Presque soixante-dix-sept ans après la création de l'ONU, et dans le cadre de la COP28, deux designers norvégiens ont spontanément proposé un nouveau logo de l'ONU, prenant en compte la montée des eaux sur la carte du monde et la disparition future de nombreuses terres ou côtes.
Nous avons souhaité creuser ce projet graphique impactant, qui ne se contente pas seulement de bouger les lignes, mais souhaite visuellement "montrer que ces scénario ne sont pas des hypothèses distantes mais bien la réalité d'un futur proche".
Au sortir de la seconde Guerre Mondiale, plusieurs états s'unissent pour créer l'ONU, une institution internationale visant à résoudre les conflits internationaux et à promouvoir la paix. Après quelques versions non officielles, le logo de l'ONU est approuvé en 1947 : une carte du monde visible du pôle Nord, entouré de deux rameaux d'olivier, symbole de paix. La couleur de fond est le "Bleu Stettinius" (en l’honneur d’Edward Stettinius, Jr., chef de la délégation américaine), un bleu encore jamais utilisé par les pays membres. Ce bleu pâle deviendra vite le "bleu ONU".
Si le logo de l'ONU est resté inchangé depuis sa création, la carte du monde, elle, est bel et bien vouée à de profondes mutations. Presque 77 ans après, et à l'occasion de la COP28 (tournée vers la sortie des énergies fossiles), deux designer et designeuse norvégien.nes de l'agence Publicis, Ole Andreas Finseth et Thale Riiser, ont donc souhaité, avec leur équipe, redessiner un nouveau logo de l'ONU pour sensibiliser au phénomène de la montée des eaux, lié au dérèglement climatique. Le Climate changed logo, scénario graphique fictif, spontané et sans client direct, vise à faire réagir l'opinion politique des acteurs de la COP28 en redessinant les côtes telles qu'elles pourraient être submergées d'ici 2100, selon les données scientifiques de l'ONU. Pour développer leur projet, ils ont été en contact avec des scientifiques spécialisés dans l'étude du climat et des organisations environnementales, en se basant sur les données de l'ONU et celles d'un scénario modéré développé par Climate Central, une organisation indépendante qui s'intéresse et étudie l'impact de l'augmentation du niveau de la mer.
Le nouveau logo fictif de l'ONU, proposé par deux graphistes norvégiens
Les données satellites de la NASA révèlent en effet que depuis 1993 le niveau de la mer a augmenté de 10 cm, couplé à une augmentation de 150% du niveau de CO2 liée à l'activité humaine, depuis la première révolution industrielle en 1750. Si 10 cm semble peu, la NASA estime que le niveau des mers pourrait monter jusqu'à 65 cm d'ici 2100, ou du même nombre en mètres si la glace des pôles venait elle aussi à fondre —bien que le phénomène soit moins probable.
Même avec quelques centimètres ou degrés de plus, les experts scientifiques estiment par exemple que d'ici 2050 17% des côtes du Bangladesh auront disparues, entraînant la migration de 20 millions de personnes et un immense bouleversement social, humain et économique mondial.
À travers un film simple consistant à "mécaniquement" modifier les courbes de Bézier du tracé de la carte, les deux graphistes déplacent voire même effacent des terres vouées à se faire engloutir d'ici 2100. Dubaï, où se déroulait le sommet du climat, la Thaïlande, les Maldives (le pays le plus plat du monde), l’Égypte ou encore les côtes des Pays-Bas et bien d'autres régions abritant parfois des capitales sont redessinées ou tout simplement supprimées de la carte (nous vous avons traduit ici en français les annotations en rouge)... en un clic. La rapidité du clic de suppression semble faire écho à l'augmentation drastique des émissions de CO2 en 200 ans seulement, dont les humains sont responsables à 50%, soit à peine un quart de battement de cils à l'échelle de vie de notre planète.
D'un point de vue graphique, les changements du logo sont pourtant minimes et presque invisibles. La carte étant petite, les quelques courbes modifiées ou points effacés se voient peu ou pratiquement pas dans le résultat final, si l'on compare le logo actuel de l'ONU (à gauche) et le logo fictif (à droite). La nouvelle carte du monde semble avoir été "nettoyée" comme on pourrait le faire pour une photo, en enlevant les poussières, cheveux volants ou éléments parasites, ou sur un caractère typographique que l'on retravaille. Sauf qu'ici, ces points représentent des espaces de vie précieux. La force de cette campagne de sensibilisation vient du fait que tout repose sur ces tracés, limites fragiles mais bien réelles entre le bleu de l'océan et le blanc des territoires, si facilement modifiables par une main humaine.
On a plus souvent l'habitude d'aborder le sujet de la montée des eaux d'un point de vue vertical en parlant d'élévation, de niveau. Ici, la carte est traitée à l'horizontale et c'est l'humain, en grand architecte de son futur proche, qui vient lui-même raboter son espace vital en modifiant ses courbes.
Ce qui pourrait donc s’apparenter à une banale exécution graphique, un geste que nous designers faisons tous les jours, est ici lourde de conséquences. Comme le précise la graphiste Thale Riiser à l'origine de ce projet, "bien que le graphisme soit notre manière de souligner ce problème, cela va au-delà des lignes vectorielles ; ces zones remodelées et supprimées abritent des millions et des millions de personnes. En sachant cela, ce simple graphique fait mal à voir." Le parallèle est ainsi fait entre les actions du quotidien de l'espèce humaine et l'impact que nous avons tous sur notre planète.
Il faut préciser que durant la COP28, qui s'est terminée le 12 décembre, un accord a été signé entre les pays membres pour créer un fonds permettant de couvrir une partie des "pertes et dommages" liés aux dégâts irréversibles engendrés par le dérèglement climatique, dont la montée des eaux. Ces besoins sont d'ores et déjà estimés entre 290 et 580 milliards de dollars par ans d'ici 2030. Pour rappel, les pays pauvres sont majoritairement les plus touchés par ces désastres (cyclones, inondations, sécheresse, montée du niveau de la mer...) et ont lancé depuis 30 ans de nombreuses bouteilles à la mer aux pays les plus favorisés et responsables, jusqu'ici sans réponse.
En signant cet accord, et c'est une première historique, les pays riches (qui ne sont pas obligés de payer et ne sont pas tous engagés) reconnaissent qu'ils ont effectivement une grande part de responsabilité dans l'augmentation des émissions de gaz à effet de serre. Les designers, eux, peuvent continuer de sensibiliser en traçant les courbes de notre avenir, en espérant avoir à les modifier le moins possible.
Plus d'infos sur The Climate Changed Logo
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