Dire non au mécénat de compétences !

13 février 2018  |   2 Commentaires   |    |  

Abordons un sujet technique et complexe : le mécénat de compétences.

Une pratique discrète et contestable, qui s'illustre régulièrement dans nos actualités.
On peut citer les cas récents et symptomatiques de mécénats de compétences entre le Musée des Arts Décoratifs et l'agence BETC, le Petit Palais et Philippe Apeloig, l'Abbaye de Royaumont et Dragon Rouge, ou encore entre le Musée d'Art Moderne et CB'A Design.

Qu'est-ce que le mécénat de compétences ? 

Il s'agit d'une des possibilités offertes à un mécène qui consiste à apporter non pas des euros sonnants et trébuchants, mais des produits ou services à la cause qu’il entend soutenir. Il s’agit ici, d’un « mécénat en nature ou de compétence ». Même en l’absence de flux financiers, cette contribution peut être comptabilisée et surtout défiscalisée !

C'est principalement 60% du don déduit des impôts, et des potentielles contreparties en communication et relations publiques pour l’entreprise plafonnées à hauteur de 25 % du don, soit au total 85 % du montant du don.

Ces mécènes vont donc voir leur feuille d'impôt considérablement réduite.
Indirectement, c'est l'état français (donc nous tous !) qui réglera l'addition par un manque à gagner dans ses recettes fiscales.

Si les prestations étaient réellement offertes cela serait assurément généreux. Cependant, force est de constater que la philanthropie n'est pas l'objet social de BETC, Dragon Rouge ou encore CB'A. C'est donc une pratique d'optimisation fiscale gagnant-gagnant entre un établissement culturel et une agence. Un procédé légal, mais qui se réalise au détriment de la collectivité et des autres acteurs économiques qui la compose. Bref, c'est loin d'être éthique tout ça !

Une pratique répandue !

Loin d'être un exception, le mécénat de compétences, comme le rapporte le journal Les échos, fait florès.
En l'occurence la philanthropie de BETC est impressionnante ! Pas moins de 25 projets similaires à celui du Musée des Arts Décoratifs.

"Nous accompagnons environ 25 acteurs et événements en mécénat de compétence, comme la Philharmonie, le musée de l'Immigration, les Arts décoratifs, la BNF, le Grand Palais, la Cinémathèque, Nuit blanche, la Nuit des idées... C'est motivant pour nos collaborateurs, que de s'emparer de sujets qui font sens ", souligne Rémi Babinet le directeur de création de BETC. C'est surtout une belle "façon de réduire notre feuille d'impôts" pourrait-il rajouter.

Faisons une rapide addition : 25 x 70K€ (moyenne fictive des valorisations) x 60% de déduction = 1 M€ de déduction fiscale...

Comment valoriser une création artistique au titre d’un mécénat de compétences ?

Pour le mécénat de compétence, l’apport de l’entreprise doit être valorisé au prix hors taxe + hors marge. Dans le cas d’une contribution d’une société de conseil, il convient de considérer l’ensemble des coûts salariaux (salaires + charges) des personnels qui auront œuvré au titre du mécénat de compétence. Voilà pour les textes légaux.

Dès lors, comment calculer la valorisation d'une création intellectuelle sur la seule base des salaires et des charges ?
On sait que le prix d'une création d'identité visuelle comprend par nature une cession de droits d'auteur, un montant laissé légitimement à l'appréciation de son auteur. D'où les abus constatés.

Alors, si nous nous basons sur les exemples connus, il suffit de surévaluer arbitrairement le montant de création (+166%) pour récupérer 100% de sa valeur réelle. Ainsi l'identité visuelle du Petit Palais a-t-elle été valorisée 60 000 € quand on sait que ce type de marché ne dépasse rarement les 20 000 €.

Et les marchés publics ?

Par le mécanisme du « mécénat », ces marchés échappent à une commande responsable et engagée qui aurait du faire l’objet d’un appel d’offre selon les règles de l’art et aurait ainsi offert l’occasion de mettre en évidence la qualité et une vision partagée et d’une conception originale.

On peut également y déceler une distorsion de concurrence où seules les grosses agences qui payent beaucoup d'impôts peuvent trouver un intérêt à cette déduction fiscale.

Au final ce marché échappe aux acteurs compétents et fragiles que sont les designers graphiques fers de lance de la créativité graphique et du conseil en stratégies de communication dont la France, parce qu’elle dispose d’un formidable vivier, peut s’enorgueillir.

Les établissements publics arguent généralement que sans ce mécénat, faute de budget, ils n'auraient jamais pu passer commande, et que par conséquent aucun créateur n'est lésé. Cet argument se trouve disqualifié facilement.

Premièrement parce les établissements publics sont toujours passés par des marchés publics sur ces questions-là. Ensuite parce que le budget qu'un musée ne dépense pas, c'est l'État qui paie l'addition (cf: déduction fiscale). Dans les deux cas, il s'agit d'argent public, à la différence que lorsqu'un marché public se transforme en mécénat de compétence, les deniers publics ne sont plus dépensés selon le "code de la commande publique" (Cf: liberté d'accès / égalité de traitement /  transparence des procédures).

Quels garde-fous ?

La loi offre quelques maigres garde-fous, comme par exemple l’article 238 bis du code général des impôts dite loi mécénat qui stipule :
« Attention : Lorsque le bénéficiaire (exemple : l’agence BETC) offre une contrepartie d'une valeur équivalente aux sommes reçues (ou au montant des prestations valorisées), le versement (ou, en l'espèce, l’abandon de créance) n'est pas considéré comme un don mais comme la rémunération d'une prestation de service. Si cette contrepartie équivalente prend la forme d'une prestation publicitaire au profit de l'entreprise versante, il s'agit d'une opération de parrainage. »

Comment réagir ?

On ne peut que vous inviter à signer et faire circuler la pétition suivante :
https://www.change.org/p/david-cameo-madparis-fr-non-aux-dérives-du-mad-musée-des-arts-décoratifs

On peut également vous inviter à faire preuve de pédagogie après de vos commanditaires, et le cas échéant à ne pas accepter ce type de pratiques.

Et pour lire une autre histoire semblable, découvrez celle du logo du Petit Palais !


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2 commentaires :

  1. Ctr :

    Dommage que ce soit faux.
    Pour une entreprise ayant un chiffre d’affaires inférieur à 4millions d’euro, la déduction maximale d’impôt est de 12000€, quelque soit le montant du don. Pour les chiffres d’affaires supérieurs, la déduction maximale correspond à 3‰ (pour mille, pas %) du chiffres d’affaires (30 000€ pour une entreprise au CA de 10 millions d’euros)

  2. Vincent :

    Article vraiment très intéressant. En effet j’ai régulièrement mis mes compétences au profit de structures caritatives/festivals, n’ayant pas les budgets nécessaires pour payer 20 000 euros une commande d’identitée, avec la frustration de ne pouvoir leur donner ce que je voudrais. Hors je pense qu’elle méritent d’être valorisée de la même façon que n’importe quel client, et je m’étais déjà posé la question de l’existence éventuelle de cette pratique de mécénat. Donc au premier abord, je serais moi-même assez intéressé d’en connaitre les démarches.
    Force est de constater que comme très souvent lorsqu’il s’agit de la loi, il y en a toujours pour touver un moyens de l’utiliser à des fins moins nobles. Il serait important d’échanger sur les meilleurs pratiques à adopter et de restreindre les abus, plutôt que de voir cette solution disparaître.

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