Dans cet article, il sera question de chaine colorimétrique, de RVB et de CMJN. Un sujet technique, mais stratégique et dont les évolutions des dernières années doivent possiblement nous amener à revoir nos processus traditionnels.
Dans la gestion des actifs d'une marque, la couleur pourrait faire l'objet d'un chapitre complet. Pour les uns, c'est un ingrédient sacré qu'il faut absolument protéger ou verrouiller, pour les autres, c'est une friandise avec laquelle il faut jouer. Par friandise, nous envisageons le RVB comme un gâteau multicolore et acidulé. À côté le CMJN serait stable et régulier comme un pain à l'épeautre.
Pour continuer la métaphore, un artisan pâtissier saura toujours faire du bon pain, tandis qu'un bon boulanger ne saura pas faire de bonnes pâtisseries.
Qui peut le plus peut le moins.
Nous n'allons pas refaire le cours complet sur les différences RVB / CMJN. Juste réviser le minimum syndical pour ne pas perdre les apprentis colorimétristes.
Le RVB (rouge-vert-bleu) c'est pour les écrans. La couleur est vive et lumineuse.
Le CMJN (cyan-magenta-jaune-noir) c'est pour l'impression. La couleur est moins vive.
Pour visualiser les différences entre ces modes colorimétriques, on va regarder le "gamut", c'est-à-dire l'ensemble des couleurs qu'un mode colorimétrique permettra de reproduire. Ce drôle de mot provient du vocabulaire musical médiéval : les notes de musique étaient notées par des lettres (et le sont toujours dans la notation anglo-saxonne), puis furent notées par des noms dans la notation italienne ; la lettre grecque gamma (Γ) désignait le sol le plus grave, et ut le do le plus aigu. « gamma–ut » était donc l'étendue des notes jouables, ce qui donna « gamut ».
Le schéma ci-dessus représente les différents gamuts, en fonction des différents modes colorimétriques. Le gamut le plus grand correspond à ce qu'un œil humain (LAB) peut voir, et on constate que le RVB offre un spectre bien plus large que le CMJN.
En soi, le RVB ou le CMJN n'ont pas de gamut particulier, ce sont juste des systèmes de codage des couleurs. En revanche, en fonction de l'espace de couleur (Adobe RGB 98, sRGB, FOGRA39...) leur gamut va changer. Par exemple une image RVB en "Adobe RGB 98" offrira un très large spectre de couleurs, mais nécessitera un écran compatible avec ce mode colorimétrique. À l'inverse, le gamut CMJN du "FOGRA 39" sera très restreint, mais garantira une impression offset fidèle. On notera l'espace colorimétrique de la gamme "Pantone" qui se rapproche du "Adobe RGB 98".
En tant qu'agence de création d'identités visuelles, nous initions des projets, définissons des couleurs et essayons de les déployer au mieux sur l'ensemble des expressions de la marque. Ces expressions s'articulent autour de deux grandes branches :
• le digital (site web, réseaux sociaux, motion design...)
• le print (plaquette, affiches, kakémono, signalétique...).
La création étant numérique, nous démarrons en RVB, et nos logiciels sont configurés en sRGB. C'est le standard le plus largement compatible avec toute la diversité des écrans. Il va garantir la correspondance optimale des couleurs entre les différents écrans.
À ce stade, nous sommes en cuisine, et nous élaborons la recette qui aboutira au projet d'identité visuelle. Durant toute cette phase, nous itérons créativement, nous faisons des allers-retours avec notre client jusqu'à la validation du projet. Rappelez-vous, le RVB est une gourmandise, et il serait idiot de s'en priver. Ce sont des couleurs flatteuses à l'œil.
Une fois le projet validé en RVB, nous allons finaliser la charte graphique et convertir les couleurs en CMJN pour les usages print. C'est généralement à ce stade que les surprises arrivent : "Pourquoi mon logo est si fade ?"
Si l'on envisage que le RVB (sRGB) offre le potentiel colorimétrique maximal (100%) alors, disons que le CMJN (FROGRA39) n’offrira que 80% du potentiel. Ce chiffre de 80% n'est issu d'aucun calcul scientifique, c'est juste pour vous donner un ordre d'idée.
Nous pourrions commencer le flux de travail en CMJN pour être certains que la couleur soit parfaitement identique entre le print et le digital. Mais dans un monde où le digital est devenu le premier canal de diffusion pour les marques, se priver de 20% des couleurs les plus attractives nous semblera à tous très idiot. Quelle marque accepterait de ne pas jouer à armes égales vis-à-vis de ses concurrents avec des couleurs qui accrochent l'œil ? Il convient donc de commencer en RVB pour réserver la conversion en CMJN au print.
Cependant, ce n'est pas aussi simple que ça, et cette chronologie n'est pas toujours simple à respecter. Prenons l'exemple d'une campagne d'affichage, le fichier pour l'impression sera paramétré en CMJN et une fois le BAT (bon à tirer) signé par le client, ce même document servira de "master" pour être diffusé sur le web ou sur les réseaux sociaux. La conversion CMJN vers RVB n'est pas magique. Impossible de retrouver la saturation. Dans cet exemple, le potentiel colorimétrique est donc sous-exploité en digital.
Dans un flux de travail scindé entre CMJN et RVB, les fichiers sont difficilement interopérables entre ces deux mondes. Si l'on cherche à optimiser le potentiel colorimétrique de chaque monde, cela va demander une gymnastique complexe, et de nombreux doublons de fichiers.
Notre questionnement est donc "jusqu'à quelle étape peut-on rester en RVB ?"
En réalité, la contrainte du CMJN n'est plus aussi si forte que par le passé. Historiquement, les presses étaient toutes de type Offset. Il n'y avait pas trop de choix et les fichiers devaient être obligatoirement en CMJN (FOGRA39), et les imprimeurs étaient incapables d'imprimer depuis un fichier RVB (ex : un Word). Puis sont arrivées les presses numériques et les imprimantes grands formats. Une presse numérique c'est un peu comme un copieur couleur en géant, vous pouvez lui donner un fichier RVB, elle va le convertir toute seule en CMJN avec le profil colorimétrique propre à sa machine.
De plus, ces dernières années, ces nouveaux modes d'impressions ont beaucoup évolué, par exemple en matière de multichromie (vs quadrichromie). Par exemple aujourd'hui les traceurs jet d'encre grand format (bâches, kakémonos...) ou les presses numériques ont 6 ou 7 cartouches de couleurs (ex : cyan, magenta, jaune, noir, orange, violet et vert) qui leur permettent d'imprimer avec un gamut qui tend à se rapprocher du RVB (sRGB). D'ailleurs les presses numériques HP INDIGO récentes sont vendues pour imprimer jusqu'à 97% des couleurs Pantone. Autre exemple, Konica revendique d'imprimer 89% des couleurs Pantone. Dès lors, pourquoi leur donner du CMJN en entrée, alors qu'on peut imprimer de véritables pâtisseries RVB !
Dans le flux de travail, hormis quelques projets d'éditions très techniques (ex : packaging, livre d'art...), il est tout à fait possible d'utiliser des couleurs et des images RVB dans un document Adobe InDesign, puis d'exporter au choix un fichier RVB (sRGB) pour une presse numérique ou un fichier CMJN (FOGRA 39) pour une presse offset traditionnel.
L'offset nécessitera toujours de contrôler les taux d'encrage, de vérifier les textes en noir à 100% afin d'éviter les problèmes de calages et restera la solution la plus économique pour les gros tirages. Mais pour imprimer quelques centaines de brochures ou de cartes de visite, l'impression numérique est largement compétitive et son potentiel colorimétrique 20 à 30% plus performant que l'offset traditionnel.
La technologie multichromie est une technique d’impression innovante qui étend la gamme de reproduction des couleurs offertes par le CMJN (cyan, magenta, jaune et noir) traditionnel en quadrichromie, ceci est accompli en ajoutant au processus d’impression trois couleurs. Au total on aura 7 encres, les traditionnelles CMJN + Orange + Vert + Violet, qui sont le résultat de la combinaison optimisée pour le profil Adobe RGB.
Pantone fournit d'ailleurs un nuancier "Extended Gamut" où l'on retrouvera l'ensemble des références colorimétrique en 7 couleurs. On obtient ainsi un espace de couleur très vaste et on peut affirmer que la plupart des couleurs Pantone sont dans l’espace de couleur de la Multichromie avec des différences si fines petites qu'on ne les percevra pas à l'œil humain.
La plupart des machines numériques vont ainsi convertir la valeur Pantone indiquée dans le PDF en valeur multichromique en se basant sur l’information spectrale et en minimisant sa différence visuelle lorsque celle-ci est imprimée. Suivant cette logique, vous pouvez ainsi envoyer en impression numérique un document avec des pantones (au lieu d'une couleur RVB ou CMJN). La machine traitera automatiquement la couleur pour obtenir le rendu le plus proche du Pantone recherché.
En 2017, une nouvelle norme CMJN était édité par l'European Color Initiative. Il s'agit du FOGRA 53 sensé remplacer la précédente norme FOGRA 39 qui date des années 2003-2004.
Pour les curieux, vous pourrez découvrir tout le détail de ce format FOGRA 53 sur cette page : https://www.normaprint.fr/blog/fogra-53-un-nouvel-espace-cmjm
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Les avantages de la stratégie "RVB First" :
Les inconvénients :
Nous ne prétendons pas que cette stratégie colorimétrique soit la solution optimale. Nous essayons de challenger un peu nos processus, afin de trouver le flux de travail optimal et cross-plateforme. Dans la chaine graphique, le mantra "Print = CMJN" a encore évidemment la dent dure, et il sera difficile de faire changer 40 ans de tradition PAO. Mais ça vaut le cout de se questionner sur ce type de sujet.
Et vous, comment voyez-vous le sujet ? Quelles seraient selon vous les autres approches que nous devrions étudier ?
N'hésitez pas à partager vos idées ou bonnes pratiques en commentaire.
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Pour approfondir :
Article très utile car je me pose en ce moment en tant qu’auteur photographe la même question : pour un livre d’art, à imprimer en offset, dois-je choisir le flux RVB ou le flux CMJN ? A ce stade, le photograveur est en train de convertir mes photos RVB retouchées (sRVB) vers CMJN dans Photoshop avant que la maquettiste les importe dans la maquette InDesign. Le profil CMJN utilisé est ISO Coated V2 300% (ECI) et non le FOGRA39. La perte de contraste et de saturation des images une fois converties dans ce profil est phénoménale. Je me demande si l’imprimeur n’aurait pas un meilleur résultat en convertissant le pdf RVB lui-même en fonction du papier, des encres et de la machine utilisée ! Me répondre serait sympa :-)
Sujet intéressant, toutefois il aurait été intéressant d’evoquer le sujet du profil d’afficahge eciRGB-V2 qui est justement beaucoup plus adapté pour limiter cette distinction entre rvb et cmjn, en particulier le print.
https://www.vistalogics.com/rgb-profiles.html
http://www.eci.org/en/colourstandards/workingcolorspaces
De même les profils intégrés a la suite Adobe sont totalement obsolètes, le FOGRA39 date de 2004… il est préférable de d’installer les profils FOGRA51 (couché) et FOGRA52 (offset), largement utilisés sur toutes les presses modernes.
Très beau sujet et très bien d enveloppé mais j ai un petit bémol car depuis quand même 2015 nous avons eci qui a a la fois développer son eci rgb et eci CMJN qui permet d être plus proche que la fogra 39. Mais encore une fois ceci et mon avis.
Bravo pour ce partage