Josef Müller-Brockmann « swiss style »

12 mars 2013  |   2 Commentaires   |    |  

MULLER-BROCKMANN-portrait

Josef Müller-Brockmann (1914-1996)

Cette semaine, nous continuons notre nouvelle rubrique dédiée aux grands noms du design graphique avec Josef Müller-Brockmann.

Müller-Brockmann est né en 1914 en Suisse. Il étudiera le design graphique et l'architecture à l'École des arts et métiers de Zurich. En 1934, il ouvre son atelier de design graphique et d'illustration à Zurich, d'abord comme free-lance, puis sera rejoint par des collaborateurs à partir de 1936. En 1937, il devient membre du Swiss Werkbund (Association suisse des artistes et designers).

Après 1945, Müller-Brockmann concentre son travail sur l'illustration et le design d'expositions. En 1950, il conçoit sa première affiche pour la Tonhalle de Zurich. C'est à cette époque qu'il développe son approche constructiviste du graphisme. Petit à petit le graphisme occupe tout son temps. Son affiche "protégez l'enfant" pour l'Automobile club de Suisse et ses nombreuses affiches pour la Tonhalle de Zurich lui apporte une grande notoriété.

En 1957, il remplace à Ernst Keller comme professeur de graphisme à la Kunstgewerbeschule de Zurich. En 1958, il crée le magazine trilingue Neue Grafik / New Graphic Design / Graphisme actuel avec les designers Richard Paul Lohse, Hans Neuburg et Carlo Vivarelli.

À partir de 1967, il est consultant pour IBM et fonde l'agence de communication Muller-Brockmann & Co. Tout au long de sa carrière, son travail sera récompensé par de nombreux prix. Il décède le 30 août 1996 à Zurich.

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Graphiste par accident

«Je suis devenu graphiste par accident» raconte Brockmann. "À l'école, je n'aimais pas beaucoup écrire alors j'ai commencé le dessin. Mon professeur a été impressionné et j'ai donc compris que j'avais du talent. Il a suggéré que je devrais poursuivre une carrière artistique. Donc, je suis devenu apprenti retoucheur dans une imprimerie. Ça n'a duré qu'une journée parce que ce n'était pas assez artistique. Après cela, j'ai été apprenti chez deux vieux architectes. Avec eux, ça a duré quatre semaines. Puis je suis allé voir tous les graphistes que j'ai trouvés dans l'annuaire téléphonique pour savoir ce qu'ils ont fait comme études. Je me suis donc inscrit à l'École des arts et métiers de Zurich."

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Le père du graphisme suisse

Müller-Brockmann est probablement l'un des graphistes les plus influents de l'histoire de notre profession. Son œuvre est toujours enseignée, étudiée et publiée. C'est assurément la figure de proue du graphisme suisse (qui prend aussi le nom de style international ). Son travail est influencé par le Bauhaus et le constructivisme. La typographie et la géométrie sont prédominantes. Ses compositions sont basées sur des grilles très "rigides" qui seront sa marque de fabrique. Un style économique et rationnel !

On ne connait pas beaucoup de choses sur Müller-Brockmann. L'éditeur Lars Müller a publié la seule monographie complète peu de temps avant sa mort. Ce livre est introduit par Paul Rand "himself" (la classe !). Lars Müller tente d'expliquer ce qui a provoqué le brusque changement dans la carrière Brockmann, quand il est passé de l'illustration au graphisme "constructiviste".

A l'époque, Brockmann est influencé par le travail du photographe hongrois Moholy-Nagy et par le manifeste "Die neue Typographie" de Jan Tschichold. Ce manifeste moderniste proclame la suprématie des polices de caractères en bâtons (appelés grotesk en Allemand). Brockmann sera fortement influencé par ces règles qu'il observera tout au long de sa carrière.

Ces règles peuvent se résumer par l'utilisation de grilles de composition très strictes, de photographies objectives afin d'éviter les émotions, l'importance du rythme, de l'harmonie, des compositions mathématiques et géométriques. Par exemple, à cette époque, Brockmann, voit la musique comme un art abstrait, il envisage donc ses affiches de concert de manière abstraites. L'éditeur Lars Müller décrira d'ailleurs l'affiche de Beethoven (1955) comme l'exemple ultime de "musicalité en design".

Brockmann explique très efficacement son style : "Dans mes créations d'affiches, de publicités, de brochures et d'expositions, la subjectivité est supprimée au profit d'une grille géométrique qui détermine l'arrangement des mots et des images. La grille est un système d'organisation qui rend le message plus facile à lire, cela vous permet d'obtenir un résultat efficace à un coût minimum. Avec une organisation arbitraire, le problème est résolu plus facilement, plus vite et mieux. Cela permet également une uniformité qui va au-delà des frontières nationales (d'où le style international !), une aubaine pour la publicité dont IBM, par exemple, a profité. L'information présentée le plus objectivement possible est communiquée sans superlatifs, sans subjectivité émotionnelle."

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À partir des années 60-70, le "style suisse" commence à perdre de son influence. Le climat politique a changé, la guerre au Vietnam est passée par là, l’esthétique du graphisme suisse est jugée froide et autoritaire. L'époque est au flower-power...

Brockmann n'aura probablement pas vécu assez longtemps pour voir le grand retour du "style suisse" au cours des années 2000.

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Le design doit être lisible

Müller-Brockmann détestait le travail de Neville Brody. Ainsi disait-il : "Certains se sont fixé pour tâche de rendre illisible la typographie, d'en faire un puzzle. L'illisibilité semble devenir un projet artistique. Je ne veux pas lire des choses comme ça. Le même critère rationnel s'applique aux formes branlantes et aux contours flous: puis-je lire ces messages plus rapidement ? Non ! Les polices de caractères conçues pour Neville Brody ne sont pas adaptées pour les publicités et les affiches. Elles sont des exceptions et les cas individuels ne doivent pas être la base de l'enseignement du graphisme. Ces alphabets sont confus, sans esthétique et simplement mauvais."

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Paul Rand (à gauche) et Brockmann (à droite) pendant une séance de travail chez IBM dans les années 60.

Un design suisse rigide, mais un homme flexible

Derrière cette rigueur suisse, se cache évidemment un homme, tous ceux qui l'ont connu s'accordent à présenter le portrait d'un homme humble avec beaucoup d'humour.

Ainsi, dans une entrevue en 1996 dans le magazine Eye, il répond à la question "quel est votre meilleur travail" : "Le verso blanc de mes affiches!".

Encore une fois, lorsque l'intervieweur demande "Qu'est-ce que "l'ordre" signifie pour vous ?" Brockmann répond humblement "un vœu pieux", puis déclare finalement que c'est la "connaissance des règles qui régissent la lisibilité". Cette déclaration illustre bien la puissance de ses convictions.

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Identités visuelles suisses, le style graphique international

Brockman a travaillé sur de nombreuses identités visuelles. Celle des chemins de fer suisses nous semble exemplaire. Ce logo a fêté en 2012 ses trente ans ! Il symbolise tout simplement la croix suisse et le transport d’un point A à un point B. Il a également dessiné la typographie qui est utilisée pour la signalétique des gares.
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Quand on voit l'historique de ce logo (une roue ailée) et qu'on voit la simplicité du logo de Brockmann, on comprend ce que le fonctionnalisme suisse veut dire ! Simplicité et efficacité !
SBB_Logo
Voici d’autres identités visuelles qu’il a créé :
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Éthique et esthétique

La rigueur éthique de Josef Müller-Brockmann est mentionnée dans la plupart des ouvrages qui parlent de lui. Dès les années 50, il commence à arrêter de travailler pour des boissons alcoolisées, le tabac, les jeux de guerre, les militaires et les hommes politiques. Dans la monographie de Lärs Müller, il est décrit en détail le moment où Brockmann décide d'arrêter brusquement de travailler pour les cigarettes Turmac après avoir appris que la nicotine provoquait des cancers.

Dès cette époque Brockmann se plaisait à dire que son travail ne faisait plus partie des "produits nocifs". Plus sérieusement, il affirme que les designers doivent avoir un sens de la responsabilité de la contribution qu'ils apportent à notre société. Il affirme que l'éthique professionnelle est un travail qui maintient "l'intelligence, l'objectivité, la qualité fonctionnelle et esthétique de la pensée mathématique".

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"Être graphiste" par Josef Müller-Brockmann (1914-1996)

Il s'agit d'un texte écrit par Müller-Brockmann en 1973, initialement publié dans "Graphic Designers in Europe". Cet ouvrage n'étant plus édité depuis 40 ans, nous nous permettons donc de partager ce texte. Il faut évidement replacer ces propos dans leurs contextes les années 70.

Il était difficile pour nos professeurs, comme il l'est pour nous, d'imaginer le monde de demain en fonction de l'évolution scientifique. De plus, des préjugés nationaux, politiques, raciaux, religieux, ne facilitent pas le dialogue sur le plan international.

Si l'on constate que le tiers de la population mondiale meurt de faim et que, un milliard et demi de gens vivent de façon inhumaine, nous nous rendons compte que la survie de notre planète dépend de l'attitude des gouvernements face à ces problèmes. Nous n'en sommes pas personnellement conscients, dans notre travail quotidien, quoique par notre pensée et notre activité nous pourrions contribuer, aussi modestement soit-il, à une amélioration. Il serait donc souhaitable que nous conjuguions nos efforts pour éduquer la nouvelle génération, de telle sorte qu'elle ait des dispositions d'esprit qui l'encourage à faire passer le bien-être général avant ses propres intérêts.

Tous les efforts de culture et d'éducation devraient, par conséquent, tendre à trouver une harmonie entre le plan national et international.

La création graphique ne semble pas, jusqu’à ce jour, avoir donné à l'image fonctionnelle une signification. Au cours de ses études, le graphiste apprend à établir le lien entre le producteur et le consommateur au moyen d'une image conventionnelle. Sa conception de la communication l'amène à trouver des solutions pour vendre «au mieux» des idées ou des produits. L'enseignement actuel porte l'accent sur l'idée originale et l'impact de la composition. Il néglige l'étude de la société dans laquelle nous vivons et notamment sa demande légitime d'objectivité dans l'information publicitaire. Il s'attache plus à la forme graphique qu'à sa signification profonde. Lorsque l'étude de cette expression sera assumée par l'éducation, la forme de la composition se modifiera de façon très nette. S'il s'agit simplement d'annoncer un bon produit ou une idée positive, il sera suffisant de placer l'un ou l'autre au centre de la composition.

L'information atteindra un maximum d'expression si l'objet ou l'idée sont présentés de façon esthétique et efficiente, avec un minimum de formes d'accompagnement. Aussi bien l'ornement subjectif, dans le sens d'une exagération illustrative, qu'une présentation trop objective sont à éviter. La forme graphique doit, si possible, devenir véhicule anonyme du message à transmettre. Cette conception donne à l'artiste une nouvelle optique.

Avec les ressources de la science et de la technologie, le graphiste peut démontrer avec clarté la structure intérieure des choses et la base de leur signification spécifique. Les aspects optiques, acoustiques, cinétiques et spatiaux de ces possibilités dans la composition sont nouveaux et fascinants. Le commentaire écrit reçoit un support pictural qui à la fois convainc et intéresse.
Dans tous les domaines de la recherche artistique, les créateurs sont à même d'exprimer, par tous les moyens, ce qu'ils ont conçu, aussi bien pour le présent que pour le futur.

Lorsque le problème d'information est résolu sur un plan pratique, objectif et esthétique, le langage de la forme fera éclater sa compréhension traditionnelle, pour devenir un langage universel. C'est dans ce sens que certains signes laissent envisager le futur, souhaitons qu'ils deviennent rapidement réalité !

En images

Voici une galerie présentant plus amplement le travail en design de Müller-Brockmann :
(cliquez pour faire défiler les images)

Son influence aujourd'hui

L'influence de Josef Müller-Brockmann sur les nouvelles générations de graphistes est immense.
Nous-mêmes chez Graphéine, nous ne pouvons nier son influence. Les affiches que nous avons réalisées pour le Chœur et Orchestre de l'Université Paris-Sorbonne en sont un bon exemple ! D'ailleurs elles sont composées en Akzidenz Grotesk, la typographie de prédilection de Brockmann !

Musique en sorbonne affiches

Sources : "Graphic Designers in Europe" 1973
http://eyemagazine.com/feature/article/reputations-josef-muller-brockmann
http://www.internationalposter.com/artist-detail.aspx?id=450
http://www.blanka.co.uk/Design/Muller-Brockmann
http://guity-novin.blogspot.fr/2011/07/chapter-42-swiss-grade-style-and-dutch.html


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2 commentaires :

  1. Merci pour cet article ! Je pense que je serais toujours fasciné par l’affiche qu’il a réalisé pour le concerto dédié à beethoven.
    Il est clair que son influence est grande dans la construction même si tout ne me séduit pas. Je suis plutôt du même avis concernant le but du design, c’était un homme qui me semble bien droit !

  2. Heno :

    Merci

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