Les Anglo-Saxons la nomment "brand", "branding" étant l'activité consistant à concevoir des "marques".
Ce terme s’est massivement imposé dans le jargon professionnel, au point que je ne me suis jamais questionné sur son sens profond. Pourquoi la traduction du mot français "marque" n'est-elle pas "mark" en anglais ?
Si la traduction de "graphic" par "graphique" ne m'a jamais posé de question existentielle, celle de "brand" par "marque" est plus surprenante. Devons-nous nécessairement percevoir un sens identique pour ces deux mots ? Il faut se plonger dans l'étymologie des mots pour y trouver un début d'explication.
Les mots gardent des traces de leur histoire, de leur voyage à travers les siècles. Ainsi le mot "travail" n'a pas profondément le même écho que "work". Le mot français provient du latin "tripalium", un instrument d'immobilisation (et de torture !) dont les trois pointes n'ont rien à envier au fait de pointer à l'usine. Par la suite, le nom de cet instrument romain a servi à désigner l'état d'une personne qui souffre, c'est d'ailleurs le sens qui est toujours utilisé en obstétrique. Quand une future mère commence le travail, c'est qu'elle commence à souffrir ! Par extension, le mot a servi à désigner les occupations pénibles, puis les activités de production… bref, une histoire sympathique, loin de celle du mot anglais "work" hérité du vieil allemand, qui l'avait emprunté au grec "érgon" signifiant "une activité / une action".
L'étymologie, l'inconscient du langage, nous apprend donc beaucoup de choses sur le sens des mots. Alors pourquoi utilise-t-on "Brand" outre-Atlantique et "marque" en terre gauloise ?
En anglais il existe deux mots "brand" et "mark", le premier est utilisé dans le langage technique, le second dans le langage courant. En français, le même mot sert à désigner dans le langage courant "une trace, une empreinte laissée par quelque chose ou quelqu'un" et dans le langage professionnel "un signe ou un nom servant à identifier un produit ou un service".
Le mot "marque" prend son origine dans le mot protogermanique "marka" signifiant "frontière / bordure / signe de démarcation de la frontière". L'origine du mot croise celle de "marcher" issu lui-même du francique "markon" "imprimer la marque du pied". C'est ce sens qu'il a conservé en français.
Le mot "brand", vient du proto-germanique "brandaz" qui signifie "brûler", puis donne en bas francique "brand" qui prend le sens de lame, d'épée. Les seules traces de ce mot en français se retrouvent dans le mot "brandir" (agiter dans sa main une arme, comme si on se préparait à frapper) et dans l'étonnant dérivé qu'est le mot "branler" (faire bouger, agiter à l'origine une arme). En anglais, le terme désigne la marque faite sur un animal pour identifier son propriétaire. Un nom, un symbole était généralement brûlé au fer sur l'animal… un peu brutal ! Nous reviendrons d'ailleurs, dans un prochain article, sur cette pratique et sur l'étonnante codification typographique élaborée par les "cowboys" !
Quelles traces a pu laisser dans l'inconscient du mot "branding" son histoire guerrière (épée) et violente (brûler) ?
Délicat de prendre un ton péremptoire et de jeter ce terme au bûcher, cependant, peut-être devons-nous juste souligner la méfiance de plus en plus grande des consommateurs envers les marques. Accusés d'envahir l'espace public et de n'avoir aucune éthique autre que le profit, les marques sont malgré elles les porte-drapeaux du capitalisme. Il n'y a qu'à voir le succès planétaire qu'a eu le livre No Logo de Naomi Klein pour percevoir la légitime défiance que la société peut avoir envers les marques.
La vision archaïque, malheureusement la plus répandue, qui consiste à penser que "toute la stratégie du marketing, du branding, consiste à tatouer la marque dans l'esprit du consommateur" s'explique-t-elle par l'étymologie des mots ?
On ne peut pas, étymologiquement, chercher à "marquer au fer" les consommateurs* sans être désapprouvé en retour ! C'est évidemment une fausse route pour concevoir son métier de communicant !
Communiquer c'est dialoguer, échanger, partager. Comme le dit Marie-Claude Sicard, dans son livre "identité de marque", communiquer c'est commencer par faire l'hypothèse de la liberté de l'autre, et non de celle de sa faiblesse ou de sa réédition. Communiquer c'est tout sauf essayer de marquer les gens comme du bétail !
* Consommateur : un consommateur n'existe pas. Il n'y a que des individus, des personnes. Tout au plus, le "consommateur" est-il un trait de caractère présent en chacun de nous, qui s'exprime quelques minutes par jour, le pus souvent à notre insu. S'adresser à un consommateur, c'est nier que 99% du reste du temps c'est un homme, une femme, une infirmière, un père de famille, un graphiste… une personne multiple, complexe et surtout unique ! Il n'y a aucun moyen de séparer le consommateur de l'être humain dans sa globalité. Dès lors, ce sont avant tout les règles de la communication "humaine" qui doivent s'appliquer et non le dictat du marketing relationnel.
Merci pour l’idée. L’article est fait, il est disponible par ici : Le branding des cowboys
J’imagine que par l’aspect typographique des cowboys vous aller remettre à jour les divers codes, symboles et signes usités par les gardiens de troupeaux pour identifier leur bétail. Il y a un très bon article dans le n°2 du magazine Portfolio (1951), designé par Alexei Brodovitch.