Tendance Y2K, le grand retour du style des années 2000

24 octobre 2023  |   0 Commentaires   |    |  

La bulle de savon Y2K

La décennie 2000 avait la fragilité, la légèreté et les reflets irisés d'une bulle de savon... Celles qu'on appelle aussi les "noughties", et aujourd'hui "Y2K" (pour Year 2k, année 2000) sont déjà une époque de consommation frénétique, d'insouciance, incarnée par l'apogée d'un marketing sans limites. Dans cet âge doré, on créait pour créer, pour proposer toujours plus, plus beau ou plus grand... juste parce que c'était cool. La plupart du temps, peu importait comment ou par qui c'était fabriqué, si c'était vraiment utile, si les publicités heurtaient un certain public ou étaient mensongères. Certains s'offusquaient déjà évidemment de cette apparente frivolité dévorante, montrant du doigt les dérives du consumérisme et son impact sur la société, comme l'autrice Canadienne Naomi Klein dans son livre No Logo, ou encore  avec le personnage de Tyler Durden, tiré du roman de Chuck Palahniuk et incarné par Edward Norton dans le film Fight Club. En 2000, on commençait à peine à parler de "développement durable" et de "commerce équitable", et bien souvent sous la forme de "greenwashing" grossier.

Loin d'être "mieux avant", ce marché brillait pourtant sans inquiétude aucune dans des matières plastiques holographiques et moulantes couleur bubble gums, du fard à paupière nacré aux mille reflets, des strass, à l'aise dans baggys et des débardeurs moulants. Les années 90-2000 abandonnent délibérément le style bourgeois ou distingué et donnent la part belle aux subcultures, qu'elles soient militaires, streetwear, RnB, baba cool ou tribales. Le style des années 2000 favorise l'individualité et le style sur-mesure pour se distinguer des autres, à l'image des iconiques Spice Girls, ou à l'inverse permet de montrer son appartenance à sa "tribu". Le marketing surfera sur ces tendances, poussant les individus à se démarquer tout en appartenant à des clans.

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Un futur qui bugue à l'an 2000

Les années 2000 commencent pourtant plutôt mal... Entre la crainte annoncée du bug de l'an 2000 et les attentats du World Trade Center en 2001, le numérique et la menace terroriste inquiètent et pèse sur l'occident. On représente le monde à venir comme résolument numérique, avec des machines volantes, des avatars, et une technologie sophistiquée : le téléphone à clapet. Il a les couleurs et l'ambiance du Blade Runner de 1982 (l'histoire se passe en 2019) : un univers dystopique froid, métallique et humide aux lueurs néon bleues et roses. Neo et Britney agitent leurs bras dans leur combinaison en latex, projetés dans un univers parallèle un poil inquiétant où les chiffres cohabitent avec les lettres. Les matières argentées aux reflets irisés, qui ont ont le vent en poupe, s'inspirent quant à elles des 60s à l'époque de l'héliophore et des premiers pas sur la lune. Le futur est (déjà ?) tellement rétro...

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Image créée à l'aide de l'IA

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Un langage numérique de chiffres et de lettres

À la manière d'un virus, le langage chiffré des codeurs s'infiltre dans le monde des lettres jusqu'à venir les remplacer. De Mar1lyn Man5on à D6v1d Bow13 en passant par Se7en et graph3ine (nous aussi), le numérique colonise l'existant, comme un (méta)ver, transformant les racines du langage. Les pochettes de disques se parent d'univers graphiques étranges, entre typographies liquides et visuels excentriques de Björk, ou le surréalisme de Storm Thorgerson. Les styles novateurs et expérimentaux de Neville Brody et David Carson influencent toujours la scène graphique, depuis les années 90 : ils jouent avec les typographies, explosent les règles classiques, et distordent les caractères pour déconstruire l'existant et marquer visuellement le passage dans une nouvelle ère.

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Légèreté et joie

Pour parer à ces menaces et inquiétudes, les années 2000 deviennent délibérément une décennie plutôt joyeuse et tournée vers la nouveauté, le pratique, où l'on se débarrasse d'accessoires lourds et encombrants. Le Nokia 3310 remplace les téléphones fixes (avant d'être mis KO par l'iPhone), le lecteur CD prend la place des ghetto blasters, les clefs USB mettent les disquettes aux oubliettes, les DVDs qui remplacent les cassettes... À mi-chemin entre digital et débrouillardise, on parlait encore à nos voisins en vrai ou avec une webcam, tout en jouant aux tamagotchis sur un écran pixelisé noir et blanc.

La naissance d'abord timide mais colorée et joyeuse de l'iPod révolutionne le monde musical. Le premier iPhone suivra 6 ans plus tard avec ses bords arrondis et glissant comme un savon, avec des applis aux visuels ultra réalistes et arrondies elles aussi. Le numérique est alors encore bien "palpable" : ses rondeurs se veulent rassurantes et douces. À la fin des années 2000 c'en est fini des abonnements téléphoniques limités qui obligeaient d'envoyer des sms en langage codé, mais aussi de l'internet lent et hors de prix. Facebook, twitter, Google, Youtube ou airbnb débarquent de la Silicon Valley : ils promettent de mieux se connecter aux autres, et on y croit.

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Évolution d'identités de marques, du monolithe à l'arabesque

Petit saut dans le temps avant d'arriver au revival de la tendance Y2K. De 2010 environ à 2020, la majorité des marques sont incarnées par les codes "flat" hérités du modernisme en répétant sans cesse la même recette à ingrédients variables, issue des startups de la Silicon Valley : des typos sans serif avec des linéales en bâton, des grilles rigoureuses (web oblige), et quelques couleurs complémentaires et vectorielles. Il fallait se démarquer dans un monde brouillon et bruyant, poser un cadre, s'affirmer comme monolithe droit et solide au milieu du chaos. L'aspect minimaliste et géométrique de ces marques a infusé la société au point d'être repris dans presque tous les domaines des identités visuelles, de la mode à la grande distribution, réinterprétant toujours la même recette avec quelques variations, donnant lieu à des identités intemporelles certes, mais parfois perçues comme "froides" ou "inhumaines", perdant leur singularité. On pense à Uber ou à Saint Laurent par exemple. Il faut voir comment Google ou Yahoo! ont perdu le rebond de leurs lettres, par exemple, ou leur volume, pour s'aligner bien proprement à mesure qu'elles devenaient d'immenses institutions.

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Un éternel recommencement : organique ou technique, singulier ou standardisé ?

Le passage du flat à l'exubérance, ou du standardisé au singulier, n'a rien de nouveau. On peut retrouver le même basculement à l'époque foisonnante de l'Art Nouveau du début XXe. L'Art Nouveau (= singularité) existe en réponse à l'avènement austère des machines de l'industrialisation de la fin du XIXe (= standardisation), qui avait donné naissance à l'absence d'ornementation et au modernisme dans les années 1920. Cette absence d'ornementation  (= standardisation) sera mise de côté par l'exubérance visuelle des années psychédéliques et hippies des années 60-70 (= singularité), reprises ensuite par la consommation de masse qui en remettait une couche (= standardisation de la singularité). Vous suivez ? Le minimalisme, né dans les années 60, n'existe que par opposition à un trop plein, et réciproquement d'ailleurs : une explosion optimiste et spontanée de couleurs et d'arabesques finit toujours par secouer un monde trop cadré et sérieux, comme on viendrait respirer brusquement à la surface après une longue apnée. Il semblerait que l'on oscille en permanence entre ce qu'on pourrait appeler "l'organique" (le fait main, singulier, coloré, en mouvement, unique...) et le "technique" (le droit, standardisé, rigoureux, monochrome, en série...), incapables peut-être de trouver un semblant de stabilité dans un quelconque point de bascule. L'Arts & crafts puis le Bauhaus avaient pourtant trouvé un équilibre, avant de basculer à nouveau dans l'organique pour le premier, et dans la technique pour le second. Les années 2000 et le revival Y2K sont un moyen de basculer à nouveau dans la singularité, l'organique, après avoir longtemps baigné dans une certaine standardisation.

analyse de la tendance Y2K

I want some fun en Y2K

Dans un univers visuel devenu trop sérieux à force de simplifications graphiques, la tendance est donc désormais au fun, au bruyant, à l'arrondi, à l'énorme, par contraste avec les années 2010. Les années 2020 marquent en effet l'explosion de cette bulle de quasi-standardisation visuelle, et depuis le COVID les choses basculent doucement. Plus ou moins forcé.es à travailler pour la communauté ou à rester chez soi pendant le confinement mondial, les plus privilégié.es ont pu se reconnecter aux autres, à leurs proches, à leurs voisins, à leurs envies... d'autres ont été exclu.es de tout contact social. Plus intimes, les moments de fête se font désormais en plus petit nombre, chez soi ou chez les autres, ou même en ligne. Il en ressort un besoin de vivre à nouveau, de s'amuser en toute légèreté, de tisser du lien social, d'être plus proche de la nature ou des autres (mais de loin aussi, c'est bien), comme pour colmater les fissures sociales et l'inquiétude globale. Le fun est de retour, mais est-ce vraiment sérieux, et durable ?

De nouveaux courants graphiques et visuels se sont crées, et progressivement les marques se tournent soit vers un lointain passé, leur héritage -pour le côté rassurant de la chose- soit vers un futur prometteur, l'électrique spatial. Parfois même, les deux en même temps. À défaut d'inventer du neuf, on recycle ! Et ce recyclage a aujourd'hui l'allure des années 2000... Le studio français Golgotha incarne bien ce graphisme rétro-futuriste Y2K, dans une profusion de formes libres, de couleurs flashy, de reflets dégradés et de mise en avant des subcultures.

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En 2023, sur fond de post-confinement mondial, la jeunesse a envie de s'amuser, de respirer, de légèreté, et danse toujours sur "l'aventurier" ou "freed from desire", des tubes retro piliers des booms millénials qui sont maintenant prisées par les Y2K. Les Spice Girls et leur style ont à nouveau le vent en poupe, et Britney a enfin été libérée ! En l'an 2000, on passait du réel au virtuel, aujourd'hui l'on intègre le virtuel au réel. Les réseaux Snapchat, Instagram ou tiktok intègrent des filtres futuristes qui nous collent à la peau et nous plongent dans d'autres dimensions.

Comme toujours dans l'univers de la mode et de l'image, on prend les mêmes et on recommence... en ne gardant évidemment que le bon de l'époque, et en oubliant que la société évolue entre temps. On retrouve à nouveau cette ambiance de bulle prête à éclater, décalée, futuriste, numérique, mais avec l'avènement (et l'enterrement ?) du métavers, de l'IA et des projets longtermistes d'Elon Musk, cette fois. Notre futur ressemble à de la science-fiction en plus extravagant et beaucoup moins palpable, et semble à la fois tellement éloigné du présent et intégré au réel. 

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Le capitalisme semble digérer les tendances ou les mouvements pour n'en recracher qu'une version édulcorée, dans un but purement mercantile. On parlait plus haut de standardisation de la singularité. On a envie d'en faire tout autant que dans les années 2000, mais sans rendre les gens anxieux, et ça se voit sur nos écrans. À défaut de vivre dans un monde caractérisé par la légèreté ; on la crée, on s'évade dans un monde parallèle, brillant, immatériel et futuriste, irisé grâce à l'ultra-haute définition en 4K. Neo n'est plus là, trop sombre, mais Barbie a fait son grand comeback, entraînant 3 générations dans un vent de fraîcheur rose et pailleté qui prône le consentement et l'égalité des sexes.

Retour vers le futur, la tendance Y2K d'aujourd'hui est irisée

En 2020, WGSN (le leader des tendances de consommateur.ices) a déclaré le "blanc laiteux" couleur tendance jusqu'à 2025. L'organisme préconise d'accompagner ce blanc laiteux de reflets irisés, qui enveloppent tout en laissant voir dans une translucidité tactile. Le blanc laiteux est une couleur non genrée et neutre, l'origine de la vie (on pense aux fluides corporels ou au lait...), et l'irisé porte en lui le prisme de tous les possibles (comme le drapeau arc-en-ciel des luttes LGBTQIA+)... L'irisé incarne tellement bien notre époque : c'est la magie par excellence, l'arc-en-ciel impalpable, les ailes de fées ou des insectes que l'on peut désormais imiter, c'est la couleur engendrée par prisme comme celui des Pink Floyd... un mélange alchimique toujours changeant et insaisissable.

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L'irisé porte en lui la toute puissance créatrice, presque divine, qui permet à la fois de faire exister à partir de rien, de changer en permanence, et d'être plus léger que l'air, presque transparent. C'est le numérique par essence. Grande révolution, la couleur Y2K version 2023 est désormais non plus figée mais transformable, avec des reflets changeants obtenus avec la 3D ou aux animations virtuelles, et même incrustée directement dans notre monde grâce aux progrès technologiques comme la réalité augmentée ou la bio-science ; celle-ci révolutionne l'industrie du pigment avec des bactéries qui reflètent la lumière. Le futur, le vrai ! La Star Academy l'a bien compris et surfe sur cet arc-en-ciel mystique violet pour célébrer son grand retour. On est passé d'un univers Blade Runner à à un violet-rose orangé chaud et enveloppant, plus mystique, extra-terrestre.

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La rondeur, le volume, le too much

Obsédés par le passé mais tournés vers le futur, la mode, les visuels et les imaginaires d'aujourd'hui se parent de ces reflets, miroirs, argent brillant, matières 3D et gonflées qui prennent de la place -voire toute la place, de spirales et pixels colorisés... comme dans l'identité de "too much to watch" réalisée par Studio Kiln. Il symbolisaient cet engouement pour la tech dans les "noughties", et celui pour l'IA et le web 3.0 aujourd'hui. L'optimisme a déteint, un peu, et on s'engouffre dans le métavers avec plus de précaution.

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Graphiquement, on a désormais envie de se libérer des carcans et de se tourner vers le fait main, le "too much", la rondeur... de retrouver les codes rassurants, légers et marrants de l'Y2K voire même des 60s ou 80s. On passe progressivement d'une ère de rigueur à une ère de débordements, des lignes droites aux arabesques, du statique du papier au morphisme de la 3D numérique, de la bichromie à l'irisé holographique... Le nouveau logo Patreon incarne ce changement.

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La plateforme communautaire qui soutient les créateurs de contenus a abandonné son identité en gommettes géométriques (un rectangle et un rond, pour former un P) pour désormais proposer un logo évolutif et débordant. La typo reprend les codes de la Blur de Neville Brody, de 1994, (première image ci-dessous), proposant, comme elle, une graisse qui prend peu à peu toute la place pour faire disparaître la lettre et la transformer en forme.

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Visuel tiré du blog underconsideration

Devenue forme, elle est un réceptacle pour la créativité, symbolisant l'individualisme et les multiples moyens possibles d'expression.

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La tendance Y2K durera-t-elle ? Probablement pas. Ce qui est plus certain, c'est que les identités graphiques ne se pensent plus uniquement à plat mais en volume, sans cesse en mouvement. Plus rondes, elles sont une façon graphique de se montrer plus intimistes, humaines, avec un design moelleux et rebondi qui donne envie d'être touché ou d'interagir avec l'utilisateur derrière son écran. Les nouvelles créations Y2K s'inspirent de l'univers rétro des 2000s tout en étant hyper réalistes et connectées au réel, avec des avatars et des filtres qui fusionnent les deux univers. L'IA générative vient elle-aussi bousculer aujourd'hui nos acquis, en proposant de "nouveaux" visuels qui se basent uniquement sur de l'existant, posant l'éternelle question de la source de la création et de l'origine de nos inspirations.

Peut-être que l'oscillation d'un extrême à l'autre n'est, finalement, pas vraiment un problème d'équilibre, mais le moteur qui nous fait avancer. Et si tout n'était qu'une  variation d'un éternel recommencement ?


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