Accueil / Blog / Histoire du design graphique / Debbie Millman : à la recherche du sens du design
Debbie Millman est écrivaine, enseignante, artiste, curatrice et designer américaine. Elle a été désignée comme "l'une des designers les plus influentes du moment" par Graphic Design USA et "l'une des personnes les plus créatives en entreprise" par Fast Company.
En parallèle d’une carrière de plus de 20 ans auprès de très grandes marques de distribution, elle s’engage à diffuser la mission du design graphique auprès des médias, du public et des entreprises : "Tous les graphistes ont une grande responsabilité dans la société. Nous prenons des idées invisibles et les rendons tangibles. Tel est notre travail."
De 1995 à 2016 Debbie Millman est la directrice artistique de l’agence Sterling Brands à NY qu’elle a largement contribué à développer (en passant de 15 à 150 employés sur cette période).
Elle y travaille pour de nombreuses marques réputées et refait les identités et les logos de Burger King, Haagen-Dazs, 7Up, Gillette, Tropicana, Colgate ou Kleenex. Millman s’affirme en tant qu’experte en conception graphique et en création d’identités visuelles de produits de consommation.
Extrait de l'essai visuel de Debbie Millman pour 99U d'Adobe "J'étais perdue et suis tombée dans la création d'identités visuelles. J'ai travaillé sur le design de certaines des plus grandes marques du monde. J'ai designé d'autres marques. Et encore d'autres".
Pour la petite histoire, c’est en 1999 qu’elle propose la nouvelle identité visuelle et le nouveau logo pour Burger King, que le roi du Burger adoptera jusqu’en 2021 (avant de revisiter l’ancien logo). Dans une interview en ligne sur la chaîne Creative Waffle, Debbie explique que lors du premier RDV client le directeur Marketing l’a mise en garde en lui disant : « n’espérez pas pouvoir changer de logo » ! Il avait été changé de nombreuses fois auparavant mais jamais le directeur en question n’en avait aimé un seul.
"Nous savions que nous devions garder l’intégrité de l’iconographie existante et son héritage donc nous avons gardé le pain, la typo ‘bulle’ en aiguisant ses bords, et nous avons ‘activé’ le tout pour y injecter plus d’énergie. Nous avons fait des tests mondiaux auprès de consommateurs et il s’est avéré plus efficace ; les gens aimaient mieux cette version. J’ai quand même été horriblement harcelée par ce changement de marque, on m’a donné le surnom de « la femme Satan » pour ce logo !"
"Mais cela fait 20 ans qu’il est utilisé maintenant… Tout le brouhaha des nouveaux logos retombe au bout d’un an. Ça a été le cas pour le nouveau logo Uber ou AirBnb. La plupart des gens n’aiment pas le changement, ça les rend vulnérables. Il n’y a que les designers qui aiment les nouvelles identités qu’ils créent !" explique-t-elle.
En parallèle de ses activités, elle est la directrice artistique de Print magazine dès 2002. Son travail artistique ne s'arrête pas là ; elle est également artiste et illustratrice, et intègre parfois son travail dans Print Magazine. Elle réalise aussi d'autres illustrations pour des magazines comme The New York Times ou Design Observer.
Découragée par "tout le mercantilisme et le consumérisme" de ses activités en tant que designer elle lance et anime en 2005 le podcast primé Design Matters pour "essayer de s'en sortir". En 15 ans elle interviewe près de 500 designers, penseurs, auteurs ou professeurs autour de la créativité dont Marina Abramovic, Stefan Sagmeister, Milton Glaser, Shepard Fairey, Ethan Hawke ou Barbara Kruger. Il est désormais reconnu comme étant l’un des 100 meilleurs podcast au monde et parmi les plus écoutés de tous les temps. Mais elle n'arrête pas son activité de designer pour autant.
En 2016 elle conçoit des pin's pour soutenir la campagne électorale d’Hillary Clinton, aux côtés de 45 autres designers comme Paula Scher ou Michael Beirut, et observe comment un bon design peut permettre à des candidats de gagner des voix.
Pour pousser le bouchon un peu plus loin, toujours dans cette démarche de quête de sens sur le rôle du design dans la société, elle est conservatrice dans des galeries et musées et organise des expositions. Look Both Ways illustrait en 2019 la "liaison illicite entre image et information".
Présents sur nos vêtements, en politique, sur Internet, dans les événements publics, sur les produits de nous consommons voire même sur nos peaux avec les tatouages, le pouvoir des lettres en dit long sur notre culture. Les œuvres exposées, tirées pour la plupart de la collection personnelle de Millman, allaient de Shepard Fairey à Jean-Michel Basquiat en passant par Paula Scher.
Crédit photos JSP-Art-Photography, SVA Chelsea Gallery
En 2009 elle co-fonde le Masters in Branding (Masters en identité visuelle, une première mondiale) de l’École des Arts Visuels de New York, avec Steven Heller. Elle transmet ainsi son expérience et ses échecs à de futurs designers. Cette formation unique condensée sur un an propose une approche multi-disciplinaire autour du design et de la conception d’image de marque à travers des cours orientés marketing qui abordent stratégie, histoire, économie ou statistiques.
Debbie Millman a également diffusé son message et son expérience du design par le biais de conférences ou de livres. Millman a écrit 6 essais dont How to Think Like a Great Graphic Designer (comment penser comme un grand designer graphique) et Brand Thinking and Other Noble Pursuits (le concept de marque et autres poursuites nobles), ou autour du développement personnel comme Why You: How To Make A Living Doing What You Love (pourquoi vous : comment gagner sa vie en faisant ce que l’on aime).
Enfin, parce qu'elle incarne le souhait promouvoir le design auprès du gouvernement des entreprises et des médias américains, Debbie Millman est actuellement Présidente émérite de l’AIGA (American Institute of Graphic Arts).
En 2011, elle observe néanmoins un vrai changement dans la société et note que le branding évolue véritablement. Alors que les marques de branding ont longtemps été utilisés comme signes de ralliement et d'appartenance (signes religieux, marques de bétail...), ils ont ensuite été employés à des fins mercantiles par les grosses entreprises.
Aujourd'hui, elle réalise avec joie que le design s'est démocratisé, porté par des gens qui créent le changement, sans chercher à vendre quoi que ce soit. C'est le cas des "identités" des gilets jaunes ou BlackLivesMatter et de toute autre forme de branding des mouvements sociaux dont on parlait sur le blog.
Lors d’une conférence TedX sur les marques intitulée "comment les symboles et les marques modèlent notre humanité" elle affirme que "dès 2011 nous avons commencé à voir l’impact du changement via les réseaux sociaux et les #, qui connectent les gens partageant les mêmes idéaux. Pour la première fois depuis 10 000 ans, les marques -qui ne sont même plus des marques- ne sont plus poussées vers le bas pour les gens, mais vers le haut par les gens, dans l’unique but de changer le monde et de le rendre meilleur."
Illustration de Debbie Millman tirée de sa conférence TedX
"Ces 10 dernières années, nos meilleures innovations sont la création de marques qui peuvent faire une différence dans nos vies et refléter le monde dans lequel nous voulons vivre. Ces insignes ont été créés pour servir ce que je crois être la raison d’être du branding : unir les gens dans l'expression d’idéaux partagés. Le branding n’est pas qu’un outil pour servir le capitalisme, c’est la manifestation profonde de l’esprit humain. Il est de notre responsabilité de designer une culture qui reflète et honore le monde dans lequel nous voulons vivre."
Millman est également à l’origine du positionnement stratégique et de l’identité du mouvement NO MORE qui lutte contre les violences domestiques et sexuelles dans le monde, un sujet qui l’a touché personnellement dans son enfance et qu’elle a surmonté pour se construire. Elle s'engage aussi pour la parité hommes-femmes et les mouvements LGBTQ+ à travers ses interviews dans son podcast.
On comprend mieux pourquoi elle se consacre d'avantage aujourd'hui à la diffusion et à l'enseignement du design qu'à sa pratique en tant que telle.
Extrait de l'essai visuel de Debbie Millman pour 99U d'Adobe "Ça n'est pas pour l'argent, ni le consumérisme, ni la consommation. Le design et le branding sont désormais utilisés pour créer le changement. Pour créer des mouvements !"
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