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Wally Olins, père de l’identité de marque territoriale

wally olins portrait designer

Né en 1930, Wally Olins est un designer britannique à qui l'on doit le concept de marque territoriale. Par son travail de conseil en branding, il porte en Grande-Bretagne et dans le monde l’idée que l’identité de marque est d’une importance capitale, et qu’elle a une influence sur tout ce que les organisations font et disent d’elles-mêmes. Il travaillera notamment avec Renault, Orange, le Tate modern, Volkswagen, 3i, Tata, Q8 et siglera bien d'autres entreprises. Depuis sa mort en 2014 son agence Wolff Olins a produit entre autres le nouveau logo d'uber et celui du musée Met à New York.
En 2011, nous avons eu la chance de l'interviewer et de lui poser des questions à propos du branding territorial. Cette interview exclusive publiée post-mortem est à retrouver en fin d'article.

La naissance des identités territoriales

D’origine anglaise, Wallace Olins -dit Wally- grandit dans la capitale, avant de faire des études d'histoire à Oxford au College St Pierre. Il commence pourtant son parcours dans l’agence de publicité Ogilvy and Mather à Mumbai, en Inde, en tant que directeur, où il passe 5 années. Il s’intéresse assez vite à l’image de marque avant même que le terme n’existe et prend goût pour cette branche publicitaire consistant à construire une réputation durable pour une marque. Wally Olins se démarque rapidement dans ce domaine et intéresse de plus en plus d’entreprises et d’ONG, pour lesquelles il collabore étroitement directement avec les directeurs.

Olins est persuadé que les entreprises doivent être impliquées dans cette recherche d’identité, et non relayées au seul rang d’observateur. Grand voyageur, il travaille en Irlande du Nord, à l’île Maurice, en Pologne, Lituanie ou au Bengale. Il aide ainsi les régions, les collectivités et les États à trouver leur image. 

Génie et pionnier en identité territoriale et image de marque, il co-fonde Wolff Olins avec Michael Wolff en 1965 à son retour à Londres, et Saffron Brand Consultant en 2001. Il peut ainsi se démarquer dans le design de territoires, et travaillera par exemple sur la campagne d’identité de la Pologne ou l’identité visuelle d’Øresund, le pont et tunnel qui lient la Danemark à la Suède. Mais son métier de conseil pour les entreprises l’amène surtout à travailler pour des entreprises de plus en plus grosses, possédant de nombreuses filiales n’ayant plus de lien avec leur maison mère. En créant du sens et du lien entre ces filiales et leur siège, l’agence Wolff Olins de démocratiser ce qui s’appellera plus tard « l’architecture de marques ». Qu’on l’appelle design de marque, identité de marque, ou réputation, Olins précise que tout revient au même, que « c’est la manière qu’ont les entreprises de se présenter. »

Inspiration

Il aurait trouvé une grande source d’inspiration dans les mouvements abstraits d’art expressionniste de l’école de New York des années 40 et 50, et notamment le Colour Field (porté par Rothko) aux grandes toiles couvertes d’aplats de couleurs. Dans ces tableaux, la couleur fait ressortir ses qualités pures dans le champ de vision plat qu’est la toile, sans sujet ni point central. L’absence de relief et l’importance centrale donnée à la couleur s’opposent aux mouvements figuratifs du début du siècle.

Les années passant, Olins écrit des livres pour y glisser ses tourments à propos de l’avenir du monde. Il s’intéresse notamment à la mondialisation, dont la plus grande croyance est que progressivement tout dans le monde, partout, sera pareil; la planète ne sera qu’un immense aéroport. Olins, lui pense qu’au contraire « un pays, une région, une ville, sera en compétition avec d’autres pays, régions, villes, pour attirer des fonds étrangers, des constructeurs, touristes, étudiants… La concurrence entre les villes et les régions signifiera que de plus en plus de singularité émergera en réaction à l’homogénéisation, ou à l’homogénéisation apparente. D’une manière assez curieuse, l’une des réactions les plus commune à cette homogénéisation est que partout autour du globe, de plus en plus de gens sont à la recherche d’authenticité, d’une origine. Car dans un monde où personne ne connait plus l’origine de rien nous avons besoin de nous raccrocher à quelque chose, de savoir d’où ça vient. Les grosses entreprises achètent de plus en plus de marques locales, et n’arrivent plus à comprendre ce que veulent les gens autour. Ce sont des changements dramatiques. C’est ce dont je parle dans mon livre « Brand New. The shape of brands to come » qui s’adresse à quiconque s’intéresse à la façon dont le monde change. »

Relier les gens avec des couleurs et des ponts

Il est difficile de discerner le travail d'Olins en tant que designer seul. Les travaux sont toujours signés par le nom de l'agence et de ses deux fondateurs, Wolff et Olins. Sans savoir exactement qui a fait quoi et en supposant que c'est un travail d'équipe, penchons-nous sur quelques-uns de leurs plus célèbres logos pour balayer des réussites et des échecs, en branding de marque et de territoire.

Dans une interview, Olins expliquait qu'un bon logo doit faire 4 choses. D'abord, il doit être émouvant et rationnel à la fois; s'adresser aussi bien au coeur qu'à la tête des gens. Deuxième point, il doit être pertinent pour toutes les parties prenantes. Troisième point, il doit être distinct. Le but d'une identité graphique étant de se distinguer des concurrents. Et quatrième point, il doit être vrai; il doit venir du coeur de la marque, éviter les clichés et souligner un concept qui doit être reconnu comme réaliste et inspirant pour toutes les cibles. En théorie cela semble tenir la route, mais dans la réalité... rien n'est si facile !

Orange, la boîte à couleurs

En 1990, le géant chinois de la télécommunication Hutchison Whampoa limited décide de fonder le 4è réseau téléphonique de Grande Bretagne. L’entreprise fait appel à l'agence Wolff Olins pour développer une marque qui n’aura rien de technologique mais fera de la simplicité, l’ouverture et l’optimisme ses mots d’ordre. Comme l’explique l’entreprise de conseil en stratégie de marque, « nous avons donné au réseau le nom d’une couleur, et non un nom lié aux télécoms comme Vodaphone ou Cellnet. Nous avons créé un style de communication chaleureux et humain qui est vite devenu mondialement reconnu. » orange était né.
Depuis, l’entreprise a été rachetée par France Télécom en l’an 2000, et son image remise au goût du jour en 2010 (cf animation ci-dessus). Au coeur de cette nouvelle communication, le rectangle -donc la marque- s'ouvre à ses clients et au monde, en s'adaptant à chaque besoin en particulier. Cette campagne plutôt simple et efficace semble assez cohérente avec la communication initiale de la marque et l'époque actuelle.

Øresund, territoire relié et reliant

Øresund est le pont-tunnel qui relie la Suède au Danemark, de Malmö à Copenhague. Olins était responsable de ce projet d'ampleur, mené dans les années 2000. Il est malheureusement très difficile de trouver des éléments graphiques sur ce sujet aujourd'hui, à part le logo, et encore (cf photo ci-dessus). On en conclut donc que le projet n'a pas perduré... Le logo retrouvé présentait les deux villes comme des points distincts à l'intérieur d'un grand territoire. Il ressemblait aussi particulièrement à des yeux de personnage de bande dessinée, mais l'intention n'était peut-être pas voulue.
En revanche, le sujet de création d'identité territoriale est passionnant. Deux cultures, deux pays, deux langues, deux éléments : l'air et la mer. L'intention politique explicitement formulée derrière ce projet était d'aider les résidents à s'identifier non plus à un pays mais à une région, de part et d'autre du pont. Du côté Suédois, à l'est, la région du Skåne est connue pour être la Californie scandinave. Tout l'enjeu du logo était donc de mettre en avant ce dynamisme et d'entrainer un changement de perception du territoire, que ce soit dans sa délimitation que dans son contenu. Olins explique que le branding de territoire est compliqué car il doit établir un lien et connecter la perception de cet espace à la réalité. "la difficulté des marques transfrontalières est le besoin d'unir des gens de cultures différentes mais aussi faire passer le bon message au reste du monde."
Aujourd'hui, il semblerait que le projet ait muté en "the greater copenhagen". Nous sommes passés du nom neutre d'un pont reliant deux pays, à une "invasion" danoise (neutre, tout de même) rebaptisant cette partie du territoire suédois comme banlieue de sa capitale. Il aura sûrement fallu que de l'eau coule sous les ponts pour passer d'un nom à l'autre ! Un sujet sensible au nom très local qui n'a peut être pas touché le coeur de toutes ces cibles à l'époque.

Tate, le flou artistique

Proposé en 1999, le logo des galeries d'art du Tate (en Angleterre) devait unifier 4 expériences artistiques variées et couvrir près de 500 ans d'art britannique et international. Le souhait des Tate était de combiner leurs quatre galeries sous une même philosophie. L'agence invite ses visiteurs à "regarder à nouveau, réfléchir à nouveau" (look again, think again) et propose ce slogan comme leitmotiv pour ce nouveau logo. Le résultat est une variation de flous et plus ou moins gras, reconnaissables comme unité, mais en perpétuel mouvement. Wolff Olins a réinventé pour Tate le concept de la galerie, en passant d'un point de vue unique et institutionnel à une collection d'expériences de marques à l'attitude similaire. Les 4 points mentionnés par Olins semblent avoir été respectés ici, en étant émouvant mais rationnel, pertinent, distinct, et authentique.

En 2016 l'agence North a repris le flambeau en proposant un logo flou mais tramé, et qui peut être animé facilement.

AOL. la marque qui voulait être transparente

Dans les années 90s, Aol. (American Online) était l'une des uniques plateformes pour surfer sur le web aux États-Unis. Mais avec l'évolution rapide des technologies, Aol. s'est retrouvé à la traine, sans arriver à rattraper son retard, passant de 27 millions d'utilisateurs en 2001 à 6 millions en 2009. C'est justement à l'époque que l'entreprise quitte le groupe Time Warner et essaye de voler de ses propres ailes en devenant une entreprise publique indépendante. Elle demande alors à Wolff Olins de concevoir sa nouvelle identité visuelle, afin de la positionner comme une " entreprise de média du 21ème siècle".
Les trois lettres majuscules changent en bas de casse pour former visuellement un mot, qui pourtant se lit encore comme un acronyme, grâce au point. Contrairement à d'autres marques, le nouveau logo d'Aol. n'existe que grâce à son support. C'est un logo qui est, comme internet, dynamique, changeant, et invisible sans contenu. L'agence demande à plusieurs artistes dans le monde d'habiller le logo pour le faire vivre ; il se déploie sur des taches d'encres, un poisson rouge, des gribouillages, des oiseaux, fleurs ou feuilles, des personnages dessinés, un chat qui saute, ou des coulées de peinture. Le but de cette collaboration étant de travailler avec des artistes, journalistes et des musiciens pour créer "des expériences au contenu extraordinaire" selon les dires de l'agence.

Ou plutôt de faire oublier un nom en concentrant tous les regards sur le second plan ! Le changement de nom étant non négociable, l'entreprise a dû en effet ruser pour se défaire d'une mauvaise réputation liée à une mauvaise expérience web. Encore aurait-il fallu que la réputation d'Aol. puisse évoluer en même temps que son image. Surtout sans changer de nom...
Malheureusement, 10 ans plus tard Aol. ne va toujours pas mieux. Comme l'a dit Paul Rand, « la marque de fabrique, c’est le graphiste qui la crée, mais c’est l’entreprise qui la fait ». Le ver était dans la pomme, et ce nouveau lustre n'a pas changé son goût.

J.O. de Londres 2012, un logo qui met tout le monde d'accord


Proposé en 2007, le logo des jeux olympiques et paralympiques de 2012 à Londres est vite devenu sujet à de nombreuses critiques, tout aussi improbables que virulentes. À la base, le logo des JO de 2012 avait été conçu par Wolff Olins pour inclure tout le monde dans une expérience commune. Il fallait un logo attirant pour les jeunes, "un logo audacieux, énergique et dissonant comme la ville de Londres". L'agence l'a donc conçu sans signes rappelant un monument ou un sport particulier, en y insérant les anneaux olympiques (une rareté pour un logo de ce type) et en laissant une flexibilité sur le contenu. Les marques, sponsors, ou pays pouvaient donc jouer avec en y insérant leurs couleurs, voire même en enlevant les anneaux en cas d'interdiction d'usage. Pour la première fois, le logo des J.O. et celui des jeux paralympiques ont été conçus à l'identique, avec une variation d'inscription mais pas de forme.

Visant à toucher un public aussi large que celui du Royaume Uni, il était difficile de mettre tout le monde d'accord. Et pourtant l'identité de marque des JO de Londres a bel et bien réussi à créer le consensus : le logo a été unanimement jugé très laid. Sur le site BBC News, les internautes ont été invités à voter en lui donnant un trophée de cuillère d'argent ou de bois : 83% des votants, soit l'écrasante majorité, a voté pour la cuillère de bois, signifiant leur profond dégoût pour ce logo. Loin de plaire au public, donc, il provoque également la colère de l'Iran. Le pays déclare y lire les lettres Z-I-O-N (et non 2012) terme désignant la ville de Jérusalem. Or, l'Iran ne reconnaît pas l'existence de l'état d'Israël. "L'utilisation du mot Zion pour élaborer le logo des Jeux Olympiques 2012 (...) est un acte totalement révoltant", a affirmé le président du Comité olympique iranien, Mohammad Aliabadi, dans une lettre au président du CIO Jacques Rogge. Du côté de la campagne publicitaire, le premier spot a provoqué plusieurs crises d'épilepsie chez les téléspectateurs.
Avec le recul cependant, ces jeux ont enregistré de très forts engagements du côté des spectateurs, et le "bad buzz" de ses débuts a néanmoins réussi à faire parler de lui et à le rendre connu à travers le monde. Sans avoir touché le coeur des spectateurs, il a réussi à être pertinent et distinct. Pour notre part, chez Graphéine, sans nécessairement porter dans notre cœur ce logo, nous lui reconnaissons une forme d'engagement graphique très fort. Toute une grammaire visuel en découle et irrigue l'ensemble de la charte graphique. On souhaite le même sort au nouveau logo des J.O. français de 2024, qui divise déjà l'opinion.

 

Bien qu’il se soit éteint en 2014, Wally Olins continue d’être une référence, une icône au nœud papillon et aux lunettes rondes, comme il s'auto "brandait".

Notre interview exclusive avec Wally Olins

Aurélien qui animait alors le blog Actulogo a eu la chance de recueillir l'opinion de Wally Olins sur le branding territorial lors d'une interview menée en 2011, que nous n'avions jusqu'alors jamais publiée.

Pour les anglophones, voici la version audio :

https://www.grapheine.com/wp-content/podcast/wally-olins-2011_128.mp3

En voici la retranscription exclusive en Français :
[ Utiliser les "+" pour déplier les réponses... ]

Vous êtes particulièrement concerné par le branding territorial et régional. Comment expliquez-vous que tant de territoires et de régions souhaitent avoir leur propre marque ?

Wally Olins (W.O.)

Il y a plusieurs raisons à cela. D’abord, durant ces 50 dernières années et particulièrement les 25 dernières années, il y a eu un mouvement beaucoup plus fort parmi les petits pays pour s'affirmer. Il y a beaucoup plus de pays aujourd'hui qu'il n'y en a jamais eu auparavant, et à l'intérieur des pays, les régions (le Pays Basque, la Catalogne en Espagne, l'Écosse en Grande-Bretagne, et ainsi de suite) essaient toutes d'affirmer une sorte de sentiment – pas nécessairement d'indépendance totale – mais un sentiment de confiance en soi sur qui elles sont.

Et puis il y a tous ces pays qui faisaient autrefois partie de ce que nous appelions le bloc soviétique, ils reviennent tous dans ces circonstances. C'est une des raisons.

La deuxième raison est que maintenant, si vous n'avez pas une marque nationale reconnaissable et que les gens peuvent respecter, alors vous n'obtenez pas autant de tourisme, vous n'obtenez pas autant d'investissements directs internationaux, et vos marques quand vous les exportez n'ont pas la même valeur que les marques des autres.

Je vais vous donner un exemple particulier : La Slovaquie fabrique plus de voitures que n'importe quel autre pays du monde, mais vous ne verrez jamais une enseigne sur une Toyota, une Peugeot ou une Citroën portant la mention "made in Slovakia". Ce qui se passe, c'est que ces pays sont étiquetés comme des fabricants bon marché, et que toute la valeur ajoutée va aux autres pays. Ce que vous avez là, c'est une série de situations où des pays que vous pourriez qualifier de "grandes nations héritées" comme la France, l'Allemagne, l'Italie ou la Grande-Bretagne où la nation est connue, où les produits et services d'un certain type sont respectés, l'art, la culture et l'histoire sont connus, ont une place très particulière, et si vous prenez votre pays, la France, il est parfaitement possible de profiter de cette situation intéressante.

Prenons l'exemple de L’Oréal Paris, qui exploite une idée autour de sa ville d'origine pour se donner plus de valeur. Une entreprise polonaise de cosmétiques – il y en a plusieurs qui sont assez bonnes – ne peut pas dire qu'elle vient de Cracovie parce que ça ne veut rien dire. En fait, si ça signifie quelque chose pour quelqu'un, ça veut dire que je ne vais pas l'acheter, je préfère acheter L’Oréal.

Il y a d'énormes incitatifs ici, des incitatifs commerciaux, en plus des incitatifs politiques, il y a de véritables impératifs commerciaux pour le faire. Et parce que le monde devient de plus en plus compétitif, les organisations des villes, des régions, des nations se sentent de plus en plus concernées par cette question. Mais il y a d'énormes problèmes qui y sont associés.

Il existe deux types de branding régional : le branding institutionnel (qui attire les entreprises) et l’identité touristique. Pensez-vous qu’il faille les séparer ?

W.O.

Je pense qu'il n'y en a pas deux, mais trois. Il y a la question des investissements directs étrangers, qui peuvent être des investissements dans toutes sortes de choses. Il peut s'agir d'investissements dans la recherche, dans un centre de R&D, dans la fabrication, mais aussi dans les universités, dans toutes sortes de choses.... Le croisement entre le tourisme et l'investissement direct étranger n'est pas aussi simple qu'on pourrait le croire.

Par exemple, je peux décider, en tant que touriste, d'acheter une maison en Slovénie. S'agit-il du tourisme ou de l'investissement international ? Où tracer la limite ?

Il faut donc être très clair sur la façon dont la nation se projette, vous parlez d'une série de questions qui s'adressent parfois à des publics qui se chevauchent.

Mais la clé, c'est que vous avez une idée : une idée de la France, une idée de l'Espagne, une idée de l'Italie.... Une idée que vous pouvez interpréter pour différents publics de différentes manières. Et vous n'utiliserez pas les mêmes mots ni les mêmes images mais l'idée derrière la marque, où qu'elle se manifeste, doit être la même.

D'un point de vue commercial, par exemple, ces régions risquent-elles d'être réduites à un simple produit et de perdre leur culture propre ?

W.O.

C'est ce qui arrive. L'Allemagne est associée à une ingénierie de très haute qualité. Mais elle n'est pas associée aux vêtements intelligents. Hugo Boss n’insiste pas sur le fait qu’il soit allemand. Parce que ça ne l’aiderait pas. Vous faites beaucoup de bruit si vous êtes une marque allemande dans la construction de voitures, dans l'ingénierie. Et la même chose s'applique à beaucoup de pays.

Il y a des pays où les associations d’idée sont très très fortes. Dans certains pays, vous aurez un très large éventail d'idées qui sont liées au pays. Dans d'autres pays, on n'a pas une gamme aussi large d'idées. Il faut donc accepter que ce que les gens regardent sont des stéréotypes.

Je pense que l'exemple classique est probablement celui des États-Unis. Eh bien, il y a 3 ou 4 stéréotypes assez clairs. L'une d'entre elles est l'opportunité. Il n'y a pas d'endroit au monde où l'on a plus d'opportunités qu'aux États-Unis. Le rêve américain, tout ça ; c'est une première idée. Une autre idée est la technologie : Steve Jobs, Microsoft, Silicon Valley, tout ça. C'est une idée complètement différente mais très puissante. La troisième idée, c'est le produit populaire : MacDonalds, Disney, tout ce bazar. Et il y a plus de trois idées. Maintenant, ces idées sont séparées, mais à certains moments vous pensez des choses différentes à propos de l'Amérique.

Par exemple, j'ai lu une étude très intéressante il y a quelques années, lorsque Bush était président. En Égypte, au Caire, ils ont posé quelques questions. Question numéro 1 : quel pays du monde détestez-vous le plus ? L’Amérique. Question numéro 25, si vous vouliez émigrer, où iriez-vous ? L’Amérique. Cela vous donne donc une idée de la façon dont les perceptions des gens sont confuses : elles sont contradictoires, mais elles sont puissantes. Et c'est le cas dans la plupart des pays – non, ce n'est pas exact – c'est le cas dans certains pays.

Il y a d'autres pays où il n'y a aucune perception. Je travaillais en Lituanie et les gens m'ont dit : que pense le monde de la Lituanie ? La réponse est qu'ils ne pensent même pas à la Lituanie, ils ne savent pas qu'elle est là. Il y a aussi cet ensemble de perceptions.

En France ces deux dernières années, nous avons vu des dizaines de villes, régions, départements ou territoires tenter de devenir des marques. En avez-vous remarqué un en particulier ?

W.O.

Il y a quelques années, j'ai remarqué Lyon. C'était très intelligent et très drôle. C'était comme un petit garçon un peu vilain, un peu charmant et un peu – pas vraiment brut, mais un peu sauvage, et c'était très intelligent et je trouvais l'idée extrêmement amusante et individuelle. C'était il y a quelques années que je l'ai remarqué, je ne sais pas s'ils l'ont gardé, et ils ont fait beaucoup de choses autour de ce petit garçon. Je l'ai vraiment aimé, j'ai trouvé qu'il était bien, très intelligent et très sûr de lui, d'une manière détendue.

Pensez-vous que le branding local est juste une tendance, ou que nous devons nous attendre à en voir de plus en plus dans les années à venir ?

W.O.

Un peu des deux.

Pensez-vous que c’est quelque chose qui survivra à travers les siècles ?

W.O.

Je pense que ce que j'ai expliqué tout à l'heure, l'impératif de promouvoir votre région, découle d'une part d'un patriotisme local, d'un sentiment très fort pour décrire qui vous êtes, surtout dans les régions qui changent. Lyon en est un exemple, c'est une région qui était autrefois très industrielle. D'un autre côté, c'est un désir d'attirer une économie en croissance, un désir d'attirer des gens pour que l'économie puisse croître. Il y a là un véritable impératif commercial. C'est une exigence : si je suis en compétition avec quelqu'un d'autre mais que ce quelqu'un se fait plus de promotion que moi, alors ils obtiendront les investissements et ils deviendront plus riches et je resterai pauvre !

Cette tendance est liée à la crise ?

W.O.

Non.

Parlons de graphisme. Vous travaillez dans le design mais vous n’êtes pas designer vous-même ?

W.O.

Je suis très investi et intéressé par le design. Je pense que j’ai un peu l’œil pour ça. Je n’ai pas étudié le design, j’ai suivi un cursus académique en histoire.

Qu’est-ce qui fait un bon logo territorial ?

W.O.

L'une de ses principales caractéristiques est que vous le voyez très souvent. Si vous voyez assez quelque chose, que ce soit bon ou mauvais, si vous le voyez encore et encore et encore, vous ne pouvez pas l'éviter, c'est juste là. Peu importe que les "étoiles et les rayures" (ndlr : du drapeau américain) soient un bon ou un mauvais logo, vous le voyez. Le drapeau est si omniprésent – on le voit partout – qu'on ne peut pas vraiment l'éviter.

Même s’il s’agit de quelque chose de vraiment moche ?

W.O.

On s'y habitue. Les symboles nationaux, leur présence continue est très importante. Bien sûr, le drapeau américain a de la chance parce qu'il n'y a rien d’équivalent, le drapeau britannique a aussi de la chance. Le drapeau français est aussi très distinctif, mais ce n'est pas parce que le drapeau est distinctif, c'est parce que la France est distinctive. Le drapeau italien est une imitation ou une émulation du drapeau français.

Mais pour moi un drapeau n’est pas un logo...

W.O.

Je comprends cela, mais je le mentionne comme un contexte. Je pense que l’un des plus grands logos du monde, c'est peut-être la croix rouge. Parce que ce qu'il dit très clairement et sans équivoque, sans aucun doute dans l'esprit de qui que ce soit, qu'il s'agit d'une vulnérabilité totale. "Nous n'avons pas d'armes, rien, nous sommes complètement neutres et si vous voulez nous tuer, vous pouvez nous tuer". Mais la vulnérabilité est si grande, le sentiment que vous avez à propos de l'idée de la croix rouge est si fort, que si vous attaquez réellement la croix rouge, vous commettez un crime vraiment horrible, bien pire que tout autre crime.

C’était ma prochaine question en fait : quel est le meilleur logo régional que vous ayez jamais vu ?

W.O.

Je ne peux pas vous dire immédiatement quel est le logo ou l’identité régionale qui m’a le plus frappé. Mais je pense que l'un des plus distinctifs est le Japon. Et ce n'est pas seulement le drapeau. C'est la façon dont les Japonais se font une idée de ce qu'ils font. Le logotype japonais et les choses autour du Japon ont donc tendance à avoir cette simplicité plutôt dramatique que je trouve très inhabituelle et assez frappante.

Et quelle est l’identité que vous ayez faite dont vous êtes le plus fier ?

W.O.

Les gens me le demandent tout le temps et je dis toujours "c'est celle sur laquelle je travaille en ce moment". Peu importe ce sur quoi je travaille. Mais il y en a deux qui se distinguent beaucoup et dans lesquelles j'ai été un peu impliqué. L'une d’elle est Orange, qui appartient maintenant à cross telecom, et l'autre est First Direct, la banque en ligne. Je pense que nous avons fait des choses assez drastiques dans cette entreprise. Avez-vous vu A1, la nouvelle compagnie de téléphonie mobile en Australie ? Ça vaut le coup d’œil. Les temps changent, les modes changent, et certaines des choses que j'ai réalisées dans les années 60 et 70 ont très bien duré. P&O, le drapeau de P&O, je l'ai fait en 1970. Je pense que c'est encore incroyablement fort. J'ai donc du mal à dire que c'est mon identité visuelle préférée ou que ce n'est pas ma préférée, il y en a certaines que je n'aime pas trop et d'autres que j'aime un peu plus !

Et, laquelle aimez-vous… le moins ?

W.O.

Je pense que celles que j'aime le moins sont celles où nous n'avons pas été en mesure d'apporter des changements, parce que la nature de ce que fait l'organisation doit rester la même. Ce qui se passe, c'est qu'une grande organisation, comme par exemple Renault, doit rester au même endroit dans le monde. Mais ils doivent évoluer parce que le monde évolue. On ne peut pas rester le même sans changer ce à quoi on ressemble, mais le changement sera fait de telle sorte que les gens ne remarqueront pas qu’on a changé. En d'autres termes, si je veux rester où je suis, je dois changer un peu.

Et pour une grande partie du travail que nous faisons, inévitablement avec de très grandes entreprises, nous faisons des changements graduels sur une longue période de temps afin de rester au même endroit, afin de rester à la position où elles étaient auparavant. Est-ce que j’aime ça visuellement ? Pas toujours, mais je pense parfois que les résultats sont très satisfaisants, qu'ils fonctionnent très bien. Je pense qu'ils sont très souvent très efficaces.
Mais une grande partie du travail de toute organisation consiste à être compétitive sur un marché qui devient de plus en plus concurrentiel - où il y a des ventes en ligne, où il y a une concurrence absolument partout dans le monde et où ce que vous faites devient de plus en plus concentré sur certains domaines. Donc vous ne pouvez pas toujours faire les changements spectaculaires que vous souhaitez faire, vous allez faire des apports dans le numérique, faire fonctionner la chose en ligne ou d’autres choses de ce style. Occasionnellement, vous aurez l'occasion de faire quelque chose de vraiment nouveau, mais pas si souvent. La plupart du temps, vous devez moduler, je veux dire... nous ne sommes pas professionnels pour gagner des prix, nous le sommes pour aider nos clients à réussir !

Y a-t-il une identité visuelle sur laquelle vous n’avez pas travaillé, mais que vous auriez adoré faire ?

W.O.

J’aimerais, un jour si cela se fait, travailler sur l’Europe. J’adorerais.

Ce que je veux dire, c’est que l’idée européenne est un tel désordre, et il n’y a pas de problème vraiment prioritaire, et il y a tellement de problèmes qui en découlent parce que c’est un éternel chantier… Et la structure fiscale telle que nous la connaissons ne fonctionne pas correctement, il y a beaucoup de petits pays qui causent des problèmes et qui pensent les autres sceptiques à leur sujet.

Mais je pense que c'est une excellente idée, et c'est une idée que la plupart des Européens ne comprennent tout simplement pas et n'ont pas été éduqués à comprendre. Devenir européen ne veut pas dire que l'on cesse d'être Français ou Parisien ou que l'on cesse d’être originaire de Manchester. Ce que ça signifie, c'est que vous avez une autre dimension à ce que vous êtes. Et je pense que c'est un programme, si on l’applique, qui prendrait deux générations pour qu'il y ait une idée européenne. Mais j'adorerais participer à la réflexion sur les implications de cette vérité.

Deux dernières questions : y a -t-il un changement de logo récent que vous avez particulièrement remarqué ?

W.O.

Tout le monde a remarqué celui de Gap. Rien de vraiment transcendant. Tout le monde a remarqué celui de McDonald's aussi, ce n'est pas vraiment un changement de logo, mais c'est un changement. Je veux dire, c'est ce que je disais, ils ont changé parce qu'ils se sentent, McDonald's a clairement senti, qu’il doit avoir l'air plus chaleureux, plus convivial, paraître moins agressif, qu’il doit s'intéresser à tout ce qui concerne le développement durable, donc il change un peu son apparence. Mais ça ne m’obsède pas, je pense que c'est la nature même du monde commercial.

Eh bien moi je suis obsédé par ces logotypes, ça fait partie de mon contrat ! (Rire) Dernière question, que je pose à toutes les personnes que j’interviewe : avez-vous un conseil à donner aux débutants en branding ?

W.O.

Je pense qu'il est très important que vous compreniez les nouvelles technologies que vous utilisez. Je pense qu'il est très important de s’emparer du numérique, parce que de plus en plus, les logos s’animent. Ils ne sont pas statiques. Et si vous regardez ce que mon ancienne entreprise a fait pour les  Jeux Olympiques de 2012 il y a trois ou quatre ans, je pense que c'était une anticipation très intelligente de la façon dont le monde évolue maintenant.

Tout est numérique, tout est en mouvement, tout va entrer en interaction continue, tout va changer de couleur, tout va changer de forme, rien ne sera statique. Tout sera en mouvement, en constante évolution. Et vous devez vous rappeler quand vous faites ce travail de conception, que c'est de tout cela qu'il s'agit. Si vous ne vous en souvenez pas, vous serez coincé. Et une grande partie du travail auquel j'ai participé, il y a quelques années, n'est plus utilisable aujourd’hui. Cette technologie est tellement importante… un jeune designer doit comprendre le numérique et penser en trois dimensions, penser en mouvement.

Aurélien, Actulogo
Très bien. Merci beaucoup monsieur Olins.

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