Né en 1930, Wally Olins est un designer britannique à qui l'on doit le concept de marque territoriale. Par son travail de conseil en branding, il porte en Grande-Bretagne et dans le monde l’idée que l’identité de marque est d’une importance capitale, et qu’elle a une influence sur tout ce que les organisations font et disent d’elles-mêmes. Il travaillera notamment avec Renault, Orange, le Tate modern, Volkswagen, 3i, Tata, Q8 et siglera bien d'autres entreprises. Depuis sa mort en 2014 son agence Wolff Olins a produit entre autres le nouveau logo d'uber et celui du musée Met à New York.
En 2011, nous avons eu la chance de l'interviewer et de lui poser des questions à propos du branding territorial. Cette interview exclusive publiée post-mortem est à retrouver en fin d'article.
La naissance des identités territoriales
D’origine anglaise, Wallace Olins -dit Wally- grandit dans la capitale, avant de faire des études d'histoire à Oxford au College St Pierre. Il commence pourtant son parcours dans l’agence de publicité Ogilvy and Mather à Mumbai, en Inde, en tant que directeur, où il passe 5 années. Il s’intéresse assez vite à l’image de marque avant même que le terme n’existe et prend goût pour cette branche publicitaire consistant à construire une réputation durable pour une marque. Wally Olins se démarque rapidement dans ce domaine et intéresse de plus en plus d’entreprises et d’ONG, pour lesquelles il collabore étroitement directement avec les directeurs.
Olins est persuadé que les entreprises doivent être impliquées dans cette recherche d’identité, et non relayées au seul rang d’observateur. Grand voyageur, il travaille en Irlande du Nord, à l’île Maurice, en Pologne, Lituanie ou au Bengale. Il aide ainsi les régions, les collectivités et les États à trouver leur image.
Génie et pionnier en identité territoriale et image de marque, il co-fonde Wolff Olins avec Michael Wolff en 1965 à son retour à Londres, et Saffron Brand Consultant en 2001. Il peut ainsi se démarquer dans le design de territoires, et travaillera par exemple sur la campagne d’identité de la Pologne ou l’identité visuelle d’Øresund, le pont et tunnel qui lient la Danemark à la Suède. Mais son métier de conseil pour les entreprises l’amène surtout à travailler pour des entreprises de plus en plus grosses, possédant de nombreuses filiales n’ayant plus de lien avec leur maison mère. En créant du sens et du lien entre ces filiales et leur siège, l’agence Wolff Olins de démocratiser ce qui s’appellera plus tard « l’architecture de marques ». Qu’on l’appelle design de marque, identité de marque, ou réputation, Olins précise que tout revient au même, que « c’est la manière qu’ont les entreprises de se présenter. »
Inspiration
Il aurait trouvé une grande source d’inspiration dans les mouvements abstraits d’art expressionniste de l’école de New York des années 40 et 50, et notamment le Colour Field (porté par Rothko) aux grandes toiles couvertes d’aplats de couleurs. Dans ces tableaux, la couleur fait ressortir ses qualités pures dans le champ de vision plat qu’est la toile, sans sujet ni point central. L’absence de relief et l’importance centrale donnée à la couleur s’opposent aux mouvements figuratifs du début du siècle.
Les années passant, Olins écrit des livres pour y glisser ses tourments à propos de l’avenir du monde. Il s’intéresse notamment à la mondialisation, dont la plus grande croyance est que progressivement tout dans le monde, partout, sera pareil; la planète ne sera qu’un immense aéroport. Olins, lui pense qu’au contraire « un pays, une région, une ville, sera en compétition avec d’autres pays, régions, villes, pour attirer des fonds étrangers, des constructeurs, touristes, étudiants… La concurrence entre les villes et les régions signifiera que de plus en plus de singularité émergera en réaction à l’homogénéisation, ou à l’homogénéisation apparente. D’une manière assez curieuse, l’une des réactions les plus commune à cette homogénéisation est que partout autour du globe, de plus en plus de gens sont à la recherche d’authenticité, d’une origine. Car dans un monde où personne ne connait plus l’origine de rien nous avons besoin de nous raccrocher à quelque chose, de savoir d’où ça vient. Les grosses entreprises achètent de plus en plus de marques locales, et n’arrivent plus à comprendre ce que veulent les gens autour. Ce sont des changements dramatiques. C’est ce dont je parle dans mon livre « Brand New. The shape of brands to come » qui s’adresse à quiconque s’intéresse à la façon dont le monde change. »
Relier les gens avec des couleurs et des ponts
Il est difficile de discerner le travail d'Olins en tant que designer seul. Les travaux sont toujours signés par le nom de l'agence et de ses deux fondateurs, Wolff et Olins. Sans savoir exactement qui a fait quoi et en supposant que c'est un travail d'équipe, penchons-nous sur quelques-uns de leurs plus célèbres logos pour balayer des réussites et des échecs, en branding de marque et de territoire.
Dans une interview, Olins expliquait qu'un bon logo doit faire 4 choses. D'abord, il doit être émouvant et rationnel à la fois; s'adresser aussi bien au coeur qu'à la tête des gens. Deuxième point, il doit être pertinent pour toutes les parties prenantes. Troisième point, il doit être distinct. Le but d'une identité graphique étant de se distinguer des concurrents. Et quatrième point, il doit être vrai; il doit venir du coeur de la marque, éviter les clichés et souligner un concept qui doit être reconnu comme réaliste et inspirant pour toutes les cibles. En théorie cela semble tenir la route, mais dans la réalité... rien n'est si facile !
Orange, la boîte à couleurs
En 1990, le géant chinois de la télécommunication Hutchison Whampoa limited décide de fonder le 4è réseau téléphonique de Grande Bretagne. L’entreprise fait appel à l'agence Wolff Olins pour développer une marque qui n’aura rien de technologique mais fera de la simplicité, l’ouverture et l’optimisme ses mots d’ordre. Comme l’explique l’entreprise de conseil en stratégie de marque, « nous avons donné au réseau le nom d’une couleur, et non un nom lié aux télécoms comme Vodaphone ou Cellnet. Nous avons créé un style de communication chaleureux et humain qui est vite devenu mondialement reconnu. » orange était né.
Depuis, l’entreprise a été rachetée par France Télécom en l’an 2000, et son image remise au goût du jour en 2010 (cf animation ci-dessus). Au coeur de cette nouvelle communication, le rectangle -donc la marque- s'ouvre à ses clients et au monde, en s'adaptant à chaque besoin en particulier. Cette campagne plutôt simple et efficace semble assez cohérente avec la communication initiale de la marque et l'époque actuelle.
Øresund, territoire relié et reliant
Øresund est le pont-tunnel qui relie la Suède au Danemark, de Malmö à Copenhague. Olins était responsable de ce projet d'ampleur, mené dans les années 2000. Il est malheureusement très difficile de trouver des éléments graphiques sur ce sujet aujourd'hui, à part le logo, et encore (cf photo ci-dessus). On en conclut donc que le projet n'a pas perduré... Le logo retrouvé présentait les deux villes comme des points distincts à l'intérieur d'un grand territoire. Il ressemblait aussi particulièrement à des yeux de personnage de bande dessinée, mais l'intention n'était peut-être pas voulue.
En revanche, le sujet de création d'identité territoriale est passionnant. Deux cultures, deux pays, deux langues, deux éléments : l'air et la mer. L'intention politique explicitement formulée derrière ce projet était d'aider les résidents à s'identifier non plus à un pays mais à une région, de part et d'autre du pont. Du côté Suédois, à l'est, la région du Skåne est connue pour être la Californie scandinave. Tout l'enjeu du logo était donc de mettre en avant ce dynamisme et d'entrainer un changement de perception du territoire, que ce soit dans sa délimitation que dans son contenu. Olins explique que le branding de territoire est compliqué car il doit établir un lien et connecter la perception de cet espace à la réalité. "la difficulté des marques transfrontalières est le besoin d'unir des gens de cultures différentes mais aussi faire passer le bon message au reste du monde."
Aujourd'hui, il semblerait que le projet ait muté en "the greater copenhagen". Nous sommes passés du nom neutre d'un pont reliant deux pays, à une "invasion" danoise (neutre, tout de même) rebaptisant cette partie du territoire suédois comme banlieue de sa capitale. Il aura sûrement fallu que de l'eau coule sous les ponts pour passer d'un nom à l'autre ! Un sujet sensible au nom très local qui n'a peut être pas touché le coeur de toutes ces cibles à l'époque.
Tate, le flou artistique
Proposé en 1999, le logo des galeries d'art du Tate (en Angleterre) devait unifier 4 expériences artistiques variées et couvrir près de 500 ans d'art britannique et international. Le souhait des Tate était de combiner leurs quatre galeries sous une même philosophie. L'agence invite ses visiteurs à "regarder à nouveau, réfléchir à nouveau" (look again, think again) et propose ce slogan comme leitmotiv pour ce nouveau logo. Le résultat est une variation de flous et plus ou moins gras, reconnaissables comme unité, mais en perpétuel mouvement. Wolff Olins a réinventé pour Tate le concept de la galerie, en passant d'un point de vue unique et institutionnel à une collection d'expériences de marques à l'attitude similaire. Les 4 points mentionnés par Olins semblent avoir été respectés ici, en étant émouvant mais rationnel, pertinent, distinct, et authentique.
En 2016 l'agence North a repris le flambeau en proposant un logo flou mais tramé, et qui peut être animé facilement.
AOL. la marque qui voulait être transparente
Dans les années 90s, Aol. (American Online) était l'une des uniques plateformes pour surfer sur le web aux États-Unis. Mais avec l'évolution rapide des technologies, Aol. s'est retrouvé à la traine, sans arriver à rattraper son retard, passant de 27 millions d'utilisateurs en 2001 à 6 millions en 2009. C'est justement à l'époque que l'entreprise quitte le groupe Time Warner et essaye de voler de ses propres ailes en devenant une entreprise publique indépendante. Elle demande alors à Wolff Olins de concevoir sa nouvelle identité visuelle, afin de la positionner comme une " entreprise de média du 21ème siècle".
Les trois lettres majuscules changent en bas de casse pour former visuellement un mot, qui pourtant se lit encore comme un acronyme, grâce au point. Contrairement à d'autres marques, le nouveau logo d'Aol. n'existe que grâce à son support. C'est un logo qui est, comme internet, dynamique, changeant, et invisible sans contenu. L'agence demande à plusieurs artistes dans le monde d'habiller le logo pour le faire vivre ; il se déploie sur des taches d'encres, un poisson rouge, des gribouillages, des oiseaux, fleurs ou feuilles, des personnages dessinés, un chat qui saute, ou des coulées de peinture. Le but de cette collaboration étant de travailler avec des artistes, journalistes et des musiciens pour créer "des expériences au contenu extraordinaire" selon les dires de l'agence.
Ou plutôt de faire oublier un nom en concentrant tous les regards sur le second plan ! Le changement de nom étant non négociable, l'entreprise a dû en effet ruser pour se défaire d'une mauvaise réputation liée à une mauvaise expérience web. Encore aurait-il fallu que la réputation d'Aol. puisse évoluer en même temps que son image. Surtout sans changer de nom...
Malheureusement, 10 ans plus tard Aol. ne va toujours pas mieux. Comme l'a dit Paul Rand, « la marque de fabrique, c’est le graphiste qui la crée, mais c’est l’entreprise qui la fait ». Le ver était dans la pomme, et ce nouveau lustre n'a pas changé son goût.
J.O. de Londres 2012, un logo qui met tout le monde d'accord
Proposé en 2007, le logo des jeux olympiques et paralympiques de 2012 à Londres est vite devenu sujet à de nombreuses critiques, tout aussi improbables que virulentes. À la base, le logo des JO de 2012 avait été conçu par Wolff Olins pour inclure tout le monde dans une expérience commune. Il fallait un logo attirant pour les jeunes, "un logo audacieux, énergique et dissonant comme la ville de Londres". L'agence l'a donc conçu sans signes rappelant un monument ou un sport particulier, en y insérant les anneaux olympiques (une rareté pour un logo de ce type) et en laissant une flexibilité sur le contenu. Les marques, sponsors, ou pays pouvaient donc jouer avec en y insérant leurs couleurs, voire même en enlevant les anneaux en cas d'interdiction d'usage. Pour la première fois, le logo des J.O. et celui des jeux paralympiques ont été conçus à l'identique, avec une variation d'inscription mais pas de forme.
Visant à toucher un public aussi large que celui du Royaume Uni, il était difficile de mettre tout le monde d'accord. Et pourtant l'identité de marque des JO de Londres a bel et bien réussi à créer le consensus : le logo a été unanimement jugé très laid. Sur le site BBC News, les internautes ont été invités à voter en lui donnant un trophée de cuillère d'argent ou de bois : 83% des votants, soit l'écrasante majorité, a voté pour la cuillère de bois, signifiant leur profond dégoût pour ce logo. Loin de plaire au public, donc, il provoque également la colère de l'Iran. Le pays déclare y lire les lettres Z-I-O-N (et non 2012) terme désignant la ville de Jérusalem. Or, l'Iran ne reconnaît pas l'existence de l'état d'Israël. "L'utilisation du mot Zion pour élaborer le logo des Jeux Olympiques 2012 (...) est un acte totalement révoltant", a affirmé le président du Comité olympique iranien, Mohammad Aliabadi, dans une lettre au président du CIO Jacques Rogge. Du côté de la campagne publicitaire, le premier spot a provoqué plusieurs crises d'épilepsie chez les téléspectateurs.
Avec le recul cependant, ces jeux ont enregistré de très forts engagements du côté des spectateurs, et le "bad buzz" de ses débuts a néanmoins réussi à faire parler de lui et à le rendre connu à travers le monde. Sans avoir touché le coeur des spectateurs, il a réussi à être pertinent et distinct. Pour notre part, chez Graphéine, sans nécessairement porter dans notre cœur ce logo, nous lui reconnaissons une forme d'engagement graphique très fort. Toute une grammaire visuel en découle et irrigue l'ensemble de la charte graphique. On souhaite le même sort au nouveau logo des J.O. français de 2024, qui divise déjà l'opinion.
Bien qu’il se soit éteint en 2014, Wally Olins continue d’être une référence, une icône au nœud papillon et aux lunettes rondes, comme il s'auto "brandait".
Notre interview exclusive avec Wally Olins
Aurélien qui animait alors le blog Actulogo a eu la chance de recueillir l'opinion de Wally Olins sur le branding territorial lors d'une interview menée en 2011, que nous n'avions jusqu'alors jamais publiée.
Pour les anglophones, voici la version audio :
En voici la retranscription exclusive en Français :
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