Fin mai, Total a dévoilé son nouveau logo, ainsi que sa nouvelle identité et son nom : TotalEnergies. Cela marque un nouveau tournant stratégique qui ne semble pourtant pas aller dans la même direction que leur logo... on trouve que le tout manque de solidité, de cohérence et de durabilité.
Le 9 février 2021, Patrick Pouyanné, PDG du groupe Total twittait : "@Total va changer de nom pour devenir #TotalEnergies. Ce nom ancrera notre stratégie de #transformation en un groupe multi-énergies. TotalEnergies, c’est Total, c’est toutes les énergies, c’est toutes nos énergies au service de nos clients !" Ce changement d'identité, approuvé par la très large majorité des actionnaires, est un moyen pour le groupe pétrolier -mais pas que- de "marquer explicitement ce que nous voulons être : un leader avec plus d'énergies et moins d'émissions, la compagnie des énergies responsables" souligne le PDG dans sa vidéo d'annonce du nouveau nom TotalEnergies.
Le 28 mai dernier, la nouvelle identité de Total était dévoilée, tout comme le nouveau visage de la station service TotalEnergies de la Défense :
La nouvelle identité visuelle de TotalEnergies, par l'agence Carré Noir
Patrick Pouyanné dévoile la première station service aux couleurs du nouveau logo de Total, à la Défense à Paris
Un nouveau nom, et une nouvelle image pour Total :
"Ensemble, ils relient notre passé dont nous sommes fiers, et notre futur.
Ensemble, ils disent ce que nous voulons être : un acteur majeur de la transition énergétique.
Ensemble, ils expriment nos propres énergies, celle de toutes les équipes de TotalEnergies." écrit Patrick Pouyanné dans sa lettre d'annonce.
La nouvelle identité vient avec un spot publicitaire "dessiné main" et aux couleurs de l'arc en ciel, pour symboliser "toutes les énergies".
Il aura fallu 9 mois à l'agence Carré Noir (Publicis) pour accoucher de cet énorme et délicat projet. Énorme dans les proportions de déploiement de la nouvelle identité de TotalEnergie, qui impliquera le lifting de près de 16 000 stations services dans plus de 130 pays du monde et jusque dans les coins les plus reculés, ce qui demandera 18 mois de travail. Délicat du fait que Total est l'une des entreprises les plus rentables de France, et l'un des 6 "supermajors", ces géants mondiaux du pétrole et du gaz. L'identité du groupe ne devrait laisser personne indifférent. On peut comprendre l'immense challenge stratégique, économique et écologique lié à la création d'un tel logo, qui se doit forcément d'être durable, étant donné les coût astronomiques de mise en œuvre.
Lors du brief avec Carré Noir, le PDG Patrick Pouyanné aurait précisé que "tout change" au sein du groupe, du nom au logiciel, jusqu'à la structure interne avec la création de nouvelles branches comme la "One Tech" en R&D et de nouveaux métiers, et bien sûr la nouvelle stratégie orientée vers les énergies. D'une simple demande initiale de lifting, l'agence créative a compris qu'il faudrait en faire un peu plus.
En revanche on peut questionner le fondement de ce nouveau logo censé illustrer la transition énergétique de Total, alors que le précédent faisait déjà très bien le job, avec l'introduction des couleurs -le bleu clair et le jaune-orangé- qui symbolisaient déjà les énergies de la Terre. Le réel besoin de Total ici est donc bien évidemment de verdir son blason sur le long terme, et ce changement passe par l'adoption d'un nouveau nom qui nécessite donc une nouvelle image. Stratégie qui a déjà fait ses preuves et qui permet aux entreprises d'effacer un passé peu glorieux (Le crédit Lyonnais > LCL, Thomson-CSF > Thalès, France Télécom > Orange) ou de marquer un tournant stratégique comme l'a fait GDF Suez en devenant Engie, ou SNCF en devenant OUI.
Bien que désormais tourné vers le renouvelable (il était temps), la volonté de Total était tout de même de construire un logo qui garde un lien avec le passé, le pétrole, tout en incarnant la transition vers les énergies renouvelables. Il n'y a donc pas dans ce nouveau logo la volonté de faire du greenwashing en s'affichant tel un géant vert, mais bel est bien comme un producteur d'énergies au pluriel, pétrole compris. Mais du coup, c'est la fête des couleurs.
Niveau couleurs, on ne peut que parler de l'usage dégradé... du dégradé. C'était une grosse tendance design des années 2019/2020 (ex : logo Instagram) via les interfaces UX. Entre autres parce que les nouveaux outils web facilitent l'utilisation des dégradés de couleurs (on pense à la démocratisation des usages du CCS3 à partir des années 2015, puis à l'arrivée de l'outil dégradés de formes libres dans la version CC2019). Mais quel est l'intérêt de vouloir surfer sur les codes du web quand on affiche à 98% dans le monde réel ? Retrouver cette tendance dans un logo aussi institutionnel que TotalEnergies montre que cette tendance a probablement atteint son apogée depuis longtemps. C'est le cycle des modes. Pour prendre une autre métaphore, quand les papis sont arrivés sur Facebook, les ados étaient partis depuis longtemps sur Instagram ou Snapshat.
Enfin c'est sûrement que le dégradé n'est pas seulement une question de tendance mais une solution visuelle pour symboliser la diversité des énergies. Celles-ci sont immatérielles et donc difficiles à retranscrire visuellement, d'autant plus quand on veut toutes les représenter. Problème : le nouveau logo Total repose sur ce dégradé et sans lui, il perd 90% de son sens. On voit ici une contrainte technique de nécessairement devoir reproduire le logo en couleur, qui peut poser un problème esthétique sur des affiches papier par exemple, un logo possédant la plupart du temps des variants monochromes. Sans parler du fait que le rendu dégradé augmente les frais en excluant beaucoup de procédés de fabrication et d'impression, et implique l'usage de quadrichromie. Si cette mode devait passer très vite, alors le logo serait bon a jeter à la poubelle.
Pour ce qui est de la typographie, elle est à l'opposée de ce qu'affichait Total auparavant. Adieu lettres capitales coupées au couteau, bonjour minuscules arrondies. Adieu monochromes, bonjour dégradés. Adieu bloc monolithique, bonjour mouvement et légèreté. On peut dire que niveau changement, c'est efficace. La nouvelle typographie nous fait penser à de la Gotham Rounded, dont le style "rounded" est souvent utilisé dans le milieu écologique, et notamment... chez les "concurrents", les fournisseurs d'énergie (vraiment) verte, comme Energie d'Ici, Ilek, ou mint énergie. C'était avant tout le style de typo que l'on trouvait chez Direct Energie, que Total avait racheté en 2018.
Niveau efficacité du message global, on est un peu moins convaincus. La première chose qui nous saute aux yeux, c'est cette barre verticale de T un peu faiblarde et bancale car moins épaisse que les autres, et qui donne une impression de mouvement vers... la gauche, comme un retour vers le passé. Drôle d'idée pour un logo censé représenter le futur ! D'autant plus que si l'on dessine cet insigne avec le doigt en allant de la gauche vers la droite -du passé vers le futur, du pétrole vers les énergies vertes- le cercle du e devrait passer au-dessus de la barre du t, et non au-dessous. Avec ce mouvement, c'est tout le logo qui est entrainé dans le rouge, vers le pétrole.
Alors qu'en faisant simplement passer le cercle du e par-dessus le T comme dans notre animation ci-dessous, on donnerait un mouvement plus cohérent à l'ensemble... qui partirai alors bien vers la droite, et regarderait vers l'avenir. Et puis le e est en minuscule dans le logo, mais en majuscule dans le nom. Encore une incohérence ?
Un logo tourné vers le passé, donc ? C'est exactement ce que Geoffrey Dorne s'est amusé à retranscrire dans son illustration. Un peu facile, certes, mais efficace.
On a aussi vu une certaine ressemblance avec l'ancien logo TGV qui se retournait en escargot. Au moins, à l'envers, il va dans le bon sens...
La marque et le premier logo TOTAL apparaissent en 1954, pour identifier le réseau de distribution propre de la Compagnie Française des Pétroles (CFP), qui existe quant à elle depuis les années 20. Le nom TOTAL semble bien attribué pour désigner ce réseau complet, puis plus tard cette entreprise mondiale. C'est un nom facile à prononcer et compréhensible dans plusieurs langues. La couleur rouge sera un élément récurrent au fil de l'évolution du logo, ainsi que les lettres capitales, grasses et franches ; imposantes. Le rouge, énergie vitale : c'est le pétrole pour Total.
Une station service Total en côte d'Ivoire en 1960
Publicité Total de 1955 par L. Ferrand
Le dernier changement de logo et d'identité visuelle datait d'il y a 18 ans, en 2003, à la suite des fusions avec PetroFina et Elf. Changement notable puisque la nouvelle charte marquait un tournant stratégique et intégrait pour la première fois de nouvelles couleurs dans le logo. Il s'agissait également d'à nouveau instaurer le nom Total (en majuscules un peu moins imposantes et plus dynamiques) qui avait cédé sa place temporairement à TOTALFINAELF. Le précédent logo de 1982, aux losanges bleu rouge et orange, avait quand à lui tenu 21 ans. On espère donc pour TotalEnergies que ce nouveau logo durera aussi longtemps.
Total affirme vouloir relever le défi collectif de baisse des émissions carbone pour maintenir le réchauffement climatique mondial "nettement en dessous de 2°C" d'ici... 2100, comme le précisent les accords de Paris de 2015. Dommage d'avoir autant attendu car le GIEC alerte sur le fait que le seuil des 1,5°C pourrait être atteint d'ici 10 ans si rien n'est engagé pour réduire ces émissions, ce qui aurait des conséquences dramatiques sur le climat et la vie sur Terre. Les chiffres clé du climat du Ministère de la transition écologique indiquent que si le secteur de l'énergie ne pèse que 6% des émissions de gaz à effet de serre (GES) dans le monde (contre 47% liés à l’électricité -comprendre le charbon- et 25% liés au transports), la production d’énergie a plus que doublé ces 50 dernières années. On remarque également la baisse de l'extraction de pétrole dans le monde depuis les années 70, mais l'augmentation de celle de gaz naturel et du nucléaire.
Face à cette demande énergétique galopante chevauchée par la consommation des ménages et "l'augmentation du niveau de vie" (expression discutable et ambivalente si on prend en compte le fait que les humains vivent globalement bien mieux et plus longtemps qu'avant, mais contribuent à détruire l'écosystème qui les accueille et dont ils font partie), la "solution" mondiale ne semble pas être pour l'instant de vouloir moins extraire, mais plutôt de puiser dans d'autres sources...
L'entreprise s'est tournée autrefois vers l'extraction du gaz, a développé des nouvelles techniques d'extraction (souvent controversées) et s'oriente donc aujourd'hui vers les énergies renouvelables, prouvant depuis de nombreuses années que son cœur de métier est la production d'énergies, au pluriel. Mais comme on l'a dit plus tôt, l'ancien logo annonçait déjà cette vocation pluri-énergétique.
Si les accords de Paris ont permis à Total de prendre un tournant (ou plutôt : le groupe a été obligé de se plier à des contraintes écologiques et économiques), on se demande pourquoi la nouvelle identité a attendu 6 ans pour apparaître. Engie avait déjà fait le pas dès 2015. Le géant des énergies s'est néanmoins engagé en mai 2020 à atteindre la neutralité carbone sur l'ensemble de ses activités d'ici 2050 et à réduire celle de ses clients de 60%, à compenser ses émissions de CO2 sur les extractions, et à développer 20% de ventes d'énergies renouvelables d'ici 2040. Il investit dans des puits de carbone naturels ou de captation de CO2, et est pionnier dans les biocarburants. On a pour l'instant bien du mal à le croire si l'on tient compte des scandales passés (et récents) et de sa production actuelle de CO2, mais sait-on jamais ?
Le nouveau logo de TotalEnergies, tourné vers le passé, n'est donc pas aligné avec les ambitions du groupe, clairement projeté vers une position de "leader de la transition énergétique". Mais sera-t-il le logo de la deuxième chance ? L'avenir nous le dira, à condition de regarder ensemble dans la même direction !
Pour terminer sur une note d'humour, on notera le tweet sarcastique de @Davidov qui partage cette photo absurde.
Pi et Fi
pyramide….
Bonjour,
Voici le mail que j’ai envoyé récemment au PDG de Total…
Je me demande s’il n’aurait pas été plus judicieux de profiter de la transparence esthétique de la façade qui reflète magnifiquement les ciels changeants et naturel. Pourquoi ce logo avec fond blanc trop grand et ces couleurs criardes ? Rien ne reflète l’énergie et la volonté d’aller vers une production écologique ! De plus pour moi cela fait partie d’une pollution visuelle et j’aurais bien envie de commencer une pétition pour non respect charte identité visuelle à savoir pollution visuelle. En tant qu’ancienne publicitaire comme beaucoup ici, je déplore également la non déclinaison possible en noir&blanc, un manque de professionnalisme d’une agence reconnue pourtant. Étonnant.
Voici le mail envoyé…
“Bonjour Monsieur,
Permettez-moi une petite mise au point par rapport à votre “nouveau” logo.
Habitante à Courbevoie, mon appartement donne sur les tours de la défense et en particulier sur votre tour et votre nouveau logo Totalénergie qui, je dois le dire, se voit comme un sparadrap au milieu de votre façade et ainsi contribue à une forte pollution visuelle depuis mon appartement. De plus le caractère guimauve (comme celui de la SNCF d’ailleurs !) ne symbolise absolument pas l’énergie à laquelle on peut prétendre pour la défense de l’écologie. Ses couleurs criardes contribuent également à cette pollution visuelle.
Que faire ? Comment supporter ce logo dont j’ai assisté à toutes les étapes lors de son collage sur la façade et qui empêche maintenant l’effet miroir que j’aimais tant avec le reflet des ciels changeants.
Alors, serait-il possible de supprimer ce fond sparadrap blanc opaque très laid pour ces mêmes raisons ? (d’autant que ce fond blanc ne figure pas sur toutes vos signatures publicitaires).
C’est donc l’objet de ce courriel et la question à laquelle je vous demande de réfléchir et à laquelle je vous demande de me répondre.
Bien cordialement tout de même.”
Tout à fait d’accord. Même le nouveau nom me paraît discutable. Total a la chance d’avoir un nom universel qui exprime l’idée de toutes les énergies.
Ce rebranding me semble avant tout guidé par la volonté de Ripoliner l’image du groupe auprès des actionnaires et investisseurs en quête de placements « durables ».
Ce qui me surprend le plus c’est que ce dégradé permet l’utilisation du logo uniquement sur fond blanc, regardez partout où il est utilisé (y compris sur l’immense tour Total de la défense). Ce logo n’est utilisable QUE sur du blanc !
J’ai du mal a comprendre ce choix
J’ai passé ma vie dans de petites moyennes grandes agences de com et de créa . Si ce n’était Carré Noir qui avait créé ce logo on crirait au scandale et à une création de secrétaire ! Effectivement ce pseudo ne durera pas longtemps … strategie … strategie .
C’est un logo crée tout simplement, pour sa déperdition.
Je suis publicitaire et adepte de l’impact. Je m’efforce de créer et non d’adapter…Or ce nouveau logo n’est ni « marquant » ni réellement progressiste de mon point de vue.. Il est presque infantilisant et n’augure rien de dynamique ni prometteur pour l’avenir. J’aurai aimé y trouver une expression technologique ou symbolique, quelque chose qui fasse réfléchir, réver, imaginer, supposer… Y déceler la promesse d’un mieux « à venir »,
La beauté et la force d’un logo doit pouvoir se comprendre en monochrome. Devoir utiliser toute la ressource quadrichromique pour lui donner sa force souligne déjà sa faiblesse…
Bien sûr, le « nouveau » nom choisi pour Total n’est pas vraiment créatif et simplement rajouter « énergies » comme suffixe est tout simplement affligeant. Voici déjà plus de 20 ans que les « énergies » sont au menu des solutions …. Alors la naissance de TOTAL ENERGIES est semblable à l’accouchement d’un adolescent de…20 ans ! Bref un non-événement sur le plan publicitaire. Il eût été plus marquant et plus courageux de tenter « MULTINERGY » ou « X-FUEL » ou carrément TOTALPOWER, compatible avec le grid? A croire que les actionnaires sont trop conservateurs? Mais peut-etre que le cahier des charges initial était-il trop étriqué?
Bonjour B.
Nos décryptages sont forcément emprunts d’une part de subjectivité. C’est inhérent à l’exercice de la critique. Nous tachons malgré cela, de produire un regard qui soit à la fois descriptif, analytique (afin de fournir des éléments de contexte interprétatifs pour comprendre le sujet) et évaluatif (sous la forme de jugements tant que possible équilibré entre du positif et du négatif). En formulant des avis sur les travaux de confrères, nous sommes extrêmement vigilants à ne jamais porter de jugements gratuits, ou ad hominem etc.
Nous ne pouvons nier une forme de conflit d’intérêt, étant nous même concepteur de projets de design. Nos lecteurs sont évidement éclairés sur cette situation.
Nos projets ne sont jamais irréprochables, et nous serions ravis de lire des critiques à leur sujet. Ce serait l’occasion pour nos équipes de progresser.
:-)
Ou l’art subjectif de la critique créa. J’imagine que toutes les identités que vous avez créées sont objectivement irréprochables ;) Se poser en Maitre ES de l’identité de marque en critiquant à postériori une créa est un positionnement facile, je serais curieux de savoir ce que ça donnerait si Carré Noir s’attelait au même travail de sape sur vos créas ;
Merci pour cette analyse. En voyant votre animation, je pense que l’agence ne souhaitez pas que le « E » prenne plus de place visuellement que le « T ». Comme si Total n’assumait pas complètement ce nouveau non ?
Hyper intéressant, comme d’hab’ avec vous.