Déclaration d’amour au creux d’une orelhão brésilienne : oi !

08 mars 2017  |   0 Commentaires   |    |  

Partons en voyage découvrir l'une des plus grandes célébrités du Brésil. Ce n’est ni le Christ Rédempteur, ni Gilberto Gil, ni Pelé ni même Giselle Bundchen. S'il est ici bel et bien question de rondeur et volupté, il s'agit des fameux orelhões, les cabines téléphoniques de l’opérateur brésilien Oi.

Derrière ce nom étrange se cache l’une des silhouettes les plus emblématiques du quotidien des brésiliens. Malgré son apparente modestie, sa popularité en fait une icône du design local qui pourrait presque faire de l’ombre au génie architectural d'Oscar Niemeyer ! Que vous l’utilisiez ou non, il fait partie du paysage et donne une saveur toute typique au paysage urbain made in Brazil.

De la même façon que Londres ne pourrait se passer de ses fameuses cabines téléphoniques rouges, Rio, São Paulo et Belo Horizonte ne seraient plus vraiment elles-mêmes sans leurs "grandes oreilles" (en portugais oreille se dit "orelha"). Et pourtant, les yeux rivés sur nos téléphones portables, ces appareils semblent tout droit sortis d'une autre époque…

L’oeuf de la culture métissée

Nous devons son design malicieux à Chu Ming Silveira qui l’a créé en 1970. (Une designer chinoise naturalisée brésilienne, à l’image d’un pays culturellement métissé ?) Chu Ming Silveira naît à Shanghai, le 4 Avril 1941. Après la victoire des communistes en 1949, sa famille fuit les persécutions dont sont victimes les opposants et décide de partir pour l’Amérique. Embarquée sur un bateau à Hong Kong, la famille de Chu Ming entame un long voyage de 3 mois et arrivera à Rio de Janeiro en 1951, en pleine célébration du carnaval.

En 1964, elle obtient son diplôme à l'École d'architecture de l'Université Mackenzie.

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En 1971, alors à la tête du département des projets de la compagnie de téléphone brésilienne, Chu Ming relève le défi de créer une cabine téléphonique qui réunisse fonctionnalité et beauté. Ces "oreilles" auront une forme d'oeuf, car ce design permet "la meilleure acoustique" selon Chu Ming. Sur près de 100 millions de personnes au Brésil, 52 millions vivent alors en zones urbaines. Dans de nombreux endroits, entendre et être entendu à partir d'un téléphone public en pleine rue est un véritable défi. Les premiers tests de cabines spacieuses et feutrées n’ont pas été concluants car elles empiétaient trop sur l’espace limité des trottoirs, en plus d’être victime de vandalisme.

 

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Oi est aujourd'hui le plus grand fournisseur de télécommunications en Amérique du Sud, avec 14 millions de lignes fixes et 17 millions de clients mobiles. Désormais icônes du design brésilien et du mobilier urbain mondial, les cabines orelhões ont été nommées respectivement Chu, Chu I et Chu II par la compagnie Oi lors de leur sortie, en l'honneur de leur créatrice. 

- Le modèle Chu I, orange acrylique, a été conçu pour les téléphones publics installés dans des espaces clos tels que des magasins et des bureaux publics.

- Chu II est conçu pour une utilisation en extérieur, en fibre de verre en orange et bleu résistant aux intempéries, au froid et aux températures élevées du Brésil.

Les 20 et 25 Janvier 1971, les villes de Rio de Janeiro et São Paulo reçoivent respectivement les premières cabines. Très rapidement, la population tombe sous le charme de ce design qui s’intègre parfaitement dans l’espace urbain et invente des surnoms affectueux comme "tulipe", "casque d'astronaute" puis "orelhão". Chu Ming a ainsi créé des petits ilots aux formes organiques accueillantes offrants aux brésiliens des moment de réconforts à l’intérieur de la jungle de béton de São Paulo. Aujourd'hui, les orelhões se sont implantés dans d’autres pays d’Amérique Latine comme le Pérou, la Colombie, le Paraguay, et dans les pays africains comme l'Angola et le Mozambique, et aussi en Chine et dans d'autres parties du monde.

 

Tout au long de la carrière, Chu Ming s’est dédiée à l'architecture au design, et à la communication visuelle. Avec simplicité et dans le respect de la nature, elle utilise des matériaux et techniques en harmonie avec les cultures traditionnelles. Naturalisée brésilienne, elle résidera à São Paulo et y décèdera le 18 Juin 1997.

Un OVNI venu tout droit des fifties… ou des seventies ?

L'orelhão tire l’essentiel de sa forme spatiale d’une coque moulée en fibre de verre. Ce fut aussi le matériaux de prédilection du couple Eames pour la création de leur série des "Lounge Chair". En 1949, la coque moulée remplit l’objectif qu’ils s’étaient fixés : pouvoir fabriquer en grande série une chaise moulée compacte, solide à toute épreuve, et à un prix accessible pour l’américain moyen. L’esthétique unique et moderne de la Eames Plastic Chair était née !

L’expérience de Ray et Charles Eames dans la recherche d'une forme ludique pure, à la fois robuste et peu coûteuse dans sa production fut sans aucun doute une source inspiration pour Chu Ming Silveira lorsqu'elle réalisa le design de l’orelhão dans les 70's. On pourrait également citer la Egg Chair de Arne Jacobsen de 1958, et l’influence de toute l’esthétique des années Disco, avec lava lamp, etc.


Egg Chair de Arne Jacobsen de 1958.

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Exemple d'Orelhão recyclées en fauteuil lounge sur le campus Google de São Paulo.

Le mariage parfait d’un mobilier urbain et d’un logo

Son design ne deviendra réellement iconique que lorsque sa forme d’oreille sera complétée par la création de la nouvelle identité visuelle de l’entreprise Oi (anciennement Telemar) et son logo jaune d’oeuf réalisée par l’agence Wolff Olins en 2001. C’est à ce moment là que la coque deviendra verte et jaune, à l’image du drapeau brésilien.

Depuis quelques années, la ville fait également appel à des artistes locaux pour décorer les cabines durant la "Call Parade", ce qui donne lieu à un festival de couleurs de plus ou moins bon goût.

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Wolff Olins a commencé par définir un nouveau nom pour la nouvelle marque - "Oi" qui signifie tout simplement "salut" en Portugais - pour ensuite décliner son identité visuelle, langage de marque, style de communication, emballage et bien d'autres applications de la marque. Sa forme liquide, en perpétuel mouvement, réussit à capter le dynamisme du peuple brésilien. C’est littéralement un logo qui se trémousse au rythme de la samba !

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Plus de 2,2 millions de personnes se sont inscrites dans la première année - près de 20% du marché brésilien et 4 fois plus que la cible. Oi a réussi à emmener ses clients loin des autres réseaux; 75% des clients d'Oi ont quitté d'autres fournisseurs. Le lancement a connu un tel succès qu'en 2007, Oi est devenu la marque de tous les services fixes, large bande et mobile de Telemar.

En 2016, l’agence FutureBrand fera évoluer la charte graphique de Oi tout en gardant le principe du logo polymorphe, en faisant exploser encore plus de couleurs et de formes, ainsi qu'en introduisant des dégradés de couleurs. Cela n’aura aucune incidence sur le design des orelhões. 

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Quand un design industriel pop rencontre son âme soeur logotype, cela donne un objet culte, coloré, joyeux et surtout inoxydable ! Malheureusement, avec l'essor des téléphones portables et malgré l'attachement des Brésiliens à leurs oreilles des villes, les cabines orelhões sont en déclin depuis une dizaine d'années. À cela s'ajoute une mauvaise manutention qui entraîne la disparition quotidienne de presque 50 cabines par jours sur le territoire.

La Batucada et le carnaval dans les bagages

Je suis si attaché à cette grande oreille "Oi" que j’en ramène une dans mes bagages pour mon retour à Paris. Cela restera sans aucun doute et pour longtemps le plus magique et improbable cadeau d'anniversaire ! Rassurez-vous, je n’ai pas risqué ma vie à vandaliser une cabine téléphonique, disons juste que je l’ai souhaité très fort et que j’ai une belle famille formidable au Brésil...

En tant que designer, cela représente pour moi l'un des plus beaux symboles du Brésil, à la fois ambitieux, innovant, joyeux et populaire. Cela vaut largement le "I LOVE NY" de Milton Glaser, quoique non, car à y bien penser c’est plus fort, car il aurait fallu que Glaser crée la roulotte du vendeur de Hot-dog qui va avec pour faire aussi bien !

Ce que je vais faire de cette cabine ? La poser dans un coin du bureau comme un super talisman contre la grisaille parisienne… ou la transformer en fauteuil pour m'y nicher lors de petites siestes salvatrices. Une chose est sure, c’est un très bon exemple de branding global qui à de l’âme et du cœur, et ce sera toujours un bout du soleil du Brésil qui brillera dans le quotidien de Graphéine.

Texte : Jérémie Fesson
Photos "OI Orelhao" dans les rues de Belo Horizonte :
Model & Stylist, Dani Gramiscelli - Photography & DA, Pedro Henrique Paulinelli
Autres photos : Mariane Borgomani

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