Mascottes et avatars virtuels à l’ère du numérique

08 juillet 2024  |   0 Commentaires   |    |  

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Et voilà le dernier article de notre série sur les mascottes, de leurs origines historiques à leur métamorphose digitale. Retrouvez les articles précédents par ici :
1 - Les origines des mascottes de marques
2 - Les mascottes de marques, de Bibendum à Benny the Bull
3 - Quelles stratégies se cachent derrière le sourire des mascottes ?
4 - Mascottes et avatars virtuels à l'ère du numérique 

À l'ère du numérique : voice marketing et mascottes sans visages

Même si l'on continue de voir des mascottes physiques dans les spots publicitaires, l'avènement du numérique a marqué un tournant dans l'ère des mascottes, au milieu des années 2010. Depuis, les marques créent de plus en plus rarement de nouvelles mascottes "physiques" ; ce sont aujourd'hui plutôt des avatars virtuels ou même seulement des voix qui les remplacent ! Tony est aux paquets de céréales des 90s ce que Miquela est à Instagram aujourd'hui. Mique-qui ? On vous explique tout.

Voice marketing, quand la mascotte n'est plus qu'une voix

Depuis Clippy, le trombone de Microsoft, les assistants et assistantes virtuels ont bien changé. Aujourd'hui, ils et elles n'ont même plus de visage ! On expliquait pourtant dans notre article précédent qu'il était important pour une mascotte d'afficher un sourire, pour que l'on puisse s'identifier à elle... Mais finalement, pas besoin de visage pour sourire ou créer du lien : parler suffit ! Les marques comme Apple, Amazon, Google, ou Microsoft utilisent depuis une petite dizaine d'années des assistants vocaux toujours plus performants et intégrés à des appareils à commande vocale : Siri (2011), Alexa (2016), Google Assistant (2016), ou feu Cortana (2014 - 2023), qui permettent aux clients de personnaliser leurs expériences d'achat ou de contrôler leur maison.

assistants-vocaux-siri-alexa-googleGoogle Home, Siri, Alexa, les assistants vocaux

Les Voicebots, robots voix, sont un moyen plus "humain" d'interagir avec ces marques qui proposent ici du service virtuel. Sans possibilité de voir celui ou celle qui incarne la marque, on lui parle ! Leurs voix n'ont rien de robotique et sont d'ailleurs la plupart du temps interprétées par des humains : Cyril Mazzoti pour Siri, Nina Rolle pour Alexa... pour rendre l'échange plus réaliste. Google a même par exemple toute une équipe chargée de créer la "personnalité" de son assistant vocal, pour "être familier sans pour autant prétendre être humain" comme l'explique Lauren Ducret, responsable de la personnalité francophone de l'assistant Google.

En échange, les clients fournissent des données cruciales sur leurs préférences et habitudes de consommation, que les marques utilisent comme base de données pour proposer un marketing encore plus ciblé et personnalisé. En 2020, 20% des requêtes sur les moteurs de recherche se faisaient à la voix, et 77% des consommateurs français possédaient un assistant vocal sur enceinte ou leur téléphone, faisant du commerce vocal le 4e canal de vente en France, majoritairement utilisé par les millenials, ou les personnes mal voyantes.

Les intelligences personnelles et assistant.es vocaux boostées à l'IA : les mascottes du futur

Néanmoins, avec le développement de l'Intelligence Artificielle, les assistants vocaux semblent déjà presque désuets en 2024 ou sur le point de disparaître car les marques développent désormais des solutions de "chat vocaux" avec IA intégrée. Cette association vient piocher des informations dans les mails, les photos, et les données des utilisateurices pour les assister au quotidien, mais peut aussi traiter ou résumer du texte, voire même créer des visuels.

Fin 2023, Humane avait révolutionné l'univers des smartphones avec l'AI pin, un boitier aimanté connecté à l'IA et sans écran fonctionnant comme un "assistant personnel et second cerveau" dont le nom "humain" vient souligner le désir de l'entreprise de se reconnecter à la vraie vie sans être coupé.e par un écran. Quelques jours avant, Microsoft avait officialisé le lancement de Microsoft 365 Copilot, qui, associé à la suite Word, PowerPoint, Excel et Teams, "travaille à vos côtés". Très récemment, Apple a annoncé la mise à jour prochaine de Siri couplée à Chat GPT d'OpenAI en créant l"intelligence personnelle" Apple Intelligence, qui comprend les erreurs de langage parlé ou le texte écrit. Le français Kyutai vient de devancer openAI en lançant Moshi, une assistante vocale (encore en prototype, et qui ne parle pour l'instant qu'anglais) qui répond en temps réel voire même coupe la parole, chuchote, reproduit les émotions et peut cloner la voix de la personne qui lui parle : une première dans le milieu. Amazon développe de son côté Olympus, qui promet d'être deux fois plus performant que GPT 4 et bientôt intégré à Alexa.

apple-intelligence

ai-pin-copilot365-MoshiLes assistants vocaux AI-pin, Copilot 365 et Moshi

Désormais, l'assistant.e est dans notre poche et organise, corrige, enseigne et crée, effaçant les frontières entre la sphère privée, le travail, et nos relations avec le monde extérieur. Visuellement, ils ou elles n'ont pas de forme physique (sauf l'hybride AI-pin, à moitié objet connecté) et leur représentation, lorsqu'elle n'est pas un logo, comme Copilot365, se réduit à un point lumineux ou à une simple lumière. C'est le cas pour Moshi, Siri qui n'est qu'une fluctuation de couleurs qui s'affiche sur les bords de l'écran, ou encore AI-Pin qui s'allume lorsqu'il est connecté. Ce point lumineux est un hommage au point rouge de Hal 9000, l'assistant vocal du film futuriste 2001 l'Odyssée de l'Espace (1968).

Devenir Dieu et créer des Avatars

Mais les mascottes n'ont pas disparu pour autant, elles se sont juste désincarnées pour certaines, en devenant des avatars, des projections. L'avatar est un moyen de transposer un corps dans une autre forme qui le représente, pour avoir d'autres interactions sociales. Pourtant, si le terme vient du sanskrit "avatâra", descente, qui symbolise l'incarnation d'une divinité Hindou sur Terre, pour les mascottes, le processus est inversé : elles quittent leurs "corps" de peluche pour devenir des sortes d'esprits virtuels et immatériels. Plutôt comme un hologramme !

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Quelques avatars de Vishnu : Matsya (poisson), Varaha (sanglier), Rama (être suprême), Kalki (le Sauveur), Buddha (ascétique et maître spirituel) et Kurma (tortue humaine), par Raja Ravi Varma

À contrario des voix robots mais toujours dans cette lignée d'assistance numérique, de plus en plus de marques développent de tels assistants humanoïdes et virtuels pour faciliter l'expérience utilisateur, les "ambassadeurs numériques humains". On parle d'expérience "phygital" (physical + digital, on pourrait dire "phymérique" en français), dans laquelle les frontières du physique et du numérique sont brouillées, et où le consommateur intègre des fonctionnalités numériques à son expérience réelle. Les QR codes, les écrans avec assistantes ou les comptoirs de commande digitaux sont autant d'expériences phymériques.

Certaines boutiques proposent d'essayer numériquement des produits, comme Nike NY avec des chaussures personnalisées, ou Sephora qui permet d'essayer du maquillage dans un salon virtuel. Qatar Airways a récemment présenté son assistante Sama 2.0 connectée à l'IA (créée par l'agence Uneeq Digital Humans), la première hôtesse de l'air virtuelle. Du côté des cosmétiques Kiehl's, Eve assiste les clients et clientes en boutique, sur iPad.

Eve-Mica-Sama-avatar-marquesEve, Mica et Sama, les avatars virtuels et assistantes de Kiehl's, MagicLeap et Qatar Airways

L'entreprise MagicLeap a quand à elle développé un prototype, Mica, qui peut regarder ses interlocuteurs dans les yeux grâce à l'IA, et qui a l'avantage d'avoir des expressions faciales, un langage corporel et des postures bien plus réalistes que la plupart des avatars du commerce, provoquant des réactions et une véritable communication non verbale avec les internautes.

Mica-magic-leapExpressions faciales de Mica, Magic Leap

On ne parle ici même plus de robots, de mascottes ou d'avatars, mais d'humains numériques, soulignant la promesse d'un réalisme plus vrai que nature, comme la Galatée du mythe de Pygmalion, en version 3.0 : sans chair ni os !

L'invention des avatars "marketing" ne date pas d'hier, on pense notamment au groupe Gorillaz qui a fait vivre un groupe virtuel (avec des musiciens et chanteurs bien réels) pendant plus de 20 ans. À l'inverse des Sama et Eve, ces personnages ne cherchent pas à être une version parfaite de l'humanité, mais représentent la diversité et ont chacun leur caractère.

gorillazLes avatars de Gorillaz

De Liv à Reno, les essais d'avatars humanisés de Renault

En 2019, Renault avait créé Liv pour promouvoir la Kadjar dans une publicité créée par Publicis Worldwide, un avatar qui plongeait dans le réel et vivait des émotions fortes, en invitant les humains à faire de même.

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liv-kadjar-renault4Liv, avatar de Renault

On peut s'interroger sur la pertinence de l'utilisation d'un robot pour vanter une voiture bien réelle et surtout provoquer des émotions positives. Outre l'effet de surprise et l'innovation que cela représentait à l'époque (avant l'IA générative et le Covid) c'est surtout son allure étrange qui nous fait tiquer et reculer aujourd'hui : Liv est trop humaine pour ressembler à un robot, mais semble trop étrange pour provoquer de l'attachement.

En 2022 Renault a finalement préféré lancer Reno, une mascotte virtuelle et souriante proposée comme assistante dans les véhicules électriques de la marque : un losange bleu et jaune avec des mains volantes et un visage écran pixels. Arnaud Belloni, directeur marketing de Renault, y voit un "avatar humanisé" mais son look rétro fait plus penser à ce bon vieux Clippy qu'aux autres mascottes humanoïdes existantes. Reno a néanmoins l'avantage d'être "amicale" comme ces bonnes vieilles mascottes peluches, même si elle semble déjà vieille avant l'heure, surtout au volant de véhicules électriques. Enfin, le rétro est à la mode, alors pourquoi pas ? On peut imaginer qu'elle soit le résultat d'une stratégie prudente qui consiste plutôt à éviter de créer un malaise en proposant un avatar humain qui ne soit pas suffisamment perfectionné... comme c'était le cas avec Liv.

reno-avatar-renaultReno, la mascotte des véhicules électrique Renault

Eve des temps modernes

Il est intéressant de souligner que la plupart de ces créatures humanoïdes sont des figures féminines, sortes d'Ève ou Vénus modernes, incarnant la promesse de créatures pures et parfaites, mères des futurs avatars à venir, et créées par des humains désormais égaux de Dieu. La peur d'oser prendre la place de Dieu, qui faisait trembler les Occidentaux à l'époque des premiers automates (dont on parlait dans le premier article), semble lointaine et oubliée. Au contraire, on revendique et on assume ce pouvoir de création ! Le nom des assistantes et leur genre en disent d'ailleurs long, du très implicite "Eve", à "Sama", qui signifie "ciel" ou "paradis" en arabe, et même "élévation". Le prénom "Mica", d'origine hébraïque, signifie quand à lui "qui est comme Dieu". Enfin, "Liv" fait penser au mot "live" en anglais, vivre.

Ces figures sont de pures créations à forme humaine mais vouées à être divines, et dont l'humanité plus que parfaite vise à nous troubler, comme Samantha dans le film Her, ou les nouvelles créatures générées aujourd'hui avec l'IA.

venus-moderne-iaVénus des temps modernes, créée en interne avec MidJourney

Les influenceurs virtuels, plus puissants que les avatars

Pour pousser l'expérience encore plus loin, certaines marques font désormais appel aux influenceurs et influenceuses virtuelles, créés majoritairement par le studio de création Virtual Humans. Leur profils, vérifiés par Instagram, recensent des milliers voire des millions d'abonné.es, comme des humains en chair et en os. Créé.es à titre expérimental, elles et ils engagent aujourd'hui 3x plus leur audience que des humains ! Ces icônes virtuelles partagent en ligne leur quotidien, leurs goûts, leurs valeurs, et créent de l'attachement avec un certain public qui s'y identifie.

Les marques y voient une opportunité marketing immense et novatrice pour toucher cette cible, puisqu'il est encore rare de collaborer avec des égéries virtuelles, et payent des sommes considérables pour relayer leur contenu en "partenariat" avec telle ou telle personnalité virtuelle. L'avantage pour ces marques est que ces icônes modernes ne vieillissent pas, ont toujours l'air impeccables tout comme leur mode de vie, peuvent exister h24, parler plusieurs langues, et ne provoqueront jamais de scandale : sans corps, pas de sexe ni de drogue. En Chine par exemple, de nombreuses stars (humaines) des réseaux sont réprimées par le gouvernement qui les jugent immorales ou vulgaires, selon leurs standards moraux. Cette chère Britney avait presque perdu son contrat de 108 millions de dollars avec Pespi en se faisant prendre par les paparazzi avec un Coca à la main, en 2001.

Lu, Imma, la drôle de saucisse et Miquela

L'influenceuse virtuelle la plus suivie au monde est une brésilienne, et elle n'est pourtant connue que là bas. Lu do Magalu, est la mascotte égérie des magasins Luisa de l'énorme groupe brésilien Magalu, qui possède de nombreux magasins vendant gadgets et électroménager. Avec 6,8 millions d'abonnés sur Instagram, et 33 millions tous réseaux confondus, elle "incarne" la relation client depuis 2009 (sur YouTube, d'abord, mais aussi sur le site internet de la marque et les applications mobile du groupe). Elle y propose des conseils pratiques, en "utilisant" les produits issus des magasins réels qu'elle promeut sur son compte instagram, et a même créé sa ligne de rouge à lèvres. Lu a posé pour Vogue et Elle Brazil, et fait régulièrement des collaborations commerciales. Pourtant, elle ressemble plus à un personnage des Sim's qu'à une véritable femme.

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En top 2 des influenceurs virtuels les plus suivis au monde on retrouve... une saucisse à la chevelure aussi merveilleuse que son booty shake  : Nobodysausage. Tantôt féminine tantôt masculine, elle détourne des scènes banales de la vie quotidienne en sketchs humoristiques, inspirés de faits divers d'humains réels. Les marques ont sauté sur l'opportunité de toucher ses 7,8 millions d'abonnés et on l'a récemment vue collaborer avec Sephora, ou Hugo Boss.

nobodysausage

nobodysausage

Enfin, la brésiliano-américaine Lil Miquela et ses 19 ans perpétuels depuis 2016 (2,5 millions de followers sur insta) est THE influenceuse virtuelle basée à Los Angeles, qui chante (elle a son propre compte spotify), participe aux défilés de la fashion week, pause pour Dior, Chanel, Porsche, Burberry et de nombreuses marques de luxe, ou encore pour BMW, Calvin Klein ou Ugg, et promeut le Samsung Galaxy dont elle fait partie de la "team". Miquela participe à des matchs de basket, se fait teindre les cheveux en salon et pose avec Rosalia ou Bella Hadid : son visage est ajouté sur le corps d'une véritable humaine, ce qui trouble les frontières entre réel et virtuel. L'adolescente virtuelle facture 10 000 dollars par post Instagram et son partenariat avec Samsung a coûté plus de 10 millions de dollars. "Miquela prétend être un robot IA. Une entité fictive, agissant comme un être humain, qui se manifeste sous la forme d'un robot en chair et en os."

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lil-miquela-influenceuse-virtuelleLil Miquela, influenceuse virtuelle, sur son compte Instagram

L'industrie de la mode a elle aussi ses égéries virtuelles, comme Shudu, la première supermodèle numérique de l'agence the Diigitals. En 2018, l'agence avait également conçu "l'armée virtuelle" de trois mannequins pour Balmain. Ces égéries posent pour diverses marques, de Louboutin à Smart. Au Japon c'est Imma, créée en 2018, qui promeut des marques virtuelles et réelles. Elle a une famille et un chien, et en 2020 elle a passé 3 jours dans un appartement témoin IKEA, dans lequel on pouvait la voir passer l'aspirateur, se faire les ongles, scroller sur Insta ou regarder des films. La vraie vie, quoi. Sa modélisation hyper-réaliste et détaillée en fait un personnage que l'on confond facilement avec une véritable femme.

shudu-mode-mannequin-virtuelShudu, le mannequin virtuel de l'agence the Diigitals

Les limites des avatars humanoïdes, trop humains pour être humains ?

Si ces égéries et avatars sont probablement l'avenir des marques et des mascottes, la frontière ténue entre réalité et fiction chez les humanoïdes peut très vite faire basculer d'une fascination emphatique à un malaise répulsif. Car plus ils semblent humains, plus nous leurs sommes familiers... mais il suffit d'une seule bizarrerie pour que cela provoque l'inverse : un malaise, une sensation de rejet, qui nous plonge dans ce que Masahiro Mori appelle "la vallée de l'étrange" (1970) et que Denis Vidal qualifie de "piège anthropomorphique", lorsque nous réalisons que nous avons été trompé.es. Alors, autant clamer haut et fort dès le début que la créature n'est pas réelle. Les mascottes "traditionnelles" avaient au moins cet avantage de ne pas avoir l'air réelles.

Car des machines très simples comme des marionnettes aux traits grossiers, des mascottes poilues et souriantes, ou des automates aux mécanismes apparents (comme les machines de l'île à Nantes), suffisent pour créer la fascination du vivant et générer de l'empathie... alors pourquoi vouloir à tout prix créer des humains plus humains que les humains ? C'est probablement parce que cela nous permet enfin de jouer aux Dieux, après tant de siècles de tabous... Emporté.es par le vertige de modeler une créature parfaite selon nos propres critères esthétiques, seule la technologie pourra réfreiner nos ardeurs. Mais pour combien de jours encore ?

 

Pour aller plus loin :

Histoire des automates : animaux et humanoïdes
Robots étrangement humains
D'où viennent les mascottes ?
An explaination of virtual influencers and realness


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