Reza Abedini, père du design graphique iranien contemporain

16 juin 2020  |   0 Commentaires   |    |  

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Portrait de Reza Abedini - M. Bahmanpour - 2015

Reza Abedini, designer graphique en Iran : un métier, une histoire

Être designer comme Reza Abedini dans un pays comme l’Iran, c’est porter en soi et retranscrire un héritage artistique, visuel et calligraphique inouï et vieux de 3000 ans. C’est s’inscrire dans la lignée d’une histoire extrêmement riche, celle d’un Empire immense devenu le socle artistique de toutes les civilisations alentour. Le royaume de Perse a influencé les sociétés arabes mais aussi occidentales, asiatiques et africaines, dans les domaines de l’architecture, de la sculpture, dans les arts visuels, l’écriture ou les techniques manuelles.
Traversé par des conquêtes, des guerres, des cultures, l’Iran s’est néanmoins distingué du monde arabe par sa langue propre (le farsi) et sa culture, faisant de lui un pays singulier. Comme pour d’autres pays musulmans, il a fait grand usage de l’art calligraphique, dont les arabesques et enluminures servaient à sublimer le Coran, le texte sacré.

Tour à tour rayonnant sur le monde durant l’antiquité, ouvert sur l’occident dans les années 60 puis reclus lors de la révolution islamique de 79, le pays a traversé des époques plus ou moins propices à l’expression visuelle. Malgré la mauvaise image véhiculée dans les médias liée à l’actualité, l’Iran n’en est néanmoins un haut lieu de création graphique, reconnu sur la scène internationale, et bourré de talents.

Père de la création post-révolution

Reza Abedini est la figure phare de la seconde génération de designers iraniens, post-révolution islamique (1979), à partir des années 90. Né en 1967 il forme, enseigne et transmet son savoir hérité des premiers graphistes iraniens formés aux Beaux-Arts et au graphisme occidental, comme Morteza Momayez avant lui. Loin de créer en huis clos, malgré le contexte politique, son travail est reconnu à l’international, et cherche à faire perdurer un style et une culture perse.

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Visuels extraits du livre Reza Abedini - Design&Designer #26

Membre de l’Alliance Graphique Internationale et de « l’Iranian Graphic Designer Society », il donne des cours aux Beaux-Arts de l’université de Téhéran (la 4e plus grande du monde) depuis 1996, en parallèle de son travail de graphiste indépendant dans le milieu culturel. En Iran, Beaux-Arts et graphisme sont intimement liés. Et parce qu'il est professeur et graphiste de renom, la majorité des graphistes iraniens contemporains ont été influencés et formés par Reza Abedini lui-même. Il est ainsi LA figure phare de la post-révolution à la suite de Morteza Moyamez avant lui (figure de la pré-révolution).

En recherche perpétuelle, « il abandonne progressivement les codes hérités de la génération précédente, pour établir, à l’inverse, les éléments stylistiques de son langage. Un style déterminé par les techniques et ses limites, la sérigraphie, ses grosses trames, et peut-être aussi ses couleurs sourdes sur des papiers teintés, kraft », souligne Alain Le Quernec dans le numéro de design&designer (editions Pyramid) consacré au graphiste iranien.
Dans cet extrait de la BBC que nous avons condensé, on peut voir Reza jouer avec des lettres comme avec des images. La lettre manuscrite stylisée est en effet inscrite comme discipline visuelle et image à part entière, qui a aujourd’hui une place majeure dans toute forme d’expression artistique iranienne, et que Reza Abedini a su réinventer.

 

Comme nous le précisons dans notre article sur le génie du graphisme iranien, " l’art calligraphique est encore considéré comme le plus abouti des arts appliqués de l’Islam, et très utilisé dans le graphisme iranien. (...) Il y est un élément majeur, voire supplantant le visuel (alors que c’est majoritairement l’inverse dans notre culture). Mots et images s’entremêlent pour ne faire qu’un, les lettres deviennent illustrations. On ne peut saisir le sens du graphisme iranien sans prendre en compte l’importance du texte pour cette culture."

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Souhaitant affirmer un graphisme perse contemporain, Reza Abedini se passionne de typographie et de lettres perses et dessine des polices en alphabet farsi. Sans être purement calligraphique, son travail est résolument moderne, tout en s’inscrivant dans les codes artistiques iraniens. Il mêle ainsi les codes de l’art contemporain et les calligraphies perses, pour créer ce qu’il appelle la « persianité ». Il faut en effet préciser que la typographie telle que nous la connaissons en Occident n'a rien à voir avec la typographie iranienne.

Un travail typo-calli-graphique : les lettres comme images

Dans les écritures occidentales, la typographie sert à donner une énergie à la lettre ; un sens, une sensibilité, une essence, du designer vers l'utilisateur. Cette sensibilité même qui a été perdue lors du passage de la main vers la machine, de la calligraphie vers la typographie. Or, de par leurs formes caractéristiques, les lettres persanes sont imprégnées d'une énergie qui leur est propre et dont elles sont indissociables. Elles sont d'ailleurs presque toujours calligraphiées, faites à la main. Avant Reza Abedini, le farsi n'était pas (ou très rarement) digitalisé, et la lithographie était un support très largement utilisé pour réaliser des affiches ou supports publicitaires, car ces lettres sont presque impossibles à typographier. Reza Abedini affirme d'ailleurs que "la typographie iranienne n'existe pas en tant que telle" (extrait de l'essai de Roshanak Keyghobadi What is Typography? janvier 2015). Si l'on veut jouer sur les mots, on pourrait alors parler ici de typo-calli-graphie, dans son sens grec premier : l'art d'écrire de beaux caractères graphiques.

La création d'une typographie persane demande au designer un travail considérable pour créer non seulement des lettres mais aussi des combinaisons multiples de caractères entre eux, selon leur positionnement dans le mot. Car, comme pour la langue arabe, les lettres fusionnent pour en créer de nouvelles. Le designer iranien Sina Fakour, que nous avons rencontré à Lyon et qui nous a partagé quelques ressources graphiques sur son pays, a d'ailleurs réalisé son mémoire sur " l'écriture arabe, du manuscrit au numérique ". On peut mieux comprendre cette difficulté typographique avec l'image du travail de Fakour ci-dessous, qui montre que suivant son positionnement dans le mot, la lettre sera visuellement différente (à voir en grand en cliquant dessus).

De même ici, Sina Fakour utilise et réarrange les lettres du mot "vote" pour créer de nouveaux mots : "oui" et "compagnonnage". Un jeu de lettres impossible à saisir pour la culture Européenne, qui n'y voit souvent que la beauté d'un folklore.

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Il tient ce jeu de cet héritage calligraphique, tout comme Reza Abedini. La particularité de la typographie perse, à contrario de la typographie occidentale, réside dans le fait de sublimer et combiner cette énergie inhérente et d'en faire vivre les critères esthétiques, comme l'explique Saed Meshki dans son essai “What is typography?” (qu'est-ce que la typographie) (2004).

Il nous est presque impossible alors d’en saisir toutes les nuances et références, mais nous pouvons néanmoins en apprécier la composition, ses couleurs, ses motifs et arabesques.

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Visuels extraits du livre Reza Abedini - Design&Designer #26

Le travail de Reza Abedini travail a été de très nombreuses fois récompensé, notamment pour la meilleure affiche de film en Iran, ou au festival d’affiches de Chaumont. Il a reçu également des prix lors de biennales du poster au Mexique, en Iran, à Hong Kong…

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Visuels extraits du livre Reza Abedini - Design&Designer #26

Si vous souhaitez en apprendre plus sur le design iranien, ses origines et représentations actuelles, nous vous conseillons de lire notre article sur le génie du design graphique et des arts en Iran !


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