Margaret Calvert : tombée dans le panneau !

04 décembre 2018  |   0 Commentaires   |    |  

Dans notre série des grands noms du design graphique, voici le portrait d'une grande dame, dont le travail discret aura concouru à sauver des centaines de milliers de vies au Royaume Uni !

Dans les années 60, l'augmentation des richesses amène de plus en plus de trafic sur les routes. Pour faire face à cette nouvelle réalité, le gouvernement entreprend de sérieux travaux autoroutiers. Et comme les voitures vont de plus en plus vite, il s'agit par la même occasion de refaire toute la signalétique des routes, qui est illisible à grande vitesse.

C'est la mission qui sera confiée à Margaret Calvert (1936 -) et Jock Kinneir (1917 - 1994), entre 1957 et 1967. Leur travail deviendra ensuite un modèle de signalisation routière moderne, repris dans le monde entier. Des milliers de personnes voient chaque jour leur travail et prennent ces panneaux de signalisation comme acquis, sans réaliser l'ampleur et le caractère révolutionnaire qu'avait ce projet à l'époque ! Un peu comme Pierre Novat et les pistes de ski...

Des airs au bitume

L'avenir de ces designers prend forme sous un abribus, en 1957. Jock se retrouve par hasard dans la même file d'attente que David Alford, l'un des architectes du projet d'un second aéroport de Londres. Ce dernier, réalisant qu'ils sont voisins, propose alors à Kinneir de réaliser la signalétique de l'aéroport de Gatwick, ce qui n'a jusqu'alors jamais été fait par personne ! Jock embauche alors Margaret Calvert, son étudiante, et lui offre son premier emploi.

En parallèle, parce qu'ils sont tout terrain, Calvert et Kinneir créent également la typographie Rail Alphabet pour la compagnie ferroviaire British Rail, inspirée de la typographie Gatwick développée pour le projet d'aéroport.

Après les airs et les fers, c'est toute la signalétique des routes du Royaume-Uni, à commencer par les autoroutes, qui leur seront confiée entre 1958 et 1965. C'est l'un des projets design les plus ambitieux jamais réalisé, comme l'admet Margaret Calvert : "C'était vraiment novateur. Vous y croyiez vraiment et vouliez en faire partie - pas dans le sens de la gloire. C'était tout simplement vraiment excitant d'être en train de le construire." De ces premières missions réussies naîtra leur bureau d'associés en 1966, le Kinneir Calvert Associates.

Comme première étape pour souligner le caractère urgent de ce gigantesque projet signalétique, le graphiste et typographe Herbert Spencer recense dans son magazine Typographica la myriade de panneaux existants ; une cacophonie visuelle telle qu'elle menace la sécurité des automobilistes. Commandés par des organismes différents, les typographies et couleurs varient d'un panneau à l'autre, générant une grande confusion.

Ci-dessous, les photos de Spencer. En bas à droite, la nouvelle proposition de Calvert et Kinneir. C'est tout un nouveau langage visuel qui est proposé avec des lettres minuscules, une nouvelle typographie et des codes couleurs spécifiques, adaptés à une lecture à grande vitesse.

Typos, signes, panneaux

Au départ, le Ministère des Transports souhaite un projet conforme à ce qui existe en Allemagne, à savoir une typo blanche sur fond noir pour les autoroutes, et une police de caractère sans serif Allemande. Mais les deux designers décident de tout reprendre afin de s'adapter au mieux au paysage du Royaume-Uni.

La femme qui créa les panneaux routiers

Il s'agit alors de créer une typographie spécifique en capitale et en bas de casse, plus lisible, afin de reconnaître les noms de route et signaux à grande vitesse : la Transport. En 2012, Henrik Kubel crée la version numérique de Transport et 6 nouvelles graisses, avec l'aide de Calvert.

"Nous sommes partis de zéro, avec une spécification de la forme de lettre idéale, après avoir étudié d'autres possibilités (y compris l'adaptation du caractère Akzidenz Grotesk - une influence majeure sur les proportions et l'aspect général).
Des détails importants, comme la courbe à l'extrémité de la minuscule l (empruntée à Johnston) et les traits courbes obliques des lettres a, c, e, f, g, j, s, t et y, ont été spécialement conçus pour aider à conserver la forme des mots des noms de lieux lorsque les lettres sont légèrement espacées ; un compromis nécessaire pour compenser l'effet "halo" produit avec éclat des phares, et ainsi  (Un peu comme un portrait de Rembrandt - avec des coups de pinceau qui fusionnent pour focaliser l'image). Cette typographie, déclinée en deux graisses, a été baptisée "Transport"."

Kinneir & Calvert créent également tout un système avec des corps et couleurs différents pour chaque groupe de signes routiers, suivant le protocole Européen : des triangles pour les avertissements, des ronds pour les instructions et des rectangles pour les informations.

panneau-signalisation

À l'époque, tout le travail est réalisé à la main, et Calvert explique ce besoin qu'elle a de dessiner, pour connecter "la tête, le coeur et la main".

panneau-signalisation

Comme l'explique Margaret dans la vidéo ci-dessous, plusieurs éléments sont à prendre en compte dans ce type de création. Tout d'abord, ce n'est pas simplement une histoire de créer des lettres, mais avant tout une question de lisibilité sur les panneaux. Elle ne parle pas ici de typographie mais bien de lettrage : les caractères sont conçus pour fonctionner en noir sur un fond blanc, en blanc sur un fond noir, ou en blanc sur un fond coloré. De cette manière, le cerveau reconnaît facilement des formes et n'a pas besoin de lire. Le temps de compréhension du signe est ainsi réduit.

Margaret explique aussi que ce travail de design a une mission auprès du grand public qui est d'être compréhensible. Le designer n'a pas de place pour y intégrer sa sensibilité ou sa touche personnelle. Elle explique d'ailleurs qu'à l'époque il n'existait pas la spécialisation design graphique dans les écoles. On appelait ça de l'art commercial. "Il n'est pas question de mode, c'est purement logique, fonctionnel et esthétique. On ne peut pas faire plus simple."

Et Kinneir de surenchérir : "La constance dans la conception est l'équivalent visuel de la grammaire pour le langage."

https://vimeo.com/78264644

Margaret a dessiné la plupart des pictogrammes, dont plusieurs étaient basés sur sa propre vie. Par exemple elle raconte que le panneau "Enfants qui traversent" est basé sur une image d'elle-même enfant. Le panneau d'avertissement du bétail est basé sur une vache appelée "Patience", qui vivait sur la ferme de son cousin dans le Warwickshire.

road sign icons UK

Héritage et hommages

À 80 ans, Margaret Calvert a reçu le titre de l’OBE (Officier dans l’ordre de l’Empire britannique) pour ses services rendus à la typographie, au design graphique et à la sécurité routière.

Pour célébrer les 50 ans de cette signalétique, MADE NORTH a également mis sur pied une exposition au Musée du Design de Londres, en faisant participer des artistes et designers pour revisiter ces fameux panneaux :

Margaret Calvert a récemment refait une version de son panneau "man at work" ("travaux" ou plutôt "homme qui galère avec son parapluie" comme elle l'appelle) en le transformant en "woman at work", un poster développé avec Jealous Studio.

woman-at-work

Après cette mission, Kinneir prévient Calvert que ces signes lui colleront à la peau toute sa vie. Elle est aujourd'hui en effet reconnue comme icône du design en Grande Bretagne, et comme la femme qui créa les panneaux routiers du Royaume-Uni, bien malgré elle.
Calvert parle en effet de ce projet en riant jaune, comme étant le "cauchemar" de sa vie. Cinquante ans après, en passant devant son travail chaque jour, elle ne peux s'empêcher d'y repérer la moindre irrégularité. Sûrement le supplice de tout designer connu !


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