À la manière des portraits de grands designers nous poursuivons ici notre série sur les typographies qui ont marqué le monde du design graphique. Voici donc Typorama #03, sur le Didot !
Véritable fer de lance de la typographie française du XIXe siècle, le Didot fut créé entre 1784 et 1811 par Firmin Didot, créateur de caractères issu d’une grande dynastie d’imprimeurs et de typographes.
Découvrons comment ce caractère bicentenaire a réussi à allier finesse et élégance pour traverser les siècles, et s’affirmer encore aujourd’hui comme un intemporel de la mode !
La famille Didot, c’est un peu comme dans le jeu des 7 familles, tous les membres ont leur importance. C’est une famille de libraires éditeurs-imprimeurs et bibliophiles qui maîtrise toutes les branches de l’industrie du livre.
L’histoire commence avec le grand-père, François, installé à Paris et qui publie la série des Voyages de l’abbé Prévost. Le père, François-Ambroise, a posé les bases d’une unité de mesure qui sera peu à peu acceptée par tous les imprimeurs : le point typographique ou point Didot. Cette mesure révolutionnaire permettra de calibrer plus finement les textes, assurant une mise en page parfaite, selon des équations mathématiques implacables ! Jusque là, les caractères étaient fondus de manière assez variable, et aucune norme précise ne permettait de les calibrer efficacement.
Il y a également l’oncle, Pierre-François, dit le jeune, imprimeur à la cour, graveur et inventeur des caractères Didot, d’une grande lisibilité.
Mais le joker de cette famille, c’est Firmin Didot. Graveur, fondeur, qui popularisera le «point Didot», tout en étant aussi un exceptionnel graveur de caractères. Il sera également un temps élu député et défendra les intérêts de la librairie et de la presse. Imaginez Jean-Baptiste Levée ou Alice Savoye à l’Assemblée Nationale... ce serait la classe !
Source: https://typofonderie.com
La famille Didot investira dans de nombreuses papeteries et imprimeries. À l’époque, la mécanisation de ces industries devait réduire au chômage les jeunes femmes employées aux basses besognes (défaire les ourlets et découdre les boutons des chiffons utilisés pour la fabrication de la pâte à papier). Mais Firmin Didot n’entendait pas accepter cette fatalité et lui vient l’idée osée de reconvertir ces jeunes femmes à la typographie.
À l’époque, cette profession était exclusivement masculine, et ces jeunes femmes étaient souvent illettrées, ce qui est loin d’être pratique pour composer des livres. Firmin-Didot transformera en quelques années ces "éplucheuses" en typographes confirmées.
Il faut bien dire que ces femmes formaient une main-d’œuvre compétente isolée des courants d’idées de la capitale et moins revendicatrice en matière de rémunération. Adeptes de la philanthropie chrétienne, les Firmin-Didot ont ainsi créé au Mesnil-sur-l’Estrée une « colonie industrielle » permettant d’instruire et de former leurs futurs salariés, de les héberger sur leur lieu de travail et d’assurer leur bien-être matériel, physique et moral. Un système de mutuelle de santé verra même le jour dès 1839, permettant aux salariés de se voir rembourser leurs soins de santé.
Plus de deux siècles après, cette imprimerie existe toujours. Les vieilles machines sont bien entendu remisées au musée et les presses impriment aujourd'hui Harry Potter en des millions d’exemplaires !
1811. Coup de téléphone (moment uchronique de l’article).
"Bonjour, ici Napoléon, on lance un appel d’offre pour créer un caractère typographique visant à remplacer le "Romain du Roi" par le "Romain de l’Empereur". Est-ce que cela vous intéresse ? "
Firmin, qui a dans son carton à dessin un certain nombre de créations décide de finaliser son caractère le plus audacieux, le Didot millimétrique, dont le nom est tiré du système métrique. Il sera utilisé pour l’impression du Sacre de L’Empereur Napoléon en 1815. Dès lors, le caractère Didot sera massivement utilisé en France jusqu’aux années 1950, en particulier pour les imprimés règlementaires, les manuels scolaires, et une grande partie de l’édition scientifique.
Cette typographie s’est donc imposée au XIXe siècle au détriment de son concurrent le Garamond (conçu par Claude Garamont au XVIe siècle). Si le Didot représentait le renouveau d’une époque, la modernité et l’industrialisation naissante, le second ressassait un ancien régime qu’on voulait oublier à l’issue de la Révolution.
Pierre Faucheux, célèbre graphiste français, auteur de centaines de maquettes de livres au XXe siècle, était un profond admirateur du caractère Didot. Pour lui, le Didot est le caractère même qui symbolise la Révolution française. « Par son dessin, le Didot est révolutionnaire comme une guillotine. Les pleins sont les lames noires et les déliés sont les tranchants des lames. »
Aussi révolutionnaire soit ce caractère, on ne peut pas traiter la famille Didot de révolutionnaires ! Ce serait même le contraire, ils prennent soin de se jouer des époques autant que des régimes politiques. Business is business.
Le Didot est une typographie avec sérif qui se caractérise par de fins empattements et par un contraste fortement marqué entre des pleins très noirs et imposants, et des déliés extrêmement délicats. Ce contraste lui confère une élégance, un raffinement ainsi qu’une forte lisibilité.
Source: https://typofonderie.com
L’aspect épuré et subtil du caractère lui permit de rencontrer un immense succès au-delà des frontières françaises et sa grande lisibilité associée à sa finesse lui ouvrit les portes du milieu littéraire. Le Didot sera par exemple adopté par le grand dramaturge Jean Racine qui l’utilisera pour publier ses ouvrages ainsi que par la très officielle Imprimerie Royale de l’époque.
L’influence et l’importance de cette typographie sont telles qu’elle a donné son nom à l’une des quatre familles typographiques de la classification Thibaudeau (les didots) ainsi qu’à l’une des onze familles de la classification Vox-Atypi (les didones). Ces deux nomenclatures permettent de trier les différentes polices de caractères existantes dans de grandes familles d’après des facteurs historiques ou formels.
Le raffinement que dégage cette typographie plaît encore énormément aujourd’hui. Le monde de la mode se l’est par exemple approprié à travers des logos tels que Giorgio Armani ou America’s Next Top Model. Les magazines comme Vanity Fair, Elle ou encore Vogue l’utilisent pour nous informer des nouvelles tendances.
On retrouve aussi cette police de caractères dans certains logos de séries américaines comme Sex and the City ou Modern Family. Dans le premier cas, c’est la finesse du caractère qui est associé à l’élégance des New-Yorkaises branchées de la série tandis que pour le second, c’est son aspect traditionnel qui est opposé à la modernité de notre époque.
Cette typographie sera cependant moins utilisée avec l’avènement du web au début des années 2000, car la faible résolution des écrans ne pouvait rendre hommage à la finesse de ses empattements lui faisant ainsi perdre en lisibilité.
Comme beaucoup de typographies anciennes, le Didot a subi nombre de refontes et de réinterprétations. C’est cependant en 1991 que deux fonderies vont nous offrir les deux versions les plus contemporaines et réussies de cette police de caractères. La première est celle d’Adrian Frutiger créée pour la fonderie Linotype tandis que la seconde vient de Hoefler & Frere-Jones et a été conçue pour le magazine de mode Harper’s Bazaar.
Ces deux refontes réussissent à préserver le contraste et la finesse de la version originale en rendant hommage à l’immense travail de son créateur initial, Firmin.
Et pour conclure, et terminer notre petit tour d’horizon du Didot, nous pouvons noter le récent changement d’identité visuelle effectué par la marque ZARA. Probablement pour se repositionner comme une marque plus luxueuse, le groupe espagnol n’a pas hésité à se détacher des règles élémentaires de la composition typographique, pourtant si chère à Firmin Didot !
Plus de deux siècles se sont écoulés depuis sa création et pourtant, le Didot paraît toujours aussi jeune. Cette typographie du passé nous informe encore aujourd’hui des tendances de demain : c’est ce qu’on peut appeler l’élégance à la française.
Pour terminer, on vous propose l’épisode sur le Didot issu du podcast de l’Océan des Cent Typos. Un podcast où l’on peut suivre les aventures de l’intrépide Malo Malo ! ...que nous remercions, au passage, pour la rédaction de cet article ! :-)
Jean Racine est décédé en 1699, ce n’est donc pas lui qui a décidé de publier ses œuvres en Didot. À son époque elles étaient publiées en Garamond, le Didot n’apparaissant qu’en 1811. L’édition qui illustre l’article date de 1854…
Bonjour,
Est-il possible d’avoir accès aux sources qui ont été utilisé pour rédiger cet article ?