Bienvenue dans notre dernier article de notre série sur le Modernisme ! Si vous ne l'avez pas déjà fait vous pouvez lire le premier article sur la modernité et le second sur les ornementations et les débats qu'elles engendrent, avant d’entamer celui-ci. Belle lecture !
La première décennie du XXe siècle amène son lot de questionnements vis-à-vis des méthodes du passé, dont on fait table rase. On voit naître les premières œuvres d'art abstrait, épurant et dé-figurant la réalité ou célébrant les formes géométriques, entraînant artistes et graphistes à se détacher des règles de représentation picturale classiques et à en inventer de nouvelles.
Cela entraîne une véritable simplification graphique (issue d'une réflexion complexe) qui se manifeste à travers l’Art Déco, l’art abstrait et surtout par l'avènement du mouvement moderniste lancé par les avant-gardistes vers 1920, à la suite -entre autres- des idées d'Adolf Loos (dont on parle à la fin de notre article #2). Pour rappel, Loos écrivait en 1909 : "nous avons vaincu l’ornement : nous avons appris à nous en passer." Le père du modernisme propose de dépasser sa condition "naturelle" et "primitive" et d'abandonner les ornements, "signe de dégénérescence du passé", pour des raisons économiques et culturelles. Il souhaite ainsi tourner le XXe siècle vers l'épuration et la simplicité, traduction visuelle de la maîtrise des pulsions primitives et du développement culturel et cérébral de l'homme moderne... La nouvelle génération libérée qui s'en suit dépoussière le passé en réconciliant art, artisanat et industrie, en donnant naissance au design industriel.
Il y a tout d'abord une déconstruction des acquis et de l'héritage, dont nous parlons en première partie, pour venir ensuite réinventer de nouvelles solutions pour tendre vers l'universalité.
Depuis plusieurs dizaines d'années, du moins en France, l'enseignement de l'art à l'école est très protocolaire : tout est précis et encadré, jusqu'à la posture de l'enfant. Les arts plastiques traduisent une pensée rationnelle à travers une pratique dirigée, disciplinaire, géométrique et mathématique pour préparer les futurs travailleurs à la réalisation de dessins industriels.
Certains artistes façonnés par cette instruction cherchent à l'âge adulte un nouveau langage, libéré de ces contraintes rigides. En parallèle, la psychanalyse de Freud, naissante, s'intéresse aux pulsions et à l'origine du geste, tels que ceux que tracent librement et spontanément les enfants. Assez naturellement, art et psychologie se mêlent et lancent les artistes à la recherche d'un langage universel originel, d'un premier geste ou du premier langage. Cette nouvelle voie créative ouvre des explorations plastiques jusque là inexplorées et résolument modernes. S'engage alors une déconstruction artistique qui rompt avec le passé; une forme d'expression naïve et déconstruite, idéalisée, qui se traduit à la fois dans les écrits et les images, sans plaire pour autant à tout le monde (on imagine la tête de Loos).
Des artistes déconstruisent ainsi leurs réflexes et acquis pour explorer un nouveau langage pictural, naïf, premier, en observant les dessins d'enfants et les œuvres des peuples premiers dits "primitifs" qui sont très étudiés en ce début de siècle. Ainsi naissent les mouvements d'avant-garde (comme le fauvisme ou l'expressionnisme) qui explorent les sensations, puis l'art abstrait qui se détache du réel. La critique qualifie ces œuvres d'"enfantillages" et de "barbouillages". Les artistes, eux, cherchent à retrouver "l'œil fixe et animalement extatique des enfants devant le nouveau, quel qu'il soit" : Picasso essayera toute sa vie de "régresser" dans la déconstruction de son geste pour retrouver son œil et son impulsion d'enfant. C'est vers 1910 que Braque et ce dernier inventent le cubisme qui déstructure les formes et se détache des règles classiques en abandonnant la perspective et le volume, rompant ainsi avec un héritage plastique vieux de 500 ans !
Cette libération des règles classiques se lit aussi dans la mise en page du texte. En 1897 Un coup de dés jamais n'abolira le hasard de Mallarmé marque une véritable révolution typographique en rompant avec la ligne horizontale et en explosant les mots sur la page blanche, dont le vide entre les mots apparaît, dit-il "comme un silence" visuel.
Comme l'explique Anne Fauré, Doctorante, "pour les modernistes, la réalité existe encore, mais le langage ne semble plus parvenir à la dire, à la connaître, à l'assimiler. Le mot n'est plus en adéquation avec la chose. Le langage est en crise parce que son rapport au monde n'est plus direct et transparent, mais ambigu, incertain, et oblique." On cherche donc à repousser les limites des mots, des lettres et des mises en page, parce que l'on cherche un nouveau langage pour exprimer cette modernité.
Mallarmé, Un Coup de Dés jamais n’abolira le Hasard. Cosmopolis, VI, mai 1897
Ces explorations artistiques, psychologiques et textuelles sont accompagnées de nouvelles technologies ou techniques qui permettent la mise en place de ce nouveau terrain de jeu créatif et innovant. On joue alors avec les lettres comme des images, grâce à la lithographie ou aux photo-collages et collages qui permettent une action artistique immédiate et parfois brutale, impulsive, qui rappellent ce premier geste enfantin, novateur. Les artistes découpent aussi des lettres dans les journaux qu'ils utilisent comme modèles pour créer des caractères d'impression en bois. Pour la première fois, le texte et les lettres sont considérés comme des éléments visuels propres à la composition.
Il est bon de rappeler que si aujourd'hui le texte est opposé à l'image, le mot grec graphein signifie "graver des entailles" pour graver des caractères, donc à la fois dessiner et graver, mêlant intimement texte et image. C'est ce sens premier que la première décennie du nouveau siècle se permet d'explorer : on s'intéresse à de nouvelles perspectives obliques (sans perspective, donc) avec les lettres doublement libérées du carcan de la grille horizontale / verticale et de leur rôle de support de lecture. Ces expérimentations artistiques et graphiques marquent la naissance de la mise en page moderniste, décloisonnant les lettres et donc le langage visuel.
C'est ce qu'explore Filippo Tommaso Marinetti, en Italie. Ce poète et artiste écrit le manifeste du Futurisme en 1909 (la même année que la parution d'Ornements et crime de Loos) à Paris, capitale de l'art moderne, pour rompre avec le passé notamment de l'Italie, "marché des brocanteurs et musée cimetière". Le Futurisme exalte les nouveautés exaltantes du monde moderne ; les foules, les machines, la guerre et la vitesse, à travers la représentation visuelle du mouvement. Dans le Manifeste du Futurisme, il déclare que "la splendeur du monde s'est enrichie d'une beauté nouvelle : la beauté de la vitesse." Son but est de créer une cohérence entre l'art et les révolutions technologiques et industrielles de la société, de changer l'ordre social et de dépoussiérer l'homme moderne de ses traditions et héritages.
Là où Mallarmé utilisait le vide comme silence dans lequel dansaient les lettres, le Futurisme utilise quant à lui ce qu'il appelle des "mots en liberté" pour retranscrire le son et la trajectoire des machines de guerre modernes, ou créer des images. Les lettres et les mots sont des éléments visuels éclatés et sans aucun lien, en tant que forme artistique libre. Marinetti écrira que "le livre doit être l’expression futuriste de notre pensée futuriste […]. Ma révolution vise directement la soi-disant harmonie de la page."
Marinetti, Parole in libertà (premier record), 1916 et Parole, consonanti, vocali, numeri in liberta, 1915
Il faut noter qu'en France la fonderie Peignot, de son côté, refuse et lutte contre la composition mécanique et continue de produire des typographies du style XVIIIe avec notamment les caractères Cochin (créés en 1912), prenant du retard sur cette modernité grandissante.
La Première Guerre mondiale vient rompre cet élan et ces expériences poussées par la foi toute-puissante en la machine. Ces horreurs donnent néanmoins lieu à de nouvelles formes d'expression artistiques qui viennent pousser encore plus loin les bouleversements des codes artistiques et graphiques. Elles apparaissent quasi simultanément en Russie et en Europe.
Le mouvement Dada, en Suisse allemande, est inquiet de cette première grande guerre et de cette modernité et en utilise les outils pour dénoncer l'absurdité du monde et rompre également les règles pour secouer les normes bourgeoises. Ce mouvement artistique et graphique reprend du Futurisme le principe des mots en liberté et une "nouvelle conception de la page typographiquement picturale" pour créer toutes sortes d'images / textes en inventant un nouveau langage fondé sur le hasard, souvent sans logique ni même de sens, qui retranscrit le climat de l'époque.
En 1917 en Allemagne, John Heartfield est l'un des premiers à utiliser la technique du photomontage. Il verse du plâtre autour des blocs des caractères typographiques pour les maintenir dans un autre angle non vertical-horizontal pendant l'impression. Raoul Hausmann, ci-dessous à gauche, joue avec les lettres et les images découpées de journaux qu'il assemble dynamiquement et sans logique. "Les "poèmes-affiches" affirment haut et fort la volonté d'Hausmann de revenir aux éléments primordiaux du langage, à savoir la lettre et les signes de ponctuation (...) à libérer la syntaxe, à revenir au mot et au son – et à le réinventer, afin de lui rendre sa force première, sa pureté, sa dimension magique et sacrée" comme l'explique le Centre Pompidou. Les artistes décloisonnent les règles graphiques et poussent encore plus loin vers l'absurde, comme le feront Iliazd ou Hausmann.
De gauche à droite et haut en bas : ABCD, Raoul Hausmann, 1923 - Illustration du livre Germany, Germany above All de Kurt Tucholsky par John Heartfield, 1929 - Dada Tank, 1922 - collage Dada - Poème phonétique, Raoul Hausmann, 1918
En Italie, les mots utilisés par les futuristes évoluent pendant et après la guerre en support de synesthésies visuelles et auditives qui traduisent le monde moderne et notamment les bruits des machines de guerre et des bombardements : "tummm, tuuumb, grang".
Les caractères typographiques deviennent des porte-parole idéologiques véhiculés par l'abstraction ou la forme, symboles d'un art utopique dans l'optique de changer le monde. Ici, Marinetti est fasciné par le fascisme de Mussolini, et voit le changement par la guerre (!). Il écrira : "La guerre est belle parce qu'elle inaugure la métallisation rêvée du corps humain".
Marinetti, D’Albisola, 1932 : Parole in libertà futuriste, tattili-termiche olfattive (Mots en liberté futuriste, tactile-thermale olfactive), imprimé sur des feuilles de métal - Filippo Marinetti, Zang-Tumb-Tumb, pour Adrianopoli, 1912 Parole in Liberta 1914
On voit que Marinetti utilisera d'ailleurs ici (vers 1930) des caractères sans-sérif, des linéales, parce que ces lettres ont l'avantage d'être neutres et de ne pas porter la marque d'un instrument manuel (les empattements sont l'héritage de la plume sur le manuscrit ou du burin sur la pierre) : elles sont purement mécaniques, et traduisent parfaitement la symbolique de la machine.
En Russie, vers 1917, on expérimente aussi avec le texte comme image, non pas pour dénoncer le conflit ou glorifier les machines, mais pour soutenir la révolution. C'est le cas d'El Lissitzky, figure de proue du constructivisme (l'art officiel de la révolution russe bolchévique) qui contribue à diffuser les idées des "rouges" pour renverser les Tsaristes, ou de Rodtchenko.
La propagande diffuse ses slogans par l'intermédiaire d'affiches imprimées en très grand nombre. Celles-ci sont très graphiques, structurelles et visuelles pour parler au plus grand nombre, illustrées de photomontages révolutionnaires dans les deux sens du terme, aux couleurs basiques (rouge, blanc, noir), et aux formes géométriques inspirées de l'art suprématiste de Kasimir Malevitch, avec qui El Lissitzky collabore.
El Lissitzky : Battre les blancs avec le coin rouge (Клином красным бей белых!), 1919 - Couverture du journal Avant-Garde, 1922 - À tous les enfants, 1920
El Lissitzky : couverture d'un livre de Chad Gadya, 1919 - Wendingen, 1921 - Proun-G7, 1923 - Kunstismus Nueu typography, 1925 - Illustrations pour histoire suprématique de deux carrés, 1920
Pour faire une petite parenthèse, le suprématisme de Malévitch propose une abstraction géométrique qui permet une déconstruction plastique pour créer une nouvelle peinture de la non-représentation, dégagée de signification, dans un espace immatériel. Ses fameux Carré noir sur fond blanc de 1915 et Carré blanc sur fond blanc viendront deux ans plus tard déstructurer la peinture pour la faire évoluer dans une 4e dimension, flottant dans l'espace et le temps. En d'autres termes, Malévitch s'affranchit de la représentation picturale, du support, et des règles, pour créer une peinture au-delà du visible.
Le constructivisme à sa suite n'essaye pas d'être figuratif, mais de structurer l'espace par des lignes obliques et de la symétrie, qui apportent stabilité et mouvement, mais sans volonté d'apporter une grande lisibilité des mots. C'est un art qui se rapproche du graphisme.
El Lissitsky, illustrations de "Pour la voix" de Vladimir Maïakovski, 1920
Alexander Rodtchenko, 1925 - Affiche du Cuirassé Potempkine, Lavinsky, 1926
On note les expérimentations typographiques extrêmement novatrices et l'usage du texte comme élément visuel, dans lesquels la typographie prend une importance considérable et change de statut en devenant image : "Les constructivistes russes abordent la typographie en plasticiens, il est évident que pour eux le problème fondamental de la typographie reste un problème d’art plastique" (Leclanche-Boulé, 1984 : 49).
Le constructivisme sera le trait d'union entre l'abstraction russe à l'Est, et le Bauhaus et le mouvement de Stijl à l'Ouest, par l'intermédiaire d'El Lissitzky qui rejoint ce dernier en 1923. On voit alors clairement l'influence des avant-gardistes dans les tableaux du mouvement de Stijl, comme ceux de Mondrian aux Pays-Bas, ou dans les créations du Bauhaus, en Allemagne. L'usage de la géométrie, la composition à partir d'une grille, la simplicité et l'épuration, ou l'influence de l'architecture y sont récurrents.
Le mouvement De Stijl, créé d'abord en 1917 aux Pays-Bas par Théo Van Doesburg, développe l'abstraction et abolit la perspective, en utilisant des couleurs primaires agencées entre des lignes droites, basées sur un système de grille verticale. De Stijl souhaite créer une relation entre la peinture et l’architecture, et cherche à créer un langage pictural universel et résolument moderne, traduisant une quête mystique vers l'émotion pure, grâce à l'abstraction apportée par la géométrie de la grille et l'usage du rectangle.
De Stijl, couverture du magazine, 1917 - 1931, Centraal Museum, Utrecht - Piet Mondrian, Composition en rouge, jaune, bleu et noir, 1921, Kunstmuseum Den Haag
Un an plus tard naît l'école du Bauhaus, s'inscrivant pleinement dans ce mouvement moderniste et à la suite de ces influences artistiques, comme le montrent les images ci-dessous (en deuxième ligne les tableaux d'El Lissistky de 1920-1922 qui influencent clairement ceux du Bauhaus réalisés en 1925-1923, au-dessus).
Painting photography film, László Moholy-Nagy 1925
L’idée, humaniste, est de rendre l'art industriel simple, fonctionnel, beau et accessible, par des lignes épurées, des formes géométriques et des nouveaux matériaux nobles, à travers des objets produits à la main ou en série par des machines. Bauhaus signifie « maison de construction », en référence à la Bauhütte gothique (artisans en coopérative construisant des cathédrales, qui avaient aussi inspiré William Morris), mais met néanmoins ici l'accent sur l'individualité artistique. C’est une véritable révolution qui veut "créer ensemble la nouvelle construction de l’avenir" comme le dit Walter Gropius, son fondateur et premier directeur.
Évolution du logo de la Bauhaus, de 1919, comme un insigne de compagnon, aux visages géométriques de 1922 (Oskar Schlemmer)
Nouveau salon des arts, affiche de 1914 d'Oskar Schlemmer, et affiche d'exposition de la Bauhaus de 1923, Fritz Schleifer
La Bauhaus veut d'abord concilier démocratie et rejet des ornementations pour ensuite créer l'homme moderne et nouveau à travers l'art et l'architecture. C'est l'expression "less is more" de l'architecte Ludwig Mies van der Rohe, directeur de l'école dans les années 30, qui la caractérise le mieux. L'école veut d'abord libérer l'artisan, dans une logique humaniste, puis ensuite dans les années 30, lorsque la politique bascule à droite, elle se concentre sur l'industrie et le design fonctionnel. En plus de s'inscrire dans une époque où l'on cherche à se débarrasser d'une surcharge décorative pour tendre vers l'universalité et le fonctionnel, l'école s'inscrit dans un contexte allemand bien particulier.
Dans les années 1920, l'Allemagne sort d'une défaite après la Première Guerre mondiale et traverse une grave crise économique, qui est soutenue financièrement par les États-Unis. De là naît une fascination pour la culture et les modèles économiques mis en place outre-Atlantique, notamment le Taylorisme, qui permet de rationaliser le travail et la production "grâce" à la standardisation et l'organisation. La république de Weimar développe alors un besoin de standardiser la société, l'art, l'architecture à travers des modèles normés afin d'en faciliter l'accessibilité et la diffusion au plus grand nombre. L'envie naît également de simplifier l'écriture allemande afin qu'elle soit lisible par tous.
Dans ce contexte, l'Allemagne est néanmoins tiraillée entre deux camps : entre tradition, qui tire vers le passé, et modernité, qui veut faire table rase de ces influences. D'une part on trouve les défenseurs d'une tradition qui utilisent encore largement les caractères typographiques Gothiques (comme le Fraktur, utilisé jusque pendant le régime Nazi en 1944), incarnant la rigueur et la modularité géométrique mais difficilement lisibles (je rappelle que les premiers caractères mobiles utilisés par Gutenberg dans l'imprimerie sont de style gothique), et d'autre part ceux tournés vers la modernité et l'universalisme, défenseurs d'une nouvelle typographie. La nouvelle typographie allemande, qui lance le modernisme international, se crée donc en réaction face à ce contexte culturel et social. Elle se veut intemporelle et neutre, centrée non pas sur l'écriture ou un héritage culturel, mais sur la lecture qu'elle veut fluidifier et simplifier avec des caractères industriels. En 1929, John Heartfield, artiste et graphiste allemand, adepte du photomontage, dénonce satiriquement le climat allemand avec la jaquette ci-dessous. Elle représente à gauche la matraque de la police et le glaive du pouvoir militaire accompagnés de la légende "ensemble, fraternellement" et à droite un mi-bourgeois mi-militaire patriotique clamant, en lettres gothiques "l'Allemagne, l'Allemagne au-dessus de tout". À l'intérieur, on trouve une photo d'un postérieur avec des oreilles, "idiome berlinois", dont la signification est on ne peut plus claire.
John Heartfield, "L'Allemagne, l'Allemagne au-dessus de tout - Idiome berlinois - Ensemble, fraternellement", jaquette de 1929
Les artistes / designers / architectes des années 10-20 s'intéressent pour cela au langage mathématique et à la géométrie, en tant que possible langage universel. À l'époque, l'universalité est un sujet qui passionne. On l'a vu avec les œuvres du mouvement De Stijl de Mondrian et Van Doesburg, du suprématiste Malevitch, ou du langage dada : la recherche d'une forme "pure" permet de se détacher de tout symbolisme, de toute signification, pour aller au-delà. Soit vers quelque chose de spirituel, de sacré, soit vers une forme d'universalisme. La frontière entre les deux étant, finalement, assez mince.
Cet intérêt pour l'application des mathématiques dans l'art est un héritage du système de grille du XVIe siècle : les "mesures divines". Ce sont des mesures de proportions autour d'une unité commune comme ratio, inspirées de l'observation de la Nature qui serait l'Œuvre Divine, incarnant l'idée de perfection. Dès l'époque Romaine avec Vitruve, le premier architecte Romain connu (-30 -40 avant JC) et dont on a conservé les écrits, on imagine Dieu comme un "grand horloger du monde" (l'expression viendra au XVe siècle) qui s'exprime parfaitement à travers la Nature et que l'homme peut saisir grâce aux mathématiques, à travers ces fameuses proportions qui en seraient le langage et l'expression divine : la géométrie est le langage de l'univers.
À la Renaissance on essaye à sa suite d'appliquer ces proportions dans l'architecture, les écritures (avec Lucas Pacioli -ci-dessous- ou Thibaudeau qui étudient les capitales Romaines, ou Dürer qui s'intéresse aux Gothiques, au XVIe siècle) ou l'art, grâce à un système de grilles et de mesures appelé les canons Classiques, ceux-là mêmes qui ont volé en éclat au début du XXe siècle, dont nous parlions en début d'article.
Ces proportions seront matérialisées par le fameux homme de Vitruve de Leonardo da Vinci, bras écartés inscrits dans un cercle et un carré : "La Nature a distribué les mesures du corps humain comme ceci : Quatre doigts font une paume, et quatre paumes font un pied, six paumes font un coude : quatre coudes font la hauteur d’un homme. Et quatre coudes font un double pas, et vingt-quatre paumes font un homme ; et il a utilisé ces mesures dans ses constructions."
Pour les modernistes il s'agit bien de se tourner vers le futur en inventant de nouvelles constructions (bâtiments, caractères, mise en pages...), de renier les lettres de la Renaissance ou les gothiques du passé, mais sans oublier les recherches fondamentales des règles mathématiques. La différence principale étant que la Renaissance recherchait d'abord le beau dans l'application de ces mesures, ces canons, alors que les modernistes s'attachent d'abord à la fonction, avant l'esthétisme. Les modernistes appliquent ainsi les principes du système de grille et utilisent des formes géométriques dans leurs constructions dans un souci de recherche d'universalisme et de fonctionnalisme. Cette idée appliquée plus tard par le Bauhaus vient de l'architecte Louis Sullivan qui écrit en 1896 dans Considérations esthétiques sur la hauteur des bâtiments, "la loi de toutes les choses organiques et inorganiques, de toutes les choses physiques ou métaphysiques, de toutes les choses humaines ou surhumaines, de toutes les manifestations de la tête, du cœur et de l’âme, est que la vie soit reconnaissable dans son expression, que la forme suive toujours la fonction."
Les recherches modernes de nouveaux caractères typographiques réfutent ainsi les inspirations trop humanistes et calligraphiques du passé en s'appuyant sur les écrits d'Adolf Loos et les valeurs allemandes des années 20, à savoir la rigueur et la discipline. Elles mènent à la création d'alphabets normalisés qui se veulent donc plus accessibles en enlevant et effaçant les dernières traces du geste manuel dans l'écriture : les empattements. Ces alphabets conceptuels ne cherchent pas à retrouver les origines de l'écriture, mais plutôt à créer une neutralité, un universalisme, qui puissent mettre tout le monde d'accord, à travers des formes géométriques.
Ils sont les enfants de l'Akzidenz-Grotesk de 1896, première typographie populaire parmi les linéales allemandes :
Les linéales, appelées Grotesk ou Grotesques dans le monde anglo-saxon ou allemand, existent depuis le début du XIX en Angleterre, comme on l'a vu dans notre premier article sur le modernisme. Elles sont cependant remaniées en Allemagne pour :
- se défaire des pleins et déliés, c'est-à-dire des traces héritées de la plume manuscrite
- être les plus neutres possible c'est-à-dire sans signes culturels ou esthétiques, sans ornementation, sans références à la Renaissance ni au style des gothiques
- utiliser comme base des formes géométriques neutres et abstraites : carré, rond, triangle (inspirés de la Plaque Découpée Universelle) jugées universelles, car rationnelles et élémentaires
- s'inscrire en héritage de la grille de "proportions divines" ou "mesures divines"
Il est intéressant de faire une petite chronologie (non exhaustive) des linéales géométriques et des avancées vers la standardisation des années 20. Il est intéressant de noter que ces alphabets sont rarement coulés en fonte pour être diffusés dans l'imprimerie, à part le Futura, et sont plus souvent des pistes de réflexion comme base d'un langage universel qui fascine les chercheurs à l'époque. Il faut aussi imaginer ce besoin profond de se détacher absolument des gothiques et de ce passé, et ce que la création d'une typographie nouvelle et fonctionnelle doit impliquer dans les esprits !
- En 1919 le néerlandais Théo Van Doesburg (co-fondateur du mouvement de Stijl) crée un alphabet dont les lettres sont construites à partir de carrés. Ses idées sur la simplification formelle de l'écriture via les formes géométriques et la ligne droite influencent l'école du Bauhaus, dans laquelle il donne de nombreuses conférences. Cela stimule la création d'autres polices de caractères linéales géométriques, alphabets et caractères typographiques dits "universels".
- En 1922 la nouvelle norme DIN normalise le format des papiers, du A0 au A8 :
- 1924 : les premiers dessins du Futura, géométriques, revendiquent une table rase, sans ornementations, mais pas sans tradition. Ces caractères se rattachent aux "Mesures divines". À l'origine, le Futura se base sur des formes géométriques comme point de départ de création : on vous invite d'ailleurs à découvrir notre article sur la création du Futura.
- En 1925 le Bauhaus déménage à Dessau et prend un nouveau virage vers une production plus industrielle et moins artisanale. Un atelier typographique est créé sous l'impulsion de Moholy-Nagy son nouveau directeur, et l'école devient un incubateur des idées de la Nouvelle Typographie. Influencé par Théo Van Doesburg du mouvement de Stijl, et Jan Tschichold, le "manuel pour les créateurs de leur temps" Die neue Typographie (la Typographie Nouvelle) dévoile les premiers caractères en linéales géométriques aux imprimeurs et rassemble toutes ces recherches avant de les publier en 1928. La nouvelle typographie proclame la suprématie des polices de caractères bâtons géométriques et construits, cherche une neutralité à l'image de l'homme moderne, réfutant la trace du geste, et s'attache avant toute chose à la clarté dans la mise en page (avant la beauté) avec "un usage fonctionnel de la couleur" comme le précise Tschichold : "le blanc, par exemple, renvoie la lumière, il irradie. Le rouge avance, il paraît toujours plus proche que toute autre couleur, y compris le blanc. Le noir, par contre, est la couleur la plus dense, il est le plus en retrait". Parmi ses grands principes, on trouve le fait que la typographie est "liée à des exigences fonctionnelles" avec pour objectif la communication dont elle est "moyen d'expression graphique".
- La même année naît l'ISOTYPE, International System of Typographic Pictorial Education, en Autriche. C'est une solution visuelle d'infographie, ancêtre des pictogrammes et émoticônes, dans laquelle la représentation de nombreux éléments se fait par l'intermédiaire de symboles. Elle permet d'expliquer et de représenter des causes et des phénomènes grâce à des illustrations répétées. Son usage est mis en place dans le cadre d'une démocratisation du savoir afin de s'adresser à la population moins instruite, comme les ouvriers et les enfants. C'est une forme de langage visuel universel, une pasigraphie.
- Herbert Bayer, étudiant du Bauhaus puis directeur de la section imprimerie et publicité de l'école dont il conçoit le papier à lettres et standardise les formats, pousse ses recherches sur la simplification de l'écriture. Il crée un alphabet monocaméral (sans capitales), qui sera privilégié au sein du Bauhaus : l'Universal. Il géométrise le squelette de l'alphabet latin en enlevant les pleins et les déliés hérités de l'usage de la plume : en enlevant les majuscules il simplifie la construction typographique qui propose habituellement deux signes d'époques différentes pour une même lettre -une capitale, romaine, et une minuscule, héritée des carolingiens. On décide ensuite, par souci de simplicité et d'économie, d'abandonner les capitales dans les publications du Bauhaus. Herbert Bayer écrira en 1925 qu'en "nous contentant des bas de casse, nos lettres ne perdent rien et deviennent plus faciles à lire, plus faciles à mémoriser, considérablement plus économiques". Ci-dessous la première version de Bayer en 1925 suivie d'une variation retenue en 1926 :
- 1926-1927 : les fonderies allemandes veulent créer la police parfaite entre géométrie et lisibilité et lancent des recherches pour une typographie universelle, comme ici la Schablonenschrift (subconscient, en allemand) de Josef Albers, mêlant éléments géométriques simples et architecturaux (carré, triangle, cercle), composée grâce à des pochoirs. Il est intéressant de constater cette volonté de mêler plusieurs domaines dans cette quête d'universalité, en injectant de la géométrie dans la construction du monde, pour le rendre accessible et compréhensible par tous. Sous le visuel de la typographie, un parallèle avec le bâtiment du Bauhaus-Archiv dessiné par Walter Gropius pour abriter les archives de l'école après sa fermeture par le régime nazi.
- En 1926, publication et succès immédiat du Futura redessiné dans une nouvelle version. Ce caractère typographique a pour vocation de devenir le nouveau standard typographique pour remplacer le texte courant, sur le plus de supports possible. Renner, qui est proche de Tschichold, s'oppose cependant au radicalisme de la nouvelle typographie en ces termes "la qualité artistique d'un caractère doit être validée par l’œil et non par des concepts de mathématiques ; de sorte que la création d'un type géométrique ne peut aboutir à partir de la seule construction géométrique élémentaire".
- En 1928 Herbert Bayer compare son Universal au Schablonenschrift de Josef Albers, au Systemschrift de Kurt Schwitters et au Futura de Paul Renner :
Mais avec la montée du nazisme et du fascisme dans les années 30 et l'approche de la guerre, certains graphistes influents quittent l'Allemagne puis diffusent leurs enseignements à travers le monde. Certains migrent aux États-Unis (comme Laszló Moholy-Nagy ou Herbert Bayer), en Israël, et d'autres en Suisse (comme Jan Tschichold). En Suisse, l'école de Bâle fait revivre les œuvres du Bauhaus avec passion, avec des personnalités comme Max Bill ou Josef Müller-Brockmann, qui prônent dans les années 50 la rigueur dans la revue le Nouveau graphisme qui "s'interdit toute forme de compromis" tout en s'appuyant sur les valeurs de l'art concret. Ce style suisse deviendra synonyme du Style International.
Jan Tschichold (qui est pourtant au graphisme ce qu'Adolf Loos fut à l'architecture) reviendra sur ses propos et injonctions fonctionnalistes pour revenir à une typographie moins normée, plus historique, et à la "belle page" construite à la manière des principes de William Morris. Il écrira en 1946 dans Schweizer Graphische Mitteilungen (Mythe et réalité) n° 6, en parlant du modernisme, "cette posture intolérante est en parfaite adéquation avec le penchant allemand à l’impératif ; sa recherche de l’ordre militaire et son exigence d’absolutisme coïncident avec ces terribles composantes de l’être allemand, que la domination de Hitler au pouvoir et la Seconde Guerre mondiale ont réveillées."
On peut interroger le sens et la validité de cette quête d'universalisme de multiples façons. On a le sentiment que l'universalisme entraîne la simplification et donc l'effacement des différences avec la mise en place de normes qui entraînent une certaine standardisation, qui façonne un modèle qui se veut universel, mais qui provoque paradoxalement l'exclusion... puisque la véritable universalité n'existe pas ! Elle est fantasmée à travers des prismes culturels et sociaux qui créent nécessairement des variations selon les cultures, et elle est un concept fantasmé puisque justement impossible à atteindre. Néanmoins, Gropius disait que l'enseignement du fonctionnalisme du Bauhaus restait vivant "tant qu'il ne s'attachait pas à la forme, mais cherchait derrière la forme changeable le fluide même de la vie". Il semblerait que c'était le cas autour des années 20, mais que dans les années 30 avec la montée du nazisme et plus largement des valeurs d'extrême droite en Europe, puis plus tard après Guerre avec le Style International Suisse, les principes des modernistes se soient transformés non plus en la noble recherche du "fluide universel de la vie", mais en modèle normé et rigide appliqué malgré lui comme standard au "monde" entier, avec cette forme de normes comme principe et sans fonction la précédant.
Sur la question de l'uniformisation (vs les différences), on peut citer le dialogue entre Claude Lévi-Strauss et Éribon, dans "De près, de loin" en 1988 :
Éribon : Les cultures veulent s’opposer les unes aux autres.
Claude Lévi-Strauss : À la fin de "Race et histoire", je soulignais un paradoxe. C’est la différence des cultures qui rend leur rencontre féconde. Or ce jeu en commun entraîne leur uniformisation progressive : les bénéfices que les cultures retirent de ces contacts proviennent largement de leurs écarts qualitatifs ; mais au cours de ces échanges, ces écarts diminuent jusqu’à s’abolir. [...] Que conclure de tout cela, sinon qu’il est souhaitable que les cultures se maintiennent diverses, ou qu’elles se renouvellent dans la diversité ? Seulement [...] il faut consentir à en payer le prix : à savoir, que des cultures attachées chacune à un style de vie, à un système de valeurs, veillent sur leurs particularismes et que cette disposition est saine, nullement – comme on voudrait nous le faire croire – pathologique. Chaque culture se développe grâce à ses échanges avec d’autres cultures. Mais il faut que chacune y mette une certaine résistance, sinon, très vite, elle n’aurait plus rien qui lui appartienne en propre à échanger. L’absence et l’excès de communication ont l’un et l’autre leur danger.
Aujourd'hui, il n'y a plus de quête d'universalisme dans le graphisme, et les fonctions du modernisme des années 20 (la table rase avec le passé, la création de l'homme moderne, la quête de l'universel, l'utilisation d'une construction géométrique comme langage fédérateur...) n'ont plus lieu d'être. Seul demeure le besoin d'apporter de la simplicité et de la lisibilité aux créations, dans un monde visuellement trop bruyant.
Cette recherche de forme première pure et essentielle, qu'elle existe à travers l'art, l'écriture, ou l'architecture, demeure également une illusion issue de l'Allemagne-Autriche, des Pays-Bas ou de Suisse, avant que leur philosophie s'étale plus largement en Europe et aux États-Unis pour devenir une norme dite "internationale". Autant la recherche de la forme pure permet de décloisonner et d'élever le langage pictural artistique pour atteindre une dimension spirituelle, autant appliquée à l'écriture même ou au graphisme, cette quête semble faire tout l'inverse. Sous couvert de règles et créations "universelles" on vise en réalité à l'époque à éliminer les différences, les aspérités culturelles, toute trace d'humanité voire même de vie. Mais à s'éloigner ainsi de l'homme et à se rapprocher de la machine, des mathématiques et de règles inflexibles, n'obtient-on pas plutôt un moule rigide et déshumanisé ? Plus qu'une harmonisation qui rassemblerait l'ensemble des pratiques, le Style International Suisse, moderniste par excellence, mais sorti de son contexte d'origine qui n'a plus lieu d'être, glisse alors vers une standardisation et l'application d'une norme qui écrase les diversités culturelles, sociales ou humaines qui ne sont absolument jamais prises en compte -et encore très rarement aujourd'hui.
Le Corbusier se servira d'ailleurs des principes d'Adolf Loos pour fonder l'architecture nouvelle, à travers la loi du Ripolin. Cette loi, qui porte le nom d'une marque de peinture, consiste à "remplacer ses tentures, ses damas, ses papiers peints, ses pochoirs, par une couche pure de Ripolin blanc" comme l'explique l'architecte, pour devenir "maître de soi" c'est-à-dire retrouver la vérité grâce à l'abstraction des ornementations. Cette méthode, proche de la mouvance minimaliste actuelle dont nous vous parlerons dans un autre article, cache en réalité un désir de grande "purification" et de grand "nettoyage" qui, à l'époque, faisait écho aux idéologies fascistes d'extrême droite que Le Corbusier admirait. Coup de peinture blanche ou coup de Karcher, l'impulsion est la même !
La volonté de faire plus avec moins et de trouver un système de simplification pour parler au plus grand nombre a longtemps fasciné. L'application de tels principes a véritablement révolutionné le monde artistique ou architectural et le design industriel ou graphique, jusqu'à nos jours. Cependant, cette volonté de simplifier, de clarifier et de mieux diffuser s'inscrit d'abord dans un contexte chargé, qui provoque cette réaction. On l'a vu, à la fin du XIXe début du XXe, c'est l'industrialisation grandissante et le trop-plein d'ornementations qui amènent ce besoin de libérer l'artisan en valorisant son travail (W. Morris) ou en le débarrassant du travail superflu (A. Loos), puis dans les années 20 c'est le contexte allemand qui provoque cette nécessité de couper avec le passé et de rechercher des pistes de fonctionnalisme universel. En parallèle, la publicité et les préoccupations consuméristes prennent de plus en plus de place dans les sociétés occidentales, particulièrement durant les années d'après Guerre qui sont l'occasion de rebâtir des villes modernes selon ces principes de consommation grandissante et libérée. On avait l'espoir dès 1945 que "l'affiche serait utilisée de plus en plus, non seulement dans un but commercial, mais aussi comme outil de propagande pédagogique par l’État, afin de façonner ce monde nouveau dont nous rêvons tous", comme le mentionnait un ouvrage de graphisme d'avant-guerre. Les années 50 viennent incarner ce nouveau rêve, en lançant la direction artistique et les premiers logotypes de grandes entreprises, alliant simplicité et efficacité.
À nous d'inventer ensemble aujourd'hui les nouvelles règles du graphisme, dans un monde bruyant et changeant, pour en contourner les contraintes et définir un nouveau paradigme toujours plus inclusif et cohérent.
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