Pour comprendre les enjeux de ce nouveau logo de l'OM, il convient de replonger dans l'histoire graphique du club phocéen, fondé en 1899 par René Dufaure de Montmirail. Né à Verdun, celui-ci passe son enfance en Algérie jusqu’à ses 18 ans en suivant son père militaire. À son retour en France, il joue au "Junior-Club" qu’il transforme en "Football Club de Marseille" (FCM) avant de le faire fusionner avec le cercle d’escrime et de fonder l’Olympique de Marseille en 1899. On y organise des olympiades de rugby, de foot mais aussi d’escrime ou de natation.
La devise "Droit au But" de l'OM est déjà visible en 1898 sur le logo sur la photo de l'équipe de rugby (ci-dessous) est héritée du Football Club de Marseille ; c'est la devise personnelle de sa future femme, Marguerite, dite "Madeleine" Dubois, qu'il a rencontrée sur le terrain et dont le caractère fonceur inspire le club de l'Olympique Marseillais. Ce logo est en forme de blason héraldique simple, traversé par la devise en bandeau, avec un ballon (de rugby, oui, oui) et les initiales du FCM.
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De son côté, René Dufaure de Montmirail signe avec son sceau personnel, un monogramme entrelaçant ses initiales "DM". La typographie calligraphiée est évidemment art nouveau, c'est l'époque, avec des empattements ornementaux aux extrémités du M, inspirés de motifs floraux, qui vient s'enchevêtrer dans le D.
Le monogramme DM pour Dufaure de Montmirail qui a inspiré le premier logo de l'OM
La fusion des initiales de Dufaure de Montmirail et du logo du FCM donnent le tout premier logo de l'OM, avec un M pour Marseille et non plus pour Montmirail, orné de la devise "droit au but" sur un étendard, flottant à la manière des bannières militaires des chevaliers (appelé "listel" ou "phylactère" en héraldique).
Le logo de l'OM restera typographiquement inchangé jusqu’en 1935, date à laquelle il devient un blason Art déco (ci-dessous : à droite). On y voit un petit « M » stylisé et fin en typo bâton, enchâssé dans un O en anneau qui stabilise le tout, entouré d'un blason. Ce logo épuré et flat aurait eu toute sa place pour un comeback rétro si l'OM avait suivi la tendance récente des "vieux logos du futur," prônant le retour aux sigles originels du siècle dernier.
C'est ce qu'ont fait les marques Peugeot, Burberry, ou Citroën en adoptant leurs logos antiques, Renault de son logo des années 70s signé Vasarely. Burger King et Pepsi ont eux aussi choisi de plonger dans la nostalgie avec des nouveaux logos inspirés des années 90s.
Dans le monde du foot, l'Ajax a repris tel quel son logo de 1928 (2e rangée à gauche), l'Inter Milan a réutilisé en 2014 son logo de 1908 (2e rangée à droite). L'AS Roma a récupéré son logo historique en juin 2025 (en bas à gauche), qui fait écho à celui créé en 1927 et utilisé depuis les années 70. Le dernier logo remontait à 2013 avec la mention "Roma 1927" mais les fans réclamaient depuis le retour des inscriptions "ASR" d'origine et la direction a fini par céder.
Pour les baby-boomers et la génération X, ces logos vintage évoquent leur jeunesse, créant un lien émotionnel authentique. Pour les millennials et la génération Z, ils représentent une esthétique "cool" et authentique, libérée des artifices du design contemporain. Cette double réception explique le succès commercial de ces stratégies rétro.
Les logos Peugeot, Citroën, Renault, Ajax, OM, Inter Milan et Burberry, un retour à leur version vintage
Pour ses 125 ans, le club de foot Marseillais avait d'ailleurs choisi de faire revivre son logo typographique originel de 1899, plus proche du logo actuel que celui de 1935, en lui ajoutant une étoile. Un avant-goût du futur nouveau logo de l'OM ? La stratégie nostalgique comporte cependant des risques spécifiques au monde sportif. Un club de football ne peut se contenter de jouer sur la corde sensible du passé ; il doit aussi incarner l'ambition et la projection vers l'avenir.
Le logo des 125 ans de l'OM, un revival du logo de 1899 (à droite)
En 1972, faisant le choix surprenant d’une esthétique du siècle passé (alors que l'époque était plutôt tournée vers le futur avec la conquête de l'espace), l'OM choisit à nouveau un logo en monogramme à l'allure antique, plus massif et symétrique, avec des jambes ornées à leurs extrémités et droites comme deux poteaux, entouré d'un cercle extérieur. On trouve ainsi deux O, un rond externe et un ovale interne, rappelant le D initial de Dufaure ou peut-être en clin d’œil au ballon de rugby pratiqué à l'époque de la naissance de l'Olympique ? Ce logo de l'OM sera utilisé pendant presque 10 ans.
Sans vouloir offenser les fans, il ferait presque penser dans sa composition graphique -avec son M et ses deux cercles- à un ancêtre du logo actuel de l'Inter Milan.
Puis dans les années 80 la devise "droit au but " fait son retour en écharpe ondulée, rappelant que la marque OM se nourrit aussi d’ancestrales racines sportives. Dans les armoiries héraldiques, ces banderoles permettaient d'intégrer du texte sans rompre l'harmonie visuelle du blason, créant une hiérarchie informative claire entre l'image (le blason) et le message (la devise).
Le M dépasse devant et derrière le O qui est encore en ellipse, et le restera jusque dans les années 90 avant de devenir à nouveau rond jusqu'à nos jours. Il se colore ensuite en bleu uni pour faire contraste, une modification qui n'est pas qu'ornementale. Cette hiérarchisation visuelle traduit une volonté d'affirmation identitaire, avec l'arrivée de Bernard Tapie, où le « M » de Marseille prend le pas sur le « O » d'Olympique, traduisant une ambition sportive et médiatique renouvelée.
La composition typographique du logo à partir des années 90s joue sur l'imbrication parfaite entre le "O" et le "M", créant un monogramme d'une simplicité redoutable où chaque élément trouve sa fonction : le cercle externe délimite, porte et protège, la bannière ramène le regard au centre, tandis que la géométrie du "M" central, avec ses angles droits et ses proportions équilibrées, ancre l'ensemble dans une modernité intemporelle mais rétro, avec toujours cette référence typographique à 1900.
Suite à la victoire de la Ligue des Champions en 1993, une étoile dorée vient pour la première fois couronner le monogramme et le M sera retravaillé dans une version plus moderne avec un simplification des ornements. La force de ce logo réside dans sa lisibilité immédiate et sa mémorisation instinctive - deux piliers essentiels de l'efficacité graphique.
En 2004, une refonte réalisée par l’agence locale 'Encore Nous' homogénéise le visuel : un O et un M fusionnés et unis en bleu pantone ramenant les 2 lettres au même plan, comme en 1935. La devise en lettres linéales dorées est placée sous le monogramme, et l’étoile en or revient couronner le tout. Le logo est techniquement plus lisible, visiblement plus adapté au numérique puisqu'il fonctionne en favicone, et plus solide sur ses "pattes". Les pieds du M, légèrement écartés, lui donnent plus d'appui et viennent former une base de pyramide qui amène le regarde vers l'étoile. D'ailleurs, au fur et à mesure que l'on écrit cet article on se rend compte que ce logo tient plutôt bien la route.
Cependant, une refonte du logo de l'OM en 2025 ou 2026 pourrait s'avérer judicieuse, non pas pour révolutionner cette mécanique bien huilée qui fonctionne bien, mais pour affiner quelques détails. Typographiques d'abord : ajuster les graisses, optimiser les espaces internes du "M", redessiner voire épurer ses jambes ou au contraire jouer à fond le jeu du vintage en ajoutant des ornementations, changer la typographie de la devise qui manque cruellement de caractère et de personnalité, repenser sa position (et faire revenir l'étendard ?), enfin harmoniser le choix typographique en cohérence le site et les accessoires.
Peut-être ensuite faudrait-il enrichir la palette chromatique avec des couleurs dérivées pour gagner en impact sur les écrans haute définition, tout en préservant cette architecture iconique qui fait la force du club phocéen depuis des décennies. Comme tout logo sportif, il est évidemment indispensable en 2025 d'imaginer le logo en motion, en lumières, avec ses déclinaisons.
On voit ci-dessous sur les écharpes le manque d'harmonie existant entre les couleurs et typographies qui varient d'un support à l'autre. Une identité harmonisée, c'est un étendard plus cohérent et donc plus fort pour les supporters.
L'actuel logo de l'OM porte en lui les traces d'une époque où la communication visuelle privilégiait l'illustration et la reconnaissance immédiate. Mais cette simplicité, autrefois gage d'efficacité, peut aujourd'hui être perçue comme en décalage avec les exigences du numérique et face aux attentes esthétiques contemporaines. Un logo de club de football moderne doit aujourd'hui fonctionner simultanément sur plusieurs supports : maillots, écrans de smartphones, réseaux sociaux, merchandising global. Cette multiplicité d'applications impose des contraintes jusqu'alors inédites : lisibilité en petit format, reproduction en monochrome, adaptation aux formats d'Instagram et TikTok. Ces contraintes techniques influencent directement les choix esthétiques : privilégier les contrastes élevés, éviter les détails trop fins, opter pour des couleurs saturées qui ressortent sur les écrans... Ces impératifs peuvent-ils coexister avec la préservation d'un patrimoine visuel centenaire ?
Sans compter sur le fait que toucher à un logo qui rassemble autant de supporters revient à toucher directement au cœur des marseillais. Impossible de passer à côté ou de faire un faux-pas : le logo est dans la peau des fans, dessiné sur leur visage, porté comme une seconde peau. Un peu comme pour les logos de villes et de territoires, l'attachement émotionnel est tel qu'une erreur créative peut entraîner le courroux de toute une population. D'ailleurs, les clubs de foot changent rarement leur identité, contrairement aux marques.
Le logo d'un club de football n'est plus seulement un symbole identitaire, c'est aussi un actif commercial dont la valeur se chiffre en millions d'euros. Chaque modification peut impacter la valorisation de la marque, les ventes de produits dérivés, l'attractivité auprès des sponsors internationaux.
La refonte des logos de clubs n’est pas propre à Marseille : aujourd'hui, la question du nouveau logo de l'OM s'inscrit dans un contexte plus large de standardisation visuelle de l'identité du football et du sport. Depuis une décennie, plusieurs clubs historiques se sont lancés dans des refontes totales, assumant la rupture ou au contraire la continuité historique stylisée. Avec des codes graphiques similaires : simplification, minimalisme, adaptabilité digitale. Cette homogénéisation pose la question cruciale de la préservation des spécificités culturelles et des codes centenaires, face aux impératifs de la communication globale.
L'OM semble conscient de ce piège. Longoria évoque un exercice difficile dans lequel il faut "respecter l'histoire mais aussi avoir une identité propre". Cette déclaration d'intention révèle une prise de conscience des dérives du flat design appliqué aveuglément au monde sportif. Mais combien de clubs ont perdu leur substance en adoptant des logotypes aseptisés, pensés pour les réseaux sociaux plutôt que pour incarner leur histoire centenaire ?
La Juventus de Turin, avec son rebranding controversé de 2017, illustre parfaitement cette problématique avec son double « J » graphique en noir et blanc. Exit le bouclier, le taureau, les rayures, les ornements, le club italien a privilégié la modernité formelle au détriment de sa richesse symbolique. Le club turinois s’est doté d’une icône modulable minimaliste, pensée avant tout pour exister dans le monde du luxe, de la mode, des NFT et des contenus digitaux. Ce choix, très critiqué au départ, a cependant ouvert une voie nouvelle : celle du club‑marque, avec un logo désencré du sport pur pour entrer dans une logique lifestyle.
On a vu les mêmes débats avec le Stade de Reims ou le FC Nantes. En France, l’Asvel (devenu LDLC) a opté pour un logo aux lignes géométriques nettes, avec un éclair vertical stylisé. Là encore, l’identité visuelle vise l’efficience digitale, l’impact merchandising et la déclinaison mobile, tout en conservant une signature forte.
Et pourtant du côté des marques, notamment de luxe, l'heure du flat design semble révolue : l'héritage se réinvente avec les codes du moderne. C'est ce que semblent faire plusieurs clubs sportifs.
Tout récemment en juin 2025 le Daring Brusells (ex RWDM) a opéré une mue graphique soignée, sobre et efficace, renouant avec des formes plus classiques. Le blason circulaire, aux teintes sobres, joue la carte d’un néo-classicisme rassurant. Le parti pris n’est pas tant la rupture que la réaffirmation d’une continuité historique, repensée avec un sens accru du détail.
Du côté de la NBA, en juin également, Orlando Magic a fait le choix de repartir sur des codes vintage tout en préservant les couleurs du club, avec un logo actualisé aux contraintes du numérique, rond et compact.
En 2021, notre agence Graphéine avait repensé le logo féminin du Brest Bretagne Handball BBH en créant un logo moderne et ancré dans l'héritage culturel.
Une autre identité sportive assez remarquable qui nous a tapé dans l’œil est celle du club féminin Dallas Trinity Football Club, par l'agence Moniker SF, qui réussit en 2023 à harmoniser des symboles ultra modernes et bourrés d'héritages. Le pégase, emblème de la ville, est stylisé en une icône presque typographique et abstraite, et la typo s'inspire des dalles gravées.
Le logo du Dallas Trinity FC par l'agence Moniker
On l'a vu, l'attachement aux couleurs du club est tel que certains supporters proposent même leurs propres créations, notamment le compte MercatOM qui a lancé un appel à idées sur X (ex-Twitter). Cette initiative spontanée illustre une mutation profonde dans le processus de création d'identité visuelle. Les outils de design démocratisés comme canva permettent aujourd'hui à chacun et chacune de proposer sa vision.
Or cette facilitation de la création graphique n'est pas sans poser de questions. D'un côté, elle permet d'impliquer la communauté des supporters dans un processus qui les concerne directement. De l'autre, elle dilue la cohérence d'une démarche créative professionnelle et complète.
Quelques propositions de logos de l'OM créés par des fans (Badrani69000, footpack, RBVLB, @MarsFugheli, yonix83, lelegfx)
Si l'IA peut générer des logos techniquement parfaits, le cerveau humain reste évidemment l'étincelle créative, les outils n'étant qu'un moyen au service de cette expertise. Si tout le monde peut copier ou réaliser un logo, encore faut-il avoir l'idée et la démarche logique qui l'accompagne. Cette révolution technologique s'accompagne d'un retour inévitable et paradoxal aux valeurs artisanales et au savoir-faire humain. Plus les outils deviennent sophistiqués, plus la recherche d'authenticité humaine se renforce : l'émotion, l'intuition, la connaissance culturelle locale et l'expertise resteront toujours de vraies valeurs ajoutées pour les agences et les graphistes indépendant.es.
Enfin, on ne le répètera jamais assez, le logo n'est que la partie visible de l'identité visuelle qui se décline sur tout un tas de supports physiques et web. Imaginons l'inverse et mettons notre équipe de graphistes sur un terrain : marquer un but ne fait pas de nous des footballers ! Alors comment articuler l'expertise du ou de la designer avec l'expression populaire ? Comment transformer l'émotion collective en proposition graphique cohérente ?
Le phénomène n'est pas isolé, et se répète en permanence. Lors de la création du logo des Jeux Olympiques de Paris 2024 par exemple, ou régulièrement lors de création de logos de villes (à Neufchâteau en France ou à Clermont-Ferrand par exemple), les propositions alternatives des internautes avaient fleuri sur les réseaux sociaux, révélant une soif de participation créative collective. Cette démocratisation du design interroge le statut même du créateur graphique et redéfinit les modalités de l'innovation visuelle. À nous d'inventer des réponses adéquates.
On espère que cette analyse vous aura plu. Et vous, que pensez-vous du logo de l'OM et des logos sportifs actuels ?
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