L’histoire des pochettes de disques : le premier visage du jazz des 50s

17 avril 2023  |   0 Commentaires   |    |  

Histoire des pochettes de disque les années 50 et le jazz des états unis

La pochette vinyle a marqué non seulement une époque, mais tout l'univers de la musique. Elle a été et est encore, 70 ans après sa création et à l'heure du tout numérique, un support de choix pour les amateurs et les collectionneurs, et un format d'expression privilégié pour les artistes et les graphistes. Ceci est le premier article de notre série sur les pochettes vinyles.

Le visage de la musique et de la société sur les pochettes vinyles

Comme les couvertures de livres, les pochettes vinyles sont des supports graphiques qui évoluent au fil des changements sociaux et technologiques et illustrent ainsi les bouleversements de la société. En retracer l'histoire nous permet donc à la fois d'admirer la beauté d'un objet qui donne un visage à la musique, et aussi de mieux comprendre 30 ans de culture.

Après les paysages bucoliques et les dessins pour illustrer la musique classique, la photographie sera de plus en plus utilisée à partir des années 50 grâce à l'impression offset. Le dessin et un certain graphisme déstructuré illustreront l'énergie exubérante du jazz, puis le psychédélisme le rock naissant des années 60, qui fait renaître le fait main à l'aide du photomontage et du photocollage. La science fiction et le voyage spatial seront à l'honneur dans les années 70 avec la naissance de la PAO et de l'impression laser, avant la désillusion des années 80 qui annoncent la commercialisation d'une nouvelle technologie, le CD, qui signera le déclin du vinyle mais pas de la pochette de musique ! C'est cette histoire que nous allons retracer dans cette série d'articles. Bonne lecture !

L'inventeur de la pochette vinyle moderne

C'est à Alex Steinweiss (1917–2011) que l'on doit les premières pochettes de disques vinyles modernes telles qu'on les connaît aujourd'hui. En 1940, à 28 ans, il est DA chez Columbia Records et propose de remplacer les papier bruns entourant les disques (ressemblant à des albums photos, c'est de là que vient le nom) par une illustration colorée, pour que "les gens puissent regarder l’œuvre et entendre la musique". Dans l'industrie, on appelait alors ces pochettes des "pierres tombales", par dérision : c'est dire si elles étaient mornes !

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L'entreprise donne sa chance à Steinweiss avec ces pochettes synesthésiques qui racontent le son par l'image, et en quelques mois les ventes augmentent de 800% ! Le style illustratif de Steinweiss est coloré, généralement sans perspective et avec des aplats de couleurs en guise de fond comme dans les publicités du roi de l'affiche Jules Chéret, avec un jeu typographique lui aussi dessiné à la main et qui fait écho au style musical de l'album.

Une gothique pour de la musique allemande, une manuscrite pour du classique, une typo ronde dansante ou de grosses lettres grasses pour de la musique rythmée latine ou africaine...

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En plusieurs dizaines d'années Steinweiss crée des milliers de pochettes de vinyles pour toutes sortes de musiques, chez des labels comme Columbia, Decca, London, ou Everest. Il compose également des logos, des supports de publicité et sa propre typo, la Steinweiss Scrawl. Son audace graphique révolutionne l'industrie de la musique.

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Assez rapidement, les labels obtiennent également des licences pour utiliser les oeuvres d'artistes modernes comme Picasso (dont une colombe est imprimée directement sur le disque, en 1949, ci-dessous) pour illustrer des albums. On reviendra sur les collaborations artistiques un peu plus tard dans l'article. Parlons d'abord du jazz !

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Les pochettes vinyles du Jazz américain

En 1942, Steinweiss embauche l'illustrateur James (Jim) Flora chez Columbia qui compose des illustrations un peu folles, enfantines et vraiment joyeuses pour sublimer les vinyles de jazz. Son univers énergique, coloré et vibrant donne vie à un monde barré et loufoque qui échappe à la réalité, illustrant l'effusion vivace du jazz d'après guerre. Il inspirera sûrement les Shadocks (1968) et les chats de gouttière amateurs de jazz dans les Aristochats (1970).

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Dix ans plus tard, c'est la photographie qui vient remplacer les illustrations. Dans les années 50 il existe deux styles de jazz aux États-Unis : celui de l'Est à New York, avant-gardiste intense et soul, et un autre plus cool aux arrangements plus fins, à l'Ouest. Ces deux styles sont visuellement différentiables sur les pochettes vinyles : le jazz de l'Est joue avec la typographie et les photos, en bichromie avec une teinte colorée ou en noir et blanc, comme on le voit dans les labels blue note, Prestige ou Riverside. À l'Ouest, on trouve bien plus de couleurs, avec des photos posées aux teintes chaudes, typiques de la côte pacifique.

Le soleil du jazz de l'Ouest

Ce sont notamment les photographies et arrangements de William Claxton qui dessinent le visage des pochettes du jazz de l'ouest, dans lesquelles les musiciens mis en scène en plein air, loin des salles de concert ou d'enregistrement sombres, font écho au cinéma. On y voit par exemple Chet Baker jouant de la trompette sur un yacht, ou Sonny Rollins tel un cowboy qui dégaine non pas un revolver mais un saxophone. Ces pochettes hors des studios contribueront à diffuser le recours à la photographie pour mettre en avant les groupes de musique.

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Le label blue note et ses pochettes mythiques de jazz, à l'Est

Le label blue note est sans doute le label le plus connu dans le monde du jazz. Il est créé en 1939 par deux immigrants juifs-allemands, Francis Wolff et Alfred Lion, qui enregistrent les maîtres du Hard Bop, un genre de jazz mêlé à du gospel et du rythm & blues. L'enregistrement fait la part belle aux trompettes et aux percussions, mais ce sont avant tout les pochettes qui accrochent le regard.

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On doit leur mise en page à Reid Miles qui devient LA référence des pochettes de vinyles de jazz en prêtant son talent de graphiste au label blue note vers 1955. Ironiquement, Miles n'était pas fan de jazz mais de musique classique, et c'est sûrement son détachement pour ce style qui lui a donné la distance nécessaire pour en décortiquer le cœur et lui faire visuellement écho.

Miles joue pendant 11 ans avec les photographies intimistes de Francis Wolff, que ce dernier capture lors des sessions d'enregistrement, et que le graphiste cadre en zoomant et en jouant avec les formes pour y insérer son texte ou jouer graphiquement avec le titre de l'album ; l'instrument ou les mains y prennent parfois plus de place que la tête du musicien, et le texte se lie au visuel. Sur les pochettes vinyles blue note on voit claquer des talons dans un rythme que l'on entend tout de suite, le flou d'une main qui bouge, ou une photo judicieusement placée entre deux lettres.

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Miles crée par exemple une forme de 1 pour composer le titre de l'album d'Art Blakey, utilise l'espace entre la main de Kenny Dorham pour y insérer le titre de l'album dans una mas, ou compose avec le rond d'une grille comme élément visuel pour l'album "no room for squares" (pas de place pour les carrés).

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Sur Our man in Paris, il utilise l'espace entre deux mots pour y glisser la cigarette de Dexter Gordon. Il rajoute une typographie compacte agencée d'une manière méticuleuse, souvent répétée et ondulante comme la musique, avec des formes créatives et des couleurs pleines et franches, créant ainsi des pochettes rythmées et vivantes à l'image du jazz.

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Dans les années 60, Reid Miles joue de plus en plus avec la mise en page et la typographie, qui parlent d'elles-mêmes, avec des photographies plus petites et presque anecdotiques. On pense à la pochette it's time ! de Jackie Mc Lean aux nombreux !!!!! qui remplissent tout l'espace, ou encore à in' n out avec un pont typographique liant le n au u.

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Miles crée en 1958 une pochette pour Monk et Sonny Rollins sous le label Prestige. Il dira, malgré toutes ses années au sein de blue note... qu'elle est sa pochette vinyle préférée !

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La collection iconique blue note inspire encore les designers aujourd'hui dans la musique mais aussi en détournement, comme ces pochettes à l’effigie d'Obama réalisées en 2012 :

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Andy Warhol dessine des pochettes vinyles de jazz

Si le jazz propulse réellement les expérimentations graphiques des pochettes vinyles, la pochette vinyle est aussi un support de prédilection pour les artistes qui font des expérimentations graphiques à la fois avant-gardistes et populaires.

Mais avant de signer les pochettes de leurs noms déjà connus, les artistes des années 50 illustrent surtout des pochettes vinyles pour arrondir leurs fins de mois. C'est le cas d'Andy Warhol à ses débuts qui quémande pour avoir l'honneur de collaborer avec Reid Miles (plus connu que Warhol à l'époque) pour dessiner quelques pochettes pour blue note, comme celle de Kenny Burrell en 1957 et 1958. Il dessinera aussi pour le label RCA Victor Progressive piano en 1952 puis Artie Show en 1956. Ses dessins à la ligne claire vibrante et disproportionnée sont encore loin du style qui fera sa notoriété... il y viendra plus tard !

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Dans le second article de cette série nous parlons des pochettes les plus subversives de Warhol, et des vinyles psychédéliques de la contre-culture rock des 60s. N'hésitez pas à nous partager en commentaire vos albums vinyles préférés !


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