Roger Excoffon nous a quitté aux derniers jours de mai. Il n'est pas encore possible de le réaliser. J'ai accepté d'en parler un peu alors que je n'écris pas. Mais ayant travaillé avec lui pendant cinq ans, à la Fonderie Olive, l'ayant quitté par désir d'indépendance, avec regret, conservé des contacts fréquents et entre tenu des rapports de sobre amitié, ce que je pourrai dire de lui sera mon hommage d'amitié. Je souhaite qu'il perçoive là où il est les très sincères sentiments et toute mon affection qu'il pourra deviner. Il savait la sincérité de mes propos et notre connivence permanente. Il faut aussi que sa famille et ses proches veuillent bien accepter mon très modeste témoignage.
MON IMAGE ET MA PERCEPTION DE ROGER EXCOFFON
Je rappelerai rapidement ses titres et fonctions principales. La presse professionnelle a publié régulièrement chacun des moments importants de son, de ses oeuvres. Il était le beau-frère de Marcel Olive et assurait à la Fonderie Olive la fonction de créateur des alphabets de la Fonderie. Il menait parallèlement la direction de son propre studio publicitaire où il acquit la renommée du seul grand affichiste français, celui qui pouvait reprendre dans un style très personnel, et combien éloquent, le flambeau qu'avait porté Cassandre : entre l'un et l'autre, personne d'une envergure comparable.
Il fut membre de l'Icograda et membre de l'ATYPI depuis sa fondation en 1957. Charles Peignot l'avait en très grande estime. Il assura la présidence du SNGP (Syndicat national des graphistes publicitaires) plusieurs années, et présida après Maximilien Vox l'Association des compagnons de Lure avant qu'elle ne devint Rencontres Internationales de Lure. Et puis, plus récemment, il fut membre du CERT (Centre d'études et recherches typographiques), animé par Charles Peignot et Georges Bonnin, directeur de l'Imprimerie Nationale, direction reprise plus tard par Monsieur Beaussang.
Et puis, et puis... il devait avoir bien d'autres présidences et bien d'autres fonctions. J'en ignore sans doute certaines, sa discrétion et sa modestie ne le portaient pas à en faire état. Il avait depuis quelques années fondé sa propre agence de publicité : Excoffon-Conseil. C'est beaucoup. Ce fut une vie pleine, animée, dense, fructueuse, multiple, exemplaire ? je ne sais ! Sans doute trop intense, mais combien profonde.
Il était aussi de tous les jury et fut mon parrain lorsque la SEAI (Société d'encouragement à l'art et à l'industrie) voulut bien m'accorder par trois fois ses médailles ; les avait-il lui ?
Je crois qu'il s'en moquait mais déplorait combien les organismes officiels ou nationaux méconnaissaient notre profession, publicité mais surtout typographie, par le snobisme qui consiste à aller chercher souvent à l'étranger ce que nous pouvons faire, et bien faire, en France.
La conception qu'il avait de notre nation était chez lui organique, véhémente. L'affirmation du geste français il l'incarnait et la méritait. Ses affiches en témoignent, le Coq de l'Expo internationale de Montréal était une clameur nationale ; l'Ecureuil de la Caisse d'Epargne, Bally, l'Oie pour Delpeyrat je crois, la Poule, campagne nationale ; très récemment, la commémoration du 150" anniversaire du rail en France, très proche du style de Cassandre, avec des bleus n'appartenant qu'à lui. Enfin, l'extraordinaire monument sobre, dépouillé, énergique, indomptable de l'affiche d'Air France, symbole absolu du geste d'Excoffon. Il signa aussi, dans la série artistique, l'un des plus beaux timbres français, son sigle RF est exemplaire, concis, vigoureux.
J'en oublie sans doute beaucoup d'autres, elles n'apparaissent pas à ma mémoire, cela a peu d'importance ; chacune de ses oeuvres était remarquée et tellement à lui ! Je voudrais éviter une enumeration exacte, cela ne lui eût pas convenu. Excoffon n'était pas un homme d'exactitude mais de spontanéité, de rapidité, de raffinement, à la recherche permanente d'une perfection, de sa perfection. Très complet, très complexe, en quête continue du geste idéal, le premier étant presque toujours préféré, malgré ses repentirs et l'insistance qu'il portait à modifier, à parfaire. Cela se traduisait souvent, à la fin d'un geste, d'une forme, par : « Et puis m... ça va !» Pour beaucoup, Excoffon n'était pas celui qu'il fut en réalité.
UNE IMMENSE PERSONNALITE
UNE INDIVIDUALITE PLEINE ET COMPLEXE
J'ai travaillé avec lui longtemps et crois l'avoir bien connu, apprécié et estimé tel qu'il est (qu'il était!). Tous ceux qui le voyaient pour la première fois étaient impressionnés, souvent déçus par le premier abord : de nombreux jeunes et autres, moins jeunes, le disant distant et glacial, ... réfrigérant même ! Combien c'était mal le connaître. Excoffon est tout à la fois.
Une grande silhouette élancée, svelte, qu'il a toujours conservée et qui lui conférait ce que bien peu possèdent: la distinction et une classe incontestable. Une sorte de gentleman aux intonations de ce Midi qui lui convenait. Excoffon est bien autre chose. Désinvolte et attentif, superficiel et profond, il vécut avec intensité les multiples contradictions de son comportement, de ses intentions, de ses gestes. A la fois secret et exubérant, son image multiple, foisonnante, est le reflet de ses vérités.
J'ai retenu et conservé en moi ce que j'ai senti de plus essentiel : une grande discrétion, un tact exceptionnel, une chaleur pudique dans les sentiments, une immmense gentillesse. Je l'ai senti multiple et sincère, et toujours sincère dans ses choix. Il affirmait souvent que nous faisons un métier de p... Je crois qu'il rend hommage aux unes et à nous. La passion profonde l'a inspiré et ses colères sourdes le tourmentaient. Je ne l'ai jamais entendu crier. Sa retenue calmait ses emportements. Tout se terminait par un sourire complice, une boutade. Son assurance dissimulait ses hésitations, et son autorité, l'indécision.
Joueur puéril, parfois candide, d'une candeur spontanée, il s'émerveillait de toute découverte, comme un enfant. Je me souviens : à l'atelier de la Fonderie Olive, je sifflais ou chantonnais quelques mesures de Bach, il me dit m'avoir écouté avec cet étonnement que l'on reconnaît à l'enfant découvrant... ici la musique (pourquoi pas le jeu de construction ?). Une autre fois, je contais quelque blague en espagnol, qu'il ne comprenait pas bien, seules les intonations que j'y portais le faisaient éclater de rire. « Racontez-là encore José ! »
Une très discrète connivence entre nous. Les atomes circulaient. Beaucoup de pudeur. Nous nous sommes toujours vouvoyés. Il considérait sans doute comme moi-même que le tutoiement n'est pas nécessairement la meilleure distinction de l'amitié. Il serait injuste, je crois, de ne reconnaître en lui que des qualités. Certains aspects de son comportement dans le travail étaient souvent agaçants (mais quand on aime, on ne compte pas !). Il n'était jamais là quand sa présence l'exigeait, toujours
une course à l'extérieur, un client à voir d'urgence ou un paquet de Gitanes à acheter! Alors, alors il fallait improviser, savoir deviner son intention, ses souhaits, qu'il s'agisse de formes ou de couleurs. Ses couleurs nous les connaissions bien : le « bleu RAF et le jaune moutarde » ; quelques autres aussi dont il fallait sentir son approche la plus fidèle. Plus difficile la définition d'une courbe, il a les siennes, moi les miennes, très différentes. Une grande habitude de son geste, de la façon très
spontanée qu'il avait de signifier une intention, et un respect de son mouvement permirent d'accommoder les démarches et de demeurer « Excoffon ».
Je ne puis évoquer ses créations sans mentionner la profonde empreinte que lui laissa son appartenance à la peinture et sa formation issue de la peinture. Je ne sais en parler, elle n'inspira pas mes débuts, mais il admirait je crois les Paolo Ucello, Fra Angelico et leurs contemporains italiens. Soulages. Hartung et quelques autres comme Mathieu situèrent Excoffon dans un courant contemporain, mais structuré, dépouillé, où le geste soutenu par la couleur prédomine.
Son activité publicitaire lui permit de s'exprimer totalement, les formes abstraites mais signifiantes illustrèrent longtemps ses encarts pour de grands laboratoires de pharmacie. Il m'étonnait infiniment, bouillonnant d'idées, improvisateur génial, son sens aigu des nuances et des masses des harmonies et des tons trouvèrent dans ce type d'illustrations la faculté, combien puis sante, de suggérer.
BANCO, MISTRAL, VENDÔME DES CARACTÈRES À CARACTÈRE !
Mais Excoffon est l'inventeur exceptionnel des formes de la typographie Olive. Que l'on me permette un parallèle entre les créations Olive et Citroën. Une succession de caractères Olive-Excoffon a marqué la typographie française contemporaine d'une originalité incontestable : Chambord, Banco, Vendôme, Mistral, etc, comme les modèles Citroën ont marqué l'esthétique automobile: la trèfle, la 11 et la 15 cv, al 2 Cv, la DS, etc… l'un et l'autre remportant un semblable succès.
Excoffon a su avec génie être différent. Dès après la guerre, la Fonderie Olive fut dominante, grâce à la très grande vitalité et à la compétence de ses agents commerciaux, mais surtout à l'exceptionnelle originalité des caractères créés par Excoffon. II se disait, dans la profession, que ses caractères ont été et sont des caractères de mode, en y attachant bien sûr une notion « d'éphémère ». Pourtant, aujourd'hui, il n'existe pas un seul village ou ville fançais, du Midi, du Centre ou d'ailleurs dont les enseignes des boutiques ne soient inscrites en Banco, en Choc, en Mistral. Ephémère ? Bien qu'il disait s'en moquer un peu, je crois qu'Excoffon pouvait être fier d'un tel succès, d'une telle pérennité ! On peut être indifférent à sa propre image, mais pas à celle que l'on révèle dans sa création ! C'est sou
vent étranger à l'orgueil : c'est certainement une grande satisfaction, sereine et stimulatrice.
Dès la fin de la guerre, le Chambord (linéale double) fit la renommée d'Olive ; il fut dessiné pour concurrencer le Touraine de Deberny et Peignot qui ne parvenait pas à se diffuser amplement. Pourquoi le Chambord eut-il tant de succès ? Probablement une publicité jeune, nouvelle et dynamique y contribua-t-elle. De cette concurrence naquit l'ATYPI (Association typographique internationale) à l'initiative de Charles Peignot.
Excoffon qui ne procédait pas directement de la filière typographique a sans doute innové chaque fois dans des secteurs bien particuliers, l'originalité, la publicité, la nouveauté et un dynamisme certain.
Excoffon fut et demeure un homme écouté, et discuté, contesté et admiré, ou envié. Je suis certain que l'extraordinaire séduction qu'il dégageait gênait beaucoup, mais nous avons tous succombé. Rien de mièvre, ni de superficiel et pourtant c'était aussi une cigale, désinvolte, s'amusant parfois comme un enfant, profond et obstiné, instable mais opiniâtre et subtil.
le vendôme
Le caractère sans doute le plus célèbre de la Fonderie Olive fut le Vendôme. Il est pourtant signé Fr. Ganeau. En effet, c'est François Ganeau qui commença les premiers dessins d'essai du caractère qui devait être le Vendôme. li fallait renouveler et rajeunir le Garamont en créant un type classique mais moderne.
J'ai vu les épreuves des essais de Ganeau et je peux témoigner que tout, ou presque, ce qui fit l 'originalité du Vendôme, y compris une agressivité (excessive à mon sens) désirée, est dû à la patte d'Excoffon, au jeu subtil auquel il se livra avec les formes, les schémas, les habitudes, les conventions. Très dynamique (trop) très nouveau, neuf et acharné, le Vendôme est un caractère de combat plus que de calme, mais quelle réussite ! On volt à l'examen des autres séries italiques, gras, noir,
toutes les intentions, mieux perçues dans ces séries, qui marquèrent dès le romain la couleur du prototype.
Excoffon ne dessinait pas tout lui-même, il confiait à ses collaborateurs le soin de mettre au point, d'exécuter. Il m'a fallu de très nombreuses années pour m'apercevoir combien cet homme savait, sans expliquer, démontrer ou décrire, transmettre à ceux à qui il s'adressait, exactement ce qu'il désirait figurer : « Vous voyez? » Un petit claquement de doigt sec, et l'on comprenait, ce n'était pas évident ! Mais je crois l'avoir bien, très bien compris. Beaucoup de finesse, de subtilité, de raffinement et
d'hésitation. Jusqu'où peut-on aller ?... Souvent perfectionniste, cela retardait la marche, mais cela fonctionnait bien ; pas comme une machine « d'outre-Jura », c'était très latin, quelque fois éprouvant pour des esprits cartésiens, mais jamais la monotonie ni l'ennui.
Le Mistral
Génie encore avec le Mistral. Chacun voulait y voir la transcription de sa propre écriture, celle de R. Excoffon. Il s'en défend avec acharnement, il a tort et à la fois raison, i
Certes, Excoffon avait une écriture assez illisible qu'on n'imaginait pas à l'origine du Mistral. Et pourtant! Les directions multiples des hampes, certaines finales, l'antisystème, le désordre vif et spontané, la vigueur, les raccourcis de l'écriture d'Excoffon peuvent être décelés dans ce caractère. Rejet ou accentuation des intentions graphiques du scripteur ? Sans doute tout à la fois ! Toutes les fonderies de caractères ont une « écriture », des « écritures », aucune n'imagina autant de réalisme, de naturel.
Dans la foulée du Mistral, la Fonderie Olive, et donc Excoffon, décidèrent d'ajouter une série, le Choc, inspirée du précédent, mais plus dense, non liée, d'une facture vigoureuse, très vigoureuse, dans l'esprit des écritures à la brosse. Caractère destiné aux publicités, aux titres courts, aux phrases choc, il se tailla dans ce marché un succès très certain. Il était, de plus, auréolé du prestige de jeunesse et vigueur de la Fonderie Olive.
Le Banco
J'aurai dû, plus tôt, évoquer le Banco qui précéda le Choc et le Mistral. Il fut dans les années 50 le plus populaire des caractères de fantaisie employé partout, dans toutes les publicités, dans tout l'hexagone, sur tous les supports. Il orna, et continue aujourd'hui, trente ans après, d'illustrer les enseignes de boulangeries, pâtisseries, charcuteries. C'est un succès considérable, c'est très étonnant ; certaines imitations étrangères ne parvinrent jamais à l'égaler. Je crois qu'Excoffon souhaitait un jour en refaire une version plus rigoureuse. Il fut, longtemps après, étonné par l'image de ce caractère auquel il souhaitait adjoindre un bas de casse, il me l'avait confié, lorsque, parfois, nous parlions typographie !
COMMENT JE L'AI RENCONTRE
En 1955 j'étais chez Maximilien Vox « détaché » de Cliché-Union et je dessinais des lettres, des titrages, de futurs alphabets, très solitaire. Venait chez Vox toute la typographie célèbre : Stanley Morison, Fernand Baudin, John Dreyfus, Frutiger et combien d'autres ; y venait aussi Roger Excoffon. Un soir Vox me présenta à lui qui s'intéressa vivement à mes travaux. Quelques minutes de conversation, avec cette façon qu'il avait de marmonner quand il ne connaissait pas ses interlocuteurs, bref,
concis, très aimable mais peu perceptible. « SI vous voulez, vous entrez chez moi dès demain à la Fonderie Olive. » (C'était près du Luxembourg, rue Crébillon, le seul quartier de Paris qui me convenait !) Vox, après son départ : « Mon petit vieux, il y a des occasions dans la vie que l'on n'a pas le droit de laisser passer. •» Le lendemain j'étais avec Excoffon,
En 1955, il était l'idéal pour moi, celui qu'il fallait approcher, lui le créateur des succès de la Fonderie Olive, à la typographie latine raisonnable. J'y suis resté près de cinq ans. Le perfectionnisme d'Excoffon se définirait ainsi: le soin qu'il avait de porter à la perfection, sa perfection ; telle courbe ou telle épais seur nous conduisait à refaire, à repréciser, retoucher des lettres des journées entières. Dessinées, elles étaient affichées au mur et alignées côte à côte pour en juger le poids, l'ha rmonie, les rapports entre elles. Travail long, agaçant, jamais fastidieux. Il faut dire que faire. le dessin d'une lettre et le pousser jusqu'à sa forme parfaite est un travail captivant ponctué de temps d'angoisse.
DU DIANE A L'ANTIQUE OLIVE
Ce fut ensuite le Diane, écriture anglaise non conventionnelle dont les formes, les attaches et les hampes furent des innovations. Il fallait d'abord résoudre le problème des écritures de cette famille : le crénage et des plombs solides. La très grande technicité de la Fonderie Olive à Marseille résolut les problèmes de gravure. Nous devions, nous, adapter les dessins à cette technique. Les capitales de Diane furent au début très ornées « avec beaucoup de fions » et gravées ainsi, mais une partie de la clientèle, les imprimeurs, les ressentaient trop ornées. D'autres furent donc dessinées, gravées et proposées au marché. Beaucoup plus traditionnelles dans leurs principes. Les imprimeurs revinrent vers les premières.
Le dessin des capitales du Diane fut l'objet de mes premières divergences avec Excoffon, le geste non calligraphique était mal ressenti et le type même des courbes n'était pas celui que mon geste m'eut inspiré. Différent, le Diane n'eût sans doute pas connu le très grand succès qu'il obtint. Rares sont les imprimeurs typo, qui demeurent encore, à ne pas avoir dans leurs casses le Diane d'Excoffon. La couleur d'un corps 12 (3 oeils), voire d'un 16 est excellente.
Entre-temps l'aventure du Calypso. Initiales baroques, initiales de jeu, gadget, issu de l'esprit d'Excoffon comme un diverti ssement dont l'usage bien particulier ne le conduirait pas à composer des textes, seulement des mots très courts, une lettrine ; il fut aussi la démonstration de la qualité de gravure de la Fonderie. Excoffon cherchait les formes sur calque, au crayon.
Le principe était celui d'une feuille métallique courbée, découpée unique, dont les plis et découpes produisaient le schéma des lettres. Un dessin à l'aérographe était ensuite traduit en double dégradé, point par point, au balustre et « entièrement fait main ». Aucune trame mécanique n'aurait pu traduire des dégradés courbes : nous avons fait trois essais de « trames » distinctes. Quel travail !
Bien sûr, Excoffon donnait tout son être dans ses créations. Tout aussi « achevées » qu'elles aient été, accompagnées du succès que l'on sait, il était tout à fait conscient que leur emploi serait le divertissement, pour des travaux de ville, voire de la Publicité (excepté le Vendôme). Et depuis longtemps il cherchait d'autres formes pour un caractère de base, destiné au texte.
Frutiger avait mis au point et dessiné l'Univers pour Deberny et Peignot et toutes les fonderies créaient des linéales, toutes.
La mode était aux linéales. Certaines assez semblables, d'autres quelque peu différentes, la plupart suivaient une architecture « méthodisée ». Seules les graisses, les approches, la couleur pouvaient les différencier (aux yeux des presque profanes !).
Excoffon et Marcel Olive décidèrent aussi de créer une linéale. Avec Excoffon elle ne pouvait être que différente. Curieusement, la première série lancée sur le marché fut le Nord, caractère très gras, très affirmé, destiné au titrage capitale ou bas de casse pour la publicité. C'était avoir très bien vu et visé. La publicité offrait effectivement la meilleur base d'essai pour un nouveau type. Dès qu'il fut disponible et vendu aux imprimeurs, le Nord connut un succès immédiat. Il est intéressant d'observer avec attention le Nord, surtout le bas de casse, partout où les structures le permettent (les signes ont une forte graisse) ; il est déjà possible de percevoir les multiples interventions, non habituelles, de renforcement des silhouettes annonçant l'élaboration beaucoup plus poussée de la future Antique Olive. Fort de la réussite, modifiant les renforcements de graisse, l'Antique d'Excoffon allait se préciser. C'est une démarche fort passionnante (je dois cependant dire que jamais je ne fus en accord avec ces bouleversements de structures qui se situent à l'opposé du geste écrit) qui précéda et accompagna la genèse de l'Antique d'Excoffon. Elle s'appuyait sur le principe que c'est la partie supérieure des lettres, donc des mots, qui semble nécessaire et suffisante à la perception des silhouettes.
Excoffon s'empara de l'argument en exagérant les structures significatives, en diminuant au maximum possible les hampes supérieures et inférieures. Ce fut sans doute trop. L'oeil très gros du caractère obligeait à interligner. Mais le processus fut un modèle du choix d'une esthétique menée à son terme. Pour les quelques initiés du studio Excoffon d'alors, nous avions nommé ce caractère à son tout début le Catsilou (rencontre fortuite des quelques lettres déterminantes disposées au mur qui furent le premier nom de l'Antique Olive). Les premiers dessins furent des caricatures pour juger le « là où l'on peut aller top loin ». Lettres peintes à la gouache, gris et noir, puis exécutées et gravées en fonte d'essai. La technique d'Excoffon fut d'ôter progressivement un peu de ce que l'on avait trop apporté (il existe des approches différentes). Cette genèse fut une aventure ! Quelle passion il y apportait, cet artiste presque technicien, qui se « f... de la technique » et affirmait avec raison que nous n'étions pas des artistes. Opiniâtre, délicat, très sensible, vigoureux, sobre, entier, honnête, c'est un être de passion !
L'Antique Olive, je crois son dernier caractère, eut ce mérite immense d'être la seule, la seule a être très différente de toutes les autres. Elle a un remarquable succès, reprise en photocompo en Allemagne, en U.S.A.
Mon Cher Excoffon, ce propos vous paraîtra peu cohérent, peu ordonné ; j'ai sans doute beaucoup oublié d'important car j'ai voulu noter quelques petits faits, parfois insignifiants, mais que nous connaissons bien et nous font revivre des moments passionnants. C'était hier ! Je n'ai su faire un catalogue parfait,
j'ai noté de petites anecdotes et je vous aimais bien.
José Mendoza - 1983
C’est sympa de parler d’Excoffon qui reste un des meilleurs graphiste de la 2e moitié du XXe siècle.
J’ai eu la chance travailler avec lui de 1965 à 1978, d’abord à l’agence U&O (dont le logo est plus haut) ensuite dans sa propre agence “Ecoffon Conseil”. Pendant tout ce temps, à part quelques exceptions j’ai travaillé sur tout ce que vous montrez, surtout sur les Jeux Olympiques d’Hiver (3 ans).
Ensuite, j’ai travaillé seul en faisant de “l’Excoffon”, ce type vous marque pour la vie.
Un vrai plaisir à lire cet article sur l’histoire de la typographie, merci ^^
Salut et encore merci pour cette article vraiment très intéressant. J’en suis venu à cette découverte quand je regardais l’aricle sur « So Cheap » et là j’apprends que c’est derrière cette homme que se cache le logo air france. Je trouve juste dommage que la logo qu’il a fait en 1968 ne soit pas retenu, elle était vraiment pas mal.
Salut, vraiment bien comme article !
Complet et agréable a lire, je me régale avec ce blog !! Continue(z) comme ça :)
Je n’ai pas de blog, je viens de terminer une école d’art en Suisse et je me disais que vos articles sont une excellente entrée en matière à l’histoire du graphisme :)
De rien ! Ça fait plaisir de recevoir ce type de compliments !
:-)
Au plaisir de vous lire en retour !
Vous avez un blog ?
Merci pour vos excellents articles, complets et enrichissants, un vrai plaisir à lire :)
À recommander pour des écoles par exemple
Une très bonne émisssion sur Excoffon http://www.lezinfo.com/blog/?p=562
Ha, ces créateurs et leurs travers ! :D
L’article est bien, merci.
Merci sur cet article vraiment plaisant qui nous fait découvrir l’histoire de la typographie aux travers de leurs créateurs.