On ❤️ Milton Glaser !

29 juin 2020  |   2 Commentaires   |    |  

Milton Glaser portrait graphiste

Milton Glaser, né le 26 juin 1929 à New York, vient de décéder le 26 juin 2020, pour son 91e anniversaire. Le cadran de sa vie boucle son chronomètre avec cette ultime espièglerie. Entre temps, il aura donné aux années 70 et 80 un visage joyeux et décalé et à New York une raison de l'aimer. Son travail est à l'image du Bronx où il est né, vibrant et coloré, anticonformiste.

Parmi ses créations les plus connues, véritables icônes du design, on retrouve le logo « I ❤️ NY »  et la couverture du best-of de Bob Dylan représentant le profil du chanteur avec une chevelure psychédélique. Partons dans l'histoire d'un très très grand nom du design américain.

Milton Glaser

The Pushpin studio

En 1950, avant même d'être sortis de la Cooper Union Art School de New York, Milton Glaser, avec Reynold Ruffins, Seymour Chwast et Edward Sorel, fondent leur premier studio. Ils ont à peine 20 ans. À vrai dire, le nom de leur première aventure s'appelait "Design Plus", mais fit faillite rapidement. De cet échec, le petit groupe rebondira en 1954 dans la configuration "Pushpin Studios", avec un état d'esprit rempli d'une curiosité débordante, une culture visuelle éclectique, et une irrévérence infaillible. Touche-à-tout, chineur de bibelots, amateur de peinture, Milton Glaser avait un faible pour l'art décoratif de William Morris, les surréalistes, Monet, Picasso et l'école graphique polonaise.

"Picasso m'a montré qu'on peut changer de style à tout moment, parce que le style n'est qu'un outil, et pas une fin".

Chez Pushpin studio, comme tout au long de sa vie, l'éclectisme est une religion pour Milton. C'est même une provocation envers l'école graphique suisse, dont le style prenait son envol à l'international dans ce début des années 60. Le modernisme suisse cherche l'universalisme. Le post-modernisme américain de Milton cherche la singularité. Son œuvre entière est déroutante, folle, hasardeuse, sublime, inégale, et profondément sincère.

Pour faire leur promotion, ils impriment pour commencer une petite revue intitulée Push Pin Almanack qu'ils distribueront dans toutes les agences de publicité des alentours. C'est un petit recueil de leur savoir-faire créatif qu'ils laissent en guise de carte de visite.

Pourtant, ils ont beau démarcher les agences de publicité, à cette époque, ils n’ont pas un gout très prononcé pour les commandes commerciales. Ils traitent même ce type de commande avec désinvolture. À l'époque, on pouvait les entendre dire "la différence entre l'art et le commerce est simple. L'art, c'est quand c'est du bon travail. Le commerce du mauvais travail". Le ton est donné. La révolution de 1968 est en train de se préparer.

Push pin studios almanacks

Push pin studios almanacks graphic design history

Le Push Pin Almanack devient rapidement une publication plus ambitieuse, le Push Pin Monthly Graphic. De l'auto-édition bien avant l'heure. Très vite leur style baroque et coloré, fait d'emprunts délibérés, est plagié. Le clip de Yellow Submarine des Beatles, dessiné par Heinz Edelmann s'inscrit directement dans la continuité de leur travail.

Mais Milton Glaser est lui-même un grand pasticheur de culture populaire. On retrouvera dans son travail des emprunts réguliers, des images décalquées, des peintures retravaillées. À l'époque, leur seul plaisir est de travailler comme une bande de copains, sans hiérarchie, sans contraintes à la créativité. On parlait art, politique, philosophie, musique. C'était le "Bronx" dans les bureaux.

The word

Durant 20 ans, ils accueillent une vingtaine de collaborateurs, et probablement des centaines d'étudiants. L'aventure semblait faite pour durer, mais les deux piliers Milton Glaser et Seymour Chwast sont de nature radicalement opposée et font trembler les murs. Milton entreprenait, proposait, avançait. Chwast résistait et refusait. Milton voyait grand. C'était l'optimiste. Ce qui l'intéressait, c'était de créer des conditions qui créent du plaisir.

À l'aube des années 70, le duo est essoufflé. Ils sont sur le point de devenir une institution. Une rétrospective au Musée des Arts Décoratifs de Paris leur est dédiée, suivie de nombreuses autres dans le monde entier. Il est temps d'arrêter. " Nous n'étions plus qu'un produit médiatique, je n'ai pas supporté ". La fin de cet âge d'or sera signée en 1974, par le départ discret de Milton. Il crée alors son studio Milton Glaser Inc.

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Milton-Glaser-poster-design

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Milton-Glaser-art

The Milton Glaser Inc.

À partir de 1974, les travaux réalisés par Milton Glaser s'ouvrent à un large éventail de disciplines. Il délaisse un peu les projets indépendants, et met à profit sa notoriété pour mener de grands projets d'identité visuelle, mais aussi d'architecture, de signalétiques, d'éditions... L'identité promotionnelle pour la ville de New York sera son travail le plus médiatisé. Mais il fait aussi du design d'intérieur pour tout un tas de clients (hôtels, centres commerciaux, restaurants...). Il s'occupera par exemple de tout le programme graphique et décoratif pour les restaurants du World Trade Center, avec un mobilier en typographie 3D.

sesame-place-logo-glaser

Naturellement, si l'affiche de concert reste son support favori, il ne s'interdit aucun sujet. Il conçoit un certain nombre de projets architecturaux, dont Sesame Place, un parc de jeux éducatifs pour enfants en Pennsylvanie, de 1981 à 1983. Pendant une période de quinze ans, Milton Glaser a participé à la refonte d'une des principales chaînes de supermarchés américaines, The Grand Union Company, un projet qui comprenait toute l'identité de marque, l'architecture des magasins, les packagings...

Ces travaux sont étonnants de simplicité, aux antipodes des effets psychédéliques des premières années. Pour autant, on retrouve cet engagement graphique, comme ce point rouge sur le "i" qui vient astucieusement provoquer notre regard, et pointer ces magasins dans la cartographie mentale des Américains. Milton garde son nez de clown et son regard d'enfant même quand il traite des sujets de grands.

branding grand union

branding grand union

Durant cette période, il s'occupe du stand de l'exposition internationale Triennale di Milano 1987-88 à Milan, du programme graphique des complexes du Rainbow Room pour la Rockefeller Center Management à New York. Toujours en 1987, il crée le symbole international du sida, l'identité de DC Comics, Brooklyn Brewery, etc... On pourrait égrainer des centaines de projets tant la liste de ses réalisations est longue. Milton Glaser était prolifique, et malgré un certain ralentissement à partir des années 2010, il travaillait encore ces dernières années.

DC comics logo et Brooklyn Brewery

Logo by Milton Glaser

I ❤️ NY

Logo I Love New York Milton Glaser

I ❤️ NY est l'un des logos les plus largement diffusé et imité dans le monde. Le petit cœur rouge, accompagné du caractère typographique American Typewriter est né en 1977 pour promouvoir la ville et l'État de New York. Arrêtons-nous quelques instants sur l'une des création graphique majeure du siècle dernier.

New York traversait une période difficile dans les années 1970. En 1975, le président Ford venait de refuser l'aide fédérale pour sauver New York de la faillite, et 1977 fut marquée par un black-out généralisé qui conduit à un vaste pillage et à 4 500 arrestations. Autant vous dire que les touristes avaient délaissé la grosse pomme pour voyager ailleurs. Le Département d'État de New York pour le développement économique fit donc appel à l'agence de publicité Wells Rich Greene pour créer une campagne touristique visant à encourager les voyageurs à visiter la ville.

L'agence mit rapidement en place plusieurs éléments centraux de la campagne. Un slogan (" I Love New York "), un jingle et une publicité télévisée furent développés. Il ne leur restait que le logo à trouver. C'est ainsi que Milton Glaser entra dans la danse.

Il est raconté qu'au cours de la réunion, Glaser sort de sa poche un morceau de papier froissé avec un gribouillage qu'il avait fait pendant le trajet en taxi. Au dos d'une enveloppe, il avait dessiné le logo que nous connaissons aujourd'hui. Il fit ce travail entièrement bénévolement, et céda tous les droits à la Ville pour aider à relancer le tourisme dans sa ville natale.

Il déclara plus tard que l'inspiration lui est peut-être venue de manière subliminale avec la célèbre sculpture LOVE de l'artiste Robert Indiana, dont l’œuvre figurait à l'époque sur des millions de timbres en circulation aux USA. Il n'en reste pas moins un rébus visuel d'une simplicité évidente et à la lecture universelle. C'est la Joconde de Milton Glaser.

I love NY

Ensemble, son dernier projet pendant le coronavirus

New Yorkais et passionné, avec un sens du devoir lié à son métier de designer, Milton Glaser travaillait sur un visuel pour rassembler les citoyens (de NY, de l'Amérique, du monde) pendant la pandémie du COVID-19. Un peu comme à l'époque du I ❤️ NY, dans un contexte difficile et effrayant, il cherchait à "connecter les gens grâce à l'art". Cet ultime projet, dévoilé par le NY times quelques jours après sa mort, représente le mot together (ensemble) traité de manière à visuellement lier les gens (les lettres) ensemble malgré leurs différences.

together-glaser-coronavirus

Together est un moyen de symboliser cette phrase "nous traversons cette situation ensemble" entendue des centaines de fois dans les média. Il espérait qu'un jour ce symbole aurait tout autant d'impact que I ❤️ NY depuis 1977, tout en expliquant au journaliste que " après toutes ces années, je ne comprends toujours pas ce qui fait qu'une idée est suffisamment séduisante pour changer la perception des gens " et la faire basculer d'un simple coup marketing à un symbole universel.

Comme il le disait dans son interview du NY Times, "le design commence par le désir de changer l'état des choses, mais comme je l'ai dit, le déclic (dans la tête des gens, ndlr) est quelque chose que l'on souhaite, mais que l'on n'obtient pratiquement jamais".

Mon client est designer graphique

Il y a quelques années, nous nous amusions des retours clients. Vous savez cette façon qu'ont certains clients de plomber vos idées. Nous prenions comme exemple la fameuse affiche de Bob Dylan. Milton Glaser, flegmatique et élégant, savait séduire et gagner la confiance de ses clients pour leur imposer ses idées. Il était intraitable lorsqu'il le fallait.

Milton l'humaniste coloré

L'une des choses qui l'inquiétait le plus dans le monde actuel était que le monde de la publicité et du marketing ne se posent jamais la question des conséquences de leur métier. Lui s'interrogeait toujours des conséquences de son travail, l'idée que ses images puissent nuire lui était détestable. D'ailleurs il appliquait le serment d'Hippocrate ("Ne fais pas de mal") dans sa pratique. Au final ses images agissaient comme des médicaments pour les yeux et l'esprit.

Le monde est façonné par la publicité, le marketing et le capitalisme, et l'idée que la rentabilité soit le cœur du sujet lui était repoussante. Pourtant il avait un immense sens de la responsabilité. "Avant, il y avait de la place pour la nature, la beauté et la recherche de croyances communes positives et partagées. Maintenant, il s'agit de vendre des trucs. Le seul critère pour évaluer ce que je fais est l'augmentation des ventes, c'est méprisable ".

Il aimait répéter que dans nos métiers il y a trois personnes impliquées : le designer, le client et le public. Aucun des trois ne doit passer en premier, et surtout pas le designer. Au contraire c'est l'interrelation qu'il faut regarder, et il exécrait le narcissisme. L'égo ne devait jamais être mal placé.

Toute sa vie fut passée à travailler. Le mot retraite n'existait pas dans son vocabulaire. " La retraite est si froide, c'est une illusion créée par le capitalisme, ce qui signifie que dès que vous avez besoin de plus de jeunes, vous pouvez les exploiter plus facilement et payer moins d'argent, puis vous débarrasser des vieux. Notre vision de la retraite est ridicule. "

La retraite à 65 ans ? Pour Milton c'était une idée pathétique, alors qu'il ne s'était jamais senti aussi utile à la société. Ce qu'il devrait y avoir, selon lui, c'est une transition d'une vie professionnelle active à une vie professionnelle commune, afin que tous ceux qui prennent leur retraite puissent s'impliquer auprès de la communauté, pour partager leurs connaissances.

Il relativisait rapidement son discours, en pensant aux masses d'employés ou d'ouvriers ayant passé une vie de travail désespéré, et qui méprisent leur travail. La seconde d'après, il pouvait cracher au nez de ceux pour qui retraite rime avec " aller pêcher ou regarder la TV ". Ce type de retraite était pour lui répréhensible, réduisant l'homme à un vecteur pécuniaire.

"Si jamais je devais prendre ma retraite, j'espère que je mourrai le lendemain."

Depuis ce 26 juin, Milton est enfin à la retraite. Nous la lui souhaitons bien belle, et le remercions pour tout ce qu'il nous a transmis.


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2 commentaires :

  1. Uro Catherine :

    Un grand Monsieur, là haut il va rencontrer un de ses fans , mon frère Yves qui lui aussi était, pour moi, un géni avec un crayon dans la main.

  2. Antonia :

    Super article, surtout la dernière image haha 👌🏻

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