Franco Grignani : « Grafica cinetica »

18 février 2013  |   18 Commentaires   |    |  

Nous inaugurons une nouvelle rubrique de notre blog qui sera dédiée à l'histoire du graphisme et de la communication en général. Nous y présenterons les grandes figures du design graphique et de la typographie à travers des extraits de publications anciennes qui font partie de notre bibliothèque... (et qui ne sont évidement plus commercialisées !).

franco grignani

Franco Grignani, 1908/1999

Nous commençons par présenter le travail du graphiste italien Franco Grignani (1908-1999). Il s'agit ici d'un texte où il présente lui même son travail et sa vision du métier (initialement publié dans la collection "Graphic Designers in Europe" en 1973).

Étonnement, beaucoup de ses réflexions restent très contemporaines. On pourra noter que tout comme le graphiste suisse Rolf Rappaz, sa pratique de graphiste fut menée en parallèle d'une pratique artistique intense.

Dans les années 70's, il a réalisé et rassemblé une documentation détaillée de son oeuvre qui a eu une grande influence sur l'art graphique international. À cette époque, de nombreuses publications présentaient de son travail.

Ses oeuvres d'art et ses réalisations expérimentales se trouvent toujours dans les collections du musée d'Art moderne de New York, du “Stedelijk” à Amsterdam, du musée d'Art moderne de Varsovie, et du Victoria and Albert Museum à Londres. De nombreuses expositions personnelles ont eu lieu en Italie et dans d'autres pays. L'évolution constante de son oeuvre graphique, de sa peinture, de même que la cohérence de sa méthode, ont toujours fait naître un vif intérêt chez les jeunes graphistes, à commencer par nous !

Voici donc le texte de Grignani :

Expérimenter aussi loin que possible

Pour affirmer son rôle utilitaire au service de la communication visuelle, l'art graphique doit s'appuyer sur un grand nombre d'expériences afin de parvenir à la liberté idéale, face à la routine des activités quotidiennes. L'urgence conditionne la qualité, les limites imposées par le sujet freinent l'esprit de création, il y a aussi la cohérence du style, tous ces obstacles entravent le caractère individuel du graphiste. J'ai fait de mon mieux pour résister à tous ces facteurs externes et j'ai tenté d'élargir le champ de mon activité propre en m'astreignant à un travail expérimental qui bien souvent empiète sur les domaines scientifiques de la philosophie et de la physique. Ce n'est que par la fusion d'éléments divers autant que par décantation et contamination, que l'art graphique parachèvera son évolution par des voies et des expressions nouvelles.

Les affiches publicitaires du graphiste italien Franco Grignani 1970's

La tendance marquée que j'éprouve pour les expériences, ou mieux, mon penchant pour les sciences d'imagination, provient probablement de ma formation d'architecte. Je n'ai pas confiné mon activité expérimentale dans un cadre mathématique rigide, au contraire, j'ai été aussi loin que possible au-delà de cette limite. Comme exemple, je peux citer mes expériences avec des distorsions optiques et tensions structurales. L'oeil humain “voit” au travers d'émotions et de suggestions, c'est ce qui explique que la géométrie plane ou une composition équilibrée sont trop logiques pour avoir la force nécessaire au déclenchement de la réaction de l'oeil. La plupart du temps, nous voyons des annonces publicitaires à côté d'autres affiches, naturellement cette promiscuité exige de chaque affiche publicitaire sa propre autonomie physique d'expression, et par “autonomie”, j'entends la possession de cette valeur traumatisante qui capte instantanément le regard du spectateur et lui fait ressentir une certaine gêne de la perception, une irrégularité créée par les tensions.

Le pouvoir des graphistes

De par la reproduction mécanique et la diffusion, l'art graphique est devenu le plus important moyen de communication et de propagation de la culture. Chaque jour, en feuilletant un journal ou une revue, ou en regardant une rangée d'affiches sur des murs, consciemment ou inconsciemment, nous recevons des messages. Le graphiste représente une puissance fondamentale dans le monde. Il déverse la “culture” dans la rue, il la distribue à l'homme de la rue, et lui permet de s'assimiler la communication.

J'aimerai classer maintenant mes expériences de recherche en diverses tendances, sous des rubriques différentes.

La période fluide

D'abord, mes recherches se sont bornées à créer des images indéfinies ou des signes très vagues, afin d'éveiller l'observation et l'esprit de création. Ensuite, cette étude a passé à des images incomplètes (achevées au moyen de découpages photographiques) qui par leur “contenu” d'information, étaient destinées à stimuler le processus de la pensée.

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Ces affiches ou publicités datent de la période 1945/1955... et sont issues du site thisisdisplay.org.

Recherche sur les distorsions

La réalité d'une image ou d'un signe est optiquement altérée, afin de rivaliser avec la logique imposée par l'oeil. Un regard attentif réalisera de nouvelles découvertes, au-delà des règles de la logique (où les formes sont anthropomorphes), libre de restrictions géométriques, libre de toute structure. Alors, on parvient au traumatisme dû à la dynamique, à l'individualité, à “l'unique”, qui fréquemment est disposé dans un espace géométrique ordonné.

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La tension sous toutes ses formes

Après la distorsion, imprimant une forme en faisant intervenir des tensions je me suis tourné, en continuation cohérente de l'expérience, vers une période de tensions dans les formes et dans l'espace. Le fait de briser l'uniformité de l'espace produit des tensions plus vivement ressenties à cause du malaise physique qu'elles suscitent et par le processus de ré-élaboration de notre personnalité qui s'ensuit, en dernier lieu, elles stimulent l'achèvement de l'image proposée. Ce sont là des phénomènes fondamentaux de la communication visuelle. Néanmoins, nous pouvons affirmer que même une expression du corps humain, un mouvement ou un simple geste, crée de la tension. Cette force de tension est égale aux effets produits par un certain espace, ou par l'équilibre des blancs et des noirs, ou par la couleur, ou encore par des mots exprimés ou non exprimés.

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Induction visuelle

L'induction tient lieu de stimulant, de concentration, d'absorbement. Certaines formes circulaires en sont de bons exemples, des formes basées sur un équilibre radial marqué, des formes ont un noyau focalisant, compulsif.

Jusqu'à présent, j'ai réalisé plus de 14 000 oeuvres expérimentales. Manifestement, une telle profusion m'a pris une grande partie de la vie, mais j'avais résolu de me vouer à deux activités: l'une, gagner ma vie, l'autre, “faire ma vie”.

Avec ce postulat, la solution de continuité entre les deux est plutôt confuse. Récemment, je suis passé du dessin graphique à la peinture, laquelle, par son absence de restrictions, m'a donné l'illusion d'une plus grande liberté.

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J'ai toujours été intéressé par la photographie, spécialement par la “photographie d'avant-garde”, en tant qu'élément applicable à l'art graphique. La photographie ne doit pas seulement être une bonne documentation, fusse-t-elle, une documentation poétique. Elle doit créer des images étranges, en s'aidant de la lumière et de la chimie. Aujourd'hui, mon oeuvre comporte peu de dessin et mes réalisations antérieures ont toujours été retravaillées par des procédés photographiques ou optiques afin d'exprimer une signification différente.

L'image périodique

Présentement (en 1973 !), je suis engagé dans la recherche d'une “image périodique”, c'est-à-dire la réalisation d'une structure organisée avec répétition d'un motif de base ou signe fondamental, la plupart du temps, très simple. On arrive ainsi à une géométrie altérée, ces modifications ayant été programmées de manière à jaillir multidirectionnellement. À cause de cette disposition, le spectateur, inconsciemment, est invité à recoordonner les altérations de la perspective et par là même, il est engagé dans la communication visuelle.

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l'humus vital

Ces dernières années, de nombreuses explications ont été formulées au sujet de la communication visuelle, mais l'être humain, de par sa nature, veut toujours résoudre les mystères qu'il rencontre: les inconnues ou la raison profonde des choses. Ainsi donc, la communication ne peut pas se résumer simplement par “voir”. Des images déjà classées dans une expérience visionnelle du spectateur n'éveillent plus son intérêt. C’est pourquoi la tâche du graphiste ne doit pas se borner à reproduire des textes imprimés sur un tableau, mais à rechercher diverses voies d'expérience personnelle, “l'humus vital” d'où pourraient jaillir des éléments qui rendront son message durable.

Texte : Franco Grignani, 1973, "Graphic Designers in Europe".

le mystère du Logo Woolmark

En 1963, l'International Wool Secretariat, aujourd'hui Australian Wool Innovation (AWI) annonce un concours international pour la conception d'une identité visuelle qui devra renforcer la confiance des consommateurs vis-à-vis de la laine et représenter une nouvelle norme de qualité. Toujours en activité plus de 50 ans plus tard (www.woolmark.com), il s'agit incontestablement d'un des meilleurs logos de tous les temps !

woolmark_logo

Inspiré d'un écheveau de laine, le logo gagnant, connu sous le nom Woolmark, fut lancé internationalement en 1964. Mais qui l'a réellement conçu ?

Officiellement, le logo Woolmark est signé par un designer italien originaire de Milan, un certain Francesco Saroglia, qui a l'époque aurait remporté le concours. Mais comment ce designer aurait-il pu signer l'un des logos les plus connus au monde, sans qu'il n’y ait de trace de son travail autre part ? Aucun autre travail de connu, aucune publication, aucune exposition... mystère !

woolmark_franco-grignani-logo

La réponse de ce mystère semble trouver sa réponse sur le site de l'Alliance Graphique Internationale (AGI) qui attribue la création du logo à Franco Grignani.
Ce dernier serait entré dans la compétition sous un pseudonyme parce qu'il était également membre du jury pour choisir le projet gagnant. "Grignani a été membre du jury, mais il ne pouvait pas résister à la tentation de prendre part lui-même", raconte le designer Hollandais Ben Bos qui a écrit un ouvrage sur l'histoire de l'AGI. Ce qui est certain, c'est que Grignani ne fut jamais payé pour ce travail.

woolmark_logo_grignani

Une autre version fut racontée par l'une des filles de Grignani : "Je ne sais pas exactement comment l'IWS a organisé le concours, mais à l'époque un certain Spiriti, propriétaire d'une agence de publicité, aurait contacté plusieurs graphistes, les aurait fait travailler sur plusieurs pistes en vue de les présenter au concours. Grignani fut consulté et aurait donc proposé plusieurs esquisses.

Peu de temps après, Grignani était invité à participer au jury pour sélectionner le logo gagnant. "C'est avec un grand étonnement qu'il aurait découvert le travail qu'il avait soumis quelques mois auparavant à Spiriti, mais pas signé sous de son nom. Il était gêné - il pensait que son travail avait été volé par ce "Saroglia". Il voulait aussi cacher que le logo était en fait soumis par lui. Lorsque tous les jurés se mirent d'accord pour retenir ce logo, il a essayé de lutter contre ce choix, en vain. Au début, il n'a rien dit, mais après quelques années, regrettant de ne pas être reconnu comme l'auteur, il aurait commencé à révéler aux gens que c'est lui l'auteur."
woolmark-logo-search
Une image tirée du journal de Grignani avec plusieurs croquis, y compris une esquisse très proche du logo final, semble être l'arme du crime. La seule chose certaine, le véritable créateur de ce "Woolmark" aura laissé derrière lui un grand mystère graphique !

Voici une galerie présentant plus amplement le travail Franco Grignani (cliquez pour faire défiler les images) :

Son travail influence encore de nos jours !

Par exemple, l'identité visuelle de la "Film Commission Chile" par "Hey Studio" :
film-commission-chile

Ou encore les travaux de l'agence Experimental Jetset :

Experimental_Jetset_poster


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18 commentaires :

  1. Raïeddine :

    Un régal ! Bon week-end !

  2. Logicalnot :

    Joli coup baron!

  3. Emilie :

    On a bossé récemment sur un appel d’offre concernant une commission du film du coup triplement intéressée par cet article ! Super intéressant, merci !

  4. Merci pour ce travail de fond, je partage bien sûr !

  5. Elodie :

    Bravo pour cette belle initiative. Très intéressant. Je partage.

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