Un timbre king-size pour Charles III

08 février 2023  |   0 Commentaires   |    |  

Les services postaux du Royaume-Uni viennent de présenter l'image du roi Charles III qui apparaitra sur les timbres à partir du 4 avril prochain. On découvre donc un portrait très sobre et sans couronne, une première très symbolique pour la couronne d'Angleterre ! L'époque n'est plus vraiment à l'ostentation.

"Nous voulions que ce soit simple, une image très humaine et sans embellissement", déclare David Gold, directeur de la communication du Royal Mail. Le portrait est basé sur une sculpture réalisée par l'artiste Martin Jennings pour les nouvelles pièces de monnaie du roi Charles - l'image étant ensuite adaptée pour les timbres. Si le réalisme du portrait est effectivement saisissant, on sent bien l'adiposité du cou et on reconnait bien les grandes oreilles du prince Charles, en résulte tout de même une certaine austérité, pour ne pas dire froideur.

Et puis pourquoi regarder vers la gauche alors qu'on apprend dès le premier cours de sémiologie, que dans une image, l'avenir est toujours situé à droite ? La monarchie regarde toujours vers le passé... dans le fond ça semble logique.

Enfin, on remarquera l'arrivée d'un QR code associé au timbre, une innovation présentée pour assurer la sécurité et la traçabilité du courrier. En résulte un timbre "King-size" bien plus large que les timbres classiques. Un affreux artefact qui vient digitaliser cet objet analogique, tout en supprimant la possibilité au Corbeau d'envoyer des lettres anonymes.

Le design de ce timbre s'inscrit dans la continuité du précédent timbre royal avec le profil de la reine Elizabeth II créé par l'artiste Arnold Machin en 1967. Un minimalisme intemporel sans aucune mention de l'émetteur ou du pays d'origine. Un design audacieux. Difficile de faire plus simple et efficace.

L'histoire du timbre de 1967

Quelques années après la fin de la Seconde Guerre mondiale, en 1952, un premier timbre avec Elizabeth est produit avec une photographie des studios Dorothy Wilding. On est dans l'imagerie de l'époque, portrait de 3/4 et peau de pêche.

En 1966, un concours est lancé pour la création d'un nouveau timbre officiel. Les artistes sont invités à soumettre une esquisse (l'histoire ne dit pas si ces esquisses ont été dédommagées ou pas !). Arnold Machin sera retenu. On lui demandera de développer son projet sous forme d'une maquette avancée, puis on lui confiera la sculpture du portrait en bas-relief. C'est ce bas-relief qui sera photographié et utilisé sur les timbres et la monnaie.

Compte tenu de la longévité d'Elizabeth, ce timbre sera diffusé à 220 milliards d'exemplaires en 55 ans ! Ce qui en fait l'une des créations graphiques les plus diffusées au monde !
Charles est donc le 7e monarque à apparaitre sur les timbres, la reine Victoria ayant été la première, en 1840, lorsque son profil utilisé sur un "Penny Black". Un timbre mythique.

En effet, le "Penny Black" est le premier timbre de l'histoire. Avant cela, les services postaux se faisaient payer par les destinataires. En gros, il fallait payer avant de pouvoir lire son courrier. Beaucoup de gens trouvaient des astuces pour ne pas payer. Une astuce courante était d'envoyer des messages codés par le biais de petites variations de l'adresse. Vous et moi pourrions convenir que si vous m'envoyiez une enveloppe adressée à "Tim Harford", cela signifierait que vous alliez bien, mais que si vous l'adressiez "M. T Harford", je comprendrais que vous aviez besoin d'aide. Lorsque le facteur frappait, j'inspectais l'enveloppe et refusais de payer.

L'introduction du timbre faisaient payer l'émetteur au lieu du récepteur. Le "Penny Black" est donc une révolution économique qui a démocratisé l'envoi du courrier. En l'espace de 10 ans, le volume de courrier a été multiplié par 4, accompagnant la révolution industrielle qui fera la richesse de l'empire britannique.

“Notes sur les timbres postes” par Eric Gill

Eric Gill (1882-1940) célèbre graphiste et dessinateur de caractère anglais s'est frotté au sujet des timbres postaux à de nombreuses reprises. C'est d'ailleurs lui qui a travaillé sur le timbre de Edward VII puis celui de Georges VI en 1937. Gill avait des opinions ciselées sur le sujet des timbres-poste et ses théories n'ont pas toujours été entendues. Dans son essai "Notes on Postage Stamps" Gill expose succinctement ses idées philatéliques et offre une réflexion toujours contemporaine. Voici quelques extraits :

“Un principe de design veut que plus le nombre de répétitions ou de reproductions est élevé, plus la forme de l'objet répété doive être simple. Par conséquent, il est souhaitable, à proprement parler, d'éviter les portraits, les paysages et toutes les scènes naturalistes. Il est extrêmement regrettable que notre gouvernement et d'autres gouvernements accordent autant d'attention aux opinions entièrement sentimentales des philatélistes et du grand public. Il est tout aussi regrettable que la production de timbres-poste soit devenue, dans de nombreux pays, une occasion de trouver de nouvelles sources de revenus, ce qui fait qu'il semble souhaitable d'avoir des motifs de plus en plus élaborés et naturalistes. Nous connaissons tous de nombreux exemples de ce genre de choses, par exemple des vues de montagnes lointaines de la Nouvelle-Zélande ou une vue d'un nouveau barrage à Connaught.

Il n'est pas nécessaire de supposer que, réduit à des éléments simples, un timbre-poste soit autre chose qu'un très bel objet. Un bon lettrage, une bonne image et le symbole héraldique le plus simple possible suffisent à le rendre beau et identifiable. Il est inutile de se référer aux premiers timbres, tels que le Penny Black de l'ère victorienne, car les conditions de production d'il y a cent ans et le nombre de timbres requis étaient entièrement différents et la quantité imprimée aujourd'hui considérablement plus élevée.

Nous devons tenir compte des conditions d'aujourd'hui. C'est pourquoi je souhaiterais qu'un timbre-poste soit conçu sans portrait ou autre décoration fantaisiste. Mais si l'on insiste pour avoir un portrait, je suis convaincu qu'il faut utiliser une photographie simple. Enfin, à mon avis, le seul bon timbre qui ait été produit dans n'importe quel pays du monde au cours de ces dernières années est celui d'Édouard VIll, émis en 1936, même si, il est vrai, il aurait pu être grandement amélioré par un meilleur lettrage et un fond uni et non dégradé [image ci-dessus à gauche]. Et je peux dire qu'un timbre tel que je l'ai suggéré (c'est-à-dire une version améliorée du timbre d'Edouard VIII) a en fait été produit par les Postes du Royaume-Uni, mais n'a pas été publié en raison de l'abdication de ce roi [image ci-dessus à droite].”

Le franc-parler d'Eric Gill avec ses commanditaires royaux

En décembre 1936, il est en convalescence en Italie quand il reçoit une consultation du General Post Office pour le nouveau timbre de George VI. La lettre est accompagnée d’une maquette indiquant les consignes royales : effigie coupée au cou, couronne de laurier, couronne impériale, petits cadres sculptés. Auquel il faudrait ajouter les mentions « Postage » et « Revenue ». Le cahier des charges est précis.

Si Gill répond en s’insurgeant contre toute décoration futile : « si vous dites : ajoutez des bouclettes ou des dauphins, roses, pissenlits, ou des colonnes corinthiennes ou quelque chose d’ornemental, s’il vous plaît ; je ne peux que vous répondre : mais pourquoi ? »

Néanmoins, ses services étant rémunérés, il acceptera de réviser ses ambitions artistiques à la baisse. Il soumet ses premiers dessins en février 1937, quatre mois seulement après avoir qualifié les timbres-poste de "produit d'esclave" dans les colonnes du Manchester Guardian. La simplicité des première esquisses cédera la place à une ornementation plus traditionnelle. Malgré sa réticence initiale à accepter la commande, Gill a finalement publié son timbre en mai 1937. Cependant, ce projet ne semble guère l'emballer. Dans une lettre à son frèr Evan Gill, il écrit  "La responsabilité de ce dessin incombe plus à la Poste qu'à moi. Je n'ai fait que dessiner selon les instructions". Et à son ami, l'écrivain et sculpteur Arthur Graham Carey, il écrit : "Ils ne sont bien sûr qu'un compromis entre mes souhaits et ceux des autorités."

Malgré le manque d'enthousiasme de Gill pour cette création, les timbres furent bien accueillis et restèrent en circulation pendant les quinze années du règne de George VI.

L'histoire des esquisses pour le couronnement de George VI et d'Elizabeth (ci-dessous) nous rapporte que là encore, Gill n'est pas très enthousiaste sur les attentes de son commanditaire: "De mon point de vue, l'idée d'un timbre illustré est essentiellement déraisonnable... Il me semble que l'utilisation d'un sujet illustré ne fait que satisfaire la sentimentalité et l'appétit des collectionneurs pour tout ce qui est curieux. Il est difficile d'imaginer quelque chose de pire que la combinaison d'une bordure ornementale, d'une vue de Windsor et d'une photographie du roi... Y a-t-il une raison pour que l'Angleterre ne donne pas le ton dans ce domaine ? Pourquoi n'y aurait-il pas un seul bureau de poste rationnel dans le monde ? Pourquoi devons-nous tous nous suivre, penauds, dans ces sentimentalités scandaleuses ?

Quatre des dessins d'Eric Gill seront présentés au roi. Ces essais, conservés au British Postal Museum, portent simplement la mention suivante : "Vu et rejeté."

Malgré son succès mitigé dans le domaine du design de timbres, Eric Gill concevra tout de même d'autres modèles de timbres pour la Poste royale. Ci-dessous, quelques recherches et esquisses de timbres issues des archives du British Postal Museum.

Gill n'a probablement atteint son idéal philatélique que dans sa conception de ce que la plupart des philatélistes n'oseraient pas considérer comme un véritable timbre : un timbre-affiche de 1939 émit pour commémorer le vingt-et-unième anniversaire de la Société des Nations.


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