Cheveux en bataille dans les affiches contestataires iraniennes

12 mars 2023  |   1 Commentaires   |    |  

Iran, septembre 2022. Mahsa Amini, une jeune Kurde Iranienne de 22 ans, est arrêtée par la police des mœurs et de la « conduite morale » du régime du président Raïssi. Depuis juillet 2022, une loi  « sur le port du hijab et la chasteté du pays » impose de nouvelles restrictions aux femmes : le foulard obligatoire doit désormais couvrir le cou et les épaules, en plus des cheveux.

Mahsa est morte pour une mèche mal dissimulée derrière un foulard mal ajusté.

C’est la mèche qui a mis le feu aux poudres et donné naissance au mouvement de contestation massif de milliers d'Iranien.ne.s s'insurgeant contre le régime des mollahs.

Comme dans toute révolte, de nombreux visuels sont apparus sur les réseaux, s’emparant de l’iconographie des manifestations. Ces affiches de designers iranien.ne.s et du monde entier, convoquent des éléments symboliques qui retentissent à l’unisson : des figures de femmes qui se dressent, fortes et fières, déterminées et solidaires, leurs chevelures lâchées ou mutilées s’offrant aux regards, telles des toisons emblématiques de cette lutte pour leur liberté.

Le geste symbolique des manifestantes se coupant les cheveux est l'un des motifs récurrents de ces images. Aussi, outre le fait de soutenir cette mobilisation et de relayer le travail de nos confrères et consoeurs designers, nous souhaitions interroger ici l'évolution et la force de la symbolique de la chevelure, au fil du temps et des cultures.

Un questionnement dans l'hair du temps, dont la lecture, on l'espère, ne vous fera pas trop "mal aux cheveux" !

Caractère signifiant et charge symbolique de la chevelure au fil du temps

Commençons par un petit détour linguistique. Les expressions capillaires sont pléthore. Elles peuvent servir à illustrer l’exaspération (« s’arracher les cheveux »), la querelle (« se prendre aux cheveux », « se crêper le chignon »), la peur (« faire dresser le cheveux sur la tête »), la gueule de bois (« avoir mal aux cheveux »), les soucis (« se faire des cheveux blancs »), les problèmes (« il y a un cheveu »), l’incongruité (« arriver comme un cheveu sur la soupe »), l’excès de subtilité (« couper les cheveux en quatre ») quelque chose d’alambiqué (« tiré par les cheveux ») ou encore une distance ténue (« à un cheveu près »).

Depuis l’Antiquité, les poètes ont loué les longues chevelures féminines pour leur pouvoir érotique. Porter les cheveux longs était non seulement considéré comme un attribut de la beauté, mais surtout comme un symbole de féminité.

Paradoxalement, pour les hommes, les cheveux longs constituaient l’assise du pouvoir et de leur puissance virile. À cette époque, ceux qui arboraient des cheveux courts étaient les classes sociales considérées comme inférieures et cela leur était imposé. Notons, en ce sens, que tous les esclaves étaient rasés.

En Gaule, les cheveux se devaient d’être longs, car c’est ainsi qu’ils symbolisaient la liberté.

Par la suite, les codes évoluent. L'histoire de l'art met en évidence le fait que, jusqu’à la fin du XIXe siècle, la coiffure attachée était presque toujours de mise en peinture ; les cheveux lâchés appartenant au domaine de l’intimité, par exemple.

La chevelure fournit ainsi des indices quant à l’identité du personnage, la période dans laquelle il s’inscrit et sa classe sociale.

Les années 20, voient l’avènement de la coupe « à la garçonne », qui porte bien son nom. De même que pour le port du pantalon, l’appropriation de cette coupe, alors associée au masculin – l’est-elle encore ? – par les femmes fit scandale. Symbole des années folles et du profond désir d’émancipation des femmes, qui déferle de l’Europe jusqu’aux États-Unis, l’eton crop, en est la variante radicalement plus courte, dont l’égérie est Joséphine Baker.

En somme, selon l’époque, un homme qui portait les cheveux longs était puissant, alors qu’une femme qui arborait une coupe courte était tapageusement scandaleuse.

Dans sa monographie autour des rites de passage, l’ethnologue Arnold Van Gennep s’intéresse aux pratiques de coupe et d’offrande des cheveux. Il perçoit dans leur sectionnement un rituel de séparation du monde antérieur. Selon lui, le fait de couvrir sa chevelure d’un voile exprimerait le fait de se séparer d’un monde pour s’agréger à un autre.

Dans la Grèce antique, les cheveux lâchés des femmes jeunes étaient le signe qu’elles n’étaient pas encore soumises à l’union maritale. À contrario, une fois mariées, leur chevelure était méticuleusement coiffée, puis voilée. Symbole du joug, cette domestication ritualisée et culturellement organisée, avait pour but de les soumettre au pouvoir patriarcal par le mariage.

man hair woman patriarcat

Parce qu’elle contrastait avec cette chevelure sagement dissimulée des mariées, celle des endeuillées, qui se donnait à voir et à être arrachée – comme chez les pleureuses – incarnait une menace qu’il fallait endiguer en imposant des limites à cette expression rituelle de la douleur féminine. Les cheveux dénoués des courtisanes reflétaient, eux, leur liberté sexuelle, en totale rupture avec les règles de pudeur et de dissimulation du corps, qui étaient sensées définir la femme respectable et vertueuse.

Ainsi, les pratiques capillaires de la Grèce antique véhiculaient des codes et un système de représentations latents. La Grèce ne fait pas figure d’exception en la matière et certains textes historiques attestent de l’invariance du rapport que l’Humanité a toujours entretenu avec la chevelure.

La sombre époque de la Seconde Guerre mondiale a été la scène de châtiments capillaires, où seront tondu.e.s les déporté.e.s des camps de concentration, au prétexte de mesures d’hygiène, selon leurs geôliers. Geste extrême de réification  - action de transformer en chose -, les cheveux étaient récupérés et transformés industriellement par les nazis. Dans la même dimension déshumanisante, au lendemain de la Libération, en France, plus de 20 000 femmes soupçonnées d’avoir noué des relations avec l’occupant, connaîtront également le châtiment humiliant d’être tondues en place publique.

De nos jours, les cheveux rasés peuvent également renvoyer aux effets des traitements de chimiothérapie et donc, à la maladie.

Quelques chevelures iconiques

D’un point de vue mythologique, l’image qui surgit souvent à l’esprit en premier lieu est celle de Samson et sa chevelure – tel Achille et son talon.
Samson, symbole de puissance virile, vaincu par la perfidie féminine de sa bien-aimée Dalila qui, contre de l’argent, lui fit avouer le secret de sa force et lui coupa les sept tresses de sa chevelure, figure de sa puissance magique.

Samson_et_Dalida_Rubens_painting

Raiponce, est une princesse aux magnifiques cheveux d’or, issue d’un conte des frères Grimm, qui sera également adapté en dessin animé, par Walt Disney.
Une nuit, alors qu’elle vient seulement de naître une méchante sorcière pénètre dans le château pour lui couper une mèche de cheveux auxquels étaient attribués des pouvoirs magiques. Cependant, aussitôt coupés, les cheveux perdent leurs pouvoirs et leur lumière dorée. L’enfant est alors kidnappée et enfermée dans une tour enfouie dans la forêt. Les cheveux longs de la princesse sont le seul moyen d’accéder à l’unique fenêtre de la tour et permettent à la sorcière de conserver sa jeunesse. Toutefois, ils seront également le moyen de sa fuite libératoire.

raponce hair long

Méduse, quant à elle, est l’une des sœurs Gorgone, dans la mythologie grecque. Figure monstrueuse à la chevelure tentaculaire, faite de serpents frétillants et venimeux, elle transforme en pierre quiconque a le malheur de croiser son regard.
Pourtant, il n’en fut pas toujours ainsi : « parmi tous ses attraits, ce qui charmait surtout les regards, c’était sa chevelure », mentionne Ovide. Mais Méduse, qui avait osé défier la déesse Athéna, fut punie de son orgueil et ses cheveux changés en reptiles.

Méduse cheveux serpent Caravage

Jeanne d’Arc, qui leva une armée contre l’ennemi anglais, s’affranchit des conventions capillaires de son époque et fit le choix de se couper les cheveux « au bol », tel un chevalier. Une coiffure qui sera reprochée à l’hérétique, lors de son procès. Avant d’être brûlée, elle sera rasée.

Jeanne d'Arc cheveux courts

De Samson à Mahsa Amini, par capillarité sémiologique

Depuis la mort de Mahsa Amini, en Iran, en septembre 2022 et alors que des lycéennes iraniennes sont visées par des intoxications au gaz visant à les dissuader de se rendre à l’école, le slogan « Zan, zendegi, azadi » – « femme, vie, liberté » résonne tel un écho à travers le monde qu’il est désormais impossible de pas entendre.

À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes et en solidarité avec le mouvement de contestation qui ébranle l’Iran, le Musée d’art moderne de la Ville de Paris, le Palais de Tokyo, l’École des beaux-arts, le Palais de la Porte-Dorée et d'autres musées en France dont le Musée d'Art Contemporain de Lyon, orneront leurs frontons durant tout le mois de mars, d’affiches dont le motif patent est une longue chevelure coupée. Celle-ci symbolise la liberté, directement opposée au port du voile – dont l'imposition en Iran date de 1979.

Au mythe d’un Samson à qui l’on extirpe sa puissance en coupant sa chevelure vient supplanté l’image de cette chevelure qui flotte au vent, tel un étendard, une bannière de la liberté.

Si les cheveux lâchés symbolisent la liberté – défiant l’obligation du port du voile et du joug séculaire – que signifie alors le fait de les couper telles des chaines ?

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Ce geste symbolique mobilise non seulement les rebelles, mais toutes les femmes solidaires à travers le monde, qui se coupent des mèches de cheveux ou vont jusqu’à se raser le crâne. Aussi, il semble important de tenter de dénouer le sens de cet acte.

Au Kurdistan ou au Lorestan, les femmes se coupent les cheveux en signe de deuil. Le geste des manifestantes aux chevelures mutilées constituerait ainsi l’expression d’un deuil collectif, d’après la sociologue iranienne Chahla Chafiq.

Sans que l’expression de ce deuil n’ôte en rien sa dimension de protestation politique, le geste se meut en symbole d’une colère qui grandit, gronde et se dresse contre la négation des libertés fondamentales par le régime des mollahs.

Si les mouvements sociaux peuvent générer, dans la spontanéité de l’action et de la revendication, des signes aussi inattendus qu’inédits comme ceux-là, ils sont de fait un théâtre privilégié de la production de sens.

Ainsi, depuis la mort de Mahsa, ces visuels de contestation qui sont apparus sur les réseaux, s’emparant de l’iconographie des manifestations, ont généré de nombreuses actions solidaires à travers le monde. Des signes du commun qui retentissent à l’unisson, dont ce geste éminemment symbolique de mutilation capillaire, deviennent des porte-étendards de cette liberté légitimement revendiquée.

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Sur le compte Instagram du collectif Iranian Women of Graphic Design, qui met en lumière le travail de designeuses graphiques iraniennes, sont également convié(e)s à soumettre leurs créations – ou à les publier directement, en utilisant le hashtag #WomanLifeFreedom – celles et ceux qui œuvrent dans les domaines du design, de la typographie, du motion design, de l’illustration et plus largement des arts visuels.

Notons au passage que l'Iran à une longue et riche histoire en matière de graphisme, comme nous le rappelions dans notre article sur le génie du graphisme iranien.

Cet article a été rédigé par Emmanuelle Valli, enseignant en Sciences de l’Information et de la Communication et en Sémiologie. Nous la remercions pour cet collaboration !

Sources :
reainfo.hypotheses.org/16085
www.lemonde.fr/la-chevelure-et-ses-symboles.html
theses.hal.science/tel-01838283/document
www.lemonde.fr/une-myriade-d-affiches-en-soutien-a-la-contestation-en-iran-exposee-a-paris.html
• www.lemonde.fr/iran-se-couper-des-meches-de-cheveux-un-geste-symbolique.html
www.radiofrance.frcouvrir-raser-exhiber-la-chevelure-feminine-en-bataille-politique-1739608
www.ict-toulouse.fr/wp-content/uploads/2021/01/Inter-Lignes-n23.pdf
• « Plutôt morts que scalpés », Yves Matagon


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1 commentaire :

  1. Ficu seccu :

    Fort intéressant, facile à lire, on y découvre l’histoire des cheveux qui , à un poil prêt, colle à l’histoire tout court.
    Les expressions , forts nombreuses , où le cheveu nous fait signe et dit avec humour , arrivent dans ce texte « comme un cheveu sur la soupe ».
    Et c’est tant mieux !

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