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Les codes graphiques du post-modernisme dans les logos de marques

Avez-vous remarqué que nos repères s’effritent ? Pour de nombreux penseurs, cela s’explique de manière simple : nous glissons petit à petit de l’époque moderne, héritage des Lumières, à la post-modernité. En annonçant la mort de Dieu, Nietzsche est souvent considéré comme le précurseur du postmodernisme. Comment définir cette nouvelle ère ? Pour Michel Maffesoli, professeur émérite en sociologue, nous entrons dans « le temps des tribus » (1988). Évidemment, l’impact pour les marques et les entreprises est majeur : de nouveaux codes de la communication émergent.

Voici donc la question à laquelle il convient de répondre : quels sont les nouveaux codes graphiques de la post-modernité ? Décryptage à travers les logos et nouvelles identités visuelles.

Cet article a été réalisé suite à une invitation et en collaboration avec Elodie Mielczareck, sémiolinguiste spécialisée dans le langage verbal et non verbal. Nous la remercions chaleureusement pour cette idée !

6 caractéristiques essentielles pour caractériser la « post-modernité »



On passe du « je pense donc je suis » (Descartes) au « je est un autre » (Rimbaud). L’individu n’est plus au centre d’une République une et indivisible : c’est l’idéal communautaire qui prend le relais. Le temps des tribus est un temps incarné et humain, voire animal. On abandonne les codes trop statutaires pour favoriser des emblèmes simples.
Illustration avec un nouvel entrant du monde de l’assurance : Alan.

Alan est un des nouveaux visages de l’assurance en ligne pour une jeune génération d’auto-entrepreneurs / freelances. Un logo mascotte façon doudou peluche, infantilisant, mais rassurant et « kawaï » dans la pure tradition japonaise des personnages de mangas. Nous sommes proches du graphisme d’un Totoro des studios Ghibli, voire d’un Pikachu ! Une esthétique digital mignonne tout en rondeur dans l’emblème et la typographie, qui casse les codes statutaires « corporate » des logotypes des autres établissements historiques. Un logo-visage qui mise tout sur le principe de « néotonie » : C’est mignon et j’éprouve un sentiment de bienveillance, car je reconnais les caractéristiques d’un visage juvénile (les yeux sont presque dans l’axe du nez, la bouche est petite et l’ensemble est très rapproché).

Un parti pris volontairement disruptif et « fun » pour ne pas faire comme papa et maman. Le nom de la marque « Alan » est un prénom qui prend le contre-pied sur le sujet du naming vis-à-vis de la concurrence où l’acronyme était roi : MAAF, MACIF, MAIF, MATMUT, GMF… Un choix qui a pour objectif d’humaniser le service, mais attention sans capitales pour rester dans la rondeur des « a » bas de casses. Un univers douillet qui donne envie de se lover dans son « cocon digital ».

Le travail n’est plus un impératif catégorique (Kant) pour se réaliser. C’est faire de sa vie une œuvre d’art, et en tous les cas, ne plus perdre sa vie à la gagner qui a du sens et qualifie l’existence. La question de la liberté devient centrale. On abandonne les codes trop « enfermants », les « mises en abyme » pour ouvrir les espaces fermés.
Illustration avec le nouveau logo de La banque Postale :

La banque Postale ouvre la cage aux oiseaux ! Un nouveau logo qui supprime le cadre pour libérer le célèbre emblème. Un dynamisme et une ouverture émancipatrice qui assument l’iconicité de son emblème qui hybride l’image d’une enveloppe et d’un oiseau en vol. Un positionnement plus ostentatoire beaucoup plus en phase avec la cible jeune adolescente avide de « codes de marques » (cf. la campagne d’affichage qui a dévoilé cette nouvelle image). Ce rebranding est donc une tentative de construire une image plus décontractée et elle vise la « gen Z » qui grâce à la banque postale obtiendra son premier compte bancaire, nouvelle étape vers la construction de son indépendance. Un oiseau postal qui devient bleu clair et se rapproche d’un autre logo d’oiseau célèbre, celui de Twitter.

En supprimant la mise en abime du cadre dans le cadre pour ne garder que l’emblème et le bloc typographique, le logotype devient plus léger et aérien. Il se simplifie pour offrir un système plus flexible qui permet au logotype de se décliner de façon responsive sur les supports numériques. C’est une solution graphique moins figée et moins statutaire, mais en contrepartie elle gagne en « agilité ».
La tagline « Citoyenne » du nouveau logo sous-entend que la Banque Postale s’inscrit dans les entreprises qui ont l’ambition de porter une raison d’être qui impacte positivement la société. Ce qui est la moindre des choses lorsque l’on est une banque publique !

Les réponses systématiques et purement rationnelles pour organiser et structurer le monde laissent place à une « remagification » du monde (Benjamin Walter). Une vision holistique du monde s’impose. Graphiquement, cette remagification du monde se traduit par la valorisation des couleurs arc-en-ciel.
Illustration avec le dernier logo Apple, qui revient aux fondamentaux, en modifiant juste quelques nuances, et en ayant définitivement abandonné le noir et le gris…

En tant que designers de logotypes, nous sommes naturellement coutumiers de créer des évolutions d’identité visuelle, avec une certaine idée du « progrès graphique » sous-tendu par l’efficacité de la simplification formelle à même de faciliter la mémorisation de ces signes. Si l’on doit constater le consensus de la profession dans ce processus de transformation, force est de reconnaitre que le phénomène inverse de régression graphique touche récemment et de plus en plus les grandes entreprises internationales.
Burger King, Reebok, Kodak sont un bon échantillon de marques touchées par ce mystérieux phénomène de « désévolution » de leur logo. Nostalgie ou reboot pour effacer les erreurs successives des derniers rebranding ? Est-ce un moyen de revenir à un bon design mémorable ?

Avec ce logo Apple ressuscite l’âge d’or de ses premières années où la marque était encore pionnière. Un logo « vintage » qui désévolue la précédente version monochrome saluée pour son minimalisme et son élégance minimale, pour entretenir un sentiment de nostalgie des origines avant-gardistes de la marque. C’est une émulation du passé à la sauce Stranger Things de Netflix (une copie de la touche Amblin des productions Spielberg). Cela nous laisse fantasmer une version idéalisée des années 80, et donne un sentiment de mélancolie pour cette période à toute une génération trop jeune pour l’avoir réellement vécue. Le rêve d’une époque révolue où la vie semblait plus simple et moins angoissante. Ce retour en arrière peut aussi être lu comme un manque de vision pour l’avenir.



Nous pourrions qualifier ce phénomène de « Golden age capitalism nostalgia », comme une résurgence des codes graphiques d’une époque où le soft Power américain était à son paroxysme via son emprise et sa domination culturelle et économique
.
Les rayures arc-en-ciel peuvent aussi être interprétées comme de l’« activism-washing », une technique opportuniste pour séduire la communauté LGBTQ+ en prenant une image de marque pseudo « inclusive ».

On quitte une représentation utilitariste du monde (ne vaut que ce qui sert (paranoïa). On valorise une vision esthétique et émotionnelle : corps-esprit-environnement sont liés (épinoïa). Graphiquement, cela se traduit par la gestion du blanc et de la transparence, par-dessus des univers photographiques chargés. Un nouvel espace - sans bruit - est permis.
Exemple avec cette déclinaison de l’identité visuelle Axa :

Axa continue sa lente mue entamée depuis plusieurs années dans le but d’assoir la « barre rouge oblique » comme futur emblème de la marque aux yeux du public. Sorti du logo le « slash rouge » est un signe graphique qui signe les visuels et les campagnes publicitaires de Axa. Ceci peut expliquer le traitement blanc-transparent du carré cartouche anciennement bleu qui - tentons une prophétie branding - devrait finir par totalement disparaître pour un futur logo où ne devrait subsister que le bloc typo Axa et le slash rouge. On devine une stratégie branding sur le long terme avec une lente accoutumance visuelle pour préparer cette évolution sans perdre la reconnaissance et la notoriété graphique de la marque.

J’ai lu un jour - mais impossible de me rappeler où - que le logo Axa tire son graphisme d’une symbolique christique : trinité des trois lettres A, X, A, ou Marie et les apôtres au pied de La Croix (?), tandis que le trait oblique ascensionnel rouge représente l’esprit de Jésus qui monte au ciel.

Mastercard, Visa et tout dernièrement « SG » comme refonte de la Société Générale fusionnée avec le Crédit du Nord », se sont illustrés sur ce versant de l’ultra minimalisme géométrique. Mastercard en supprimant son nom pour ne conserver que les deux cercles entrelacés ; Visa en tentant d’imposer les deux barres en forme de signe « égale » comme son nouvel emblème. « Trademark gains value over times » dit-on dans la profession !
Cette recherche de l’épure géométrique est un héritage des préceptes du Bauhaus qui prône une forme déterminée par des prérogatives d’efficacité fonctionnelle que cela soit dans la production et l’utilisation. À ce rythme-là, toutes les formes géométriques basiques seront accaparées par les marques et copyrightées !
Faisons le pari qu’avec encore un peu de patience et nous devrions bientôt découvrir un nouveau logo Axa modernisé.

Le futur n’est plus un enjeu de sublimation, ou envisagé comme un report de jouissance (Freud). C’est le primat du présent dans son immédiateté et de l’instant éternel... L’immédiateté est un enjeu post-moderne. Les codes graphiques se donnent à lire de manière plus immédiate et rapide. Fini les détails baroques et le style rococo ! On laisse place à la simplicité des codes et formes géométriques davantage minimaliste.
Illustration avec le nouveau logo Renault :

Le dernier rebranding de Renault, en puisant dans l’origine du logo dessiné par Vasarely en 1972, s’inscrit dans le socle historique de la marque. Ce geste de simplicité “timeless” traduit l'ambition de devenir éternel pour sortir de la boucle infinie des tendances graphiques passagères. Le nouveau design du losange renoue avec les lignes vibrantes de l’art optique dans un tracé simplifié et « flat » qui s’adapte parfaitement aux contraintes d’affichage des interfaces-écrans. Nous vous invitons à consulter l'article que nous avions rédigé sur cette tendance à l'occasion du nouveau logo du constructeur automobile Peugeot.

Avec cette refonte visuelle, Renault donne l’impression d’avoir fait la synthèse des différentes versions de son logo à travers les époques pour un design qui semble être l’aboutissement d’une forme définitive et intemporelle comme peut l’être le monogramme de Chanel. Le « simplicity is the ultimate sophistication » de Da Vinci croise le « Less is more » de Mies van der Rohe.

La verticalité de la « Loi des Pères » (détenir La Vérité) laisse place à l’horizontalité des vérités plurielles, mises en relation les unes par rapport aux autres. C’est l’ère du relativisme : les points de vue coexistent. Cette « horizontalisation des rapports » passe par une modification de la typographie. On abandonne le lettrage capital (haut de casse) pour valoriser le lettrage en minuscule (bas-de-casse).
Illustration avec ce nouveau logo Total :

Quand on a l’ambition de développer les énergies « propres », ne faudrait-il pas être cohérent et adopter un logo synonyme de sobriété qui limite son impact environnemental ? C’est tout l’inverse que réalise ici Total, devenu TotalEnergies en mettant tous les curseurs de la surenchère visuelle dans le rouge. Tout d’abord un dégradé multicolore, comme un « flux digital et immatériel », qu’on imagine être le symbole de la nouvelle pluralité des énergies que propose Total énergies (après le rachat de Direct énergies), pose de réels problèmes de lisibilité de la ligature emblème « Te ».
L’arc-en-ciel est ici symbole d’inclusivité et d’exhaustivité, et dans un autre registre d’association des énergies, le nouveau logo de la Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale, fraîchement dévoilé, ne déroge pas à cette tendance toute diplomatique de « non choix ». Bien sûr, les outils de création graphique numériques ont depuis plusieurs décennies facilité le déploiement de ce type de gimmick chromatique. Ils ont permis de lui donner sa nature contemporaine ubique.

Cela devient une vraie calamité dès qu’il s’agit de reproduire le logo sur des supports « physiques ». Cela oblige de l’imprimer toujours en quadrichromie pour obtenir le rendu multicolore. Grosse empreinte carbone, donc, pour le déploiement de la nouvelle identité sur les signalétiques d’enseignes, les véhicules… !
C’est particulièrement tape-à-l’œil et en termes de pollution visuelle, nous tenons un champion. La ligne molle de la ligature « Te » qui en plus de n’avoir aucun sens, rappelle l’affreux ancien logo escargot du TGV, époque « prendre le temps d’aller vite ». Nous sommes dans un cas de rebranding qui efface l’ancienne identité pour se racheter une conscience écologique tout en restant tourné visuellement vers... les énergies fossiles, dans le rouge. Lapsus révélateur imagé !

C'est quoi le style graphique d'un logo post-moderne ?

Fin des codes statutaires, ouverture, couleurs arc-en-ciel, transparence, simplicité des formes et lettrage bas-de-casse : tels sont les codes graphiques des logos de la post-modernité. De la forme au service d'un fond qui nous interroge, mais sans lequel nous ne serions que des décorateurs de surfaces ! Certes, cet article ne vous aura pas donné les tendances (éphémères) des logos pour 2022, mais nous espérons qu'il vous aura donné quelques clefs sociologiques et sémiologiques pour décrypter notre époque, et ainsi mieux comprendre comment elle influence les choix graphiques qui déterminent l'esthétique actuelle des logos de marque.

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