Dick Bruna, graphiste minimaliste et père du lapin le plus célèbre de la planète

23 mars 2017  |   2 Commentaires   |    |  

Dick Bruna (1927/2017)

Avant de devenir le père du lapin le plus célèbre de la planète avec Miffy, Hendrik Magdalenus Bruna, dit Dick Bruna, était le fils d'un éditeur Néerlandais, un poil rebelle, qui ne voulait pas "faire comme papa". Il s'est éteint le 16 février 2017 et nous souhaitons rendre hommage à son travail de graphiste, au-delà de la simple création du lapin blanc minimaliste. Mais doutez-vous bien que l'on ne va pas parler seulement de petit lapin, même si on les aime pas mal.

Bref, voici le nouveau portrait de notre série "les grands nom du design graphique" !

Miffy superstar

Plus de 89 millions de livres vendus, traduits en 40 langues, et un statut de superstar au Japon et aux USA. Miffy c'est une histoire bien mignonne.

Comme nous ne sommes ni au Japon ni aux USA et que vous n'avez probablement jamais entendu parler de ce lapin, laissez-nous commencer par mieux vous présenter Miffy.
Nijntje dans son pays natal ("petit lapin" en hollandais, prononcer "nèïntchieu") est née en 1955. Oui, c'est une femelle. Véritable star à l'international, elle n'a pas pour autant fait changer son dessinateur, moustachu bien paisible et bien ancré dans sa ville de prédilection, Utrecht, qui a continué tout au long de sa vie à boire son petit café au café du coin et à travailler dans son bureau jusqu'à ses derniers jours.

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5 couleurs, 12 pages, un format carré : une formule qui roule. Attiré par la simplicité et le minimalisme, Dick Bruna s'est largement inspiré du travail de Matisse pour ses aplats de couleur et sa création simpliste (même si là à première vue cela ne saute pas aux yeux, on en reparlera plus bas).

Allez pour le plaisir, une vidéo de Nijntjie en VO non sous-titrée :

Battle au pays des bisounours

Petite parenthèse. Si vous vous dites que Miffy ressemble à Hello Kitty, c'est normal, mais c'est plutôt l'inverse.

Kitty est née 11 ans après, en 1976, à l'époque où Miffy avait déjà séduit les Nipons. En 2010 il y a d'ailleurs eu un procès entre le géant Japonais Sanrio et Bruna, agacé par Kitty et surtout la lapine Cathy, qui s'est soldé par la mise en bière de cette dernière. En plus de la disparition pure et dure de la lapine Cathy, les 2 parties se sont mises d'accord pour chacune verser 150 000 € non pas à la court mais aux victimes du tsunami de 2011.

On aurait bien vu un livre "Miffy prépare un civet (avec des véritables morceaux de Cathy dedans)" mais pas sûr que Bruna ait été pro-cannibalisme. Bref.

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Tu seras éditeur, mon fils

Bruna est aussi connu que Smith aux US et Durant en France. Et pour cause. En 1868, l'arrière grand-père de Dick fonde une maison d'édition -A.W.Bruna & Son- : on trouve alors un distributeur de livres des éditions Bruna dans chaque gare. Comme son arrière grand-père et son père, Dick a son destin tout tracé : il sera éditeur, et homme d'affaire.

Oui mais voilà, la seconde guerre éclate, et sa famille part se réfugier dans une maison dans la campagne Hollandaise. Sans accès à l'école, Bruna passe son temps à dessiner.

Plusieurs années plus tard, son père lui offre un stage à ses côtés. Il a ainsi l'opportunité de découvrir Paris, Londres, et Utrecht (Pays-Bas) qui deviendra sa ville d'ancrage. À Paris, il passe plus de temps dans les musées et galeries qu'auprès de son père. De là naissent 2 certitudes :
1 - Picasso, Léger, Matisse et Braque deviendront ses modèles,
2 - il n'est pas fait pour être éditeur.

Il tire désormais son inspiration des formes et aplats de Braque :

braque

des découpages et traits de Matisse :

Matisse

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qu'il mêle aux couleurs primaires de Fernand Léger :

leger

Dans les années 50, il visite la chapelle du Rosaire de Vence, conçue intégralement par Matisse.
Condensé de minimalisme allant à l'essentiel dans le brut des formes, découpes et couleurs primaires, c'est un véritable déclic pour Dick Bruna.

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matisse

Un dessin de Dick Bruna en 1953, inspiré par Matisse.

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Bruna au pays de l'ours noir

Mais à l'époque, Miffy n'a pas encore vu le jour. Après la guerre, en 54, les éditions Bruna lancent la collection de l'Ours Noir, une série de polars dans lesquels on retrouve notamment les aventures de Maigret. L'idée est d'aligner les prix aux livres de poche de la concurrence, et de vendre des tas de livres en gare. Dick s'essaye dans l'art de la couverture.

À l'époque, les livres étaient plutôt du genre à mettre en avant des femmes blondes à forte poitrine aux bras d'hommes forts et virils. Nous sommes après la guerre, les hommes sont de retour, et c'est le début de la femme objet, symbole sexy désormais dépendant du "sexe fort". On vous prépare d'ailleurs un article sur l'évolution des illustrations de couvertures de livres, et cette période est résolument la plus glamour, mais aussi la plus machiste.

Quelques exemples de couvertures de livres et illustrations des années 50 (à voir en plus grand en cliquant) :

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Les années 50 sont encore marquées par l'influence du style soviétique du début du siècle, avec symétrie et lettres capitales, et de plus en plus par Hollywood qui transforme la femme en victime ou dévoreuse d'hommes.

Notre cher Dick s'attèle à un style bien différent de ce qui se faisait à l'époque.

Inspiré de Matisse, il découpe des formes simples dans des papier de couleurs primaires qu'il assemble, préférant les heureux accidents de formes liés aux coups de ciseaux.

Il considère également le nom de l'écrivain, sa signature ou le titre du livre comme des éléments à part entière qu'il fait jongler sur le papier, sans véritables grille ni contraintes.
(cliquez pour voir les images en grand)

C'est ce style minimaliste qu'il s'appliquera à développer plus tard lorsqu'il créera les aventures de Miffy. "Je ne suis pas un illustrateur, je suis plus une sorte d'artiste graphique. Je réfléchis toujours en terme de formes et j'essaye de réduire les éléments à l'essentiel."

 

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maigret-gangsters

 

Le lapin minimaliste

Un peu à la manière de Picasso, qui travaillait à simplifier au maximum ses lignes, Bruna cherche à capturer l'essence du quotidien ; maison, fleur ou champ d'herbe.

"Si je dois dessiner un éléphant, je vais au zoo faire un croquis d'éléphant, ensuite j'enlève toutes les choses superflues, pour n'avoir plus que l'essence de l'éléphant. C'est comme un alphabet ou un langage graphique, le symbole international de ce sujet... cela explique peut-être pourquoi mon travail est si populaire au Japon."

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Picasso - études de boeuf

On voit l'inspiration de Picasso dans le travail de Bruna (à droite), pour une campagne "Stop AIDS" contre le sida.

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Alors forcément, on aurait tendance à dire "j'aurais pu le faire" ou "ça ressemble à des dessins d'enfants" oui mais, encore fallait-il y penser à l'époque, et le faire.

Dans son studio à Utrecht, Bruna allait jusqu'à taper le texte à la machine et repasser les lettres une par une pour avoir cette texture de fait main, et ce trait un poil irrégulier. Il passait des heures à réfléchir à comment créer un lapin aux multiples expressions, avec seulement 2 points et une croix.
Il utilisait alors les couleurs à la rescousse -rouge, jaune, bleu, vert, noir et blanc- pour accentuer les émotions.

 

dessinateur-miffy

miffy-Bruna

 

"Le plus important est de tout réduire à son essence même. Aucune ligne n'est redondante. Chaque forme fait appel à l'imagination, et je laisse suffisamment d'espace pour l'imagination du lecteur. C'est cela la force de la simplicité : l'art de l'omission."

 

miffy-musee

 

Pour aller plus loin :

www.designcurial.com/news/miffy-creator-dick-bruna---the-art-of-reduction-270115-4497133

www.deboekenplank.nl/naslag/aut/s/simenon_g.htm


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2 commentaires :

  1. Jeannot Lapin :

    Non, c’est Bugs Bunny.

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