Les Noailles « Une vie de mécènes »

10 juin 2013  |   4 Commentaires   |    |  

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À la découverte d'un couple mythique, grands mécènes du design et de la mode

La récente visite de la Villa Noailles, à l'occasion du Festival International de mode et de photographie, nous a permis de découvrir la fabuleuse histoire de cette villa et de ses illustres habitants, Charles et Marie-Laure de Noailles.

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Cette villa figure parmi les toutes premières constructions de style moderne réalisées en France. Dessinée en décembre 1923 et habitée à partir de janvier 1925, la villa initiale construite pour Charles et Marie-Laure de Noailles par l’architecte Robert Mallet-Stevens met en application les préceptes fondateurs du mouvement rationaliste : fonctionnalité, épuration des éléments décoratifs, toits, terrasses, lumière, hygiène... Les extensions qui vont se succéder jusqu’en 1933 ainsi que la remarquable mise en valeur du site (parvis, jardins) vont faire de la modeste maison de villégiature un véritable paquebot immobile de 1 800 m2 : quinze chambres de maître, toutes équipées de salles de bains, une piscine, un squash, un salon de coiffure, un professeur de gymnastique à demeure, etc. Les horloges reliées à un système central, les baies qui s’escamotent ou les fenêtres à miroir participent à la modernité du lieu.

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Maison héliotrope, dominant la baie d’Hyères, la villa Noailles célèbre un nouvel art de vivre où le corps et la nature sont privilégiés. La décoration fait appel à une impressionnante liste de personnalités : Louis Barillet pour les vitraux, Pierre Chareau, Eileen Gray, Djo-Bourgeois et Francis Jourdain pour le mobilier, Gabriel Guévrékian pour le jardin cubiste, Piet Mondrian, Henri Laurens, Jacques Lipchitz, Constantin Brancusi ou Alberto Giacometti pour les œuvres d’art.

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Charles et Marie-Laure de Noailles

Marie-Laure Bischoffsheim (1902-1970) n'a que deux ans lorsque son père Maurice décède, lui laissant à sa majorité d'importants capitaux de la banque familiale et la remarquable collection de tableaux de ses grands-parents. Deux personnages vont particulièrement marquer sa jeunesse : sa grand -mère, Laure de Chevigné, dont l'esprit moderne inspire à Proust sa duchesse de Guermantes, et un jeune poète, Jean Cocteau. C'est par son entremise qu'elle croise les avant-gardes picturales, musicales et littéraires.

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Dès la fin de la Grande Guerre, Charles de Noailles (1892-1981) fréquente, comme Marie-Laure, les salons du comte de Beaumont. La lignée des Noailles, dont l'origine remonte aux croisades, est parsemée, à différentes époques, de personnages célèbres. Il s'intéresse aux arts décoratifs modernes, à l'architecture et aux jardins. C'est sur ces passions partagées que le couple se forme.

Ils se marient à Grasse en février 1923.
Ils parcourent les salons et l'exposition de 1925, achètent meubles et tableaux, rencontrent des créateurs et font réaménager leur hôtel particulier de la place des États-Unis, à Paris. Les Noailles développent rapidement leur propre style et s'imposent en quelques années dans la presse et les milieux artistiques comme les commanditaires les plus actifs et les plus intéressants de la seconde moitié de la décennie. Le passage aux années 1930 voit des projets plus ambitieux, mais également le ralentissement de leur mécénat suite au scandale provoqué par le film L'Âge d'Or. Le vicomte cherche alors à continuer de façon plus discrète son aide. Au contraire, Marie-Laure de Noailles sort de son habituelle réserve, commence à écrire, à peindre et à recevoir plus que jamais artistes et écrivains chez elle.

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Si la Seconde Guerre mondiale marque la fin d'une époque, les Noailles conservent leur aura intacte. Charles de Noailles semble désormais plus intéressé par ses jardins et sa maison de Grasse, mais continue à veiller sur les sujets qui lui tiennent à'coeur. Marie-Laure suit avec passion l'actualité artistique de son temps et reçoit à Hyères comme à Paris ses amis artistes et intellectuels. Jusqu'à son décès en 1970, Marie-Laure de Noailles apporte son soutien à de nombreux jeunes artistes.

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Marie-Laure de Noailles par Balthus

Musique, danse et fêtes

Durant l'entre-deux-guerres, Charles et Marie-Laure de Noailles organisent des bals à thèmes ; beaucoup de ces soirées sont des prétextes à commander des œuvres aux artistes ainsi qu'aux musiciens et aux danseurs pour promouvoir leurs talents. Ainsi le concerto chorégraphique Aubade commandé à Francis Poulenc pour le Bal des Matières, donné place des États-Unis en juin 1929, est repris au Théâtre des Champs-Élysées l'année suivante. À Georges Auric, ils demandent sa première partition pour le cinéma pour le film de Cocteau - il en fera par la suite une centaine d'autres.

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Charles et Marie-Laure de Noailles par Man Ray en 1929.

En 1931, les Noailles participent à la création du groupe La Sérénade imaginé par Yvonne de Casa-Fuerte. À travers cette société de concerts, placée sous la direction artistique du chef d'orchestre Roger Desormière, ils s'investissent dans la production et la diffusion d'œuvres. Ainsi, ils commandent cinq créations pour un concert donné en avril 1932 à Hyères. En décembre de la même année, ils financent la venue à Paris de Kurt Weill et de ses interprètes pour les premières parisiennes des œuvres écrites avec Brecht, Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny et Der Jasager et hébergent le compositeur en 1933, durant son exil.
Les Noailles proposent sans contre partie à Markevitch et Sauguet une aide financière régulière pour les aider à terminer des œuvres importantes : la cantate symphonique Le Paradis Perdu pour le premier, créée à Londres en 1935, et l'opéra la Chartreuse de Parme pour le second, achevé en 1936. Darius Milhaud reçoit la commande d'une cantate pour l'ouverture du Musée de l'Homme en 1937.

Si Marie-Laure de Noailles suit la carrière de son ami Serge Lifar, c'est sa rencontre avec Boris Kochno qui lui vaut d'aider à plusieurs reprises quelques grands projets chorégraphiques : les Ballets Russes de Monte-Carlo menés par Massine, les Ballets 33 d'Edward James et les Ballets des Champs-Élysées de Roland Petit. Tout au long de sa vie, elle s'entoure également de l'amitié d'interprètes de renommée internationale : les pianistes Jacques Février ou Arthur Rubinstein, le violoncelliste Maurice Gendron, le flûtiste Jean-Pierre Rampal ou le claveciniste Robert Veyron-Lacroix.

Design Intérieur

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La commande d'un bâtiment moderne entraîne Charles et Marie-Laure de Noailles à envisager des aménagements en accord avec cette nouvelle architecture. La plupart des créateurs sélectionnés sont conseillés par l'architecte Robert Mallet-Stevens qui signe lui-même des transats pour la piscine. Il peut s'agir aussi bien des commandes spécifiquement conçues pour le lieu - comme la salle à manger confiée à Djo-Bourgeois dès 1924 - ou des agencements d'achats.

Ces aménagements sont réalisés en plusieurs étapes, le couple se donnant le temps de visiter les salons et de trouver les créations qu'il souhaite intégrer. Un cadran de Francis Jourdain, repéré au Salon d'Automne de 1924, donne naissance aux chiffres des horloges de la villa. L'Exposition internationale des Arts décoratifs industriels et modernes à Paris en 1925 se révèle une véritable source d'inspiration. Ainsi un lit suspendu de Pierre Chareau, des tabourets de Mme Klotz, des tissus« simultanés» de Sonia Delaunay se retrouvent directement transposés à Hyères.

On trouve à la villa aussi bien des créations extrêmement raffinées comme un tapis d'Eileen Gray pour la chambre de Madame ou une table de jeu pliante de Charlotte Perriand que du mobilier plus industriel provenant des firmes Smith & Co. (fauteuils) et Ronéo (tables et casiers en tôle). L'inventivité de Chareau côtoie l'élégance de Dominique. Louis Barillet signe les vitraux et les frères Martel un miroir polyédrique.

Les ferronneries escamotables dessinées par Jean Prouvé pour la chambre de plein air abritent les meubles en tube métallique de Marcel Breuer.

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Deux commandes confiées à des artistes néerlandais sont remarquables pour leur radicalité. L'artiste et théoricien Théo van Doesburg se voit confier la réalisation en mars 1925 d'une composition murale géométrique pour la salle des fleurs et l'architecte Sybold van Ravesteyn dessine l'aménagement complet de la chambre d'ami du deuxième étage (image ci-dessus). Le créateur français Djo-Bourgeois est très régulièrement sollicité : l'agrandissement de la salle à manger et l'établissement de quatre chambres au mobilier intégré en 1926. Il signe encore un astucieux bar coloré dans les salles voûtées.

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Documentaire sur la Villa Noailles

Voici un reportage sur la Villa :

Si vous aimez l'histoire et le design, nous vous invitions à découvrir notre série d'articles sur les grands noms du design graphique.

Si vous aimez l'architecture, voici un précédent article sur le Couvent de la Tourette de Le Corbusier.
L'équipe de Graphéine Lyon s'était également rendue au Couvent de la Tourette fin 2015, à l'occasion de l'exposition des œuvres d'Anish Kapoor.


Sources des textes : Dépliant de la Villa Noailles.


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4 commentaires :

  1. Sałaj :

    Chaque fois que je viens a Hyeres, l’esprit des folies a Hyeres du tepms des Noailles me hante. Dommage que les hyerois ne sont pas toujours a la hauteur de cet heritage. Contonuez a promouvoir ce que les Noailles ont fait…c’est mondialement introuvable!!!!

  2. Richard Becherer :

    Vore film se sert des excerpts de la documentaire « Biceps et Bijoux » par Roland Manuel. Connaissez-vous ou je peux voir ou obtenir une copie de ce film?

    Merci,

    Richard Becherer, USA

  3. Léa :

    Une modernité bluffante dans cette villa…

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