Groupama, un logo Reflets de France
Il y a de cela quelques semaines, nous avons pu apercevoir en ligne un nouveau logotype Groupama. Pas (encore ?) d’annonce en grande pompe, ni de dévoilement officiel, mais il est là ce nouveau logo. Il a pris ses fonctions sans bruit et remplace un logotype qui officiait et était reconnu depuis plus de 20 ans.
Première constatation : Les sillons des champs labourés qui faisaient rayonner le petit village français ont disparu. Ça y est on a plus d’agriculteurs, mais soyons rassurés, il reste le clocher toujours érigé au centre. Imaginez s’ils avaient fait tomber notre socle civilisationnel chrétien !
Un énième rebranding dans l’ère du temps, façon mettons tout aux codes des applications numériques. De toutes façons, le changement est devenu une valeur forcément positive synonyme d’innovation, donc feu vert. Cet article sera-t-il encore une fois l’occasion de tirer à boulets rouge sur un nouveau logo ? Oui et non. Espérons que le plus important sera l’étude du contexte dans lequel il apparait, et surtout les questions que cela peut poser dans l’exercice toujours périlleux du rebranding et de l’évolution de l'identité de marque.
Une France à la recherche de son identité, toujours tiraillée par la question de sa décentralisation et de sa modernité ?
C’est devenu « moderne » et froid. Toute la perspective, la profondeur, le dynamisme et la subtilité de deviner le G a disparu pour un résultat plat qui n’est pas moche en soi s'il n’y avait pas l’ancien en comparaison. Revenons deux secondes sur la genèse de Groupama : « Le point de départ est la loi du 4 juillet 1900 qui a permis en France la véritable naissance, puis l'organisation, du mouvement mutualiste agricole. »
En supprimant les champs du logo, cela sous-entend t-il que Groupama coupe les ponts avec le monde agricole pour se tourner vers une autre clientèle ? En d'autres termes, Groupama délaisse-t-il les rats des champs pour draguer les rats des villes ? Difficile de savoir sans avoir le cahier des charges du client entre les mains. Avec une typographie géométrique épurée et un langage "picto" universel, Groupama ambitionne peut-être de s’adresser à une audience mondiale sans confusion. Groupama ne serait donc plus une marque exclusivement française, mais probablement une marque européenne, voire mondiale.
D’un point de vue purement formel, l'emblème est plutôt équilibré et sa double lecture Lettre-symbole est résolue. Cependant, il devient plus un 'pictogramme' qu'un emblème de marque distinctif. On peut saluer le travail sur la contre-forme qui laisse à voir une maison plus '3D' comparé à avant. à première vue, nous pouvons également y voir un pictogramme « électricité ».
Nous voyons aussi une proximité avec la ligne de vie d’une fréquence cardiaque dans une loupe, genre reste t’il un peu de vie dans ce village français. Une dernière pulsation avant l'encéphalogramme plat. Ça devient corpo-lambda comme beaucoup... Sans l'iconicité du nom et du vert, ça pourrait presque être n'importe quelle start-up du digital. Attendons la prochaine étape du strip-tease où ils vireront le clocher... Il y a de quoi être vert, ils ont même supprimé le petit dôme orangé qui donnait un zeste chaleureux et solaire dans l’emblème précédent.
Digital is killing the logotype stars
A posteriori, il faudra surement se rendre à l’évidence (faisons le risque de ce pari) : nous aurons été la génération de designers responsables de la grande rationalisation des identités graphiques. Notre justification / excuse principale ? Tout étudier sous le prisme de la transformation numérique des marques, ainsi que la concomitante chute de notre degré d’attention comme impératif de la simplification (Certain dirons notre « temps de cerveau disponible »).
Meta, linkedin, et tous les autres réseaux sociaux ont préempté notre attention avec leurs l’algorithme addictif… mais ont aussi capturés les marques (et leurs codes d’expression) qu’ils ont mis sous leur coupe. Jusque là, l’annonceur était roi, la pub des années 2000 consistait à habiller des pieds à la tête un site média le temps d’une campagne. La marque s’exprimait à 200%. Avec les réseaux sociaux, la marque se cantonne à une icône de 96px de large et le rebranding a supplanté l'impact visuelle et économique d'une campagne publicitaire.
Le nouveau logo, en aplatissant, en élaguant et en supprimant des signes et des couleurs, rend les choses évidentes. La lettrine G saute au yeux et l’enjeu du dévoilement ne se pose même plus. A quoi bon de toutes façons, qui aurait le temps et le plaisir de cette ambiguïté et de cette découverte puisque nous vivons tous dans la frénésie de l’instant présent les yeux collés sur notre smartphone. Donc soyons efficace et gagnons du temps.
Le designer comme garant d’un certain patrimoine de signes graphiques et le responsabilité du commanditaire
L’attachement que nous pouvons avoir pour certains logos échappe à toute logique rationnelle. Nous aimons certains simplement car ils font parti de notre paysage et nous accompagnent silencieusement depuis notre enfance. D’autre traverse les époques et les générations et deviennent indéboulonnables. On a pour habitude de dire « iconiques ».
Groupama n’est pas le Centre Pompidou. Le G qui encapsule l’image d’Épinal du village de campagne français n’est pas le célèbre symbole crée pour le Centre Par Jean Widmer. Et pourtant ils incarnent tous les deux une facette de la France. La tradition d’un côté. L’audace iconoclaste architecturale de l’autre. L’un a été sauvé grâce à une pétition largement signée par l’ensemble de la profession, l’autre… bah en fait on s’en fout un peu. C’est juste le logo d’une boite d’assurances.
Cet emblème Groupama forcément « rétro » ne pouvait-il pas malgré tout perdurer ? N’est-il pas aussi graphiquement astucieux que le logo de Carrefour avec son « C » en réserve. Combien d’entre vous avaient-il décelé que l’emblème paysage de Groupama était également un « G » ?
Le logo Groupama incarnait, comme le disent avec condescendance, certains responsables politiques ou tout simplement "les gens de la capitale", la "France des territoires". Celle que l'on nommait avant la France des Régions et avant cela la province, la ruralité. Cette évolution de logotype raconte une vision qui n'ai pas neutre de la France, et le vide y est palpable. Parfois simplifier c’est appauvrir une charge symbolique. Le soleil et les champs ont disparu du logotype, donc nous pouvons légitimement nous poser la question si il reste de la vie dans ce logo.
Et si il existait un rôle du designer graphique dont la mission serait de questionner la durabilité des signes ; ceux qui grâce à leurs qualités plastiques et leurs pérennité, finissent par faire partie intégrante de notre culture ? Celle qui raconte notre histoire et créer du commun. Cela serait-il réac ou écolo ?
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